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Full text of "Mère Catherine Aurélie : histoire de mère Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang, née Aurélie Caouette, fondatrice de l'Institut du Précieux-Sang au Canada, 1833-1905"

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MERE    CATHERINE-AURELIE 

FONDATRICE    DE    L'INSTITUT     DU    PRÉCIEUX-SANG 


OUVRAGES    DU     MÊME    AUTEUR 


La  foi  dans  ses  rapports  avec  la  raison  (1898). 

Le  mariage  clandestin  devant  la  loi  du  pays  (1901). 

Articles  et  études  (1903). 

Vie  de  Mère  Caron  (1908). 

Les  fêtes  de  l'Hôtel-Dieu  (1909). 

Prêtres  et  religieux  du  Canada  (1914). 

Pau,  Fayolle  et  Foch  (1922). 

Histoire  des  Sœurs  de  Sainte-Anne  (1922). 

Louis-Joseph-Amédée  Derome  (1922). 

(En  collaboration)  : 

Les  fêtes  du  75e  de  la  Saint-Jean-Baptiste  (1909). 
Histoire  de  Saint-Jacques-d'Embrun  (1910). 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/mrecatherineauOOaucl 


MÈRE  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang 

NÉE    AURÉLIE    CAQUETTE 


MÈRECATHERINE-AURÉLIE 


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Histoire  de  Mère  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang 

née  Aurélie  Caouette 


Fondatrice    de    l'institut 


DU 


PRÉCIEUX-SANG   AU   CANADA 


1833 


1905 


PAR 


l'abbé  Élie-J.  AUCLAIR 

docteur  en  théologie  et  en  droit  canonique 

de/la  Société  Royale  du  Canada  et  de 

la  Société  Historique  de  Montréal 


Imp.  L'Action  Sociale  Limitée 
103,  rue  Ste-Anne,  103 
Québec     ,  ,  ,  „ 

19m-  ^ 


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Nihil  obstat, 

Chs.-E.  Gagîté,  pter, 


censor  librorum. 


Imprimatur, 

Québec,  die  14^  septembris  1923. 

t  L.-N.  Card.  Bégin,  arch.  Québec. 


DÉCLARATION  DE  L'AUTEUR 


Respectueux  des  décrets  du  Saint-Siège  sur  la  presse,  nous  décla' 
rons,  en  la  forme  la  plus  explicite,  n'attribuer  à  cette  histoire  de  Mère 
Catherine- Aurélie  qu'une  foi  purement  humaine.  Nous  ne  voulons 
en  aucune  façon  prévenir  les  jugements  de  l'Eglise,  à  laquelle  seule  il 
appartient  de  porter  une  sentence  définitive  en  matière  de  vertu  et  de 
sainteté.  Nous  soumettons  humblement  notre  travail  et  notre  personne 
à  son  autorité  et  à  sa  censure. 


Enregistré  conformément  à  la  loi  du  Parlement  du  Canada,  l'an  mil  neuf 
cent  vingt-trois,  par  Les  Sœurs  adoratrices  du  Précieux-Sang  de 
Saint-Hyacinthe,  au  ministère  de  l'Agriculture.  Tous  droits  réservés. 


PRÉFACE 


Les  premières  lignes  du  manuscrit  de  ce  livre  ont  été 
écrites  le  14  septembre  1922,  et  les  dernières,  le  3  mai  1923* 
Simple  coïncidence  sans  doute,  qu'il  nous  plaît  cependant 
de  signaler,  parce  que  ces  deux  dates  marquent  les  deux 
fêtes  de  Vexaltation  et  de  Vinvention  de  la  sainte  croix, 
don-  notre  héroïne  fut  V  amante  si  profondément  sincère. 

Nous  avions  décidé  de  ne  mettre  aucune  préface  à  ce 
volume,  quand  une  circonstance  fortuite  nous  a  donné  Vidée 
d'en  écrire  une,  au  moment  ou  nous  achevions  de  réviser^ 
avant  le  bon  à  tirer,  les  quatre  cents  pages  de  nos  quatorze 
chapitres.  Le  soir  du  24-  mai  1923,  nous  assistions  à  une 
modeste  séance  de  couvent,  au  cours  de  laquelle,  pour  honorer 
Dollard  et  les  premiers  héros  de  notre  histoire  du  Canada, 
on  fit  revivre,  sous  nos  yeux,  les  belles  figures  de  madame 
Hébert,  de  Jeanne  Mance,  de  Madeleine  de  Verchères  et  de 
Jeanne  Leber, 

Jeanne  Leber,  la  célèbre  recluse  de  Ville-Marie,  qui 
vécut  de  1662  à  1714,  nous  apparut  soudain,  derrière  la 
petite  grille  du  théâtre  enfantin,  comme  un  précurseur  de 
Mère  Catherine- Aurélie  et  de  son  institut.  De  même  que  les 
Carmes  du  XI le  siècle,  établis  par  Berthold  en  1166  sur 
le  mont  Carmel,  et  ceux  du  XV le,  réformés  par  sainte 
Thérèse  et  saint  Jean  de  la  Croix  en  1564»  font  remonter 
leurs  premières  origines  au  prophète  Êlie  lui-même,  qui 
vivait  onze  cents  ans  avant  Jésus-Christ,  et  dont  les  Livres 
des  Rois  nous  racontent  la  merveilleuse  histoire,  ainsi, 
nous  semblait-il,  la  fondatrice  du  Précieux-Sang  de  Saint- 


6  MÈBE  CATHEEINE-ATJBÉLIE 

Hyacinthe,  éprise  des  charmes  et  des  crucifiements  de  la 
vie  contemplative  vers  le  milieu  du  XIXe  siècle,  aurait  fort 
bien  pu  se  réclamer  de  V exemple  de  la  pure  et  sainte  fille, 
filleule  de  M.  de  Maisonneuve  et  de  Jeanne  Mance,  qui 
embauma  du  parfum  de  ses  vertus  et  de  ses  austérités,  à 
Montréal,  à  Vombre  du  couvent  de  la  Congrégation  de 
Notre-Dame,  les  dernières  années  du  XVIIe  siècle  et  les 
premières  du  XVIIIe. 

Si  Vinstitut  du  Précieux-Sang  est  sûrement  le  premier 
ordre  contemplatif  du  Canada,  Jeanne  Leber  n'en  est-elle 
pas,  tout  aussi  bien,  la  première  contemplative  isolée  ? 
Les  ermites  et  les  solitaires  ont  précédé,  dans  VÈglise,  les 
moines  et  les  moniales.  Pareillement,  chez  nous,  une  sainte 
recluse  a  précédé  le  premier  monastère  d' adoratrices- 
expiatrices.  Tout  se  tient  et  s'enchaîne  dans  la  suite  des 
temps,  dans  le  développement  des  idées  et  dans  la  culture 
des  vertus  elles-mêmes.  Cela  n  enlève  rien  au  mérite  de 
chacun  et  s'explique  parfaitement  par  une  sorte  de  loi 
providentielle  qui  actualise,  de  génération  en  génération, 
parmi  les  vivants,  le  dogme  si  consolant  de  la  communion 
des  saints  et  de  la  réversibilité  des  mérites. 

Mère  Catherine- Aurélie  a  été,  comme  Jeanne  Leber, 
une  passionnée  de  la  croix  de  Jésus  et  une  fille  non  moins 
fervente  de  la  Vierge  Marie.  Comme  Jeanne  encore,  c'est 
à  la  Congrégation  de  Notre-Dame,  clie^  les  filles  de  Margue- 
rite Bourgeoys,  qu' Aurélie  chercha  des  exemples  de  vie  à 
imiter.  Comme  Jeanne  toujours,  c'est  auprès  des  MM.  de 
Saint-Sulpice  qu' Aurélie  trouva,  à  une  époque  importante 
de  sa  vie,  lumière  et  conseil.  Comme  Jeanne  enfin,  Aurélie 
ne  dévia  jamais  de  sa  voie. 

Assurément,  il  ne  conviendrait  pas  de  presser  outre 
mesure   le  rapprochement.  Mais,  tel  qu'il  s'est  présenté  à 


PRÉFACE  7 

notre  esprit,  il  nous  a  plu  tout  de  suite,  il  nous  plaît  singu- 
lièrement. Et  nous  croyoîis  que  ce  n^est  ni  un  hors-d'  œuvre 
ni  un  contre-sens  que  d'évoquer  la  belle  et  pure  figure  de 
Jeanrie  Leber,  la  recluse  de  Ville-Marie,  en  tête  du  livre 
qui  raconte  la  vie  et  V œuvre  de  Mère  Catherine-Aurélie, 
la  fondatrice  du  Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe. 


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CHAPITRE  I 


Enfance  et  jeunesse  d'Aurêlie  Caouette,  de  sa  naissance  à  sa  sortie 
du  couvent  (1833-1850) 

Sommaire. —  Le  Canada  aura-t-il  un  jour  sa  sainte  Catherine  ?  —  Naissance 
d'Aurêlie  Caouette. —  Saint-Hyacinthe  en  1833. —  La  famille  Caouette. — 
Éducation  chrétienne. —  Une  enfant  de  bénédiction. —  Ses  belles  qualités. — 
Sollicitude  du  curé  Crevier  et  première  communion. —  Conduite  à  l'école. — 
Longue  maladie  et  faveur  singulière. —  Au  couvent  de  Saint-Hyacinthe. — 
La  vie  de  pensionnat. —  Témoignages  des  maîtresses  et  des  compagnes 
d'Aurêlie. —  Aurélie  congréganiste. —  Elle  n'est  pas  absolument  parfaite. — 
Son  directeur,  M.  l'abbé  Raymond. —  Un  trait  de  sa  vie  de  pensionnaire. — 
Interventions  extraordinaires. —  Comment  elle  répond  à  l'appel  de  Jésus. — 
Son  désir  de  souffrir. —  Ses  amitiés  humaines. —  Célina  Lafrance. —  Mort 
tragique  de  cette  jeune  amie. —  Aurélie  personnifie  dans  "  une  pièce  de 
couvent  "  sainte  Catherine  d'Alexandrie. —  Son  extraordinaire  émotion. — 
Sa  dernière  année  de  pensionnat. —  Sa  sortie  du  couvent. —  Elle  cherche  sa 
voie. 


'Église  proclamera-t-elle  un  jour  qu'au  Canada  échoit 
l'honneur  d'avoir  eu  sa  sainte  Catherine  de  Saint- 
Hyacinthe,  comme  l'Italie  eut  naguère  sa  sainte 
Catherine  de  Sienne  ?  L'histoife  de  notre  petit  peuple 
français  des  rives  du  Saint-Laurent  devra-t-elle  inscrire, 
dans  ses  pages  officielles,  après  les  noms  vénérés  de  nos 
Marie  de  l'Incarnation,  de  nos  Jeanne  Mance  et  de  nos 
Marguerite  Bourgeoys,  le  nom  béni  de  Catherine- Aurélie  Caouette, 
la  fondatrice,  à  Saint-Hyacinthe,  en  1861,  de  notre  institut  des 
Sœurs(l)  adoratrices  du  Précieux-Sang  ?  C'est  le  secret  de  Dieu 
et  de  l'avenir. 

Dans  tous  les  cas,  nous  protestons,  en  entreprenant  d'écrire 
l'histoire  de  la  vie  et  des  œuvres  de  cette  femme  admirable,  de 

(1)  Nous  écrivons  ce  mot  avec  un  grand  S,  parce  qu'il  s'agit  dans  ce  livre  d'un 
institut  de  religieuses. 


10  MÈRE   CATHERINE- AURÉLIE 

notre  entière  soumission  aux  jugements  de  la  sainte  Église,  comme 
aussi  de  notre  parfaite  confiance  en  la  sagacité  des  futurs  historiens 
de  notre  pays  et  de  notre  race.  Mais  nous  tenons  pour  certain  que 
celle  dont  nous  allons  entretenir  nos  lecteurs  fut  vraiment  une 
personne  extraordinaire  :  extraordinaire  dans  les  voies  que  la 
Providence  lui  avait  tracées,  extraordinaire  dans  la  façon  dont 
elle  répondit  dès  sa  tendre  enfance  et  jusqu'à  sa  mort  aux  grâces 
de  choix  dont  elle  fut  visiblement  comblée,  extraordinaire  dans 
sa  vie  et  dans  ses  œuvres,  dans  sa  constance,  dans  sa  fidélité,  dans 
sa  générosité,  à  aimer,  à  réparer  et  à  souffrir. 

Elle  naquit  à  Saint-Hyacinthe,  le  11  juillet  1833,  et  fut  baptisée 
le  même  jour  sous  le  nom  d'Aurélie,  par  le  vicaire  de  la  paroisse, 
M.  l'abbé  Durochers(2).  Son  père  avait  nom  Joseph  Caouette 
et  sa  mère  s'appelait  Marguerite  01i\'ier. 

Saint-Hyacinthe  n'était  pas,  sans  doute,  il  y  a  90  ans,  la  coquette 
et  jolie  cité  qu'elle  est  devenue  à  l'heure  où  nous  écrivons  ces 
lignes.  Mais  c'était  déjà  un  beau  village,  où  la  vie  catholique  et 
française  se  développait  normalement.  Le  cadre  pittoresque  et 
attrayant  que  la  nature  lui  a  fait  sur  les  bords  enchanteurs  de  sa 
rivière  Yamaska,  parfois  impétueuse,  toujours  rafraîchissante, 
n'avait  pas  moins  qu'aujourd'hui  sa  grâce  et  ses  charmes.  On  y 
était  moins  riche,  moins  à  l'aise,  évidemment,  que  de  nos  jours, 
mais  on  y  menait  une  vie  calme  et  paisible,  tout  aussi  heureuse, 
sinon  plus,  sous  la  gouverne  spirituelle  du  curé  Crevier,  plus  tard 
grand-vicaire  et  fondateur  du  collège  de  Sainte-Marie  de  Monnoir, 
qui  venait  de  succéder,  en  1832,  au  fondateur  du  séminaire  de 
Saint-Hyacinthe,  le  si  méritant  curé  Girouard.  Depuis  1811,  le 
collège-séminaire  existait,  que  dirigeaient  ces  prêtres  distingués 

(2)  "  Le  onze  juillet  mil  huit  cent  trente-trois,  par  nous,  prêtre  soussigné,  a  été 
baptisée  Aurélie,  née  le  même  jour,  du  légitime  mariage  de  Joseph  Caouette, 
forgeron,  et  de  Marguerite  Olivier,  domiciliés  dans  cette  paroisse.  Le  parrain  a  été 
Joseph  Deslandes  et  la  marraine  Marie-Anne  Tétreau,  qui,  ainsi  que  le  père 
présent,  a  déclaré  ne  savoir  signé.  Le  parrain  a  signé  avec  nous.—  J.  Deslandes, 
Eus.  Durochers,  ptre."  (Extrait  des  registres  paroissiaux  de  Xotre-Dame-du- 
Rosaire,  actuellement  desservie  par  les  Pères  Dominicains.) 


SON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE 


11 


qui  seraient  bientôt  Mgr  Prince,  Mgr  Joseph  LaRocque  et  Mgr 
Raymond.  Les  Sœurs  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame,  que 
remplaceraient  quinze  ans  plus  tard  les  Sœurs  de  la  Présentation, 
avaient  là  un  couvent  depuis  1816.  La  paroisse  était  d'ailleurs 
très  vaste  en  étendue  et  avait  une  assez  forte  population  (4,500 
communiants  en  1817).  Le  village  lui-même,  sans  être  considé- 
rable, était,  répétons-le,  relativement  important  pour  l'époque. 

La  famille  Caouette,  comme  tant  d'autres  de  notre  vieille 
province  de  Québec,  était  une  famille  de  chrétiens  convaincus, 
où  la  foi  était  sincère  et  les  mœurs  pures.  On  y  vivait  sous  l'œil 
de  Dieu.  Joseph  Caouette,  le  père,  était  forgeron.  Habile  dans  son 
métier  et  consciencieux,  il  était  connu  au  loin.  Son  honnêteté  et 
sa  probité  ne  faisaient  de  doute  à  personne.  Il  gagnait  noblement, 
à  la  sueur  de  son  front,  son  pain  et  celui  de  ses  enfants.  Marguerite 
Olivier,  sa  femme,  tout  en  vaquant  à  ses  devoirs  de  maîtresse  de 
maison,  élevait  chrétiennement,  le  mieux  qu'elle  pouvait,  les 
enfants  que  le  bon  Dieu  lui  donnait.  La  famille  était  nombreuse. 
Aurélie  se  trouvait  la  huitième(3).  Pour  madame  Caouette,  ainsi 
qu'il  arrive  pour  les  mères  vraiment  croyantes,  l'attente  de  ses 
enfants  s'accompagnait  toujours  de  prières  ferventes.  On  la  vit 
souvent,  les  mois  qui  précédèrent  la  naissance  d'Aurélie,  faisant 
pieusement,  dani  l'église  du  village,  l'exercice  du  chemin  de  la 
croix  et  s'entretenant  intérieurement  des  mystères  de  la  passion 
du  Sauveur.  L'enfant  qui  allait  naître  en  devait  garder  une 
durable  impression.  L'hérédité  n'est  pas  un  vain  mot,  et  l'on  ne 
pense  pas  assez,  parfois,  à  tout  ce  que  peuvent  valoir  de  grâces 
et  de  forces  morales,  pour  l'enfant  attendu,  les  prières  de  sa  mère. 

Aurélie  fut  élevée  par  ses  bons  parents,  comme  ses  frères  et  ses 
sœurs,  tout  simplement.  On  remarqua  bientôt  qu'elle  donnait 

(3)  Aurélie  eut  en  tout  deux  sœurs  et  six  frères  :  Elisabeth,  Victorine,  Charles, 
Xavier,  Joseph,  Êlie  et  deux  autres  morts  en  bas  âge.  Victorine  (madame  Benoît) 
eut  trois  de  ses  filles  qui  entrèrent  au  Précieux-Sang,  et  Élie,  qui  avait  épousé 
Célina  Benoît,  l'amie  intime  d'Aurélie,  donna,  lui  aussi,  trois  filles  à  l'institut. 
Seule,  sa  sœur  Victorine  était  née  après  elle. 


12  MÈRE  CATHERINE- ATJBÉLIE 

des  signes  de  piété  et  même  d'esprit  de  pénitence  qui  n'étaient  pas 
ordinaires.  Ainsi  qu'elle  l'avait  fait  pour  ses  autres  enfants,  sa 
mère  se  préoccupait,  à  mesure  que  son  intelligence  s'éveillait,  de 
nourrir  et  de  fortifier  sa  petite  âme  de  pensées  et  de  sentiments 
pieux.  Les  doux  noms  de  Jésus  et  de  Marie  furent  les  premiers 
qu'elle  lui  apprit  à  prononcer.  L'enfant,  mieux  que  tout  autre, 
semblait  goûter  cet  aliment  spirituel.  Les  choses  de  Dieu  lui 
plaisaient  infiniment.  Le  récit  de  la  passion,  en  particulier,  exci- 
tait étrangement  sa  sensibilité  ;  elle  en  donnait  des  signes  mani- 
festes et  évidents.  Dès  qu'elle  eut  compris,  par  exemple,  que  le 
vendredi  est  un  jour  de  pénitence,  et  même  aA^ant  de  le  comprendre 
et  comme  instinctivement,  elle  cherchait,  ce  jour-là,  à  se  priver 
de  quelque  façon.  Sa  dévotion  envers  la  personne  adorable  de 
Jésus  souffrant  se  complétait  naturellement  par  celle  qu'elle 
portait  à  la  Vierge  sainte,  mère  de  Jésus,  qui,  avec  lui  et  pour  lui, 
a  tant  souffert.  Elle  aimait  Notre-Dame  des  douleurs  de  tout  son 
petit  cœur,  se  mettait  candidement  sous  sa  protection  et  la  priait 
avec  ardeur.  De  même,  elle  avait  un  culte  bien  marqué  pour  son 
ange  gardien.  "  Salut,  mon  bon  ange,  lui  disait-elle  chaque  matin, 
gardez  mon  âme  et  mon  corps  de  tous  les  dangers."  Tout  cela, 
sans  doute,  on  le  lui  apprenait.  Ces  bons  sentiments,  on  les  lui 
inculquait.  Mais  ce  qui  étonnait  et  ravissait  ses  pieux  parents, 
c'était  la  ferveur  avec  laquelle,  encore  toute  petite,  elle  entrait 
dans  cet  esprit  de  religion. 

Elle  n'avait  que  4  ans,  quand  son  père  la  surprit  un  jour,  dans 
le  voisinage  de  son  atelier  de  forge,  faisant  pour  tout  de  bon,  à  sa 
manière  ingénue,  le  chemin  de  la  croix.  S'étant  emparé  d'une 
longue  pièce  de  bois,  bien  lourde  pour  ses  forces,  elle  en  avait 
chargé  ses  épaules,  et,  la  traînant  avec  peine,  elle  s'avançait 
lentement,  l'air  recueilli.  "  Mais  que  fais-tu  donc  là,  Aurélie  *', 
dit  le  père,  arrivant  au  moment  où,  le  visage  pâle  et  tout  en 
sueurs,  elle  se  relevait  d'une  chute,  "  que  fais-tu  là,  Aurélie,  et 


SON  ENFANCE  ET  BA  JEUNESSB 


13 


pourquoi  portes-tu  un  bois  si  pesant  ?  "  L'enfant  parut  s'éveiller 
d'un  sommeil  profond,  et  elle  expliqua  :  "  Je  suivais  Jésus  portant 
sa  croix."  Ce  mot  et  plusieurs  autres  de  même  nature  indiquaient 
déjà  quelle  serait  sa  voie.  D'autres  signes  encore,  sur  lesquels 
nous  ne  voulons  pas  appuyer  pour  l'instant,  manifestaient  d'une 
façon  singulière  qu'Aurélie  était  l'objet  de  faveurs  toutes  parti- 
culières de  la  part  de  Dieu.  Ses  parents  finirent  par  s'en  inquiéter 
et  ils  crurent  devoir  s'en  ouvrir  à  M.  le  curé  Crevier.  L'homme  de 
Dieu  répondit  sans  plus  :  "  Vous  avez  là  une  enfant  de  bénédiction. 
Veillez  bien  sur  votre  trésor." 

Les  bons  parents  veillèrent  donc,  et  M.  le  curé  aussi.  Dès  son 
bas  âge,  a-t-on  écrit  dans  le  Livre  d'or  de  l'institut,  publié  à  l'occa- 
sion du  cinquantenaire  en  1911,  cette  enfant,  qui  devait  entraîner 
tant  d'âmes  virginales  à  sa  suite,  eut  le  don  de  s'attirer  les  cœurs. 
Son  sourire  était  doux  et  aimable,  ses  petites  manières  gracieuses 
et  engageantes.  Il  y  avait  surtout,  dans  son  œil  bleu,  si  limpide 
et  si  transparent,  comme  un  rayon  qui  s'épandait  par  toute  sa 
personne  et,  plus  encore  que  sa  beauté,  qui  était  très  réelle,  la 
rendait  attrayante.  Elle  venait  parfois  à  l'atelier  de  son  père,  mon- 
tait sur  ses  genoux,  pour  le  "  désennuyer  ",  disait-elle,  et  lui  tenir 
compagnie.  Elle  avait  peur  du  péché,  demandait  souvent  si  ceci 
était  mal,  si  cela  était  défendu.  Elle  s'émouvait  à  entendre  dire 
que  beaucoup  de  gens  offensent  le  bon  Dieu.  Elle  avait  pitié  des 
pécheurs  et  priait  pour  eux.  Sa  prière  était  de  tous  les  jours. 
Quand  elle  n'était  pas  à  la  maison  ou  à  la  forge  de  son  père,  on 
était  sûr,  et  elle  n'avait  encore  que  5  ou  6  ans,  de  la  trouver  à 
l'église,  pourtant  assez  éloignée  de  la  maison  paternelle.  Elle 
passait  là,  à  Notre-Dame-du-Rosaire,  facilement,  à  genoux,  des 
heures  et  des  heures.  En  jetant  un  regard  sur  ses  premières  années, 
elle  a  pu  écrire  dans  la  suite  "  qu'elle  avait  eu  de  bonne  heure  le 
sens  du  divin  ".  On  comprend  que  des  parents,  même  assez  frustes 
et  peu  cultivés,  mais  de  foi  sincère  et  vive,  aient  veillé  avec  une 


14 


MERE   CATHERINE-ATJBELIB 


attention  spéciale  sur  une  pareille  "  enfant  de  bénédiction  ** 
comme  avait  dit  M.  le  curé  Crevier. 

M.  le  curé,  avons-nous  ajouté,  veillait  lui  aussi.  Sentant  qu'il 
y  avait  chez  la  petite  Aurélie  des  dispositions  privilégiées,  il  la 
suivrait  avec  un  intérêt  spécial.  Elle  fréquenta  bientôt  les  classes 
de  l'école  élémentaire  avec  les  enfants  de  son  âge,  et  elle  allait, 
le  dimanche,  à  l'église,  comme  les  autres,  aux  leçons  de  catéchisme. 
Elle  s'y  distingua  très  vite  par  son  application  et  ses  succès 
constants.  Heureux  de  la  voir  si  bien  répondre  aux  avances  de 
Dieu  et  à  ses  propres  soins,  touché  de  sa  piété  angélique  et  jaloux 
de  la  protéger  contre  le  vent  des  tempêtes  qui  assaille  les  jeunes 
âmes,  M.  le  curé  décida  de  l'admettre,  à  9  ans,  à  la  première 
communion.  Pour  le  temps,  alors  qu'on  ne  communiait  d'ordinaire 
qu'à  11  ou  12  ans,  c'était  une  vraie  faveur,  dont  la  petite  Aurélie 
se  montra  joyeuse  et  très  reconnaissante.  A  Jésus  qui  se  donnait 
à  elle,  elle  voulut  se  donner  amoureusement.  Elle  a  témoigné  main- 
tes fois  qu'elle  avait  goûté,  en  ce  jour  béni,  dans  l'intimité  du 
cœur  à  cœur  avec  le  doux  maître,  "  combien  le  Seigneur  est  bon 
à  ceux  qui  l'aiment  en  vérité  ".  De  ce  moment,  elle  eut  faim  et  soif 
de  Jésus  dans  la  sainte  communion.  Ce  devait  être  pour  toujours. 
Et,  si  elle  en  eut  connu  la  lettre,  elle  aurait  pu  dès  lors  prononcer 
le  mot  du  Christ  mourant,  qui  devait  être  toute  sa  vie  le  cri  de  son 
âme  altérée  de  Dieu  :  Sitio  —  J'ai  soif. 

Jusqu'à  l'âge  de  12  ans  environ,  elle  continua  d'aller  à  l'école 
du  village,  d'y  être  sérieuse  et  appliquée,  de  s'y  distinguer  surtout 
par  sa  pureté  de  vie  et  sa  piété  d'ange.  Toutes  ses  petites  compagnes 
le  remarquaient  et  c'était  à  qui  jouirait  davantage  de  son  com- 
merce aimable  et  de  ses  exemples  édifiants.  On  se  plaisait  en  sa 
compagnie.  On  l'aimait.  Ses  yeux  profonds,  ses  beaux  yeux  bleus, 
au  regard  si  tendre,  transperçaient  les  cœurs  et  les  lui  attachaient. 
On  ne  savait  pas,  sans  doute,  ce  qu'elle  deviendrait  un  jour,  mais 
on  éprouvait,  beaucoup  de  ses  compagnes  l'ont    afiBrmé   par   la 


SON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE  15 

suite,  qu'elle  ne  serait  pas  uniquement  comme  les  autres,  que  des 
voies  extraordinaires  s'ouvraient  devant  elle,  pour  tout  dire 
d'un  mot,  qu'elle  était  déjà  "  une  petite  sainte  ". 

C'est  vers  cette  époque,  à  l'âge  de  12  ans,  qu'elle  fut  atteinte 
de  la  petite  vérole,  dut  s'aliter  et  garder  la  chambre  de  longues 
semaines.  Est-il  vrai  qu'elle  eut,  au  cours  de  cette  maladie,  la 
faveur  d'une  apparition  de  Jésus  enfant,  qu'il  se  laissa  voir  à  elle 
corporellement  et  qu'il  lui  sourit  pour  l'encourager  ?  La  tradition 
s'en  est  accréditée,  bien  que,  nulle  part,  dans  ses  nombreux  écrits, 
nous  n'en  ayons  trouvé  l'attestation.  Ce  qui  est  plus  certain, 
c'est  que  l'esprit  de  Jésus  fut  avec  elle,  qu'elle  se  montra  patiente 
dans  l'épreuve  et  prit  à  cette  occasion,  ainsi  qu'elle  l'a  affirmé 
plus  d'une  fois,  la  résolution  "  de  souffrir  en  silence  pour  celui  qui 
nous  aime  tant  ". 

Les  années  de  l'enfance  se  passaient  ainsi.  Aurélie  allait  bientôt 
entrer,  à  Saint-Hyacinthe  même,  au  couvent  des  Sœurs  de  la 
Congrégation.  C'est  à  l'automne  de  1845  qu'elle  y  entra  effecti- 
vement, et  son  stage  au  pensionnat  devait  durer  cinq  ans,  c'est-à- 
dire  jusqu'à  l'été  de  1850.  Ces  années  de  sa  jeunesse  étudiante  ont 
été  déjà  racontées  assez  copieusement.  Le  Livre  d'or  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut  leur  a  consacré  de  belles  et  intéressantes 
pages.  Le  Rosaire  des  Pères  Dominicains,  au  lendemain  de  la 
mort  de  Mère  Caouette  en  1905,  les  a  aussi  pieusement  évoquées. 
De  plus,  nous  avons  dans  la  correspondance  de  la  jeune  Aurélie 
elle-même,  si  fournie,  si  naturelle  et  si  attachante,  de  nombreuses 
réminiscences  de  cette  heureuse  et  pourtant  déjà  crucifiante 
période  de  son  existence.  Ces  documents  sont  sous  nos  yeux. 
Nous  n'avons  qu'à  choisir,  à  coordonner  peut-être,  à  élaguer 
parfois.  Disons-le  tout  de  suite,  il  y  a  dans  la  vie  de  la  fondatrice 
du  Précieux-Sang,  surtout  au  temps  de  sa  jeunesse,  des  faits 
merveilleux,  que  nous  croyons  indiscutablement  fondés,  sur 
lesquels  cependant,  par  prudence  et  par  respect  pour  les  mystères 


16  M^RE   CATHERINE- AURÉLIE 

de  Dieu,  nous  estimons  de  notre  devoir,  au  moins  pour  l'instant, 
de  ne  pas  insister  longuement.  Nous  dirons  le  principal,  nous 
rapporterons  les  témoignages  les  plus  formels,  mais  nous  laisserons 
au  temps  de  faire  son  œuvre  et  à  ceux  qui  ont  grâce  d'état  d'appré- 
cier ces  faits  extraordinaires  et  de  les  juger  selon  leur  mérite.  Il 
n'empêche  que  nous  ayions  en  mains,  pour  cette  période,  de  riches 
matériaux.  Essayons  de  les  fondre  en  un  récit  suivi. 

Voilà  donc,  en  1845,|^Aurélie  Caouette,  à  12  ans,  pensionnaire, 
au  couvent  de  Saint-Hyacinthe,  chez  les  filles  de  Marguerite 
Bourgeoys.  La  vie  de  pensionnat,  sans  doute,  comme  tout  ce  qui 
est  de  ce  pauvre  monde,  a  ses  ennuis  et  ses  inconvénients.  Elle  a 
aussi  ses  attraits  et  ses  avantages.  Le  pensionnat  chrétien  a  cet 
avantage  sur  l'école  externe  qu'à  l'enseignement  de  la  religion  il 
ajoute  la  pratique  de  ses  exercices.  La  science  ne  suflSt  pas,  en 
effet,  à  la  formation  du  jeune  homme  ou  de  la  jeune  fille.  L'être 
humain  est  esprit  et  cœur,  et  le  cœur  a  besoin  d'éducation  autant 
que  l'esprit.  Or,  seule,  la  religion  est  capable  de  former  le  cœur, 
parce  que,  seule,  elle  donne  les  vraies  notions  du  beau  et  du  bien, 
parce  que,  seule,  elle  s'entend  à  façonner  un  caractère.  L'ensei- 
gnement de  la  religion  lui-même  ne  saurait  d'ailleurs  suffire  à 
cette  noble  besogne,  il  faut  y  joindre  la  pratique  constante  des 
actes  religieux  et  pieux.  Et, plus  cette  pratique  est  répétée  conscien- 
cieusement, plus  et  mieux  se  forme  le  caractère.  D'où  il  suit  que 
c'est  une  large  part  du  devoir  des  parents  de  veiller  à  ce  que  les 
notions  reçues  à  l'école  ne  restent  pas  à  l'état  de  lettre  morte  chez 
leurs  enfants.  Mais  ils  ne  peuvent  pas  toujours  y  voir  par  eux- 
mêmes,  absorbés  qu'ils  sont  par  les  occupations  qu'impose  le 
souci  de  gagner  le  pain  quotidien.  A  ceux-là  le  pensionnat  offre 
une  précieuse  ressource,  car  au  pensionnat  tout  enseigne  :  la  pra- 
tique après  la  leçon,  l'exemple  après  le  précepte.  Sincèrement 
chrétiens,  les  parents  d'Aurélie  Caouette,  sans  peut-être  s'en  rendre 
compte  explicitement,  étaient  pénétrés  de  cette  doctrine.  On  avait 


SON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE  17 

l'avantage,  à  Saint-Hyacinthe,  de  posséder  un  couvent  des  Sœurs 
de  la  Congrégation.  Ils  y  conduisirent  leur  chère  "  enfant  de 
bénédiction  ". 

Ce  qu'Aurélie  fut  au  pensionnat,  d'après  les  qualités  de  l'esprit 
et  du  cœur  et  d'après  les  habitudes  de  piété  que  nous  lui  connais- 
sons déjà,  il  est  facile  de  le  deviner.  D'ailleurs,  les  témoignages 
abondent.  Ceux  que  nous  ont  laissés  ses  maîtresses  et  ses  com- 
pagnes de  classe  sont  unanimes  à  nous  montrer  en  elle  le  modèle 
de  l'application,  de  la  modestie,  de  la  charité  fraternelle.  D'autres 
pouvaient  être  mieux  douées  d'aptitudes  intellectuelles,  son 
attention  soutenue  et  sérieuse  lui  valut  d'être  comptée  quand 
même  parmi  les  plus  brillantes.  La  perte  de  temps  lui  était  odieuse. 
Elle  n'en  voulait  pas  pour  elle-même,  elle  la  regrettait  chez  les 
autres.  "  Sur  le  ton  de  l'amitié,  écrit  une  ancienne  (madame 
R.-B.  Dufort),  elle  nous  reprochait  de  perdre  notre  temps  à 
l'étude."  Toujours  calme,  égale  à  elle-même,  et,  en  même  temps, 
gaie  et  empressée,  elle  était  recherchée  de  ses  compagnes.  Toutes 
voulaient  jouir  de  sa  conversation  aimable  et  spirituelle.  "  Pen- 
dant tout  le  cours  de  ses  études,  lisons-nous  dans  le  Livre  d'or,  elle 
fut  signalée  à  l'attention  des  élèves  comme  un  modèle  de  simplicité, 
de  douceur,  de  bonnes  manières,  de  vraie  piété  et  de  vertu  entraî- 
nante. Sa  modestie,  sa  franche  gaieté  et  sa  propension  à  rendre 
service  la  faisaient  aimer  de  toutes.  La  riante  amabilité  était  sa 
vertu  d'éclat,  celle  dont  elle  revêtait  toutes  les  autres  et  qui  la 
fit  tellement  chérir  qu'elle  ne  connut  jamais  ni  rivale  ni  envieuse. 
On  lui  savait  gré  d'être  la  préférée  de  toutes,  parce  que,  sans 
doute,  elle  était  la  préférée  de  chacune."  —  "Douée  d'une  intelli- 
gence très  vive,  a-t-on  écrit  dans  le  Rosaire,  Aurélie  occupa  bientôt 
le  premier  rang  parmi  les  élèves  du  pensionnat.  Sa  franche  gaieté, 
son  attention  à  rendre  service,  et  à  le  faire  aimablement,  firent 
oublier  ses  succès,  et,  chose  assez  rare,  ces  petits  cœurs  de  jeunea 
filles,  où  la  jalousie  germe  si  facilement,  n'eurent  que  de  l'affection 


18  MÈRE   CATHERInÉ-AURÉLIE 

pour  ia  nouvelle  venue.  On  remarquait  en  elle  une  grande  modestie. 
Rien  n'était  guindé,  ni  affecté,  dans  sa  personne  et  son  maintien. 
Elle  avait  une  horreur  instinctive  pour  tout  ce  qui  peut  exciter 
l'attention." 

Avant  tout  et  pardessus  tout,  la  "  nouvelle  venue  "  au  pen- 
sionnat de  Saint-Hyacinthe  était  une  enfant  pieuse,  d'une  piété 
vive  et  sincère,  communicative  et  entraînante.  Entrée  bientôt 
dans  la  congrégation  des  enfants  de  Marie,  elle  ne  tarda  pas  à  en 
devenir  la  présidente  par  le  libre  choix  de  ses  compagnes.  En  cette 
qualité,  elle  avait  le  devoir,  charge  onéreuse  autant  que  délicate, 
de  veiller  sur  les  autres  et  de  les  avertir  de  leurs  manquements. 
Elle  n'y  fit  pas  défaut,  à  ce  que  rapporte  une  ancienne  (madame 
Dufort).  Mais  elle  se  donnait  à  cette  tâche  avec  une  charité  si 
vraie  et  un  tact  si  parfait  qu'elle  ne  laissait  prise  à  aucun  ressen- 
timent. On  l'admirait,  on  l'aimait,  on  l'enviait  dans  le  bon  sens  du 
mot.  On  apercevait  très  vite  que,  dans  ses  exercices  pieux,  à  la 
sainte  communion,  à  la  visite  au  saint  sacrement,  au  chemin  de 
la  croix,  partout,  elle  était  sincère  et  vraie,  et  que,  en  tout  cela, 
elle  mettait  pleinement  son  âme.  Ce  n'était  pas  pour  elle, 
évidemment,  banale  affaire  de  routine,  pas  même  simple  obéissance 
aux  directions  reçues.  C'était  sa  foi  qui  dictait  tous  ces  actes  de 
religion  à  son  cœur,  et  son  cœur  répondait  en  y  mettant  tout  son 
amour.  Il  était  visible  à  tous  qu'elle  aimait  le  bon  Dieu  même 
sensiblement.  Aussi  l'impression  qu'elle  produisait  sur  celles  qui 
la  voyaient  à  l'œuvre  était-elle  des  plus  profondes.  "  Quand  je  la 
voyais  prendre  la  direction  de  la  chapelle,  écrit  encore  madame 
Dufort,  je  m'empressais  de  l'y  suivre  pour  m'édifier  à  son  recueille- 
ment." —  "  Je  ne  priais  pas,  ajoute-t-elle  avec  une  simplicité 
charmante,  je  la  dévorais  du  regard  et  je  n'avais  qu'une  pensée  : 
Oh  !  si  je  pouvais  être  comme  elle  /  "  —  "  Ses  études,  note  encore 
le  Livre  d'or,  furent  certainement  couronnées  de  succès  ;  mais  ce 
succès  eut  été  plus  complet  sans  l'irrésistible  attrait  qui  la  portait, 


SON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE  19 

à  l'exemple  de  saint  Ignace  de  Loyola,  à  aller  si  souvent  conjuguer 
ht  verbe  aimer  au  pied  du  tabernacle."  Réserve  exquise  s'il  en 
est,  et  combien  délicatement  exprimée  ! 

Est-ce  à  dire  que  notre  jeune  Aurélie  fut  absolument  parfaite  ? 
Non.  Elle  avait,  comme  tous  les  humains,  ses  mauvaises  inclina- 
tions, en  particulier  un  penchant  à  abonder  dans  son  sens  et  à 
s'obstiner  dans  ses  idées  personnelles  qui  lui  attira  parfois  des 
remontrances  justifiées  de  la  part  de  ses  supérieures.  Mais  elle 
ne;  poussa  jamais  cependant  jusqu'à  l'opiniâtreté.  C'était  plutôt 
une  tendance  naturelle,  qui  ne  s'affirmait  que  jusqu'au  moment 
où  on  lui  montrait  son  erreur  Toutefois,  elle  était  bien,  cette 
tendance,  dans  son  tempérament.  Nous  verrons  plus  tard  son 
directeur  de  conscience  la  lui  reprocher  assez  vivement. 

Son  directeur,  c'était  déjà,  à  cette  époque,  M.  l'abbé  Raymond, 
plus  tard  Mgr  Raymond,  qui  devait  être  son  confesseur  et  son 
directeur  pendant  près  de  quarante  ans.  Élu  très  jeune  (en  1847) 
supérieur  du  séminaire  de  Saint-Hyacinthe,  ce  prêtre  éminent 
s'était  vu  en  plus  confier  la  charge  de  la  direction  spirituelle  du 
couvent  de  la  Congrégation,  qu'il  garda  de  longues  années. 
Aurélie  se  trouva  tout  naturellement  placée  sous  sa  tutelle.  Il 
devait  être  avec  Mgr  Joseph  LaRocque  l'un  des  co-fondateurs 
du  Précieux-Sang  en  1861.  Lui  et  sa  pénitente  Aurélie  ont  échangé, 
durant  près  d'un  demi-siècle,  une  correspondance  qui  est  pour 
l'histoire  une  mine  précieuse.  Avec  M.  Raymond,  Sœur  Euphrasie, 
maîtresse  du  pensionnat,  paraît  avoir  été  la  meilleure  confidente 
de  la  jeune  élève  de  1845  à  1850.  Sous  l'influence  de  l'action 
bienfaisante  de  ces  deux  âmes  d'élite,  Aurélie  fit  de  rapides 
progrès  dans  la  vertu.  Dieu,  semble-t-il,  parlait  à  son  cœur  par 
leurs  voix,  et  elle-même  s'appliquait  à  profiter  de  leurs  avis,  comme 
aussi  à  être  fidèle  aux  inspirations  de  la  grâce  du  Saint-Esprit. 
Dieu  lui  parla-t-il  autrement  encore  ?  Fut-elle  favorisée,  voulons- 
nous  dire,  en  ses  jeunes  années,  de  révélations  directes  ?  Questions 


20  MÈRE  CATHERINE- AURÉLIE 

délicates,  auxquelles  il  est  difficile  de  répondre  nettement  par  un 
oui  ou  par  un  non  !  Voici  pourtant  un  fait,  qui  date  de  sa  première 
année  de  pensionnat,  qu'il  ne  nous  est  pas  possible  de  passer  sous 
silence.  Un  jour  on  avait  dans  sa  classe  à  faire  une  composition. 
Elle  s'était  mise  à  l'oeuvre  avec  se^  compagnes.  Mais  comme  disent 
parfois  les  écoliers,  et  les  écolières,  "  ça  ne  marchait  pas  ".  Elle 
était  distraite,  tourmentée  intérieurement.  Après  un  certain 
temps  d'efforts  infructueux,  elle  vint  timidement  demander  à  sa 
maîtresse  la  permission  de  se  retirer  à  la  chapelle.  "Je  ne  peux 
pas,  se  plaignit-elle,  faire  ma  composition."  —  '*  Mais  pourquoi?  '* 
demanda  Sœur  Euphrasie.  L'enfant  ne  répondit  d'abord  que  par 
ses  larmes,  puis,  pressée,  elle  jfinit  par  dire  :  "Je  ne  peux  pas 
penser  à  autre  chose  qu'à  ce  que  Jésus  m'a  dit  ce  matin  à  la 
communion."  Était-ce  simplement  émotion  passagère,  élan  d'un 
cœur  sensible  qui  s'illusionne,  ou  bien  Notre-Seigneur  lui  avait-il 
réellement  parlé  ?  Nous  ne  croyons  pas  qu'elle  soit  plus  tard  revenue 
sur  cet  incident  et,  ni  Sœur  Euphrasie,  ni  M.  Raymond,  à  qui 
celle-ci  adressa  son  élève,  n'en  ont  jamais,  que  nous  sachions, 
donné  une  explication  quelconque. 

D'une  façon  générale  cependant,  la  jeune  Aurélie  d'alors  est 
revenue  sur  ces  interventions  extraordinaires  dans  ses  diverses 
communications  à  son  directeur  ou  dans  ses  entretiens  avec  ses 
sœurs  en  religion.  "  Élève  du  pensionnat,  écrit-elle  (28  mars 
1856),  et  alors  que  j'étais  encore  enfant,  Jésus  parlait  souvent  à 
mon  âme.  Il  la  pénétrait  d'une  onction  sainte.  Il  répandait  dans 
mon  esprit  une  lumière  divine,  qui,  en  me  faisant  découvrir  les 
grands  bienfaits  renfermés  dans  le  service  et  l'amour  de  Dieu,  me 
dégoûta  absolument  de  tout  (le  reste).  A  mes  yeux,  tout  devint 
insipide  :  liberté,  plaisirs  du  monde,  amour  humain,  liens  les 
plus  chers  de  la  nature ...  Je  désirais  dans  le  secret  de  mon  âme, 
si  je  puis  ainsi  m'exprimer,  l'instant  de  tout  sacrifier  pour  avoir 
tout,  pour  avoir  cet  unique  objet  de  mes  vœux,  pour  être  enfin 


i 


BON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE  21 

à  Jésus  seul."  Il  n'y  a  pas  là,  sans  doute,  d'affirmation  précise 
qu'elle  ait  eu  avec  Notre-Seigneur  des  entretiens  directs,  des 
conversations  autres  que  celles  qu'il  a  accoutumé  d'avoir  avec 
les  âmes  qui  lui  sont  dévouées  par  les  seules  inspirations  du  cœur 
à  cœur.  Mais  c'est  déjà  beaucoup,  et  cela  peut-être  laisse  entendre 
plus. 

Cet  appel  de  Jésus,  elle  y  répondait,  et,  tout  ensemble,  ce  désir 
de  Jésus,  elle  l'alimentait,  si  l'on  ose  ainsi  dire,  à  la  table  sainte, 
dans  ses  communions.  "  Seigneur,  soupirait-elle,  vous  savez  ce 
que  mon  cœur  désire  le  plus  ardemment  :  c'est  de  m'unir  souvent, 
très  souvent,  à  vous,  dans  l'Eucharistie." — "Seigneur,  disait-elle 
encore,  daignez  m'accorder  la  grâce  que  je  vous  demande  instam- 
ment :  d'aller  bientôt  vous  aimer  éternellement  dans  le  ciel.*' 
Ces  lignes  sont  de  1849.  Elle  n'avait  que  16  ans,  et  elle  voulait 
mourir,  elle  qui,  dans  la  suite,  devait  avoir  tant  peur  de  la  mort  ! 
A  plusieurs  reprises,  au  cours  des  dernières  années  de  sa  vie  de  pen- 
sionnaire, en  1848  et  en  1849,  on  retrouve,  dans  ses  notes,  ce  désir  de 
s'unir  à  Jésus,  par  l'Eucharistie  dans  le  temps,  et,  par  la  mort, 
dans  la  suprême  béatitude.  Si  Dieu  voulait  toute  à  lui  cette  âme 
de  vierge,  il  paraît  aussi  bien  évident  que  l'âme  d'Aurélie  Caouette, 
encore  jeune  fille,  se  voulait  toute  à  Dieu. 

Ce  désir  d'être  toute  à  Dieu  se  manifestait  encore  chez  la  jeune 
pensionnaire  de  la  Congrégation  d'une  autre  façon  :  elle  voulait 
souffrir.  La  souffrance,  ici-bas,  l'expérience  l'établit  tous  les  jours, 
est  la  rançon  de  l'amour.  Plus  on  aime  et  plus  on  souffre.  Et,  de 
même,  plus  on  souffre  pour  quelqu'un  et  plus  on  l'aime.  Personne, 
par  exemple,  n'a  jamais  douté  de  l'amour  d'une  mère  pour  son 
enfant,  parce  que  tout  le  monde  sait  que  nul  ne  souffre  jamais 
plus  qu'une  femme  pour  le  fruit  de  ses  entrailles.  Cette  loi  générale 
de  notre  infirme  nature,  Notre-Seigneur  n'a  pas  dédaigné  de  l'expé- 
rimenter et  de  la  vivre  lui-même  dans  sa  passion  et  dans  sa  mort. 
C'est  pour  nous  donner  le  plus  grand  témoignage  d'amour  qui 


22  MÈHE   CATHERINE-AtTHÉLIE 

se  puisse  donner  —  majorem  caritatem  nemo  habet  —  qu'il  a 
voulu  souffrir  et  mourir  pour  nous.  Plus  encore,  ce  grand  mystère 
d'amour  de  sa  survivance  eucharistique  qui  remplit  le  monde,  il 
a  voulu  qu'il  s'accomplisse  par  un  sacrifice  qui  n'est  rien  autre  que 
celui  du  calvaire  continué  à  travers  les  temps.  D'autre  part,  et 
par  une  juste  conséquence,  c'est  la  doctrine  de  tous  les  saints  que, 
pour  aimer  vraiment  Dieu,  i'  faut  savoir  et  vouloir  souffrir  pour 
lui  :  savoir  et  vouloir  d'abord  tout  au  moins  accepter  les  inévi- 
tables épreuves  que  la  vie  apporte,  savoir  et  vouloir  ensuite  aller 
au-devant  de  la  souffrance  en  se  mortifiant  soi-même,  c'est-à-dire 
en  se  faisant  mourir  un  peu  tous  les  jours. 

Cette  doctrine  très  haute,  mais  si  vraie,  alors  même  que  le 
pieux  et  docte  M.  Raymond  ne  la  lui  aurait  pas  enseignée,  il  nous 
semble  bien  que  la  jeune  Aurélie  l'eût  devinée  et  comprise  comme 
d'instinct.  D'elle-même,  elle  aspirait  à  souffrir  tout  autant  qu'elle 
aspirait  à  aimer,  et,  au  fond  de  son  âme  ardente,  les  deux  aspi- 
rations se  confondaient  en  une  seule.  Que  de  témoignages  nous 
pourrions,  à  ce  sujet,  extraire  de  ses  notes  personnelles  et  aussi 
des  avis  motivés  et  précis  que  nous  retrouvons,  à  son  adresse, 
dans  les  précieux  manuscrits  (tout  un  volume  de  lettres  aux 
lignes  serrées  et  presqu'indéchiffrables)  de  M.  Raymond  !  "  Faites- 
moi  la  grâce  que  je  souffre,  ô  mon  doux  Sauveur,  écrit-elle.  En- 
voyez-moi des  maladies  et  des  peines,  tout  ce  qu'il  vous  plaira. 
Je  suis  prête  à  tout  sacrifier  pour  vous  prouver  combien  je  vous 
aime  et  combien  je  désire  que  vous  soyez  aimé."  —  "  Mais,  ajoute-t- 
elle  humblement,  faites-moi  la  grâce,  ô  non  doux  Sauveur,  de 
souffrir  avec  patience  et  avec  un  grand  amour." 

Cet  amour  profond  autant  qu'éclairé,  qui  faisait  qu'elle  ne  se 
contentait  pas  de  suivre  Jésus  sur  le  Thabor,  mais  qu'elle  le  re- 
cherchait jusqu'au  calvaire,  ne  fermait  pourtant  pas  le  cœur 
d'Aurélie  aux  légitimes  affections  de  la  terre.  Il  en  va  au  reste 
d'ordinaire  ainsi.  Les  vrais  amis  de  Jésus  ont  toujours  le  cœur 


SON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE 


23 


largement  ouvert  aux  meilleures  amitiés  d'ici-bas.  Si,  en  effet, 
le  premier  commandement  c'est  d'aimer  Dieu  de  toute  son  âme, 
le  deuxième,  en  tout  semblable  au  premier,  c'est  d'aimer  le  pro- 
chain comme  soi-même.  En  somme,  n'est-ce  pas  là  toute  la  loi 
nouvelle  ?  Aurélie  aimait  donc,  en  Dieu  et  pour  Dieu,  surnatu- 
ralisant ainsi  autant  qu'il  était  en  elle  ses  attraits  et  ses  sentiments 
naturels,  tous  ceux  qui  lui  étaient  bons  :  ses  pieux  parents,  ses 
dévouées  maîtresses  et  ses  chères  compagnes  de  couvent. 

Parmi  ces  dernières,  il  y  eut  Célina,  cette  Célina  dont  le  nom 
par  la  suite  devait  si  souvent  se  glisser  sous  sa  plume.  Célina 
Lafrance,  élève  du  même  couvent  de  la  Congrégation,  était  la 
protégée  de  l'un  de  ses  oncles,  curé  d'une  paroisse  des  environs 
de  Saint-Hyacinthe.  C'était,  d'après  les  chroniques  du  temps, 
une  âme  d'élite,  douée,  elle  aussi,  des  plus  belles  qualités  de 
l'esprit  et  du  cœur,  en  un  mot  une  jeune  fille  accomplie.  Ange  de 
pureté,  comme  Aurélie,  Célina  vivait  sur  la  terre  en  rêvant  du  ciel. 
Les  deux  compagnes  s'attachèrent  très  vite,  si  tôt  qu'elles  se 
connurent,  l'une  à  l'autre,  par  une  de  ces  affections  très  pures 
qui  sont  la  gloire  de  notre  sainte  religion  comme  elles  en  sont  le 
fruit,  qui  n'ont  rien  de  trop  sensible,  et  qui  sont  tout  le  contraire 
de  ces  dangereuses  amitiés  particulières,  si  justement  redoutées 
dans  les  pensionnats,  précisément  parce  que  ce  sont  les  âmes  et 
non  les  sens  qu'elles  rapprochent  et  unissent.  Ces  deux  enfants 
s'aimèrent,  voulons-nous  dire,  sous  l'œil  de  Dieu,  à  la  façon  des 
anges.  Elles  s'encourageaient  l'une  l'autre  à  progresser  dans  la 
vertu,  s'excitaient  mutuellement  à  l'amour  de  Notre-Seigneur  et 
donnaient  à  leurs  compagnes  par  le  spectacle  même  de  leur  amitié 
le  plus  bel  exemple  d'édification. 

Ce  bonheur  ne  devait  durer,  comme  la  fraîcheur  des  roses,  que 
l'espace  de  quelques  matins.  Il  arriva  que  Célina  partit  soudai- 
nement pour  le  ciel  dans  des  circonstances  plutôt  extraordinaires. 
Elle  mourut  le  jour  même  où  elle  terminait  ses  études,  à  la  sortie 


24  MÈRE  CATHEKINE-ATJRÉLIE 

de  1849,  au  moment  par  conséquent  où  elle  allait  quitter  défini- 
tivement le  pensionnat  et  entrer  dans  le  monde.  Ce  monde,  pour- 
tant bien  inoffensif  dans  son   milieu,   mais  qui  a  toujours  ses 
dangers,  il  faut  dire  qu'elle  en  avait  grande  peur.  C'est  pourquoi 
elle  avait  ardemment  prié  Dieu  de  lui  épargner  d'y  aller  vivre  et 
s'était  même  persuadée  qu'elle  serait  exaucée,  à  ce  point  que,  plus 
d'une  fois,  au  cours  de  sa  dernière  année,  elle  avait  donné  à  M. 
Raymond  et   à  son   amie  Aurélie  l'assurance  qu'elle   mourrait 
avant  les  vacances.  "  Elle  ne  voulait  pas,  disait-elle,  s'exposer  à 
ternir  la  blancheur  de  son  âme  au  contact  des  méchants."    Mais 
elle  jouissait  d'une  santé  si  florissante  que,  jusqu'au  jour  de  la 
sortie,  rien  n'aurait  pu  humainement  faire  prévoir  que  son  étrange 
souhait  se  réaliserait.  Ce  jour  même  de  la  distribution  des  prix, 
ayant  été  choisie  en  sa  qualité  de  finissante  pour  prononcer  l'allo- 
cution publique  ainsi  dite  des  adieux  au  pensionnat,  elle  s'acquitta 
de  sa  mission  d'honneur  avec  un  si  remarquable  brio  que  personne 
sûrement  n'eut  imaginé  que  cette  enfant  pleine  de  vie  ne  rentrerait 
pas  le  soir  à  son  foyer,  où  plutôt  à  celui  de  son  oncle  le  curé   où 
elle  était  attendue.  Or,  ce  soir-là,  précisément,  le  digne  prêtre, 
qui  avait  assisté  à  la  séance  du  couvent,  prévint  sa  nièce  que,  retenu 
à  Saint-Hyacinthe,  il  ne  pourrait  l'emmener  chez  lui  que  le  lende- 
main et  qu'elle  devait  passer  la  nuit  au  pensionnat.  Cette  nuit 
même,    voilà   que,    tout  à  coup,    Célina   est   atteinte   d'un    mal 
subit.   Une  hémorrhagie  se  déclare,  que  rien  ne  peut  arrêter. 
On  court  au  médecin.  On  va  chercher  M.  Raymond  au  séminaire. 
L'un  et  l'autre  se  rendent  en  toute  hâte  auprès  de  la  jeune  fille, 
qu'ils  trouvent  baignant  dans  son  sang.  L'homme  de  l'art  est 
impuissant  et  le  prêtre  ne  songe  qu'à  consoler  en  parlant  de  Dieu. 
Mais  Célina  prévient  son  directeur  et  lui  dit,  souriante  :  **  Dieu 
m'a  exaucée  !  Je  ne  sortirai  d'ici  que  pour  aller  au  ciel  !  "  Le 
lendemain,  la  pure  enfant  était  exposée,  morte,  dans  les  mêmes 
vêtements  blancs  et  sur  le  même  théâtre,  avec  lesquels  et  sur  lequel 


SON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE 


25 


elle  avait,  la  veille,  brillé  de  tout  l'éclat  de  ses  talents,  de  sa 
beauté  et  de  sa  jeunesse.  On  imagine  l'émoi  produit  par  cette 
mort  rapide  !  Aurélie,  en  particulier,  en  fut  toute  bouleversée. 

D'autant  plus  qu'une  autre  cause  l'avait,  ce  même  jour,  prédis- 
posée aux  émotions  vives.  A  cette  séance  de  distribution  des  prix, 
qui  devait  avoir  pour  sa  chère  Célina  une  issue  si  tragique,  Aurélie 
avait  rempli  le  principal  rôle  dans  un  drame  qu'avait  composé 
M.  Raymond  pour  la  circonstance  :  Le  martyre  de  sainte  Catherine. 
Elle  personnifiait  l'héroïque  vierge  d'Alexandrie,  sœur  de  celle 
de  Sienne.  Elle  le  fit  à  la  perfection,  en  y  mettant  toute  son  âme- 
Nous  nous  persuadons  aisément,  par  ce  que  nous  savons  d'elle 
déjà,  que  ce  rôle  lui  allait  à  merveille.  Elle  l'avait  longuement 
étudié,  exercé  et  répété,  avec  infiniment  d'attrait.  Mais  devant 
le  public,  en  pleine  séance,  elle  fut  saisie  d'une  émotion  toute 
spéciale.  Son  jeu  devint  si  naturel  et  si  vivant,  qu'on  eût  dit  qu'elle 
incarnait  vraiment  sainte  Catherine,  et  qu'elle-même,  au  moment 
de  répéter  pour  la  centième  fois  l'ardente  exclamation  qui  était 
comme  le  résumé  et  le  cœur  de  toute  la  pièce,  elle  s'arrêta  interdite, 
suspendant  l'action  quelques  secondes,  pour  prononcer  enfin, 
rayonnante,  avec  une  ferveur  indicible,  au  nom  de  la  sainte  : 
"  Je  sens  en  moi  toute  l'énergie  du  sang  divin  !  C'est  un  sang 
généreux  qui  n'aspire  qu'à  se  répandre  !  "  De  cet  instant,  elle 
î'aflirmera  plus  tard  à  ses  filles  en  Dieu,  et  son  directeur,  M. 
Raymond,  l'attestera  plus  d'une  fois,  date  son  admirable  dévotion 
au  Précieux  Sang. 

Une  année  encore,  après  cette  mémorable  distribution  des  prix 
de  1849,  Aurélie  continua  ses  études  à  la  Congrégation.  L'image 
de  ;a  douce  Célina  la  suivait  partout.  Elle  se  fixait  dans  son  esprit, 
par  un  jeu  du  rapprochement  des  idées  que  les  circonstances  que 
nous  venons  de  dire  expliquent,  tout  près  des  grandes  figures  de  la 
vierge  d'Alexandrie  et  de  celle  de  Sienne.  Il  nous  plaît  ainsi  souvent 
d'associer  à  ceux  des  héros  et  des  saints  les  souvenirs  des  personnes 


26  MÈRE  CATHERINE- AUBÉLIE 

que  nous  avons  aimées.  Les  modèles  à  imiter  se  font  de  la  sorte 
plus  sensibles.  C'étaient  là  d'heureuses  impressions,  qui  aidaient 
Aurélie  à  croître  en  vertus  et  en  sagesse  à  mesure  qu'elle  avançait 
en  âge  et  qu'elle  progressait  dans  ses  classes.  Qu'elle  eut  à  travailler 
et  à  souffrir  pour  atteindre  à  ce  bel  idéal,  cela  ne  saurait  faire  de 
doute.  Mais  l'amour  et  la  souffrance  se  tiennent,  avons-nous  dit. 
Ubi  amatur  non  laboratur,  affirme  le  livre  de  l'Imitation  —  A  celui 
qui  aime,  le  labeur  devient  facile.  Et  Aurélie  aspirait  tant  à  aimer, 
pleinement  et  tout  bellement  !  On  n'a  qu'à  lire,  pour  s'en  con- 
vaincre, ses  propres  notes,  écrites  au  cours  de  ses  deux  dernières 
années  de  pensionnat,  ou  les  avis  que  lui  adressait  alors  M. 
Raymond.  Mieux  encore,  il  faut  lire  les  notes  et  les  avis  tout 
ensemble,  car  ils  se  complètent  et  s'expliquent.  On  pourrait  trouver, 
a-t-on  remarqué,  que  les  notes  de  la  jeune  fille  accusent  parfois 
une  sorte  d'ennui  et  quelque  découragement  ;  mais  les  réflexions 
du  directeur  font  voir  que  tout  cela  n'était  que  manifestation  de 
surface  et  que,  au  fond,  l'âme  d' Aurélie  n'avait  qu'une  peine,  celle 
de  n'être  pas  parfaite,  ne  craignait  qu'une  chose,  le  péché. 

Enfin,  avec  l'été  de  1850,  arriva  le  jour  de  la  dernière  sortie  et 
du  retour  définitif  à  la  maison  paternelle.  Comme  Célina,  Aurélie 
aurait  bien  voulu  s'en  aller  au  ciel  tout  de  suite.  La  Providence 
avait  d'autres  vues  et  ne  le  permit  pas.  Il  nous  convient  sûrement 
d'en  bénir  Dieu.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  l'heure  des  adieux  au  pen- 
sionnat lui  parut  un  peu  triste,  elle  ne  la  trouva  pas  sans  courage. 
Ses  notes,  à  ce  sujet,  sont  bien  significatives.  Elle  regrette  d'avoir 
à  quitter  "  cet  asile  d'innocence,  où  elle  a  goûté  le  bonheur  d'une 
vie  paisible,  embellie  par  les  charmes  de  la  vertu  de  tant  de 
jeunes  vierges  "  ;  elle  déplore  d'avoir  à  vivre  désormais,  et  pour 
longtemps  peut-être,  '*  au  milieu  du  monde  des  vanités  et  des  faux 
plaisirs  "  ;  elle  s'exhorte  enfin,  ou  plutôt  elle  exhorte  "  son  cœur, 
si  faible,  à  ne  pas  se  laisser  tromper  par  les  voiles  d'une  douceur 
apparente  et  à  ne  pas  se  laisser  entraîner  sous  la  bannière  du 


SON  ENFANCE  ET  SA  JEUNESSE  27 

démon  "  ;  mais  elle  s'encourage  aussi,  en  s'appuyant  sur  Dieu, 
sur  l'amour  de  Jésus,  sur  la  souffrance  acceptée  en  union  avec  celle 
du  bon  maître  :  "  Je  suis  faite  pour  le  ciel,  écrit-elle,  je  veux  le 
gagner  par  la  souffrance .  .  .  Ou  souffrir  ou  mourir,  aimer,  aimer 
toujours ..." 

Il  restait  à  Aurélie  à  chercher  sa  voie,  à  trouver  sa  vocation. 
Pour  nombre  de  jeunes  filles  la  tâche  est  aisée.  Il  semble  qu'elle» 
s'orienteiit,  sans  difficulté  aucune,  les  unes  vers  la  vie  religieuse, 
les  autres  vers  le  monde.  L'attrait,  les  aptitudes,  les  circonstances 
de  famille,  tout  contribue  à  les  diriger  et  à  les  fixer,  sans  qu'elles 
soient  obligées  de  beaucoup  chercher,  là  où  Dieu  les  veut.  Le 
directeur  de  conscience  n'a  lui-même,  pour  ainsi  dire,  qu'à  laisser 
faire.  Tel  ne  devait  pas  être  le  cas  de  la  future  fondatrice  du  Pré- 
cieux-Sang. L'histoire  de  sa  vocation,  ou,  si  l'on  veut,  des  mani- 
festations diverses  par  lesquelles  Dieu  la  conduisit  à  ses  fins,  ne 
couvre  pas  moins  de  dix  ou  onze  ans  de  sa  vie  —  de  1850  à  1861  — 
et  constitue  certainement  l'une  des  plus  troublantes  qui  se  puissent 
imaginer.  Des  hommes  éminemment  distingués,  Mgr  Raymond, 
Mgr  Joseph  LaRocque,  Mgr  Prince,  M.  l'abbé  Nercam,  prêtre 
de  Saint-Sulpice,  et  même  Mgr  Bourget,  allaient  être  mêlés  à 
cette  grave  affaire.  De  bien  des  façons,  la  pauvre  fille  du  forgeron 
Caouette  serait  balottée  dans  cette  recherche  de  sa  voie,  comme 
elle  devait  l'être  plus  tard  dans  l'œuvre  de  la  fondation  de  sa 
communauté.  Les  desseins  de  Dieu  nous  demeurent  toujours 
impénétrables.  Le  diflScile,  souvent,  ce  n'est  pas  de  faire  son  devoir, 
c'est  de  savoir  où  il  est. 


CHAPITRE  II 


Les  principaux  hommes  de  Dieu  dans  l'oeuvre  de  la  fondation  de 
l'institut  du  Précieux- Sang 

Sommaire. —  La  Providence  utilise  les  talents  des  hommes  pour  les  œuvres  de 
Dieu. —  Les  premiers  "  ouvriers  "  de  la  fondation  du  Précieux-Sang. —  Mgr 
Joseph  LaRocque. —  A  Saint-Hyacinthe. —  A  l'évêché  de  Montréal. — 
Premier  voyage  à  Rome. —  Évêque  de  Cydonia,  de  Saint-Hyacinthe  et  de 
Germanicopolis. —  Mgr  Raymond. —  Précis  de  sa  carrière. —  Son  œuvre  au 
séminaire  de  Saint-Hyacinthe. —  Mgr  Prince. —  A  Nicolet  et  à  l'évêché  de 
Montréal. —  Directeur  de  Saint-Hyacinthe. —  Coadjuteur  de  Montréal  puis 
premier  évêque  de  Saint-Hyacinthe. —  Mgr  Bourget. —  A  Québec  et  à 
Nicolet. —  Secrétaire  à  Montréal  de  Mgr  Lartigue. —  Coadjuteur  puis  évêque 
de  Montréal. —  Ampleur  et  fécondité  de  son  œuvre  de  pasteur. —  M.  Nercam, 
prêtre  de  Saint-Sulpice. —  Précis  historique. —  M.  le  curé  Lecours. —  Le 
"  Joseph  "  de  l'institut. —  Note  de  M.  l'abbé  Saint- Pierre  au  sujet  de  M.  le 
curé  Lecours. —  Les  sentiments  d'Aurélie  Caouette  à  l'égard  de  ses  bienfai- 
teurs et  des  prêtres  en  général. 


['homme  s'agite,  mais  Dieu  le  mène.  Pour  l'accomplis- 
sement de  ses  œuvres  dans  le  monde,  il  est  bien  clair, 
aux  yeux  de  tous  les  croyants  sincères,  que  le  Seigneur 
choisit  qui  il  veut,  comme  il  veut  et  quand  il  veut. 
Il  a  pris,  à  l'origine,  pour  former  le  collège  apostolique 
et  fonder  son  Église,  douze  pauvres  pêcheurs  ou  modestes 
travailleurs,  et  il  leur  a  donné  l'assistance  de  son  Esprit- 
Saint.  L'on  sait  ce  qu'ils  ont  fait  :  ils  ont  transformé  le  monde, 
tout  simplement.  Mais,  dans  la  suite  des  temps,  sa  Providence, 
le  plus  souvent,  s'est  plu,  pour  arriver  à  ses  fins,  à  utiliser  les 
talents  et  les  aptitudes  dont  sont  plus  particulièrement  douéa 
quelques  fils  privilégiés  de  l'humanité.  Les  grands  docteurs  du 
quatrième  siècle,  ceux  qu'on  appelle  à  bon  droit  les  Pères  de 
l'Église,  et  leurs  émules  des  autres  âges,  les  Basile,  les  Grégoire 


30  MÈBE  CATHEHINE-AURÉLIE 

et  les  Chrysostome,  les  Augustin,  les  Jérôme,  les  Bernard  et  les 
Thomas  d'Aquin,  étaient  d'abord,  du  point  de  vue  purement 
humain,  des  hommes  remarquables  à  tous  les  égards.  En  des 
temps  plus  rapprochés  du  nôtre,  il  n'en  va  pas  autrement.  Par 
exemple,  l'illustre  lignée  des  papes,  successeurs  de  Pierre,  se 
termine  en  nos  âges  de  la  façon  la  plus  brillante.  De  Pie  IX  à  Pie 
XI,  c'est-à-dire,  depuis  environ  cent  ans,  nous  avons  eu  cons- 
tamment des  pontifes  que  des  qualités  intellectuelles  supérieures 
ont  distingués.  Et  il  en  est  ainsi,  la  plupart  du  temps,  de  ceux 
qui  les  assistent  immédiatement.  Lors  du  passage  à  Montréal, 
il  y  a  trois  ou  quatre  ans,  de  Mgr  Ceretti,  l'actuel  nonce  de  Paris, 
il  nous  souvient  d'avoir  entendu  Mgr  Bruchési,  qui  était  encore 
dans  toute  sa  vigueur,  faire  cette  réflexion  que  le  clergé  de  la  pré- 
lature  romaine  est  comme  un  réservoir  inépuisable  d'hommes  de 
première  valeur  où  le  Souverain  Pontife  trouve  aisément  les 
diplomates  dont  il  a  besoin  pour  le  représenter  partout  avec  une 
haute  dignité. 

Cette  sorte  de  loi  providentielle  a  aussi  son  application,  les 
faits  l'établissent,  quand  l'heure  sonne  de  la  fondation  des  instituts 
religieux.  Si  humbles  et  si  modestes  qu'ils  soient,  les  fondateurs 
et  les  fondatrices  sont,  d'ordinaire,  merveilleusement  doués  et 
préparés  pour  l'œuvre  que  Dieu  leur  assigne.  La  future  fondatrice 
du  Précieux-Sang,  dont  nous  venons  de  raconter  l'enfance  et  la 
jeunesse  au  chapitre  précédent,  avait  ainsi  reçu  en  partage  les 
plus  beaux  dons,  et  sa  formation  intellectuelle  et  morale,  dans  sa 
pieuse  famille  et  à  l'école  des  filles  de  Marguerite  Bourgeoys, 
nous  l'avons  vu,  ne  laissait  rien  à  désirer.  Auprès  d'elle,  en  plus, 
pour  la  diriger,  la  soutenir  et  l'assister.  Dieu  voulut  placer  des 
hommes  de  sa  droite,  dont  il  convient,  pour  mieux  comprendre 
son  histoire,  de  faire  connaître,  dès  maintenant,  la  vie,  les  qualités 
et  les  œuvres.  Quand,  ensuite,  leurs  noms  se  présenteront  sous 
notre  plume,  et  que  nous  aurons  à  signaler  leur  initiative  ou  leur 


PBINCIPATTX  COLLABOBATBUB8  31 

activité  en  telle  ou  telle  occasion,  le  lecteur  averti  saura  de  qui  il 
est  question  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'alourdir  autrement  le 
récit  des  événements  que  nous  aurons  à  exposer. 

Le  premier  en  date  de  ces  hommes  de  sa  droite,  que  Notre- 
Seigneur  préposa  à  la  direction  de  la  fondatrice  et  au  soutien  de 
l'institut  naissant  du  Précieux-Sang,  ce  fut  Mgr  Raymond. 
Le  plus  puissant  par  la  situation  qu'il  occupait  et  son  action 
immédiate,  ce  fut  Mgr  Joseph  LaRocque,  le  deuxième  évêque  de 
Saint-Hyacinthe.  Mais  déjà  le  prédécesseur  de  ce  dernier,  Mgr 
Prince,  avait  à  peu  près  décidé  la  fondation  quand  il  mourut, 
et  c'est  lui,  le  premier  évêque  de  ce  diocèse,  qui  avait,  en  1859, 
envoyé  la  jeune  Aurélie  Caouette  étudier  sa  vocation,  à  Montréal, 
chez  les  Sœurs  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame,  où  elle  devait 
si  largement  profiter  des  conseils  du  pieux  sulpicien  M.  Nercam, 
comme  aussi  des  lumières  du  grand  Mgr  Bourget.  A  ces  noms 
vénérés,  il  convient  de  joindre,  dans  la  liste  des  premiers  bienfai- 
teurs de  l'institut,  celui  de  M.  le  curé  Lecours,  dont  le  zèle  et  la 
générosité  assurèrent  le  progrès  matériel  de  la  fondation.  Ce  sont 
ces  divers  personnages,  que,  dans  ce  chapitre,  nous  voudrions 
présenter  à  nos  lecteurs. 

Au  Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe,  et  aussi  dans  les  autres 
monastères  nés  de  celui-là,  on  donne  à  Mgr  Joseph  LaRocque  et 
à  Mgr  Raymond  le  titre  de  co-fondateurs,  ou  encore  de  Pères 
fondateurs.  On  ne  les  sépare  jamais,  croyons-nous,  l'un  de  l'autre. 
De  même  que  leur  action  fut  une,  ainsi,  dans  l'institut,  leur  souvenir 
est  un.  La  question  ne  fut  jamais  tranchée,  que  nous  sachions, 
de  décider  auquel  des  deux  on  doit  davantage.  Avec  une  discrétion 
touchante,  on  s'est  toujours  abstenu  de  marquer  une  gradation 
quelconque  dans  le  culte  qu'on  garde  à  leurs  mémoires  vénérées. 
Cependant,  par  le  rang  qu'il  tenait  dans  l'Église,  puisqu'il  était 
revêtu  de  la  dignité  épiscopale,  Mgr  LaRocque  a  sûrement  droit 


32  MÈBE  CATHERINE- AXmâuB 

de  préséance.  C'est  donc  de  lui  d'abord  que  nous  parlerons,  sans 
vouloir,  nous  non  plus,  établir,  pour  cela,  aucune  distinction  de 
mérite  entre  les  deux  co-fondateurs. 

Tous  ceux  qui  sont  familiers  avec  notre  histoire  ecclésiastique 
savent  qu'il  y  eut  deux  évêques  LaRocque,  les  deux  cousins, 
tous  les  deux  originaires  de  Chambly,  Mgr  Joseph  et  Mgr  Charles, 
qui  se  succédèrent  sur  le  siège  de  Saint-Hyacinthe,  le  premier 
l'occupant  de  1860  à  1866,  le  deuxième,  de  1866  à  1875.  Mais 
Mgr  Joseph,  démissionnaire  en  1866,  survécut  à  son  successeur 
Mgr  Charles,  mort  en  1875,  et  ne  quitta  ce  monde,  lui,  qu'en  1887, 
à  79  ans  passés.  C'est  du  premier  des  deux,  de  Mgr  Joseph,  qu'il 
s'agit  ici. 

Joseph  LaRocque  était  né  à  Chambly  le  28  août  1808.  Son 
enfance  et  sa  première  jeunesse,  au  foyer  de  l'une  de  ces  familles 
canadiennes  où  les  vertus  chrétiennes  se  transmettent  de  géné- 
ration en  génération  comme  un  héritage  naturel,  fut  paisible  et 
douce.  Affectueux,  docile  et  pieux,  il  donna,  tout  jeune,  les 
meilleures  espérances.  Son  curé,  l'abbé  Pierre-Marie  Mignault, 
qui  fut  en  charge  de  la  belle  paroisse  de  Chambly  pendant  pas 
moins  de  quarante-neuf  ans,  de  1817  à  1866,  ne  tarda  pas  à  remar- 
quer sa  vive  intelligence  et  ses  heureuses  dispositions.  Joseph 
LaRocque  et  son  cousin  Charles,  né  celui-ci  en  1809,  furent  de 
ceux  qu'il  distingua  parmi  les  mieux  doués  et  les  plus  méritants 
de  ses  enfants  du  catéchisme.  En  ce  temps-là,  le  collège  de  Saint- 
Hyacinthe  venait  de  naître  (1811),  grâce  à  l'initiative  et  à  l'acti- 
vité du  curé  Girouard,  et,  sur  les  bords  de  notre  poétique  et  si 
bien  nommé  Richelieu,  V Association  de  la  Rivière-Chambly  s'était 
formée,  par  un  mouvement  tout  spontané  de  M.  de  Saint-Ours, 
qui  se  proposait,  raconte  Mgr  Choquette(4),  par  une  souscription 
annuelle,  de  placer  au  collège  de  Yamaska  (lisez  Saint-Hyacinthe) 
(4)   Histoire  du  séminaire  de  Saini-Hyacinihe,  Vol.  I,  p.  62. 


PBINCIPAUX  COLLABORATEURS 


33 


'*  au  moins  vingt  écoliers  pour  le  temps  de  huit  années  consécu» 
tives  ".  C'était  le  désir  du  seigneur  de  Saint-Ours,  exprimé  da,ns 
son  projet,  que  ces  écoliers  devraient  être  choisis,  parmi  les  enfants 
des  bons  habitants  des  rives  du  Richelieu,  par  MM.  les  curés, 
à  raison  de  un,  de  deux  ou  de  trois  par  paroisse,  suivant  la  somme 
fournie  par  chacune.  Or,  sur  la  liste  des  souscripteurs  —  que 
Mgr  Choquette  donne  au  complet  —  avec  les  noms  de  M.  de 
Saint-Ours,  de  M.  Debartzch,  de  Mgr  de  Québec,  de  M.  Joseph 
Cartier  et  de  plusieurs  autres,  on  relève  le  nom  du  curé  de  Cham- 
bly.  M.  Mignault  avait  donc  le  droit  de  choisir  et  de  recommander. 
Son  choix  et  sa  recommandation  désignèrent  tout  d'abord  les  deux 
LaRocque,  Joseph  et  Charles.  "  Le  même  jour,  écrivait  plus  tard 
Mgr  Charles,  Joseph  et  moi,  nous  entrions  dans  la  même  classe. 
Bientôt,  la  lutte  s'engagea  entre  nous  dans  les  études  et  dans  les 
jeux.  La  nature  nous  liait  par  le  sang,  le  collège  nous  rendit  inti- 
mes par  une  liaison  amicale  qui  a  été  l'une  des  plus  suaves  jouis- 
sances de  notre  vie." 

Au  collège,  Joseph  se  fit  remarquer  par  son  amour  de  l'étude, 
la  pénétration  de  son  intelligence  et  la  solidité  de  son  jugement. 
Émule  de  son  cousin  Charles,  il  fut  le  plus  souvent  son  concurrent 
heureux.  Aimé  de  ses  maîtres  et  de  ses  condisciples,  il  était,  notent 
les  chroniques,  tant  par  ses  vertus  que  par  son  application,  un 
écolier  modèle.  En  1829,  il  terminait  brillamment  son  cours 
classique.  Le  choix  de  son  état  de  vie  ne  l'embarrassa  guère. 
"  Comprenant  l'appel  divin,  écrit  Mgr  Bernard(5),  il  alla  sans 
hésitation  frapper  à  la  porte  du  sanctuaire,  et  ses  supérieurs,  qui 
connaissaient  son  mérite,  la  lui  ouvrirent  avec  joie."  En  prenant 
la  soutane,  il  devint,  selon  l'usage  du  temps,  professeur  dans  la 
maison  où  il  étudiait,  et  il  enseigna  les  lettres  tout  en  suivant  ses 
cours  de  théologie.  Il  reçut  la  prêtrise,  des  mains  de  Mgr  Lartigue, 

(5)  Avant  d'être  évêque,  Mgr  Bernard  fut  longtemps  secrétaire  de  l'évêché, 
puis  vicaire  général.  Étant  secrétaire,  il  a  écrit  des  notices  biographiques  de 
chacun  des  premiers  évêques  de  Saint-Hyacinthe,  qui  se  trouvent  dans  la  collec- 
tion de  leurs  mandements. 


34  MÈBE  CATHEBINE-AXm:âLIE 

le  15  mars  1835.  Timide  par  tempérament  et  redoutant  fort 
risolement  et  les  responsabilités  du  ministère  pastoral,  il  exprima 
à  ses  supérieurs  le  désir  de  rester  dans  l'enseignement  et  on  l'y 
laissa.  Il  continua  donc,  à  Saint-Hyacinthe,  son  travail  d'éduca- 
teur, aux  côtés  des  Prince,  des  Raymond  et  des  Désaulniers. 
D'abord  professeur,  puis  directeur,  il  fut  élu  le  premier  supérieur 
de  la  maison,  quand,  en  1842,  Mgr  Bourget  érigea  canoniquement 
en  séminaire  le  collège  de  M.  Girouard.  L'abbé  LaRocque  n'avait 
alors  que  34  ans.  Cinq  ans  plus  tard,  Mgr  Bourget  l'appelait  à 
l'évêché  de  Montréal,  le  faisait  chanoine  de  sa  cathédrale  et  l'asso- 
ciait à  l'administration  diocésaine.  Le  chanoine  LaRocque  eut  à 
s'occuper  de  la  rédaction  des  Mélanges  religieux,  important 
périodique  qui  se  publiait  sous  l'inspiration  de  l'actif  évêque  de 
Montréal,  et  il  fut  en  plus  chargé  de  la  direction  spirituelle  des 
communautés  de  la  Providence  et  du  Bon-Pasteur.  Cinq  ans  encore 
se  passèrent  ainsi,  pour  lui,  dans  l'exercice  d'un  double  ministère 
très  absorbant.  Mais  son  ascension  n'était  pas  finie. 

En  1851,  Mgr  Prince,  alors  coadjuteur  de  Montréal,  fut  désigné 
par  les  évêques  du  Bas-Canada  pour  aller  porter  à  Rome  les  décrets 
du  premier  concile  provincial  de  Québec.  Le  chanoine  Joseph 
LaRocque  l'accompagna  en  qualité  de  secrétaire.  Pendant  qu'ils 
se  trouvaient  dans  la  ville  éternelle,  le  pape  Pie  IX  décida  a 
création  du  diocèse  de  Saint-Hyacinthe.  Le  8  juin  1852,  il  nommait 
Mgr  Prince  évêque  du  nouveau  diocèse,  et,  le  6  juillet  suivant,  il 
faisait  du  chanoine  LaRocque,  son  secrétaire,  sous  le  titre  d'évêque 
de  Cydonia,  le  coadjuteur  de  Montréal.  Le  nouvel  évêque  fut 
sacré  le  28  octobre  de  la  même  année,  dans  l'église  de  Chambly, 
sa  paroisse  natale,  par  Mgr  Bourget,  avec,  comme  co-consé- 
crateurs.  Nos  Seigneurs  les  évêques  Phelan  et  Cooke,  "  Nous  ne 
vous  dirons  point,  nos  très  chers  frères,  écrivait  Mgr  de  Mont- 
réal(6),  ce  qu'est  pour  vous  et  pour  nou^  le  nouveau  coUabo- 

(6)  Mandement  du  19  mars  1853. 


PRINCIPAUX    COLLABORATEURS 


35 


rateur  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  nous  accorder.  Nous  le  blesserions 
au  vif,  si  nous  levions  tant  soit  peu  le  voile  de  modestie  qui 
couvre  les  heureuses  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur  que  la  nature 
et  la  grâce  se  sont  étudiées  à  répandre  dans  son  âme.Mais  vous 
allez  avoir  l'occasion  de  vous  convaincre  par  vouo-mêmes  de  sa 
haute  sagesse  et  de  sa  rare  prudence.  .  ."  Mgr  Bourget,  en  effet, 
partait  à  ce  moment  pour  l'Europe,  et  le  nouveau  coadjuteur 
allait  porter  seul,  pendant  plusieurs  mois,  tout  le  poids  de  l'admi- 
nistration. Il  devait  s'y  montrer  digne  de  la  confiance  qu'on 
reposait  en  lui.  Du  reste,  il  en  fut  ainsi  durant  les  huit  années 
de  sa  coadjutorerie.  Non  seulement  il  fut,  pour  Mgr  Bourget, 
le  plus  prévenant  et  le  plus  dévoué  des  auxiliaires,  mais  encore,  à 
plusieurs  reprises,  il  prêta  main  forte  à  Mgr  Prince,  à  Saint- 
Hyacinthe.  Il  se  familiarisait  ainsi,  sans  s'en  douter,  avec  le 
nouveau  champ  d'action  où  il  aurait  bientôt  à  travailler.  A  la 
mort  de  Mgr  Prince,  qui  survint  le  5  mai  1860,  Mgr  LaRocque 
était,  en  effet,  appelé  à  recueillir  sa  succession  (22  juin  1860).  îl 
possession  prit  du  siège  de  Saint-Hyacinthe  le  3  septembre  suivant. 
Le  deuxième  évêque  de  Saint-Hyacinthe  administra  le  diocèse 
de  septembre  1860  à  juillet  1866,  soit  environ  six  ans.  Peu  de  temps 
après  son  arrivée  dans  sa  ville  épiscopale,  une  attaque  de  sciatique 
le  clouait  pour  de  longs  mois  dans  une  chaise  de  malade,  et  l'on 
peut  dire  en  toute  vérité  que  l'acte  principal  de  son  adminis- 
tration fut  l'acceptation  des  souffrances  :  souffrances  physiques 
d'abord,  qui  lui  rendaient  très  pénibles  les  visites  pastorales  et 
l'accomplissement  des  autres  devoirs  de  sa  charge  ;  souffranced 
morales  aussi,  parce  que  les  responsabilités  du  commandement 
lui  furent  toujours  très  lourdes  à  supporter.  "  Devant  un  parti 
à  prendre,  écrit  Mgr  Bernard,  il  tombait  dans  de  grandes  perplexi- 
tés. Si  sa  belle  intelligence  pesait  à  merveille  les  plus  difficiles 
questions,  sa  conscience  appréhendait  toujours  la  décision  finale." 
Il  était  loin  pourtant  de  demeurer  inactif  et  son  administration 


36  MÈRE   CATHSHINE-AURÈLIE 

a  plus  d'une  œuvre  importante  à  son  crédit  :  la  construction  de 
l'Hôtel-Dieu  par  exemple,  et  surtout,  la  fondation  du  Précieux- 
Sang.  Toutefois,  sa  mauvaise  santé  et  ses  continuelles  perplexités 
l'amenèrent,  après  peu  d'années,  à  demander  au  Saint-Père  de 
le  relever  de  ses  fonctions.  Sa  démission  fut  acceptée  en  août 
1865,  mais  il  dut  continuer  d'administrer  jusqu'au  31  juillet  1866, 
alors  qu'il  remit  la  gouverne  à  son  cousin  et  successeur,  Mgr 
Charles  LaRocque,  élu  évêque  de  Saint-Hyacinthe  le  20  mars, 
et  sacré,  à  Saint-Jean-d'Iberville,  où  il  était  curé  depuis  vingt- 
deux  ans  (1844-1866),  le  29  juillet  de  cette  même  année  1866. 
Mgr  Joseph  fut  aussitôt  nommé  vicaire  général  et,  le  15  janvier 
suivant  (1867),  il  recevait  le  titre  d'évêque  de  Germanicopolis. 
Il  se  retira  bientôt  chez  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  et  vécut 
encore  vingt  ans,  consacrant  aux  exercices  de  piété  et  à  sa  chère 
communauté,  ainsi  que  nous  le  verrons  dans  la  suite  de  cet  ouvrrige, 
sa  vaste  intelligence  et  son  grand  cœur,  en  autant  que  la  maladie 
lui  laissait  de  forces  et  de  répit.  *'  Par  la  finesse  de  son  esprit,  le 
charme  de  sa  conversation  et  la  noblesse  de  ses  manières,  écrit 
encore  Mgr  Bernard,  il  étonnait  et  ravissait  tous  ceux  qui  le 
visitaient."  L'une  de  ses  peines  les  plus  douloureuses  fut  d'être 
souvent  privé,  à  cause  de  ses  infirmités,  de  la  joie  de  célébrer  la 
sainte  messe.  Il  mourut  au  monastère  du  Précieux-Sang,  le  18 
novembre  1887,  dans  la  quatre-vingtième  année  de  son  âge,  la 
cinquante-troisième  de  son  sacerdoce  et  la  trente-septième  de  son 
épiscopat. 

Dès  leur  temps  de  collège,  condisciples  d'abord,  puis  devenus 
l'un  et  l'autre  professeurs  dans  la  même  institution,  Mgr  Joseph 
LaRocque  et  Mgr  Raymond  s'étaient  étroitement  unis  d'amitié. 
"  Nisus  et  Euryale,  écrit  Mgr  Choquette(7),  sont  les  figures- 
types  de  la  tendresse  antique.  Au  récit  du  poète  païen,  ajoutez 

(7)  Histoire  du  séminaire  de  Saint-Hyacinthe,  Vol.  I,  p.  253. 


PRINCIPAUX   COLLABORATEURS  37 

ce  que  le  sentiment  chrétien  peut  inspirer  à  l'âme,  et  vous  aurez 
l'histoire  de  saint  Basile  et  de  saint  Grégoire.  C'est  ausji,  propor- 
tion gardée,  celle  de  nos  deux  anciens  directeurs.  On  ferait  un 
beau  volume  de  leur  longue  et  affectueuse  correspondance." 
Rien  d'étonnant,  par  conséquent,  qu'ils  se  soient  ensemble  dépen- 
sés à  l'œuvre,  si  intéressante  pour  des  âmes  sacerdotales  éprises 
d'idéal  divin  comme  les  leurs,  de  la  fondation  du  Précieux-Sang. 
Dans  ce  noble  travail,  nous  l'avons  déjà  dit,  dès  1849,  alors  qu'il 
commença  à  diriger  spirituellement  la  jeune  Aurélie  Caouette, 
encore  pensionnaire  à  la  Congrégation,  M.  l'abbé  Raymond  —  il 
ne  devint  Monseigneur  qu'en  1876  —  avait  été,  c'est  le  moins 
qu'on  puisse  dire,  l'ouvrier  de  la  première  heure.  "  On  lui  donne 
au  Précieux-Sang,  dit  Mgr  Choquette(8),  le  titre  de  co-fondateur, 
mais  il  me  plairait  d'examiner  s'il  ne  fut  pas  l'artisan  souverain 
de  son  éclosion  et  de  son  développement,  en  un  mot  le  fondateur 
vrai." 

Joseph-Sabin  Raymond  était  né  à  Saint-Hyacinthe,  le  13  mars 
1810.  La  maison  de  son  père  se  trouvait  à  deux  pas  de  l'empla- 
cement que  devait  occuper  plus  tard  le  premier  collège  de  M. 
Girouard,  là  où  l'on  voit  l'évêché  et  la  cathédrale  de  nos  jours. 
Sa  mère  avait  nom  Jeanne  Cartier  et  appartenait  à  la  famille 
qu'a  illustrée  sir  Georges-Etienne  Cartier,  l'auteur,  avec  sir 
John-A.  Macdonald,  de  la  Confédération  canadienne.  L'une  des 
soeurs  de  Joseph-Sabin  épousa  cet  autre  grand  patriote  que  fut 
A.-N.  Morin,  ancien  ministre,  puis  juge  et  l'un  des  codificateurs 
de  nos  lois  de  la  province  de  Québec.  M.  Raymond  était  donc  ri- 
chement apparenté,  tout  comme  il  était  de  bonne  souche.  Il 
entra  au  collège,  tout  voisin  de  la  maison  paternelle,  dès  l'âge  de 
7  ans,  et  fut  l'un  des  benjamins  les  plus  chéris  du  fondateur,  M. 
Girouard.  Il  fit  naturellement  dans  ce  collège  toutes  ses  études 
françaises  et  latines  et  sa  théologie.  Séminariste  à  16  ans,  en 

(8)  Histoire  du  téminaire  de  Saint-Hyacinthe,  Vol.  I,  p.  503. 


38  MÈBE  CATHERINE- AUBÉLIB 

1826,  il  alla  enseigner  un  an  à  Chambly,  au  collège  que  venait 
d'y  fonder  le  curé  Mignault,  puis  il  revint  à  la  maison  de  Saint- 
Hyacinthe,  qu'il  ne  devait  plus  quitter,  sauf  pourun séjour  d'étude 
en  Europe  en  1842-1843.  C'est  dire  qu'il  a  donné  toute  sa  vie, 
soit  plus  de  soixante  ans  de  généreuse  activité,  à  son  cher  collège. 
C'est  là  un  bel  exemple,  et  un  exemple  plutôt  rare,  de  fidélité  et 
de  constance  dans  l'accomplissement  d'une  tâche  d'ordinaire  assez 
dure,  le  plus  souvent  ingrate  et  toujours  pleine  de  lourdes  respon- 
sabilités. 

Tour  à  tour  professeur  de  littérature  et  d'histoire,  d'éloquence 
et  de  philosophie,  préfet  des  études  de  longues  années,  supérieur 
à  deux  reprises  de  1847  à  1853,  puis  de  1859  à  1883,  soit  en  tout 
trente  ans,  M.  Raymond,  plus  tard  Mgr  Raymond,  a  personnifié 
le  séminaire  des  bords  de  l'Yamaska  pendant  au-delà  d'un  demi- 
siècle.  "  Son  nom  est  écrit  à  toutes  les  pages  de  notre  histoire, 
écrit  Mgr  Choquette(9)  il  y  tient  indubitablement  la  première 
place,  je  pourrais  dire  presque  toute  la  place.  Pas  une  fête,  pas  une 
réunion,  pas  un  mouvement  littéraire  ou  religieux,  où  il  n'appa- 
raisse comme  un  facteur  indispensable."  Il  laissait  volontiers, 
paraît-il,  au  procureur  de  la  maison  les  soucis  de  l'administration 
matérielle.  Mais,  quand  il  s'agissait  des  études  ou  de  la  défense 
des  intérêts  généraux  du  collège  devant  l'opinion,  il  savait  se 
dévouer  avec  la  générosité  du  soldat  qui  ne  craint  rien  et  la  clair- 
voyance du  général  qui  connaît  sa  tactique.  Il  a  écrit  nombre  de 
lettres  et  d'articles.  Sa  correspondance  était  fort  étendue.  Parmi 
ses  correspondants  les  plus  connus,  on  relève,  au  Canada,  les 
noms  de  Cartier,  de  Cherrier,  de  Chauveau,  de  Cauchon,  des 
abbés  Cazeau,  Taschereau  et  Verreau,  et,  en  Europe,  ceux  de 
Ventura,  de  Lacordaire,  de  Montalembert  et  de  Gerbet.  Ses 
articles  de  revue  sont  innombrables  et  ses  sermons  écrits  forme- 
raient plusieurs  volumes.  Sa  manière  est  celle  d'un  écrivain  vrai- 

(9)  Histoire  du  séminaire  de  Saint-Hyaeinthe,  Vol.  I,  p.  500. 


PRINCIPAUX   COLLABORATEURS  39 

ment  bien  un  peu  prolixe  et  son  style  paraît  à  beaucoup  trop 
chargé.  "  Il  lui  faut  dix  lignes  là  où  d'autres  se  contenteraient  de 
dix  mots  !  "  (Mgr  Choquette).  Mais  sa  doctrine  est  sûre,  quoique 
un  brin  libérale,  sa  phrase  est  correcte  et  son  action,  par  la  plume 
aussi  bien  que  par  la  parole,  fut  vraiment  puissante  et  eflScace. 
En  juillet  1876,  Mgr  Raymond  avait  reçu  les  honneurs  de  la 
prélature  romaine.  Dès  la  fondaHon  du  diocèse,  en  1852,  il  avait 
été  nommé  par  Mgr  Prince  vicaire  général,  et  il  continua  de  l'être 
sous  les  deux  évêques  LaRocque  et  sous  Mgr  Moreau.  Il  fut  fait 
chanoine  en  1877  et  devint  prévôt  du  chapitre.  Il  était  revenu 
d'Europe,  en  1843,  docteur  en  théologie  et,  par  ailleurs,  muni  d'une 
somme  considérable  de  renseignements  de  toute  nature,  qu'il 
continua  d'augmenter  et  d'enrichir  toute  sa  vie  par  sa  corres- 
pondance et  ses  lectures.  Pour  tout  dire  d'un  mot,  Mgr  Raymond 
est  certainement  l'une  des  gloires,  sinon  la  première  de  toutes,  de 
l'illustre  maison  de  Saint-Hyacinthe. 

Nous  aurons  l'occasion,  dans  la  suite  de  cet  ouvrage,  de  voir 
quelle  part  il  a  prise,  avant,  avec  ou  auprès  de  Mgr  Joseph  La- 
Rocque, dans  l'œuvre  du  Précieux-Sang.  Ajoutons  ici  seulement, 
pour  terminer  cette  rapide  esquisse  de  sa  longue  et  belle  vie  de 
prêtre-éducateur,  que  c'est  au  monastère  même  du  Précieux-Sang 
qu'il  mourut  subitement,  à  77  ans,  le  dimanche  3  juillet  1887  — 
quelques  mois  avant  Mgr  Joseph  —  au  moment  où  il  se  préparait 
précisément  à  dire  la  messe  du  Précieux  Sang  dont  la  fête  tombait 
ce  jour-là.  Comme  on  était  en  vacances,  les  obsèques  eurent  lieu 
à  la  cathédrale  et  non  pas  au  séminaire  ;  mais  ses  restes  mortels 
furent  inhumés  dans  la  crypte  de  la  maison  qu'il  avait  tant  aimée 
et  si  bien  servie,  moins  son  cœur  qui  resta,  suivant  son  désir,  au 
monastère  du  Précieux-Sang.  Le  26  juin  1888,  le  personnel  du 
collège,  prêtres  et  élèves,  anticipant  l'anniversaire  de  son  décès, 
rendait  un  suprême  hommage  à  sa  mémoire,  en  faisant  chanter 
un  service  solennel.  Un  ancien  élève,  M.  le  curé  Dupré,  de  Sorel, 


40  MÈKE   CATHEKINE-AUBÉLIE 

prononça  l'oraison  funèbre.  Il  montra,  avec  éloquence,  comment 
Mgr  Raymond  avait  été  tout  à  la  fois  un  apôtre  de  l'éducation 
chrétienne  et  un  modèle  de  vertus  sacerdotales.  "  Si  j'en  avais  le 
pouvoir,  terminait-il  dans  une  émouvante  péroraison,  je  descen- 
drais vers  cette  tombe  et  je  dirais  à  notre  vénéré  démnt,  comme 
autrefois  le  Christ  à  Lazare  :  *'  Sortez  de  cette  demeure  lugubre, 
revenez  vers  cette  communauté,  approchez  encore  une  fois  de 
ce  sanctuaire .  .  .  Approchez,  comme  en  ces  jours  de  distribution 
des  prix  où  naguère  l'allégresse  brillait  sur  votre  front .  .  .  Appro- 
chez, auréolé  de  cette  dignité  sacerdotale  qui  vous  fut  toujours 
une  si  haute  noblesse  personnelle  et  qui  rayonnera  longtemps 
encore  sur  votre  chère  institution ..." 

S'il  ne  fut  pas,  sans  doute,  comme  ceux  dont  nous  venons  de 
rappeler  la  vie  et  la  carrière,  l'un  des  fondateurs  de  l'institut 
du  Précieux-Sang,  le  premier  évêque  de  Saint-Hyacinthe,  Mgr 
Prince,  avait  cependant  entrevu,  comme  dans  un  regard  prophé- 
tique, si  l'on  ose  dire  ainsi,  cette  fondation.  Le  biographe  des 
évêques  de  Saint-Hyacinthe  (Mgr  Bernard)  raconte  de  Mgr  Prince 
que,  dans  sa  dernière  maladie,  il  répétait  souvent  :  "  La  dévotion 
au  Précieux  Sang,  c'est  mon  testament  en  faveur  de  mon  diocèse." 
Nous  aurons  nécessairement  à  parler  de  ce  digne  prélat,  lorsque 
nous  exposerons  les  premières  démarches  de  la  fondatrice  et  la 
naissance  de  son  œuvre  elle-même.  Il  convient  donc  qu'à  son  tour 
nous  le  fassions  connaître  à  nos  lecteurs. 

Jean-Charles  Prince  était  né  à  Saint-Grégoire  de  Nicolet  le  13 
février  1804,  d'une  honorable  famille  où,  comme  dans  celles  des 
LaRocque  et  des  Raymond,  les  vertus  chrétiennes  étaient  à  la 
base  même  de  tous  les  actes  de  la  vie  quotidienne.  Il  étudia  à  Nico- 
let et  fit,  lui  aussi,  un  cours  solide  et  brillant.  A  18  ans,  en  1822,  il 
prenait  la  soutane,  et  à  22  ans,  le  23  septembre  1826,  il  était 
ordonné  prêtre.  "  Simultanément  élève  de  théologie  et  professeur 


PRINCIPAUX   COLLABORATEURS  41 

de  lettres  humaines,  écrit  encore  Mgr  Bernard,  il  exerça  ses  talents 
et  son  zèle  d'abord  à  Nicolet,  puis  à  Saint-Hyacinthe."  Aussitôt 
après  son  ordination,  il  fut  appelé  à  l'évêché  de  Montréal,  où, 
étant  secrétaire  de  l'évêque,  il  se  vit  confier  la  direction  et  l'ensei- 
gnement des  jeunes  ecclésiastiques  qui  suivaient  là  leur  cours  de 
théologie.  Il  leur  fut  pendant  quatre  ans  un  directeur  et  un  profes- 
seur magnifiquement  dévoué.  A  cette  époque,  le  zèle  devait  suppléer 
à  bien  des  choses,  et  l'on  ne  saurait  trop  admirer  ces  tout  jeunes 
prêtres-professeurs,  comme  il  y  en  eut  tant,  à  peine  plus  âgés  que 
leurs  propres  élèves,  qui  devaient  enseigner  et  apprendre  tout 
ensemble,  et  qui,  à  force  d'application,  ont  pu  suffire  à  l'écrasante 
besogne.  Mgr  Prince  n'avait  encore  que  27  ans,  lorsque,  en  1831, 
il  fut  placé,  par  Mgr  Lartigue,  à  la  tête  du  collège  de  Saint- 
Hyacinthe.  Il  n'arrivait  pas,  sans  doute,  en  pays  inconnu.  Il  avait 
déjà  respiré  l'atmosphère  de  la  maison  et  il  y  était  fort  estimé. 
Mais  la  tâche  était  rude.  Mgr  Choquette  raconte  qu'à  ce  moment 
l'institution (10)  de  M.  Girouard  traversait  une  crise  fâcheuse  et 
que  la  direction  de  M.  Prince  ne  contribua  pas  peu  à  lui  donner 
"  cette  uniformité  de  sentiments  et  cette  homogénéité  d'aspira- 
tions "  qui  ont  fait  plus  tard  sa  force  et  sa  grandeur  et  lui  ont 
valu  tant  de  sympathies.  Le  succès  le  plus  complet  récompensa 
l'esprit  de  prévoyance  et  la  constance  au  labeur  de  M.  l'abbé 
Prince  dans  son  directorat,  lequel  devait  durer  neuf  ans. 

Le  19  avril  1840,  Mgr  Lartigue  mourait,  et  son  coadjuteur, 
Mgr  Bourget,  devenait  évêque  de  Montréal.  Le  nouveau  chef  du 
diocèse  dut  songer  à  augmenter  le  personnel  de  l'évêché.  Il  appela 
à  ses  côtés  le  directeur  de  Saint-Hyacinthe,  et,  l'année  suivante, 
en  1841,  à  la  fondation  du  chapitre  de  sa  cathédrale,  il  lui  donna 
un  camail  de  chanoine.  Ses  neuf  ans  passés  à  la  direction  du  collège 
avaient  heureusement  préparé  le  nouveau  chanoine  au  maniement 
des  hommes  et  à  la  conduite  des  œuvres.  Sous  l'inspiration  de 

(10)  Histoire  du  séminaire  de  Saint-Hyacinthe,  Vol.  I,  p.  125. 


42 


MERE  CATHEIilNE-AUKELIE 


son  évêque,  il  fonda  les  Mélanges  religieux,  auxquels  M.  LaRocque, 
nous  l'avons  vu,  et  plusieurs  autres  prêtres  de  talent  devaient 
dans  la  suite  collaborer,  qui  constitueraient,  jusqu'en  1852, 
l'organe  officieux  de  l'évêché  et  qui  seraient  un  excellent  véhicule 
d'idées  saines  et  fortes.  Le  chanoine  Prince  eut  à  s'occuper  aussi 
très  activement  des  communautés,  alors  naissantes  à  Montréal, 
de  la  Providence  et  du  Bon-Pasteur.  C'est  également  lui  qui  alla 
établir,  à  la  demande  de  Mgr  Gaulin,  les  Sœurs  de  la  Congrégation 
à  Kingston.  Mais  ce  n'était  pas  encore  assez.  L'autorité  jugea 
qu'il  pouvait  faire  plus.  Le  5  juillet  1844,  le  pape  Grégoire  XVI 
nommait  le  chanoine  Prince  coadjuteur  de  Mgr  de  Montréal 
avec  le  titre  d'évêque  de  Martyropolis.  Il  avait  40  ans.  Il  fut 
sacré  à  Montréal,  par  Mgr  Bourget,  en  même  temps  que  Mgr 
Blanchet,  le  futur  archevêque  d'Orégon,  le  25  juillet  1845.  Le  diocè- 
se couvrait  alors  un  vaste  territoire,  où  l'on  trouve  aujourd'hui,  en 
plus  de  celui  de  Montréal,pas  moins  de  neuf  évêchés  :  Ottawa,Saint- 
Hyacinthe,  Sherbrooke,  Valleyfield,  Pembroke  Joliette,  Mont-Lau- 
rier, Haileybury  et  Hearst  ou  Ontario-Nord.  Les  courses  à  faire, 
pour  l'évêque  et  son  coadjuteur,  étaient  fréquentes  et  longues. 
Les  rapides  chemins  de  fer  n'existaient  pas  encore,  et  il  n'y  avait 
pas  d'autos,  pas  même  de  "  diligences  "  !  C'était  souvent  une 
rude  corvée.  Ajoutons  qu'au  cours  des  voyages  à  Rome  de  Mgr 
Bourget,  en  1846  et  en  1847,  Mgr  Prince  dut  voir  seul  à  tous  les 
détails  de  l'administration.  En  1848,  comme  pour  mettre  un 
sceau  crucifiant  à  ce  labeur  si  chargé,  la  Providence  voulut  que 
Mgr  Prince  assistât,  avec  Mgr  Bour^^'et  lui-même  et  plusieurs 
prêtres  héroïques,  les  pestiférés  irlandais,  qui  depuis.  .  .  et  qu'il 
fût  lui-même  atteint  du  typhus,  dont  il  ne  se  releva,  si  l'on  en 
croit  la  chronique,  que  par  une  visible  protection  du  ciel. 

Ainsi  que  nous  avons  eu  l'occasion  de  le  raconter  précédem- 
ment, en  1851,  Mgr  Prince,  avec  le  chanoine  Joseph  LaRocque 
comme  secrétaire,  partait  pour  Rome,  où  il  était  chargé  d'aller 


PRINCIPAUX   COLLABORATEURS 


43 


porter  au  Saint-Père  les  actes  du  premier  concile  provincial  de 
Québec,  et,  le  8  juin  1852,  Pie  IX,  en  érigeant  le  nouveau  diocèse 
de  Saint-Hyacinthe,  faisait  de  l'actif  coadjuteur  de  Montréal 
son  premier  évêque.  Sur  ce  nouveau  théâtre,  pendant  les  huit  ans 
que  dura  son  administration,  Mgr  Prince  a  fourni  un  travail 
considérable.  La  ville  de  Saint-Hyacinthe,  en  particulier,  lui  doit 
une  grande  partie  de  sa  prospérité.  La  plupart  de  ses  institutions 
font  remonter  jusqu'à  lui  leurs  origines,  notamment  le  beau  cou- 
vent des  Sœurs  de  la  Présentation,  qu'il  avait  fait  venir  de  Bourg- 
Saint-Andéol  (diocèse  de  Viviers,  France)  à  Sainte-Marie  de 
Monnoir  en  1853,  et  qu'il  "  transféra  "  à  Saint-Hyacinthe  en 
1858.  L'ancien  collège  de  M.  Girouard,  qu'il  avait  transformé 
en  évêché  —  l'institution  s'étant  transportée  là  où  elle  est  au- 
jourd'hui —  ayant  été  incendié  en  1854,  Mgr  Prince  vit  à  la 
construction  de  la  chapelle-cathédrale  qui  devait  servir  au  culte 
pendant  vingt-six  ans.  Il  assura,  en  plus,  à  Sherbrooke  et  à  Sorel 
l'avantage  d'avoir  des  couvents  des  Sœurs  de  la  Congrégation 
de  Notre-Dame.  Entre  temps,  il  fondait  un  peu  partout  des 
paroisses  et  des  missions  en  grand  nombre.  Enfin,  il  établit, 
à  la  prière  de  M.  Raymond,  croyons-nous,  et  pour  répondre  à 
l'appel  de  Pie  IX  qui  l'avait  recommandée  au  monde  entier,  en 
1850,  à  son  retour  de  l'exil  de  Gaëte,  la  dévotion  au  Précieux 
Sang  dans  tout  son  diocèse,  et  il  se  disposait,  semble-t-il,  à  fonder 
l'institut  de  ce  nom,  quand  il  mourut,  encore  jeune,  à  56  ans,  le 
5  mai  1860,  des  suites,  a-t-on  dit,  du  mal  dont  le  terrible  typhus 
avait  laissé  dans  sa  constitution  les  germes  douloureusement 
actifs. 

Mgr  Bourget  a  eu,  lui  aussi,  son  mot  à  dire  dans  l'affaire  de  la 
vocation  d'Aurélie  Caouette  et,  par  conséquent,  dans  l'œuvre 
du  Précieux-Sang.  Nous  nous  reprocherions  de  ne  pas  rappeler 
ici,  au  moins  brièvement,  ce  qu'a  été  cet  admirable  évêque,  à  qui 


44 


MERE   CATHERINE-AUBËLIE 


Mgr  Prince,  Mgr  LaRocque,  Mgr  Raymond,  Saint-Hyacinthe 
et  son  séminaire  doivent  tant.  Cela  nous  est  relativement  facile. 
Ne  pouvant  écrire  en  quelques  lignes  une  Vie  complète  de  Mgr 
Bourget,  nous  nous  contenterons  de  reproduire  en  partie  ce  que 
nous  avions  l'honneur  de  dire  naguère,  dans  V Histoire  des  Sœurs 
de  Sainte-Anne,  publiée  en  juillet  1922.  Notons  toutefois  aupa- 
ravant que  nous  avons  conscience,  en  parlant  de  Mgr  Bourget 
après  avoir  parlé  des  prélats  dont  il  a  été  jusqu'ici  question,  d'in- 
tervertir en  un  sens  l'ordre  qu'il  conviendrait  de  suivre.  Devant 
l'histoire,  le  grand  évêque  de  Montréal  doit  passer  avajit  ceux  qui 
furent  d'abord  ses  auxiliaires  et  dont  il  resta  toujours  le  modèle 
et  comme  le  père  en  Dieu.  Mais  nous  traitons  dans  ces  pages  de 
l'œuvre  du  Précieux-Sang  et  de  sa  fondatrice.  Or,  ce  n'est,  en  fait, 
qu'incidemment,  quoique  très  fructueusement,  que  Mgr  Bourget 
eut  à  s'en  occuper.  Cela,  croyons-nous,  suffit  à  tout  expliquer. 

Ignace  Bourget  était  né  à  Lévis,  en  face  de  Québec,  le  30  octobre 
1799.  Il  avait  fait  ses  études  classiques  au  séminaire  de  la  bonne 
ville  de  Champlain,  où  il  passa  également  deux  ans  comme 
ecclésiastique,  étudiant  et  enseignant  en  même  temps,  selon 
l'usage  de  l'époque.  On  le  retrouve  ensuite  au  séminaire  de  Nicolet, 
où  il  reçoit  le  sous-diaconat,  le  21  mai  1821.  Nommé  bientôt,  par 
Mgr  Plessis,  secrétaire  de  Mgr  Lartigue,  l'évêque  de  Telmesse 
coadjuteur  de  Québec  en  résidence  à  Montréal,  il  reçut  le  diaconat 
le  23  novembre  1821,  et  la  prêtrise,  le  30  novembre  1822,  à  l'Hôtel- 
Dieu  de  cette  dernière  ville.  En  1836,  au  moment  où  Mgr  Lartigue 
devenait  le  premier  évêque  de  Montréal,  M.  Bourget  était  fait 
vicaire  général.  L'année  suivante,  le  10  mars  1837,  le  pape  Grégoire 
XVI  le  nommait  coadjuteur  de  Montréal,  avec  le  titre  d'évêque 
de  Telmesse,  qu'avait  porté  Mgr  Lartigue.  Il  fut  sacré  le  25  juillet 
de  la  même  année.  Enfin,  le  19  avril  1840,  à  la  mort  de  Mgr 
Lartigue,  il  lui  succédait  sur  le  siège  de  Montréal.  Il  avait  juste 
40  ans.  Pendant  trente-six  ans,  de  1840  à  1876,  Mgr  Bourget 


PRINCIPAUX   COLLABORATEURS  45 

administra  son  diocèse,  au  milieu  de  bien  des  conflits,  avec  une 
prudence  remarquable  et  une  vue  sûrement  prodigieuse  des  inté- 
rêts religieux  et  nationaux  des  fils  de  sa  race  dans  l'avenir.  Dé- 
missionnaire le  11  mai  1876,  et  nommé  archevêque  de  Martiana- 
polis,  il  vécut  encore  neuf  ans,  à  la  maison  de  retraite  de  Saint- 
Janvier  au  Sault-au-Récollet,  et  y  mourut,  plein  de  jours  et  de 
mérites,  à  86  ans,  le  5  juin  1885. 

Nous  ne  saurions  songer  à  entrer  ici  dans  tous  les  détails  de 
cette  longue  et  belle  vie  d'évêque  qui  devra  s'écrire  un  jour.  Mais  il 
convient,  pensons-nous,  au  sujet  que  nous  traitons  de  faire 
remarquer  que  l'un  de  ses  plus  puissants  moyens  d'action  fut  de 
s'assurer,  pour  les  œuvres  d'éducation  et  de  charité,  le  concours 
de  nombreuses  communautés  religieuses  d'hommes  et  de  femmes, 
qu'il  fit  venir  de  France,  ou  qu'il  créa  du  propre  sang  des  nôtres. 
Oblats,  Jésuites,  Pères  de  Sainte-Croix,  Clercs  de  Saint- Viateur 
et  Frères  des  Écoles  chrétiennes,  Sœurs  du  Sacré-Cœur,  de  la 
Providence,  des  Saints  Noms  de  Jésus  et  de  Marie,  du  Bon-Pas- 
teur, de  Sainte-Croix,  de  Miséricorde  et  de  Sainte-Anne,  voilà 
autant  d'instituts  ou  d'institutions  qui,  à  Montréal,  lui  durent  la 
vie  entre  1840  et  1850.  Sur  le  moment,  les  sages  selon  le  mon- 
de, et  quelques  autres,  ont  pu  croire  que  tant  de  fondations, 
en  dix  ans,  aux  côtés  des  importantes  maisons  de  Saint-Sulpice, 
de  l'Hôtel-Dieu,  de  la  Congrégation  et  des  Sœurs  Grises,  qui  exis- 
taient déjà,  c'était  vraiment  du  luxe,  et  que  le  zélé  prélat  se  mon- 
trait bien  hardi,  voire  même  téméraire.  "  Qu'on  se  détrompe, 
écrivions-nous  naguère(l  1),  il  convient  de  le  proclamer  aujourd'hui, 
maintenant  que  les  faits  ont  parlé  et  que  l'hiatoire  est  en  train  de 
s'écrire,  Mgr  Bourget,  qui  fut  si  grand  par  sa  piété  et  par  son 
action,  le  fut  peut-être  encore  plus  par  sa^prévision  des  vrais  inté- 
rêts de  l'avenir.  Ces  communautés  qu'il  a  fait  venir  de  France 
ou  qu'il  a  fondées,  sans  nuire  à  celles  qui|existaient  déjà,  bien 

(11)  Hùioire  dtt  Saurs  d$  Sainte-Anne,  p.  5. 


46  MÊBE   CATHEBINE-AURÉLIE 

mieux»  en  les  aidant  pour  l'œuvre  commune,  ont  fait  de  Montréal 
la  pépinière  où,  pour  toutes  les  œuvres  d'assistance  et  d'édu- 
cation du  continent  nord-américain,  on  vient,  depuis  soixante- 
quinze  ans,  chercher  des  plants  vigoureux  et  féconds.  Auprès 
de  nos  curés  et  de  nos  missionnaires,  ce  sont  nos  modestes  et 
dévouées  petites  Sœurs  canadiennes,  quels  que  soient  d'ailleurs 
leurs  noms,  qui  ont  jeté,  depuis  le  règne  du  grand  évêque,  et  qui 
jettent  encore,  de  l'Atlantique  au  Pacifique,  et  des  régions  arcti- 
ques au  golfe  du  Mexique,  partout,  en  bonne  terre,  aux  quatre 
vents  du  ciel,  la  fière  semence  de  la  foi  au  Christ  par  le  verbe 
de  France  !  " 

C'est  auprès  de  cet  illustre  évêque  que,  à  l'heure  où  elle  cherchait 
sa  voie,  la  jeune  Aurélie  Caouette,  sur  les  conseils  de  Mgr  Prince 
et  de  Mgr  Raymond,  viendrait  demander  des  lumières,  et  c'est 
lui  qui,  cette  fois  encore,  comme  il  l'a  fait  pour  tant  d'autres 
durant  sa  longue  et  féconde  carrière  épisopale,  prononcerait, 
ainsi  que  nous  le  verrons,  la  parole  définitive  qui  trancherait 
tous  les  doutes. 

En  même  temps  que  Mgr  Bourget,  un  vénérable  prêtre  de 
Saint-Sulpice,  M.  Nercam,  de  l'église  de  Notre-Dame  de  Mont- 
réal, devait  aussi  avoir  à  s'occuper  de  l'importante  affaire  de  la 
vocation  de  la  future  fondatrice.  L'on  sait  que  les  Sulpiciens 
partagent  avec  M.  de  Maisonneuve  l'honneur  d'avoir  été  les 
fondateurs  de  Montréal  —  qu'ils  appelaient,  eux,  Ville-Marie  — 
et  qu'ils  en  sont  restés,  depuis  maintenant  bientôt  trois  cents  ans, 
les  constants  bienfaiteurs.  Pendant  longtemps,  la  compagnie  s'est 
surtout  recrutée  en  France  et  l'on  est  en  droit  d'affirmer  que,  par 
Saint-Sulpice,  la  France  a  donné  à  Montréal,  de  M.  de  Queylué 
et  de  M.  Paillon  à  M.  Colin  et  à  M.  Lecoq,  des  prêtres  de  haute 
valeur.  D'ailleurs,  le  prêtre  français,  on  le  proclame  volontiers  à 
Rome  même,  et  on  le  reconnaît  partout,  est  le  premier  mission- 


PRINCIPAUX   COLLABORATEURS  47 

naire  du  monde.  A  Montréal,  aux  œuvres  de  la  formation  du 
clergé  et  du  ministère  paroissial  lesSulpiciens  ont  toujours  joint 
la  direction  spirituelle  des  communautés.  La  présence  d'un 
évêque  en  résidence  dans  la  ville  depuis  1821  et  la  création  du 
diocèse  en  1836  avaient  peut-être,  en  un  sens,  restreint  quelque 
peu  la  sphère  d'action  qui  leur  était  jadis  assignée  sous  la  juri- 
diction de  l'évêque  de  Québec,  dont  leur  supérieur  avait  accoutumé 
d'être  le  grand-vicaire  pour  la  région  de  Montréal.  Mais  ils  conti- 
nuaient, notamment  à  l'Hôtel-Dieu,  à  la  Congrégation  et  chez  les 
Sœurs  Grises,  qui  relevaient  d'eux  depuis  tant  d'années,  d'être  de» 
aviseurs  spirituels  estimés  et  écoutés.  Né  à  Barsac,  dans  la 
Gitonde,  en  France,  le  29  avril  1814,  et  ordonné  prêtre  au  grand 
séminaire  de  Bordeaux,  où  il  avait  étudié,  le  29  décembre  1840,  M. 
André  Nercam,  entré  à  Saint-Sulpice  la  même  année,  avait,  pen- 
dant quelque  temps,  enseigné  la  théologie  à  Paris  et  à  Viviers. 
En  1846,  il  avait  été  désigné  pour  Montréal,  où  il  arriva  le  21 
novembre,  jour  de  la  fête  de  la  Présentation  de  Marie.  Il  fut 
d'abord  professeur  de  philosophie,  puis  directeur,  au  collège  de 
Montréal,  de  1846  à  1854.  Il  passa  ensuite  au  saint  ministère  à 
Notre-Dame  —  l'unique  paroisse  de  toute  la  ville  jusqu'en  1866 — 
et  s'occupa  spécialement,  en  vaquant  aux  autres  fonctions  pasto- 
rales, de  la  direction  des  communautés,  le  reste  de  sa  vie.  Il  devait 
mourir,  à  75  ans,  le  22  janvier  1890.  Prêtre  remarquablement  ins- 
truit et  de  solide  vertu,  M.  Nercam  jouissait  à  bon  droit  d'une 
haute  réputation  comme  directeur  de  conscience.  Il  prêcha,  pour 
le  clergé  et  dans  les  communautés,  nombre  de  retraites.  "  Dans 
toutes  les  maisons  religieuses  qu'il  a  dirigées,  écrivait  à  sa  mort 
le  supérieur  du  temps  à  Paris  (M.  Icard),  on  conserve  le  meilleur 
souvenir  de  la  sainteté  de  sa  direction,  de  son  zèle  attentif  à  tous 
les  besoins  des  âmes  et  de  l'esprit  paternel  avec  lequel  il  les 
suivait  aussi  longtemps  et  aussi  loin  qu'il  était  possible  et  utile." 
De  son  côté,  la  Semaine  religieuse  de  Montréal,  dans  «a  livraison 


48 


MERE   CATHERINE- AURELIE 


du  25  janvier  1890,  disait  :  "  M.  Nercam  laisse  le  souvenir  d'un 
théologien  distingué,  d'un  prédicateur  rempli  d'onction,  d'un 
directeur  éclairé,  et,  par-dessus  tout,  d'un  saint  prêtre." 

Les  instituts  religieux  ont  besoin,  tout  comme  les  simples 
individus,  de  pourvoir  aux  exigences  de  leur  vie  matérielle. 
Parmi  plusieurs  autres  bienfaiteurs  du  Précieux-Sang  de  Saint- 
Hyacinthe,  un  prêtre  au  cœur  généreux,  M.  le  curé  Edouard 
Lecours,  a  contribué,  avec  un  zèle  tout  particulier,  à  son  établis- 
sement et  à  sa  prospérité  dans  l'ordre  temporel.  Nous  n'hésitons 
pas,  bien  que  cela  puisse  paraître  osé  à  certains  égards,  à  rappro- 
cher son  nom  de  ceux  des  fondateurs  eux-mêmes,  en  donnant 
ici  une  rapide  esquisse  de  sa  vie  et  de  sa  carrière.  H  a  été  le  pour- 
voyeur et  comme  le  père  nourricier  de  l'institut  à  ses  débuts.  A  ce 
titre  d'économe  prudent,  avisé  et  fidèle,  n'est-il  pas  un  peu  de  la 
famille,  tout  comme  saint  Joseph  l'était  de  la  sainte  famille 
de  Nazareth  ? 

M.  Edouard  Lecours  était  né  le  31  juillet  1808,  d'une  honnête 
famille  de  laboureurs,  à  Saint-Antoine-sur-Richelieu,  le  pays  des 
Cartier,  des  Perrault  et  des  Gravel.  Après  ses  études  aux  séminaires 
de  Saint-Hyacinthe  et  de  Montréal,  il  avait  été  ordonné  prêtre, 
par  Mgr  Lartigue,  le  25  octobre  1835.  Destiné  par  ses  supérieurs 
au  ministère  pastoral,  il  fut  nommé  vicaire,  successivement,  à 
Berthier  (1835-1836),  à  Saint-Denis  (1836-1837)  et  à  Boucherville 
(1837-1840).  Devenu  curé,  il  occupa,  successivement  encore,  les 
cures  de  Lachenaie  (1840-1842),  des  Cèdres  (1842-1843),  de  Lon- 
gue-Pointe (1843-1845), de  Châteauguay  (1845-1847),  del'Ile-du- 
Pas  (1847-1848),  et  enfin  de  Saint-Aimé,  où  il  passa  treize  ans 
(1848-1861).  ^C'est  là  que  nous  le  trouverons  lors  de  ses  pre- 
mières largesses  à  l'institut  naissant  du  Précieux-Sang.  L'une 
des  trois  compagnes  de  fondation  d'Aurélie  Caouette,  sa  cousine 
Euphrasie  Caouette,  en  religion  Sœur  Euphrasie-de-Saint-Joseph, 


PRINCIPAUX    COLLABOKATEUR8  49 

était  précisément  institutrice  à  Saint-Aimé,  quand  elle  rejoignit 
la  fondatrice  à  Saint-Hyacinthe  en  1861.  C'est  par  elle,  vraisem- 
blablement, que  le  curé  Lecours  connut  l'œuvre  à  laquelle  il 
devait  apporter  un  concours  si  puissant  et  si  efficace.  Lui-même 
d'ailleurs,  en  1861,  il  était  appelé,  par  Mgr  Joseph  LaRocque,  à  la 
cure  de  Notre-Dame,  à  Saint-Hyacinthe,  où  il  passa  douze  ans 
(1861-1873).  C'est  alors  surtout  qu'il  se  dévoua  pour  l'œuvre  du 
Précieux-Sang.  En  1873,  Mgr  Charles  LaRocque  ayant  décidé  de 
confier  la  cure  de  Notre-Dame  aux  Pères  Dominicains,  qui  lui 
arrivaient  de  France,  nomma  M,  Lecours  à  celle  de  Sainte- 
Rosalie.  M.  Lecours  ne  fut  là  que  deux  ans  (1873-1875).  Il  se 
retira  ensuite  du  saint  ministère  et  prit  sa  retraite,  d'abord  à 
Belœil  (1875-1876),  puis  à  Saint-Hyacinthe,  au  Précieux-Sang 
(1876-1877).  En  1877,  il  acceptait  de  nouveau  la  charge  pastorale 
et  allait  prendre  la  cure  de  Saint-Théodore-d'Acton,  qu'il  garda 
cinq  ans  (1877-1882).  Enfin,  en  1882,  il  se  retirait  définitivement 
à  Saint-Hyacinthe,  encore  au  Précieux-Sang,  où  il  mourut  le 
22  juin  1888. 

M.  le  curé  Lecours  était  un  prêtre  humble  et  modeste,  actif  et 
entreprenant,  tenace  surtout  et  énergique  dans  ses  entreprises. 
Nous  le  verrons  bientôt  à  l'œuvre  au  Précieux-Sang,  et  nous 
serons  édifiés.  Qu'il  nous  suffise,  pour  l'instant,  de  dire  que  son  zèle 
ne  connut  jamais  d'autres  limites  que  celles  de  l'obéissance  à 
ses  supérieurs.  On  vient  de  constater  qu'il  changea  souvent  de 
poste.  Comme  question  de  fait,  ses  évêques  n'avaient  qu'à  dire 
un  mot,  il  était  toujours  prêt.  Comme  le  bon  serviteur  de  l'Evan- 
gile, quand  on  lui  disait  "  Viens  ",  il  venait  ;  "  Va  ",  il  allait. 
Par  exemple,  quitter  Saint-Hyacinthe,  en  1873,  pour  faire  place 
aux  Dominicains,  c'était  sûrement  un  dur  sacrifice.  Il  n'hésita 
pas  une  minute.  Il  fut  pour  le  Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe, 
dès  la  naissance  de  l'œuvre,  une  vraie  Providence.  Mais  il  le  fut 
en  tout  respect  pour  les   autorités   constituées.    Le   Livre    d'or 


50 


MERE   CATHERINE-AURELIE 


raconte  comment,  aJors  qu'il  était  encore  curé  de  Saint-Aimé, 
s'étant  senti  inspiré  de  contribuer  à  l'établissement  qu'on  proje- 
tait, il  s'en  vint  un  jour  spontanément  offrir,  dans  ce  but,  sa 
personne  et  ses  revenus  à  Mgr  LaRocque.  Celui-ci,  voulant  sans 
doute  le  soumettre  à  une  épreuve,  le  reçut  plutôt  froidement. 
"  Votre  personne  ne  vous  appartient  pas,  lui  dit-il,  elle  est  à 
l'Église  ;  quant  à  votre  bourse,  je  l'accepterai,  si  le  projet  réussit." 
M.  Lecours  ne  répliqua  rien  et  s'en  retourna  comme  il  était  venu. 
Mais  il  n'en  persévéra  pas  moins  dans  ses  généreuses  dispositions. 
Nous  aurons  occasion  de  constater  que  Mgr  LaRocque  fut  heu- 
reux, l'heure  venue,  de  les  utiliser,  et  jusqu'où  et  comment  elles 
furent  avantageuses  à  l'institut  naissant.  Toute  la  carrière  du 
curé  Lecours  se  résume  d'un  mot  :  il  fut  bienfaisant.  Au  reste, 
c'est  un  fait  avéré  que  cet  excellent  prêtre,  qui  s'intitulait  volon- 
tiers "  un  homme  de  briques  et  de  mortier  ",  parce  qu'il  s'occupait 
surtout  à  bâtir  des  édifices  matériels,  était  pourtant,  de  l'aveu 
de  tous,  un  véritable  saint. 

Même  quand  il  fut  parti  de  Saint-Hyacinthe  en  1873,  M. 
Lecours  ne  se  désintéressa  pas  sans  doute  de  l'œuvre  du  Précieux- 
Sang.  Il  revint  d'ailleurs  au  monastère,  d'abord  en  1876,  puis 
définitivement  en  1882,  pour  y  mourir  en  1888.  On  nous  a  fait 
la  confiance,  au  moment  où  nous  écrivions  cette  vie  de  la  fonda- 
trice du  Précieux-Sang,  de  nous  communiquer  quelques  bonnes 
feuilles  d'un  livre  en  préparation,  l'Histoire  de  Saint- Aiméy  où 
l'auteur,  M.  l'abbé  Saint-Pierre,  ancien  curé  de  cette  paroisse 
et  l'un  des  successeurs  de  M.  Lecours,  fait  de  lui  un  juste  éloge. 
On  voit  dans  la  chapelle  du  monastère  du  Précieux-Sang,  écrit-il 
en  substance  en  terminant  sa  notice,  un  tableau  du  peintre 
Rousseau,  où  apparaissent  les  pierres  tombales  des  deux  co- 
fondateurs.  En  lettres  bien  visibles,  on  y  lit  ces  deux  inscriptions  ; 
Mgr  Joseph  LaRocque,  fondateur  —  18  novembre  1887  et  Mgr 
J.-S.  Raymond,  co-fondateur  —  3  juillet  1887.  On  a  appendu,  au- 


PBINCIPATJX   COLLADOBATEUH8  51 

dessous  de  ces  pierres  tombales,  la  petite  croix  de  plomb  qui  a 
reposé,  à  la  mort  de  M.  Lecours  en  1888,  sur  son  cerceuil.  Elle 
porte,  elle  aussi,  son  inscription,  mais  en  lettres  beaucoup  moins 
visibles  que  les  deux  autres.  En  s'approchant  tout  près,  on  y  lit 
ce  qui  suit  :  A  la  mémoire  bénie  du  révérend  Edouard  Lecours .  .  . 
Il  fut  un  prêtre  selon  le  cœur  de  Dieu,  un  zélateur  de  la  dévotion  au 
Précieux  Sang,  un  ami  et  bienfaiteur  des  institutions  religieuses, 
un  vrai  père  des  âmes .  .  .  Qu'il  repose  en  paix  I  A  l'évocation  de  ce 
souvenir  touchant,  M.  l'abbé  Saint-Pierre  ajoute  ce  commentaire  : 
"  Toute  sa  vie,  M.  Lecours  a  été  un  humble.  Il  était  petit  et  se 
tenait  dans  l'ombre.  Il  se  taisait,  parlant  plus  à  Dieu  qu'aux 
hommes.  Très  humble  aussi  est  sa  place  sur  le  monument  dont 
nous  parlons.  Mais  il  est  bien  à  sa  place  à  la  base  du  tableau  ! 
M.  Lecours,  en  effet,  a  fourni  la  base  de  ce  bel  édifice  qu'est  le 
monastère  du  Précieux-Sang,  où  il  se  fait  tant  de  prières  et  d'expi- 
ations." L'idée  fut  magnifique  de  joindre  ainsi  dans  la  mort  M. 
Lecours  aux  deux  co-fondateurs.  Le  commentaire  de  M.  l'abbé 
Saint-Pierre  n'est  pas  moins  juste. 

Mgr  LaRocque  et  Mgr  Raymond,  Mgr  Prince,  Mgr  Bourget 
et  M.  Nercam,  puis,  dans  l'ordre  temporel,  M.  le  curé  Lecours, 
voilà  donc  quels  furent  les  hommes  de  sa  droite  que  le  Seigneur 
se  choisit  pour  assurer  la  fondation  de  l'œuvre  d'Aurélie  Caouette 
à  Saint-Hyacinthe.  La  pieuse  fondatrice  leur  voua,  dès  ces  pre- 
miers temps,  et  leur  garda  toujours,  la  plus  respectueuse  et  la  plus 
reconnaissante  des  affections.  Son  ardent  amour  pour  le  Précieux 
Sang  la  portait  d'ailleurs  tout  naturellement  à  vénérer  les  prêtres 
de  Dieu,  ces  lieutenants  du  Christ  — locumtenens  Christi  — ,  com- 
me dit  Saint  Paul,  qui  consacrent  tous  les  jours  le  sang  divin  sur 
la  table  de  nos  autels.  Elle  en  parle  souvent,  dans  ses  notes,  avec 
une  large  effusion.  Nous  ne  saurions  mieux,  nous  semble-t-il, 
clore  ce  chapitre,  où  nous  venons  de  rappeler  la  vie  et  la  carrière 


52  MÈHE   CATHERINE- AURÉLIE 

des  ministres  du  Seigneur  qui  lui  furent  les  plus  dévoués  et  les  plus 
chers,  qu'en  citant,  comme  exemples  de  ses  pieux  sentiments 
envers  le  sacerdoce,  quelques  courts  extraits  de  ces  notes,  pour 
nous  si  précieuses. 

Au  cours  du  mois  de  septembre  de  l'année  1854,  M.  Raymond 
prêchait  la  retraite  du  clergé  de  Saint-Hyacinthe.  Aurélie  n'avait 
alors  que  21  ans  et  elle  vivait  encore  dans  le  monde, 
chez  son  père.  Mais  elle  correspondait  déjà  avec  M.  Raymond 
depuis  sa  sortie  du  couvent.  Elle  lui  écrivait  :  "  Le  prêtre  !  Oh  ! 
que  sa  vocation  est  sublime,  que  sa  dignité  est  éminente  !  Lui 
qui  chaque  jour  se  plonge  dans  le  sang  de  l'Agneau,  qu'il  doit 
être  pur,  qu'il  doit  être  saint  ! .  .  .  Mon  Père,  plus  je  considère  le 
prêtre,  plus  je  sens  mon  esprit  ému  en  moi-même .  .  .  Oui,  je  bénis 
Dieu  des  grâces  dont  il  rend  son  prêtre  dépositaire  ;  mais,  en 
même  temps,  je  frémis  en  songeant  au  compte  qu'il  aura  à  rendre... 
Le  prêtre  a  trop  fait  pour  moi  pour  que  je  l'oublie  !  Par  lui,  j'ai 
reçu  trop  de  grâces  !  Par  son  ministère,  j'ai  éprouvé  trop  de  vives 
joies  et  de  douces  félicités  !  " 

Quatorze  ans  plus  tard,  devenue  fondatrice  et  religieuse  depuis 
sept  ans,  à  la  veille  du  jour  de  l'an  1868,  elle  présentait  ainsi  ses 
bons  souhaits  à  Mgr  Joseph  LaRocque  :  "  Monseigneur  et  très 
doux  Père,  — Quand  les  bienfaits  reçus  sont  de  tous  les  jours  et  de 
tous  les  instants;  quand,  surtout,  ils  sont  accordés  avec  ce  dé- 
sintéressement et  cette  charité  qui  en  doublent  le  prix  et  le  mé- 
rite, je  sens  qu'il  ne  faut  rien  moins  qu'une  reconnaissance  sans 
bornes  pour  les  reconnaître  dignement." 

Et  nous  pourrions  aisément  multiplier  presque  à  l'infini 
ces  témoignages.  Tels  furent  constamment  les  sentiments  d' Aurélie 
pour  les  ministres  du  sanctuaire.  Toujours,  elle  voulut  les  entourer 
de  respect  et  de  vénération,  de  gratitude  et  de  reconnaissance, 
d'affection  vraie  et  d'amour  pur  et  saint. 


CHAPITRE  III 


Âurêlie  Caouette  dans  le  inonde,  de  sa  sortie  du  couvent  à  la  fonda- 
tion de  l'Institut  (1850-1861) 

SouMAiBE. —  Le  journal  d'Aurélie. —  Le  monde  lui  fait  peur. —  Son  règlement 
de  vie. —  L'action  de  son  directeur. —  Vie  régulière  et  pieuse. —  L'attrait 
du  divin. —  Ce  que  Itii  inspire  la  belle  nature. —  En  face  des  épreuves. —  Le 
charme  du  cœur  à  cœur  avec  Jésus. —  Ses  relations  avec  le  monde. —  Elle 
craint  d'avoir  offensé  Dieu. —  Ses  souffrances  physiques  et  morales. —  Elle 
se  demande  ce  qu'elle  doit  faire. —  Mgr  Prince  et  M.  l'abbé  Raymond 
s'occupent  d'elle. —  Séparation  d'avec  le  monde. —  Devoirs  de  société  et 
soin  des  pauvres. —  Pèlerinage  à  Bonsecours  de  Montréal. —  Une  apparition, 
qu'en  faut-il  penser  ?  —  Dévotion  d'Aurélie  à  saint  Dominique. —  Elle 
ajoute  à  son  nom  d'Aurélie  celui  de  Catherine. —  Témoignage  que  lui  rend, 
quatorze  ans  plus  tard,  le  Père  Chocarne. —  Elle  fait  vœu  d'obéissance. — 
Ses  "  unions  "  avec  Jésus,  explication  qu'elle  en  donne. —  Bruits  étranges  au 
sujet  de  Catherine-Aurélie:  on  la  discute. —  Elle  cherche  toujours  sa  voca- 
tion.—  Retraite  à  la  Congrégation  de  Notre-Dame  à  Montréal. —  M.  Nercam, 
prêtre  de  Saint-Sulpice. —  Parole  définitive  de  Mgr  Bourget. —  Lettre  de 
Mgr  Bourget  à  Mgr  Prince. —  Perplexités  de  Catherine-Aurélie. —  Mgr 
Prince  décide  la  fondation,  mais  il  meurt  aussitôt. —  "  Le  temps  de  tailler 
îa  vigne  "  allait  cependant  venir. —  Mgr  Joseph  LaRocque  enlèverait  tous 
les  obstacles. 


JURÉLIE  Caouette  avait  17  ans,  quand,  en  juillet  1850, 
elle  quitta  le  couvent  de  la  Congrégation  et  rentra 
définitivement  au  foyer  paternel.  Nous  avons  vu,  au 
chapitre  premier,  qu'elle  aurait  bien  voulu,  comme  sa 
chère  Célina,  s'en  aller  tout  de  suite  au  ciel.  Heureu- 
sement, la  Providence  en  décida  autrement.  Depuis  plus 
d'un  an,  elle  tenait  un  journal,  et,  d'après  un  manuscrit 
de  Mgr  Raymond,  on  possède  des  notes  extraites  de  ce  journal, 
que  sur  son  ordre,  il  en  atteste  lui-même,  elle  lui  communiqua,  qui 
datent  d'octobre  et  de  novembre  1849.  Rien  de  plus  étonnant, 
chez  un  enfant  de  16  ou  17  ans,  que  la  maturité  d'esprit  et    la 


54         ■  MÈRE   CATHERINE-AURÉLIE 

sûreté  de  doctrine  que  ces  pieuses  communications  révèlent. 
Certes,  son  âme  est  sensible  à  l'extrême,  elle  s'enthousiasme  avec 
une  extraordinaire  vivacité  et  elle  redit  sans  cesse  les  mêmes 
ardentes  aspirations.  Mais  il  semble  qu'elle  ne  se  répète  pas,  tant 
ses  expressions  jaillissent  de  source,  naturelles  et  vivantes.  Le 
meilleur  volume  à  lui  consacrer  serait  sûrement  celui  qui  publierait 
tout  simplement  ses  notes  intimes  et  ses  lettres  à  son  directeur. 
En  tout  cas,  la  lecture  de  ces  précieux  manuscrits  est  v^raiment 
impressionnante,  et  nous  ne  saurions  mieux  faire,  pour  écrire  ce 
chapitre  de  sa  vie,  qui  va  de  1850  à  1861,  que  de  les  suivre  pas  à 
pas,  pour  ainsi  dire,  on  leur  empruntant  quelques-uns  des  pieux 
épanchements  d'Aurélie,  =oit  à  elle-même,  soit  à  son  directeur. 

D'abord  le  monde  lui  fait  peur.  "  Me  voilà  donc  au  milieu  du 
monde,  ô  Jésus,  mon  bien-aimé  !  ",  écrit-elle  au  sortir  même  du 
pensionnat.  "  Me  voilà  au  milieu  d'un  monde  que  vous  haïssez, 
ô  mon  Dieu.  Vous  y  aimerai-je  toujours  ?  Oh  !  quel  serrement  de 
cœur  !  Quelle  tristesse  s'empare  de  mon  âme  !  Pieux  asile,  saints 
autels,  que  j'ai  coulé  d'heureux  jours  à  votre  ombre  !  Que  mon 
cœur  a  goûté  de  délices  !  Que  j'ai  éprouvé  de  saintes  émotions  ! 
Autel  sacré,  table  sainte,  banquet  divin,  douce  communion, 
heureuses  larmes,  sublimes  enchantements,  plaisirs  purs,  joies 
sereines,  oh  !  que  je  vous  regrette  !  A  ces  lieux  saints,  ô  mon  cœur, 
tu  seras  toujours  attaché  !  Pieuse  retraite,  ton  souvenir  seul,  dans 
les  peines  de  la  vie,  saura  me  consoler  !  Serai-je  une  victime  de  la 
vanité  ?  Mon  cœur  sera-t-il  flétri  par  le  vice  ?  "  Et  ces  lignes, 
qu'on  le  remarque  bien,  sont  du  mois  d'août  1850,  alors  qu'Aurélie 
n'avait  que  17  ans.  Il  nous  semble,  en  vérité,  qu'elles  sont  très 
significatives.  Son  cœur,  se  demande-t-elle,  sera-t-il  jamais  flétri 
par  le  vice  ?  Voilà  la  grave  question.,  dont  les  responsabilités  l'épou- 
vantent. Quels  sentiments  admirables,  dans  une  âme  de  jeune 
fille,  à  cet  âge  où  tant  d'autres,  heureuses  d'une  liberté  enfin 


DANS  LE  MONDS  55 

conquise,  après  laquelle  elles  soupiraient  depuis  de  longues  années, 
ne  pensent  qu'au  monde  et  à  ses  sottes  et  mesquines  vanités  ! 

Douée  d'une  sensibilité  et  d'une  imagination  très  vives,  notre 
Aurélie  a  donc  compris  que  le  monde,  avec  ses  tentations  et  ses 
séductions,  est  toujours  plein  de  dangers  et  qu'il  est  par  trop  facile 
de  s'y  laisser  prendre.  Elle  repasse  dans  son  esprit  les  joies  si  pures 
de  sa  vie  de  pensionnat,  elle  se  remémore  les  consolations  qu'elle 
a  trouvées  dans  la  chapelle  de  son  couvent,  les  bénédictions 
célestes  qu'elle  y  a  reçues.  Il  ne  faut  pas,  jamais,  que  cela  soit 
perdu  par  sa  faute.  En  s'étudiant  elle-même,  elle  constate  qu'elle 
est  jeune,  vive  et  gaie,  qu'elle  est  affectueuse  et  aimante.  Or,  on 
lui  a  appris  qu'aimer  et  se  voir  aimé,  quand  on  est  jeune  et  qu'on 
a  le  cœur  tendre,  est  sans  doute  un  besoin  profond  de  la  nature, 
mais  que  cela  constitue  un  vrai  péril  parce  qu'on  peut  rapidement, 
et  presque  inconsciemment  parfois,  se  laisser  entraîner  à  ce  qui 
ne  convient  pas.  Il  lui  faut  donc  parer  à  ce  danger,  se  prémunir 
contre  ses  attraits.  Voilà  pourquoi,  dès  sa  sortie  de  la  Congré- 
gation, elle  se  compose  un  règlement  de  vie  qui  assurera,  elle 
l'espère  de  la  grâce  de  Dieu,  sa  persévérance  dans  le  chemin  de  la 
vérité  et  de  la  vertu. 

Ce  règlement,  il  sera  simple  et  tout  à  la  fois  assez  sévère.  Tout 
y  sera  prévu  :  ses  devoirs  envers  Dieu,  ses  devoirs  envers  sa 
famille  et  les  gens  du  dehors,  ses  devoirs  envers  elle-même.  Il  y 
aura  place,  dans  le  dispositif  de  cette  règle,  pour  la  prière  et  le 
travail,  et  aussi  pour  le  repos  et  le  délassement.  Elle  s'impose 
un  lever  matinal,  une  grande  modestie  dans  la  tenue  et  le  vête- 
ment, des  heures  de  silence,  des  petites  privations.  "  Je  prendrai 
mes  repas,  dit-elle,  en  ne  manquant  pas  de  me  mortifier,  en 
prenant  ce  qui  me  plaît  le  moins  et  en  fermant  les  yeux  sur  ce  qui 
pourrait  trop  flatter  mon  goût.  Pour  cela  la  pensée  des  pauvres, 
obligés  de  se  priver,  m'aidera.  Je  garderai  le  silence  le  matin 
jusqu'à  11  heures,  mais  sans  désobliger  qui  que  ce  soit  et,  si  l'on 


56  MÈBE  CATHERINE- AURÉLIE 

m'adresse  la  parole,  je  répondrai  avec  douceur,  bienveillance 
et  modestie.  Je  m'attacherai  à  faire  l'ouvrage  qu'on  me  donnera 
avec  une  grande  patience  et  pour  l'amour  de  Dieu.  Je  m'appli- 
querai à  tout  faire  à  la  perfection,  en  me  disant:  "  C'est  Dieu  que 
je  sers,"  Tout  en  conservant  une  certaine  gaieté,  je  m'efforcerai 
de  ne  pas  perdre  de  vue  Dieu,  le  ciel,  l'amour  crucifié .  .  . .  "  C'est 
là  un  langage  au  fond  très  simple,  mais  qu'on  ne  saurait  trop 
admirer.  Est-ce  que,  en  vérité,  les  saints  et  les  saintes  des  âges 
de  foi  parlaient  autrement  ?  N'est-ce  pas,  le  plus  souvent,  eux 
aussi,  la  pensée  des  pauvres  et  des  souffrants,  après  et  avec  la 
pensée  de  Dieu,  qui  les  soutenait  dans  leur  vie  héroïque  ? 

Au  reste,  la  jeune  Aurélie,  se  défiant  de  son  inexpérience,  tint 
à  le  faire  approuver,  ce  règlement,  par  son  directeur.  Elle  savait, 
en  effet,  que  le  Seigneur  se  plaît  à  assister  les  humbles,  que  c'est 
l'obéissance,  qu'on  a  justement  dit  être  l'humilité  en  action,  qui 
procure  aux  âmes  la  victoire  sur  la  superbe  de  l'esprit  et  la  révolte 
des  sens.  Son  directeur,  nous  ne  l'ignorons  pas,  c'était  M.  Ray- 
mond. D'après  une  lettre  de  lui,  écrite  en  1869,  il  avait  commencé 
à  s'occuper  de  l'âme  d'Aurélie  exactement  le  27  septembre  1849. 
Homme  de  science  et  de  vertu,  prêtre  au  zèle  infatigable,  chargé,  au 
séminaire,  au  couvent  et  auprès  de  tous  ceux  et  de  toutes  celles 
qui  recouraient  à  ses  lumières,  de  lourdes  responsabilités,  il  se 
donnait,  il  se  dévouait  et  se  dépensait  sans  compter.  Sa  direction 
s'alimentait  aux  deux  dévotions  chères  au  cœur  du  bon  prêtre  : 
l'Eucharistie  et  la  sainte  Vierge.  Il  distingua  très  vite  Aurélie, 
et  il  l'aima  en  Dieu  et  pour  Dieu.  Il  la  conseilla,  la  soutint  et 
l'encouragea.  Il  la  corrigea  aussi,  la  reprit  quelquefois  et  la 
réprimanda.  L'incident  du  drame  de  sainte  Catherine  d'Alexan- 
drie, que  nous  avons  relaté,  lui  revenait  souvent  à  la  mémoire. 
11  avait  vu  dans  l'exaltation  de  la  jeune  fille,  alors  qu'elle  personni- 
fiait avec  tant  d'émotion  la  vierge-martyre  amoureuse  du  sang 
divin,  la  marque  d'un  état  d'âme  particulier.  Plus  d'une  fois. 


DANS  LE  MONDE 


67 


par  la  suite,  il  avait  été  frappé  de  l'amour  si  vif  que  manifestait 
sa  pénitente  envers  Jésus  souffrant  sur  le  calvaire  et  sur  l'autel, 
comme  aussi  du  désir  intense  qu'elle  exprimait  fréquemment  de 
souffrir  pour  le  divin  maître  et  en  union  avec  lui.  Il  s'efforça,  en 
conséquence,  de  lui  donner,  si  l'on  peut  dire  ainsi,  une  direction 
eucharistique,  en  l'entretenant  de  l'amour  que  Notre-Seigneur 
nous  montre,  en  effet,  dans  l'Eucharistie  comme  sur  la  croix,  et, 
en  particulier,  dans  son  Précieux  Sang,  qui  en  reste  pour  nous, 
depuis  le  sacrifice  du  calvaire,  le  plus  constant  et  le  plus  touchant 
témoignage. 

D'autre  part,  Aurélie  s'attacha  à  son  directeur.  Appréciant  la 
générosité  de  son  bon  cœur  et  la  sagesse  de  ses  avis,  elle  lui  voua 
la  plus  sainte  des  affections.  "  Mon  Dieu,  écrira-t-elle  un  jour, 
je  te  bénis  de  m'avoir  donné  un  père  qui,  sans  cesse,  veut  bien 
guider  mes  pas  chancelants  vers  la  source  du  vrai  bonheur,  et  qui, 
toujours,  veut  tenir  mon  cœur  élevé  vers  toi .  .  .  Mon  Dieu,  bénis 
mon  père,  ton  ministre  !  Donne-lui  l'amour  brûlant  du  séraphin, 
la  pureté  de  l'ange.  Rends-lui  le  bien  qu'il  me  fait .  .  .  Fais  qu'il 
t'aime  toujours.  Répands  des  charmes  sur  sa  vie ...  Je  te  bénis, 
ô  mon  Dieu,  de  me  l'avoir  donné  pour  ami .  .  ,  '" 

On  pense  bien  que,  soutenue  par  un  aussi  sage  directeur  et  ani- 
mée d'aussi  beaux  sentiments,  la  jeune  Aurélie  mena  dans  le 
siècle  une  vie  des  plus  régulières  et  des  plus  sanctifiantes.  Debout 
dès  5  heures  du  matin,  elle  s'en  allait  à  l'église,  distante  environ 
d'un  demi-mille  de  la  maison  paternelle.  Elle  y  faisait  sa  prière 
et  sa  méditation,  entendait  pieusement  la  messe,  recevait  la  sainte 
communion  aussi  souvent  qu'elle  y  était  autorisée  par  son  direc- 
teur, —  les  décrets  de  Pie  X  n'avaient  pas  alors  rendu  aussi  facile 
que  de  nos  jours  l'accès  à  la  table  sainte,  —  prolongeait  son  action 
de  grâces  et  restait  en  adoration  jusque  vers  les  9  heures.  Revenue 
chez  ses  parents,  elle  vaquait  aux  différents  soins  du  ménage,  se 
refusant  à  ce  qu'on  engageât  une  étrangère  et  voulant  être  elle- 


58  MÈBE  CATHERINE- AUBÉLIE 

même  la  servante  de  la  famille.  Ces  diverses  occupations  la  rete- 
naient jusque  vers  les  4  heures  de  l'après-midi.  Elle  reprenait 
alors,  le  plus  souvent,  le  chemin  de  l'église,  où  elle  passait  encore 
de  longues  heures  dans  la  contemplation.  Les  jours  où,  pour  une 
raison  ou  pour  une  autre,  il  lui  était  impossible  de  sortir,  soit  le 
matin,  soit  le  soir,  elle  se  retirait  à  sa  chambre,  après  en  avoir 
obtenu  la  permission  de  sa  mère,  et,  dans  le  silence  et  le  recueille- 
ment, elle  se  livrait  à  ses  chers  exercices  de  dévotion.  Suivant  le 
programme  qu'elle  s'était  tracé,  elle  trouvait,  chaque  jour,  le 
moyen  de  se  mortifier  discrètement,  gardait  le  silence  aux  heures 
du  matin,  se  contentant  de  répondre  avec  douceur  quand  on  lui 
parlait,  se  privait  aux  repas  de  ce  qui  aurait  pu  flatter  en  elle  la 
sensualité,  faisant  souvent,  comme  elle  disait,  la  part  des  pauvres, 
pour  lesquels  elle  eut  toujours  une  grande  compassion.  Au  témoi- 
gnage de  l'unique  sœur  qui  lui  a  survécu  —  sa  chère  Victorine  — 
Aurélie,  jeune  fille,  était  l'aide  et  l'amie,  parfois  la  conseillère,  de 
sa  mère,  qu'elle  affectionnait  tendrement  ;  le  repos  et  l'agrément 
de  son  père,  qu'elle  délassait,  après  ses  heures  de  rude  labeur,  par 
l'enjouement  et  le  charme  de  ses  conversations  ;  les  délices  et  la 
consolation  de  ses  frères  et  sœurs,  dont  elle  s'efforçait  de  satisfaire 
les  moindres  désirs  et  qu'elle  ne  cessa  jamais  d'édifier.  En  un  mot, 
Aurélie,  à  la  maison,  était,  si  l'on  peut  dire,  le  permanent  rayon 
de  soleil  qui  illuminait  le  cercle  de  sa  famille  par  son  humeur 
toujours  égale  et  aimable  et  par  cet  esprit  de  conciliation,  doux 
et  énergique  tout  ensemble,  qui  semble  entrer  dans  les  vues  de 
chacun  et  ne  s'impose  à  personne.  De  même,  pour  ses  amies  du 
dehors  qui  la  visitaient,  elle  se  montrait  toujours  avenante  et 
aimable,  ne  leur  laissant  rien  voir  de  ses  mortifications  et  de  ses 
peines,  se  donnant  toute  à  toutes  et  faisant  en  sorte  qu'on  retrou- 
vât constamment  en  elle  la  gaie  compagne  d'autrefois  à  l'école 
ou  au  couvent. 


DANS  LE  MONDB  60 

Le  secret  de  cette  maîtrise  de  soi  et  de  cette  action  sympa- 
thique sur  son  entourage  est  facile  à  pénétrer  et  à  comprendre. 
L'attrait  du  divin  avait  envahi  l'âme  d'Aurélie,  l'avait  élevée, 
transformée,  grandie.  Rien,  sans  doute,  en  elle,  n'était  détruit 
de  ce  qui  est  ici-bas  aflPection  ou  amitié  légitime,  mais  tout  était 
surnaturalisé.  C'est  en  Dieu  et  pour  Dieu  qu'elle  s'efforçait 
d'aimer,  et  c'est  pourquoi  ses  affections  étaient  si  pures  et  si  pro- 
fondes. De  quels  soins  touchants,  de  quelles  prévenances  délicates 
n'entourait-elle  pas  ainsi  ses  parents  et  ses  amies  !  Cette  tendresse, 
elle  retendait  encore  à  tous  ceux  que  la  Providence  mettait  sur  le 
chemin  de  sa  vie,  tâchant  de  rendre  service  et  d'être  agréable 
à  tous  et  à  toutes.  Bien  plus,  elle  aimait  les  défunts  d'affection 
tendre,  évoquait  souvent  le  souvenir  de  ses  chers  disparus,  priait 
pour  leurs  âmes,  s'imaginait  les  voir  au  ciel.  "  Aujourd'hui,  écrit- 
elle  un  soir  de  Toussaint,  l'Église  présente  à  notre  vénération  tous 
les  habitants  des  cieux,  afin  qu'il  n'y  en  ait  aucun  à  qui  nous  ne 
rendions  un  culte  religieux.  Là,  au  ciel,  j'ai  des  amis  qui  en  ce  jour 
prient  pour  moi,  surtout  ma  chère  Célina,  elle  qui,  pendant  qu'elle 
était  sur  la  terre,  me  permettait  tant  d'affection.  Oh  !  ma  chère 
petite  sœur,  tu  pries  pour  moi,  j'espère,  afin  que  je  jouisse  un  jour 
du  même  bonheur  que  toi.  Je  te  vois,  là-haut  !  Tu  es  au  milieu 
des  chœurs  de  la  cour  céleste,  ton  front  est  ceint  d'une  couronne 
de  lis  immortels.  Oh  !  Célina,  viens  allumer  dans  mon  cœur  la 
divine  flamme  qui  consume  le  tien  !  " 

Tout  d'ailleurs  lui  était  prétexte  à  se  tourner  vers  le  Seigneur. 
L'on  sait  que,  sur  les  rives  gracieuses  de  l'Yamaska,  la  nature  est 
riche  et  pittoresque,  pleine  de  charmes  et  de  beauté.  Combien 
souvent  l'âme  poétique  de  l'ardente  Aurélie  s'en  est  émue  ! 
Combien  souvent  elle  s'est  extasiée  devant  ces  spectacles  de  la 
pure  nature  !  Il  lui  fallait  le  grand  air  des  sommets,  a-t-on  écrit 
élégamment.  En  effet,  dans  les  étroits  sentiers  où,  occupé  à  mille  fu- 
tilités, le  monde  se  traîne,  elle  se  sentait  mal  à  l'aise  et  elle  étouffait. 


60  MÊBE  CATHERINE-AURÉLIE 

tandis  que,  loin  de  l'agitation  et  du  bruit,  son  être  se  dilatait  et 
elle  vivait  pleinement,  parce  que  là  se  trouvait  l'atmosphère 
qui  lui  convenait  et  qu'elle  y  rencontrait,  plus  proche,  son  Dieu 
adoré.  Témoin,  cette  page  d'une  délicatesse  charmante,  que  signe- 
rait sûrement  avec  orgueil  plus  d'un  lettré  consacré  par  les 
académies  :  "  Qu'il  est  beau,  qu'il  est  sublime  de  goûter  le  specta- 
cle d'une  belle  nuit  !  Ce  ciel  pur  que  n'obscurcit  aucun  nuage,  ces 
brillantes  étoiles  qui  ornent  la  voûte  azurée,  la  lune,  cette  reine 
des  nuits  qui  répand  partout  sa  douce  clarté,  ce  calme,  cette  paix 
qui  règne  en  tous  lieux  inspirent  une  agréable  mélancolie.  Grand 
Dieu,  que  ce  silence  attendrit  mon  âme  !  Comme  il  la  remplit  de 
sentiments  religieux!  Qu'il  est  ravissant  de  te  contempler,  6 
magnifique  voûte  céleste  ! .  .  .  Anges  de  la  sainte  Sion,  esprits  purs 
qui  vivez  de  l'amour  du  Bien-Aimé  et  qui  brûlez  sans  cesse  des 
feux  divins,  intelligences  qui  toujours  chantez  les  louanges  du 
Tout-Puissant,  suspendez  un  instant  vos  harmonieux  accords  ! .  .  . 
]Mon  Dieu,  au  haut  de  ton  trône  auguste,  reçois  les  hommages 
d'une  pauvre  mortelle  !  Je  t'adore  et  te  bénis  de  m'avoir  fait 
naître  dans  le  sein  de  ta  sainte  et  sublime  religion.  Je  te  bénis 
d'avoir  éloigné  de  mon  cœur  l'amour  corrompu  du  siècle.  Je  te 
bénis  de  m'avoir  fait  jouir  du  bonheur  de  t'aimer.  Je  te  bénis  de 
m'avoir  donné  longtemps  les  joies  sereines  de  l'un  de  tes  asiles 
chéris.  Mille  et  mille  fois,  je  te  bénis  !  " 

Quand  les  contrariétés,  les  épreuves  et  la  souffrance  la  visitaient, 
et  certes,  il  est  bien  sûr  que  son  cœur  de  dix-sept  ans  si  vraiment 
tendre  fut  ainsi  souvent  torturé,  c'est  encore  vers  les  anges  ou  les 
saints  du  ciel  qu'elle  jetait  ses  yeux.  N'est-ce  pas,  en  effet,  auprès 
des  élus  de  Dieu,  auprès  de  ceux  en  particulier  qui  nous  ont  aimés 
et  que  nous  avons  perdus,  qu'instinctivement^ nous  allons  nous 
réfugier  quand  viennent  les  heures  sombres  ?  Qui  n'a  senti,  quelque- 
fois dans  sa  vie,  la  pacifiante  et  réconfortante  influence  de  ses 
chers  morts  ?"  Oh  !  Célina,  s'exclamait  Aurélie,  quand  irai-je  te 


DANS  LE  MONDE  61 

rejoindre  au  ciel  ?  Peux-tu  me  laisser  plus  longtemps  sur  cette 
terre  d'exil,  moi  qui  ai  toujours  de  la  peine  ?  Ah  !  viens,  je  t'en 
prie,  viens  me  consoler  ?  Une  parole,  ô  Célina  !  " 

Au-dessus  des  splendeurs  de  la  nature,  des  consolations  de  l'ami- 
tié et  de  l'affection  des  proches,  comme  aussi  des  mystérieuses  et 
réconfortantes  évocations  de  ceux  qui  ne  sont  plus,  il  y  a,  pour 
l'âme  croyante,  en  cette  vie  même,  planant  tout  autour  de  nous, 
comme  pour  exercer  sur  nous  une  emprise  providentielle  et  magni- 
fique, les  merveilles  de  la  grâce,  les  charmes  du  cœur  à  cœur  avec 
Notre-Seigneur,  les  indicibles  douceurs  de  la  communion  eucha- 
ristique. Mais  tous  les  chrétiens,  même  très  sincères  dans  leur  foi, 
ne  goûtent  pas  sensiblement  ces  choses  augustes.  C'est  le  lot  des 
privilégiés  de  Dieu  de  sentir,  par  exemple,  dans  la  sainte  commu- 
nion, que  vraiment  la  chair  de  Jésus  se  fond  dans  notre  chair, 
que  son  sapg  se  mêle  à  notre  sang,  que  son  âme  descend  dans  notre 
âme,  que  sa  divinité  nous  pénètre.  Aurélie  était  de  ces  privilégiés, 
et  elle  l'était  admirablement.  Son  grand  bonheur  était  de  vivre 
aux  pieds  du  tabernacle,  mieux  encore,  d'être  elle-même  le  taber- 
nacle vivant  de  son  Jésus.  "  Quand  je  pense,  écrit-elle  en  août 
1850,  que  demain  j'aurai  le  bonheur  de  communier  encore,  je  sens 
s'allumer  dans  mon  cœur  je  ne  sais  quel  amour.  Oh  !  demain, 
demain,  je  recevrai  Jésus  !  Ah  !  Bien-Aimé,  c'est  trop  de  félicité 
pour  une  faible  mortelle  !  Vous  allez  venir  dans  l'âme  de  votre 
Aurélie  !  Douceur  incomparable,  vous  daignez  vous  unir  à  moi  ! 
Comment  pourrai-je  reconnaître  tant  d'amour  ? .  .  .  "  Et,  sur  la 
page  suivante  du  journal  qui  reçoit  ses  confidences,  elle  ajoute  : 
**  Quelles  actions  de  grâces,  quelles  bénédictions,  quel  brûlant 
amour  pour  le  don  qui  m'est  fait  dans  l'Eucharistie  ! .  .  .  Prodige 
admirable,  l'être  infini  veut  bien  devenir  la  nourriture  d'une 
chétive  mortelle  !.  .  .  Eucharistie,  tu  fais  de  moi,  faible  enfant, 
le  sanctuaire  d'un  Dieu  !  Que  n'ai-je  un  cœur  incendié  d'amour  !... 
La  créature  n'est  pas  digne,  ô  Jésus,  de  te  posséder  ! .  .  .    Je  te 


62  HÈBE  CATHEBINB-AUBiliIB 

jure  solennellement,  la  main  sur  cette  croix,  que,  tant  que  je 
vivrai,  ma  consolation  et  mon  bonheur  seront  de  te  recevoir, 
ô  Jésus ..." 

A  ce  moment,  cependant,  Aurélie  ne  s'était  pas  interdit  de 
fréquenter  quelquefois  le  monde,  si  l'on  peut  ainsi  dénommer  le 
cercle  des  relations  de  sa  parenté  avec  d'excellentes  familles  du 
voisinage.  Elle  était  jeune  et  de  compagnie  agréable.  Naturelle- 
ment, on  la  recherchait.  Et  puis  était-ce  un  si  grand  mal  de  s'accor- 
der quelques  plaisirs  honnêtes  ?  Un  soir  d'automne,  elle  revenait 
tard,  avec  ses  amies  et  leurs  frères,  de  l'une  de  ces  réunions  mondai- 
nes. On  passait  près  du  cimetière  où  dormait  Célina.  Soudain, 
dans  le  silence  de  la  nuit,  que  troublait  seul  le  bruit  des  eaux  de 
l'Yamaska  se  précipitant  de  cascade  en  cascade,  des  pas  se  firent 
entendre  et,  tout  de  suite,  dans  les  demi-ténèbres,  une  ombre 
surgit.  C'était  M.  Raymond,  qui  revenait  de  prier  sur  les  tombes. 
Un  instant,  au  passage,  il  regarda  Aurélie  et  elle  put  le  voir.  Ce 
regard  la  pénétra  profondément.  Rentrée  chez  elle,  elle  se  demanda, 
anxieuse,  si  elle  n'avait  pas  offensé  le  bon  Dieu.  "  Oh  !  mon  âme, 
se  dit-elle,  tu  as  péché  !  Gémis  sur  tes  infidélités  !  Oh  !  péché  hi- 
deux, tu  me  fais  frémir  !  Tu  n'entreras  plus  dans  mon  cœur  ! .  .  . 
Pourquoi,  ô  mon  Dieu,  vous  ai-je  offensé  ?  Je  veux  fuir  désormais 
avec  horreur  ce  monde  que  vous  avez  maudit  et  qui  vous  a  rejeté." 
Il  y  a  bien  là  une  pointe  d'exagération,  nous  semble-t-il.  Le  monde 
que  fréquentait  la  famille  Caouette  n'était  pas  tellement  pervers 
qu'il  fallût  l'anathématiser  ainsi.  Mais  les  âmes  délicates  ont 
de  ces  scrupules,  qui  restent  pour  d'autres  une  fière  leçon.  Bientôt 
après,  Aurélie  fit  une  retraite,  sans  doute  au  couvent  de  la  Congré- 
gation. En  méditant  sur  les  mystères  de  la  passion  du  Sauveur, 
elle  se  reprocha  ce  qu'elle  appelait,  toujours  dans  cette  note  un 
peu  sévère  que  nous  venons  de  souligner,  "  son  orgueil,  son  atta- 
chement à  la  terre,  son  ingratitude  pour  tant  de  grâces  reçues,'* 
se  proposant,  pour  mieux  expier,  de  souffrir  encore  davantage 


DANS  LE  MONDE  63 

•i  Dieu  le  permettait.  "  Mon  Dieu,  écrivait-elle,  faites  que  je  ne 
sois  pas  un  seul  jour  sans  souffrir.  .  .  Oui,  je  veux  la  douleur  pour 
témoigner  de  mon  amour  ! .  .  .  Ou  souffrir,  ou  mourir  ! .  .  .  Souffrir, 
souffrir  beaucoup,  et  puis  mourir  !  "  Quel  langage  incompré- 
hensible aux  profanes  que  celui  des  grandes  âmes  ! 

Aurélie,  en  tout  cas,  devait  être  largement  exaucée.  Un  mot 
résume  sa  vie,  mot  qui,  comme  une  longue  traînée  de  sang,  marque 
chacune  des  étapes  de  son  existence  terrestre,  et  c'est  le  mot 
souffrance.  Elle  a  souffert,  en  effet,  dans  son  corps  d'abord.  De 
santé  frêle  et  délicate,  elle  était,  dès  le  temps  dont  nous  parlons, 
pour  la  douleur  physique,  une  proie  facile.  Les  pires  tourments  ne 
lui  furent  pas  épargnés.  Des  maux  d'estomac  cruels  et  tenaces 
l'empêchaient  souvent  de  prendre  la  moindre  nourriture,  ce  qui 
rendait  extrême  son  état  de  faiblesse.  A  la  suite  de  l'un  de  ces 
accès,  elle  fut  dix  longs  mois  clouée  sur  son  lit.  Plus  d'une  fois^ 
on  la  pensa  aux  portes  du  tombeau  !  Mais  si  les  souffrances  du 
corps  sont  dures,  combien  plus  terribles  sont  les  peines  du  cœur. 
Or  il  est  affirmé  par  de  nombreux  témoins  qu'Aurélie  eut  beaucoup 
à  souffrir,  à  l'époque  dont  il  est  ici  question,  de  la  part  des  hommes 
qui  la  suspectaient.  Elle  fut  critiquée  par  les  uns,  rudoyée  par 
les  autres,  traitée  de  folle  et  de  visionnaire  par  ceux-là  même  chez 
qui  elle  aurait  dû  trouver  un  appui.  On  la  surveillait  à  tout  instant, 
on  examinait  jusqu'à  ses  moindres  démarches.  Tout  chez  elle 
était  discuté,  passé  au  crible  de  la  plus  mesquine  jalousie  :  ses 
habits,  sa  démarche,  son  attitude,  ses  visites  à  l'église,  ses  prières, 
ses  communions.  Et  la  pauvre  petite,  qui  aurait  voulu  vivre  ignorée 
du  monde,  ne  pouvait  que  répandre  devant  Dieu  des  larmes  brû- 
lantes. "  Oh  !  que  les  hommes  jugent  sévèrement,  disait-elle. 
Donnez-moi,  ô  mon  Dieu,  le  courage  et  la  force.  Si  je  suis  coupable 
comme  on  le  dit,  faites-le  moi  comprendre."  Toutes  ces  souffrances 
d'ailleurs,  tourments  du  corps  ou  peines  du  cœur,  elle  les  acceptait 
avec  magnanimité,  pardonnant  d'une  âme  généreuse  à  ceux  qui 


64  IfiBE  CATHEBINE-AXTBÉLIS 

en  étaient  la  cause.  "  Comme  une  victime,  disait-elle,  je  suis 
prête  à  être  immolée.  Au  pied  de  la  croix,  mon  cœur  attend  ! 
Frappez-moi,  ô  Jésus,  vous  me  satisferez  ! .  .  .  Qu'elle  est  douce  la 
douleur  !  Je  la  savoure .  .  .  Souffrir  encore  pour  vous,  ô  Jésus,  je 
le  veux .  .  .  Vous  le  voulez  aussi,  n'est-ce  pas  ? .  .  .  Vous  avez  tant 
souffert  pour  moi,  il  faut  bien  que  je  souffre  aussi  pour  vous .  .  . 
Oh  !  je  vous  en  supplie.  Dieu  du  calvaire,  donnez-moi  la  grâce 
de  souffrir  avec  patience  !  C'est  toute  ma  consolation  dans  mon 
exil .  .  .  ôtez-moi  tout  ce  que  vous  voudrez,  mais  laissez-moi  la 
croix  !  "  Et,  qu'on  ne  le  perde  pas  de  vue,  c'est  une  jeune  fille  de 
dix-huit  ans  qui  parle  ainsi  !  Vraiment,  pour  certaines  âmes  de 
choix,  les  appels  de  Dieu  sont  parfois  bien  étranges,  et,  s'ils  sont 
pour  elles  irrésistibles,  ils  restent  pour  nous  bien  mystérieux. 

Cette  altérée  d'amour  et  de  souffrances  avait  évidemment 
surtout  soif  de  Dieu.  Si  Notre-Seigneur  la  voulait  toute  à  lui, 
elle  aussi  désirait  l'approcher  et  le  posséder  le  mieux  possible. 
Mais,  se  demande  ici  opportunément  le  Livre  d'or,  comment  Jésus 
et  son  aimante  amie  étancheraient-ils  cette  soif  mutuelle  ?  Dans 
quelle  solitude  Aurélie  irait-elle  s'enfermer  pour  pouvoir  plus 
sûrement,  du  fond  de  son  âme,  verser  à  boire  au  divin  ami,  comme 
une  autre  Samaritaine,  et,  en  même  temps,  se  désaltérer  elle- 
même  à  la  source  d'eau  vive  qui  jaillit  de  son  divin  et  sacré  cœur  ? 
En  d'autres  termes,  quelle  était  sa  vocation,  que  devait-elle  faire  ? 
La  question,  on  s'en  souvient,  ne  devait  recevoir  sa  réponse  définiti- 
ve que  beaucoup  plus  tard.  En  attendant,  et  pour  plusieurs 
années  encore,  Aurélie  continuerait,  à  la  maison  paternelle,  le 
genre  de  vie  dont  nous  venons  d'esquisser  les  grandes  lignes. 

En  1852,  Mgr  Prince,  coadjuteur  de  Montréal  depuis  1845, 
devenait,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  au  chapitre  précédent,  le 
premier  évêque  du  diocèse  de  Saint-Hyacinthe  qui  se  créait.  Il 
fut  bientôt  mis  complètement  au  courant  —  il  l'était  déjà  en 
partie  —  des  choses  pour  le  moins  assez  extraordinaires  qui  con- 


DANS  LB  MONDE 


65 


cernaient  la  pénitente  de  son  ami  M.  Raymond,  dont  il  avait 
fait  son  grand-vicaire  en  prenant  possession  de  son  siège.  Les  deux 
hommes  de  Dieu,  tout  naturellement,  se  concertèrent  au  sujet  de 
l'avenir  de  la  jeune  Aurélie  Caouette.  "  Ils  étaient  bien  convaincus 
tous  les  deux,  lisons-nous  dans  le  Livre  d'or,  que  Notre-Seigneur 
appelait  cette  âme  d'élite  vers  les  sommets  et  que  seul  l'état  reli- 
gieux répondait  à  ses  aspirations.  Mais,  quand  Mgr  Prince  propo- 
sait à  la  jeune  fille  l'une  ou  l'autre  des  ferventes  communautés 
de  notre  pays,  elle  répondait  :  "  Si  vous  le  voulez,  j'irai,  Monsei- 
gneur, mais  sans  attrait  pour  les  œuvres  qu'on  y  pratique."  Et 
quand,  dans  l'intimité  de  leurs  pieux  rapports,  M.  le  grand-vicaire 
Raymond,  insistant,  lui  disait  :  "  N'aimeriez-vous  pas,  Aurélie, 
à  vous  consacrer  à  l'instruction  des  jeunes  filles,  de  la  formation 
de  qui  dépend  en  partie  l'avenir  du  pays  ?  "  elle  répondait  : 
"  Oui,  mon  Père,  j'aime  la  jeunesse  et  je  serais  heureuse  de  lui 
être  utile,  mais  je  n'ai  de  l'attrait  que  pour  Jésus  crucifié  et  pour 
les  âmes  qu'il  a  rachetées  au  prix  de  son  sang."  Une  autre  fois, 
alors  que  la  pénitente  faisait  connaître  à  son  directeur  les  misères 
de  tout  genre  qu'on  recommandait  à  ses  prières,  M.  Raymond 
lui  disait  encore  :  "  Vous  aimez  Jésus  crucifié,  Aurélie  ;  n'aimeriez- 
vous  pas  à  consacrer  votre  vie  à  soulager  ses  membres  souffrants  ? 
Touchée  au  vif,  elle  répondit  en  pleurant  :  "  Je  serais  heureuse, 
mon  Père,  d'être  appelée  à  secourir  tous  les  genres  de  souffrances, 
mais  mon  attrait  spécial  est  de  oindre  les  plaies  de  Jésus  avec  le 
baume  de  l'amour  et  de  recueillir  le  sang  qui  en  découle  pour  le 
répandre  sur  les  âmes,  car  Jésus  a  encore  soif  non  de  recevoir  niai^ 
de  donner."  Et  toujours  c'était  des  réponses  analogues,  indices 
d'une  vocation  bien  spéciale. 

A  quelque  temps  de  là,  pour  rompre  davantage  avec  le  monde, 
elle  résolut,  du  consentement  de  son  directeur,  de  s'abstenir  de 
plus  en  plus  d'en  fréquenter  la  société  et  aussi,  comme  elle  disait, 
d'en  dépouiller  les  livrées.  "  Je  n'entrerai  dans  les  affaires  des 


66  MÈRE  CATHERINB-AURÉLIE 

autres,  écrit-elle,  qu'avec  le  plus  grand  ménagement  et  seulement 
quand  la  charité  m'en  fera  une  obligation.  .  .  Si  je  constate  que 
quelqu'un  a  commis  une  faute  et  que  je  ne  sois  pas  capable  de  le 
reprendre,  je  me  bornerai  au  zèle  silencieux,  j'irai  pleurer  devant 
mon  crucifix,  j'implorerai  le  médecin  céleste  de  porter  remède  au 
blessé."  Elle  se  priva  en  conséquence  de  toute  réunion  mondaine 
et  voulut  adopter  des  vêtements  plus  simples  que  ceux  qu'elle 
portait  j\isque-là.  Sa  mère  s'y  opposa  d'abord,  craignant  qu'elle 
se  singularisât  outre  mesure  ;  mais  elle  céda  bientôt  aux  pressantes 
sollicitations  d'Aurélie.  Celle-ci  remplaça  alors  ses  toilettes  aux 
fraîches  couleurs  par  un  costume  rigoureusement  noir,  un  man- 
teau et  un  chapeau  convenables,  mais  des  plus  modestes,  comme 
n'en  portaient  guère  les  jeunes  filles  de  sa  condition.  Et  on  la  vit, 
désormais,  passer  ainsi  par  les  rues,  en  se  rendant  à  l'église  par 
exemple,  les  yeux  baissés,  dans  une  mise  des  moins  compliquées 
et  toute  unie.  Ce  changement  excita  la  curiosité  maligne  des 
cancannières  du  village  —  il  y  en  a  toujours  un  peu  partout  — 
qui  ne  se  privèrent  pas  de  la  ridiculiser  et  de  se  moquer  d'elle. 
Aurélie  n'en  avait  cure.  "  Qu'on  me  laisse  donc  tranquille," 
disait-elle,  ou  encore  "  Plaisirs  du  monde,  beautés  fragiles  de  la 
terre,  vous  n'êtes  rien  à  mes  yeux  et  je  vous  méprise." 

Cependant,  si  elle  fuyait  ainsi  le  monde  et  se  détachait  de  sa 
société,  après  en  avoir  dépouillé  les  livrées,  elle  ne  manquait 
à  aucun  devoir  de  convenance,  faisait  les  visites  nécessaires  et 
recevait  avec  douceur  et  amabilité  celles  qu'on  lui  rendait.  Surtout, 
elle  recevait  et  voyait  les  pauvres  et  les  souffrants  avec  un  joyeux 
empressement.  Par  exemple,  on  a  raconté  ce  fait.  Un  jour  qu'elle 
se  trouvait  seule  à  la  maison,  sa  mère  étant  sortie  et  son  père 
travaillant  à  deux  pas  dans  sa  boutique  de  forge,  un  pauvre 
mendiant,  vieillard  de  quatre-vingts  ans,  se  présente  à  la  porte, 
le  corps  à  demi  nu  et  couvert  de  plaies.  Aurélie  l'accueille  avec 
bonté,  le  fait  entrer  et  s'approcher  du  feu,  lui  offre  de  laver  ses 


DANS  LE  MONDK  67 

plaies,  et,  comme  il  paraît  très  fatigué,  après  lui  avoir  donné  à 
manger,  elle  lui  prépare  un  bon  lit  et  l'invite  à  s'y  reposer,  en  atten- 
dant qu'elle  demande  peu  après,  parce  que  le  temps  est  mauvais  au 
dehors,  et  obtienne  de  son  père  que  le  pauvre  vieux  passe  la  nuit 
sous  le  toit  qu'elle  lui  rend  si  hospitalier. 

Au  mois  d'août  1853,  comme  Aurélie  était  très  souffrante  et  très 
faible,  sa  mère  la  pressa  de  faire  un  pèlerinage  au  sanctuaire  de 
Notre-Dame  de  Bonsecours  à  Montrai,  afin  d'obtenir  sa  guérison. 
Pour  leur  être  agréable,  à  elle  et  à  toute  sa  famille,  la  jeune  fille 
se  rendit  au  célèbre  et  vénéré  sanctuaire  et  elle  demanda  à  Jésus 
par  l'intercession  de  Marie  de  lui  redonner  la  santé.  Mais  sa 
prière,  dont  on  trouve  le  texte  dans  ses  notes  de  journal,  fut  condi- 
tionnelle. "  Seigneur,  supplia-t-elle,  si  je  dois  vivre  dans  l'inno- 
cence et  dans  l'amour,  si  je  dois  faire  du  bien  à  mes  semblables, 
si  toujours  vous  voulez  me  donner  une  petite  part  de  vos  souffran- 
ces, je  vous  prie,  par  Marie,  de  vous  rendre  au  désir  de  mes  pa- 
rents ...  Je  sacrifierai  pour  le  moment  le  bonheur  du  ciel." 
Disons  tout  de  suite  qu'elle  fut  au  moins  partiellement  exaucée. 
De  plus,  en  outre  de  cette  faveur  d'ordre  temporel,  elle  reçut  au 
cours  de  ce  pieux  voyage,  une  grâce  d'un  autre  ordre.  Voici  com- 
ment elle  le  raconte  à  son  directeur  :  "  Ce  fut  pendant  cette 
union  eucharistique  —  à  la  suite  de  sa  communion  à  Bonsecours  — 
que  Marie,  l'auguste  mère  de  Jésus,  daigna  me  parler.  Ce  serait 
entreprendre  quelque  chose  au-dessus  de  mes  forces  que  de  m'es- 
sayer  à  décrire  les  impressions,  les  sentiments  et  les  sensations 
que  l'on  éprouve  à  la  vue  de  Marie.  Je  demande  pardon  à  Dieu, 
et  à  vous,  mon  Père,  si  j'ose  dire  que  moi,  indigne  pécheresse, 
j'ai  vu  Marie.  Mon  imagination  y  a  sans  doute  contribué.  Dans 
tous  les  cas,  je  veux  être  obéissante.  Je  crus  donc  voir,  dans  un 
ravissement  qu'alors  je  regardai  comme  divin,  la  Vierge  bien- 
heureuse dans  la  gloire.  Elle  était  revêtue  d'un  vêtement  d'une 
blancheur  éblouissante  et  environnée  d'une  gloire  si  grande  que 


68 


MERE   CATHERINE-ATjRELIE 


je  n'en  saurais  donner  la  plus  petite  description.  Elle  paraissait  se 
tenir  debout  devant  son  fils  Jésus  et  semblait  prier  avec  une  ardeur 
si  vive,  un  si  touchant  intérêt,  que  je  goûtais  un  grand  bonheur 
à  la  voir  ainsi,  bonheur  que  pour  le  comprendre  il  faut  sentir, 
jouissance  qu'on  ne  saurait  imaginer  que  bien  faiblement.  Il  me 
fut  donné  de  la  contempler  ainsi  quelques  instants.  Après  quoi» 
j'ai  cru  entendre  très  distinctement  ces  paroles  :  "  Ma  fille,  sois 
sans  crainte.  Pourvu  que  tu  sois  simple  comme  la  colombe  et  que 
tu  t'appliques  avec  une  aveugle  obéissance  aux  ordres  de  ton 
guide  spirituel,  tu  verras  ta  demande  exaucée,  ta  pureté  intacte, 
ta  modestie  à  l'abri  de  toute  épreuve."  Elle  sembla  aussi  m'en- 
gager  à  la  communion  fréquente,  pour  dédommager  Jésus-Hostie 
de  l'oubli  d'un  grand  nombre  de  ses  enfants." 

Que  faut-il  penser  de  cette  apparition  ?  Etait-ce  pure  imagi- 
nation ou  bien  réalité  ?  Nous  n'en  savons  rien.  Mais  il  y  a  ceci  de 
tout  à  fait  remarquable.  Très  modestement,  la  pénitente  raconte 
à  son  directeur,  uniquement  pour  lui  obéir,  ce  qu'eUe  a  cru  voir, 
ce  qu'elle  a  cru  entendre.  Elle  en  demande  pardon  et  elle  met  le 
fait  au  compte  de  son  imagination  qui  a  dû,  dit-elle,  y  contribuer. 
Les  visionnaires,  nous  semble-t-il,  ont  accoutumé  d'affirmer  avec 
plus  de  jactance.  C'est  le  moins  que  nous  puissions  dire.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  est  certain  qu'Aurélie  revint  de  Bonsecours  plus 
déterminée  que  jamais  à  aimer  Jésus  et  à  souffrir  pour  lui.  C'est  le 
24  août  qu'elle  avait  fait  ce  pèlerinage.  Le  19  septembre,  dans  une 
lettre  à  M.  Raymond,  elle  écrit  :  *'  Le  sang  de  Jésus,  mon  époux 
bien-aimé,  occupe  sans  cesse  mon  esprit  et  mon  cœur.  Il  faut 
toujours  reporter  toutes  nos  affections  vers  le  Précieux  Sang." 
Puis,  sans  transition,  elle  ajoute  :  "  Je  n'aspire  qu'à  entrer  dans 
l'ordre  pénitent  (tiers-ordre)  de  saint  Dominique.  Mon  Dieu,  si 
cela  vous  est  agréable,  faites-le  connaître  à  mon  père  (M.  Ray- 
mond). Je  veux,  moi,  ce  qu'il  voudra.  Ma  volonté  est  dans  la  sienne. 


DANS  LE  MONDE  69' 

C'est  par  son  commandement,  ô  mon  Dieu,  que  je  veux  aller  à 
vous." 

C'est  la  première  fois  que  nous  trouvons,  sous  la  plume  d'Aurélie» 
une  allusion  à  l'ordre  de  saint  Dominique  ;  mais  il  nous  paraît 
probable  qu'il  en  était  question  entre  M.  Raymond  et  sa  dirigée 
depuis  les  premiers  moments  de  leurs  pieuses  relations.  Le  supé- 
rieur du  séminaire  de  Saint-Hyacinthe  était,  en  effet,  un  fervent 
admirateur  de  ce  grand  ordre.  Au  cours  de  son  voyage  en  Europe» 
en  1842,  il  avait  fait  un  long  détour  pour  rencontrer,  à  Nancy, 
le  célèbre  Père  Lacordaire.  Il  était  resté  en  correspondance  avec 
lui.  Il  l'admirait  et  il  admirait  son  ordre.  Il  avait  mêm.e  songé  un 
instant  à  se  faire  dominicain.  De  concert  avec  le  premier  évêque 
de  Saint-Hyacinthe,  il  avajt,  en  tout  cas,  puissamment  contribué 
à  jeter  la  semence  dominicaine  dans  le  sol  fécond  du  Canada. 
Quelques  années  après  son  retour  d'Europe,  il  revêtait  lui-même, 
des  mains  de  son  évêque,  l'habit  de  tertiaire,  et,  dès  lors,  sa  grande 
ambition  fut  de  recruter  des  membres  à  cette  sainte  milice  de  la 
pénitence.  Quoi  de  plus  naturel,  par  conséquent,  qu'il  voulût  y 
agréger,  dès  qu'il  la  connut,  sa  vertueuse  pénitente.  Aurélie  entra 
magnifiquement  dans  ses  vues.  Pendant  que  le  pieux  directeur  était 
en  pourparlers  avec  le  Père  Lacordaire  pour  se  munir  des  pouvoirs 
requis,  dans  l'été  de  1854,  la  jeune  dirigée,  au  jour  de  la  fête  de 
saint  Hyacinthe,  eut  une  nouvelle  vision,  dont,  à  cette  date  même, 
elle  rend  ainsi  compte  à  M.  Raymond  :  "  Moi,  Aurélie,  servante 
de  Jésus-Christ,  je  vous  écris  par  obéissance  dans  son  Précieux 
Sang.  Je  dis  donc,  abîmée  dans  le  sentiment  de  mon  indignité,  et  je 
crois  réellement,  que  j'ai  vu  ceci  :  une  croix,  extrêmement  grande, 
et  qui  me  paraissait  toute  en  feu,  m'est  apparue,  et,  à  cette  croix, 
était  suspendue  une  grande  couronne  formée  d'étoiles  d'une 
clarté  éblouissante,  sous  laquelle  semblait  s'incliner  avec  une 
humilité  touchante  et  un  profond  respect  saint  Dominique  lui- 
même  revêtu  des  livrées  de  son   ordre.   Il   paraissait  plein   de 


70  MÈRE   CATHERINE- AURÉLIE 

majesté.  Sans  annoncer  une  joie  extraordinaire,  sa  figure  cependant 
laissait  entrevoir  un  calme  divin,  un  contentement  céleste.  Des 
flots  de  lumière  l'entouraient  et  répandaient  une  merveilleuse 
clarté.  Tandis  que  je  contemplais  avec  un  charme  ravissant  cette 
apparition  si  douce  à  mon  cœur,  je  vis  saint  Dominique  élever 
noblement  sa  main  et  faire  le  signe  auguste  de  la  croix.  De  cette 
croix  s'échappaient  des  rayons.  A  l'instant,  la  vision  disparut. 
Et  moi,  je  m'anéantis,  je  rendis  grâce  au  Dieu  tout  bon,  tout 
miséricordieux,  me  trouvant  pleine  d'une  douce  espérance.  .  ." 
C'était,  avons-nous  dit,  en  la  fête  de  saint  Hyacinthe,  le  17 
août.  Deux  jours  plus  tard,  le  19,  M.  Raymond  recevait  la  lettre 
du  Père  Lacordaire  qui  lui  donnait  toutes  les  facultés  voulues 
pour  admettre  sa  pénitente  dans  le  tiers-ordre  dominicain,  et 
il  l'y  agrégea  effectivement  le  30  août,  jour  de  la  fête  de  sainte 
Rose  de  Lima,  en  lui  donnant  en  religion  le  nom  de  la  grande 
sainte  dominicaine,  apôtre  et  théologienne  du  Précieux  Sang, 
Catherine  de  Sienne,  Ce  nom  de  Catherine  était  déjà  cher  à  Auré- 
lia, elle  l'avait  plus  d'une  fois  préajouté  à  son  prénom.  Mais,  de 
ce  moment,  elle  ne  signa  plus  jamais  que  Catherine-Aurélie. 

Quatorze  ans  plus  tard,  en  1868,  l'historien  de  Lacordaire,  le 
Père  Chocarne,  passait  au  Canada  et  visitait  Saint-Hyacinthe, 
qu'il  dénomma  un  coin  de  terre  tout  dominicain,  bien  que  les 
Dominicains  n'y  fussent  pas  encore,  et  il  avait  l'occasion  de 
connaître  la  fondatrice  du  Précieux-Sang.  "  Je  ne  vous  raconterai 
pas,  écrivait-il  à  un  de  ses  correspondants,  ce  qui  m'a  été  dit  des 
vertus  de  cette  Mère  supérieure  et  des  grâces  extraordinaires  dont 
elle  est  favorisée,  d'abord  parce  qu'on  ne  saurait  entourer  cette 
sorte  de  dons  de  trop  de  discrétion,  surtout  du  vivant  des  per- 
sonnes, et  ensuite  parce  que  je  n'ai  nulle  envie  de  me  faire  un 
mauvais  parti  avec  cette  vraie  amie  du  bon  Dieu."  Nous  com- 
prenons parfaitement  ce  sentiment.  Nous  aussi,  nous  sentons  le 
besoin  de  ne  parler  de  ces  visions  et  de  ces  extases  de  notre  héroïne 


DAN3  LK  MONDE 


71 


qu'avec  une  extrême  réserve  et  en  nous  bornant  à  citer  ses  propres 
paroles,  laissant  à  de  plus  compétents  de  les  apprécier  et  de  les 
juger. 

Cependant,  la  grande  aflFairo  de  la  vocation  d'Aurélie  ne  se 
décidait  pas,  et  elle  continuait  de  vivre  dans  le  monde.  Mais  on 
peut  sans  crainte  affirmer  qu'elle  y  vivait  comme  si  elle  n'y  était 
pas,  n'ayant  plus  en  quelque  sorte  de  volonté  à  elle.  Le  15  août 
1855,  en  la  fête  de  l'Assomption  de  la  Vierge,  elle  raconte  qu'elle 
a  fait  vœu  d'obéissance  à  son  directeur  :  "  Pour  obéir  à  l'impulsion 
de  la  grâce,  pour  témoigner  à  mon  Dieu  un  amour  plus  ardent 
et  plus  pur,  pour  m'immoler  enfin  et  me  lier  plus  parfaitement  au 
divin  époux,  j'ai  fait  vœu,  le  jour  de  l'Assomption  de  Marie,  ma 
glorieuse  et  bonne  mère,  de  passer  mes  jours  dans  l'obéissance.  Le 
crucifix  sur  mon  cœur,  ayant  Jésus  et  Marie  pour  témoins,  voici 
ce  que  j'ai  fait.  Je  me  suis  dépouillée  de  toute  ma  volonté,  pour 
la  soumettre  en  toutes  choses,  grandes  et  petites,  faciles  et  diffi- 
ciles, temporelles  et  spirituelles ...  Je  me  suis  engagée  à  ne  jamais 
dire  ni  de  si  ni  de  mais  à  mon  confesseur,  mais  à  toujours  exécuter 
promptement  et  ponctuellement  ses  ordres,  ses  avis,  même  ses 
simples  conseils.  .  ."  Elle  obéissait  donc,  et  c'est  à  cette  obéis- 
sance précisément  que  nous  devons  tant  de  révélations  de  choses 
extraordinaires  qu'elle  aurait  voulu  garder  pour  elle  seule.  Nous 
manquerions  à  notre  devoir  d'historien  sincère  si  nous  n'en 
relations  pas  encore  quelques-unes,  dont  elle  fut  gratifiée  vers  ce 
temps,  et  qui  achèvent  de  nous  la  montrer  sous  son  vrai  jour  de 
privilégiée  de  la  grâce  divine.  Nous  prenons  un  peu  au  hasard 
parmi  ses  innombrables  communications  à  M.  Raymond. 

Le  1er  avril  1856,  elle  écrit  :  "  Je  fus  pendant  cette  communion 
favorisée  d'une  manière  bien  douce.  Il  me  semblait  que  c'était  le 
fruit  d'une  aveugle  obéissance.  Je  sentis  tout  le  poids  de  l'affliction 
que  causent  au  cœur  de  Jésus  mes  craintes  et  mes  défiances 
chimériques.  J'acquis  de  plus  l'assurance  que  je  glorifierais  plus 


72  MÊKE  CATHERINE- AUEÊLIB 

Dieu  par  mes  souffrances  que  par  n'importe  quelle  œuvre  de 
miséricorde.  .  .  Au  sortir  de  cette  union,  j'étais  si  éprise  d'amour 
que  j'étais  comme  hors  de  moi-même .  .  .  Étant  en  oraison,  je  fus 
élevée  au-dessus  de  moi-même  et  je  vis  Jésus  non  seulement  des 
yeux  de  l'âme  mais  aussi  des  yeux  du  corps.  .  ."  Le  18  mai  de  la 
même  année,  elle  parle  d'une  autre  manifestation  sensible  de  la 
grâce  dont  elle  avait  eu  l'impression  le  dimanche  précédent,  jour 
de  la  Pentecôte  :  "  Tout  ce  que  je  vous  ai  dit,  mon  Père,  de 
l'union  de  dimanche  s'est  passé  intérieurement.  Cependant,  soit 
imagination,  soit  réalité,  j'ai  ressenti  l'effet  du  feu  qui  consumait 
mon  âme.  Je  n'ai  rien  vu  ni  rien  entendu  de  particulier,  mais  j'ai 
bien  senti  et  bien  goûté.  Oh  !  grâce  que  je  ne  puis  définir  !  " 
L'année  suivante,  le  13  février,  elle  précise  en  quoi  consistent  ces 
unions  dont  elle  entretient  si  souvent  son  directeur  :  "  En  général, 
l'union  que  j'éprouve  avec  mon  Dieu  commence  par  un  ravissement 
soudain  de  mon  esprit.  Alors  mon  âme,  plongée  dans  la  contem- 
plation des  mystères  divins,  qu'elle  pénètre  par  la  lumière  de  sa 
foi  et  de  son  amour,  éprouve  une  effusion  si  forte  de  l'amour  divin 
qu'elle  se  voit  remplie  d'une  joie  inénarrable  et  qui  absorbe  toutes 
ses  facultés.  Elle  aime  et  ne  peut  exprimer  son  amour.  Elle  sent, 
elle  voit,  elle  entend  son  Dieu,  et  cependant  elle  est  muette  et 
inactive,  elle  n'a  ni  parole,  ni  mouvement.  Seulement,  je  dirai 
qu'elle  jouit  d'un  bonheur  qui  ne  peut  se  rendre.  Elle  participe  à  la 
félicité  des  cieux  !  Ce  que  Dieu  me  communique  dans  ces  visions 
si  intimes  est  inexprimable.  Il  relève  mon  intelligence  obscurcie, 
il  m'instruit  et  me  console  !  Lors  donc  que  je  suis  ainsi  élevée, 
unie,  absorbée  en  mon  Dieu,  que  mon  âme  semble  être  éclairée 
par  la  présence  de  l'être  incréé  et  transformée  en  lui,  il  n'est  plus 
en  mon  pouvoir  d'agir,  et,  par  un  effet  de  cette  absorption  de 
tout  mon  intérieur,  il  arrive  quelquefois  qu'à  l'extérieur  je  n'en- 
tends, ni  ne  vois,  ni  ne  sens  aucune  douleur.  La  joie  que  j'éprouve 
dans  cette  union  est  si  grande,  si  forte,  que  je  crois  n'y  pouvoir 


DANS  LE  MONDE 


73 


survivre.  Cette  union  est  si  étroite  qu'il  me  paraît  impossible 
de  m'en  pouvoir  séparer." 

Peut-être  quelque  lecteur,  en  ces  récits  de  faits  extraordinaires 
que  nous  relevons  dans  les  communications  d'Aurélie  à  son  direc- 
teur, sera-t-il  tenté  de  ne  voir  que  des  illusions  et  des  imagina- 
tions, ou  même  des  impostures  et  des  folies,  comme  ceux  dont 
parle  l'auteur  de  la  Vie  de  la  séraphique  vierge  de  Lucques,  Gemma 
Galgani,  le  digne  Père  Germain  de  Saint-Stanislas.  "  Révêches  en 
présence  des  phénomènes  surnaturels,  écrit  cet  auteur,  beaucoup 
de  nos  jours  sont  enclins  à  les  confondre  avec  les  forces  inconnues 
et  illimitées  de  la  matière,  avec  la  suggestion,  le  magnétisme,  l'in- 
fluence hystérique  et  autres.  .  .  Mais  si  les  ennemis  de  l'Église  en 
se  disant  incrédules  sont  logiques,  les  catholiques  le  sont-ils,  eux 
pour  qui,  de  par  leur  foi,  le  surnaturel  ne  saurait  souffrir  aucun 
doute  ?  Eh  quoi  !  vous  croyez  que  le  Seigneur  a  épousé  la  nature 
humaine,  qu'il  a  donné  aux  hommes  la  meilleure  preuve  d'amour 
en  mourant  pour  eux,  et  il  vous  répugnerait  d'admettre  que  ce 
même  Dieu  se  communique  à  des  âmes  angéliques  par  des  dons 
de  grâces  extraordinaires  ?  "  Nous  ne  saurions  mieux  dire  et  nous 
sommes  heureux  de  pouvoir  appuyer  notre  insuflSsance  sur  l'auto- 
rité d'un  homme  de  Dieu.  Au  fond  tout  se  résume,  pour  la  jeune 
Aurélie,  aussi  bien  que  pour  la  petite  Gemma  de  Lucques,  en 
deux  mots  :  "  Il  n'y  a  rien  d'impossible  à  Dieu  !  " 

Si  discrète  qu'elle  fût,  la  pénitente  de  M.  Raymond  ne  pouvait 
pourtant  pas  empêcher  que  quelque  chose  de  sa  sainteté  et  des 
faveurs  singulières  dont  elle  était  l'objet  de  la  part  de  Dieu  ne 
transpirât  au  dehors.  D'autant  plus  qu'à  son  insu  peut-être 
d'autres  signes,  et  des  signes  très  sensibles  dont  elle  avait  honte 
au  lieu  de  s'en  glorifier,  se  manifestaient  aux  yeux  de  chair  de 
beaucoup  de  gens.  "  Les  bruits  les  plus  étranges,  a-t-on  raconté 
dans  le  Rosaire,  circulaient,  en  ce  temps-là,  sur  le  compte  d'Aurélie. 
On  parlait  de  miracles.  Les  uns  avaient  vu  sa  langue  se  couvrir 


74  MÊBE  CATHERINB-AURéUE 

d'un  sang  vermeil  au  moment  de  la  communion,  les  autres  avaient 
constaté  que  ses  vêtements,  à  certains  jours,  changeaient  de 
couleur  et  devenaient  tantôt  blancs  comme  la  neige,  tantôt 
rouges  comme  du  sang.  Les  commérages  allaient  bon  train.  La 
ville,  et  bientôt  toute  la  province,  se  divisa  en  partisans  ou  en 
adversaires  de  la  jeune  fille.  Les  uns  voyaient  dans  ces  faits  des 
signes  extraordinaires  de  sainteté  et  criaient  au  miracle.  D'autres 
parlaient  de  supercherie  et  criaient  au  scandale."  Même  dans  le 
clergé,  même  au  séminaire  de  Saint-Hyacinthe,  pouvons-nous 
ajouter  d'après  les  témoignages  les  plus  dignes  de  foi,  on  était 
très  divisé  et  on  discutait  parfois  avec  vivacité  sur  le  cas  d'Aurélie. 
M.  Raymond  lui-même,  qui  croyait  certes  à  la  sincérité  de  sa 
pénitente,  qui  avait  longuement  étudié  ses  goûts  et  ses  tendances, 
et  qui  était  sûrement  un  homme  de  science  et  de  jugement  autant 
qu'un  homme  de  vertu,  bien  qu'un  peu  porté  au  mysticisme,  ne 
laissait  pas  que  d'être  embarrassé  et  perplexe  au  sujet  de  la  voca- 
tion d'Aurélie.  Que  fallait-il  faire  de  cette  enfant  extraordinaire  ? 
Comment  et  où  la  diriger  ? 

Aurélie  aussi  était  inquiète.  En  avril  1857,  elle  est  en  retraite  au 
couvent  de  la  Congrégation,  à  Saint-Hyacinthe  croyons-nous,  et 
elle  écrit  :  "  Je  suis  venue  ici  par  obéissance  à  Mgr  Prince  et  pour 
trouver  la  vérité  que  je  cherche  avec  avidité  depuis  bien  longtemps. 
Je  suis  convaincue  que,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  je  suis  appelée 
à  la  vie  religieuse.  J'ai  eu  de  l'attrait  tantôt  pour  une  commu- 
nauté, tantôt  pour  une  autre,  mais  jamais  au  point  de  faire 
une  démarche  positive.  Ce  n'est  pas  par  défaut  d'estime  ou  d'affec- 
tion pour  nos  inappréciables  communautés,  non.  .  .  J'ai  mis  de 
côté  mon  point  de  vue  propre  dans  cette  décision .  .  .  Mais  ce  ne 
sont  pas  les  traces  de  Jésus  montant  au  ciel  que  je  veux  suivre, 
ce  sont  celles  qu'il  a  laissées  ensanglantées  sur  le  chemin  du 
calvaire .  .  .  '* 


DANS  LE  MONDE  76 

On  arriva  ainsi  à  l'année  1859.  Au  mois  de  mai  de  cette  année, 
Mgr  Prince  et  M.  Raymond  décidèrent  d'envoyer  Catherine- 
Aurélie  faire  une  retraite  au  couvent  de  la  Congrégation  de 
Notre-Dame  à  Montréal  et  de  la  confier,  là,  à  la  sollicitude  avisée 
du  pieux  M.  Nercam,  prêtre  de  Saint-Sulpice.  Le  docte  sulpicien 
examina  les  dispositions  de  la  jeune  fille.  Il  se  vit  tout  de  suite 
en  présence  d'un  cas  bien  spécial.  Il  lui  proposa  d'abord  l'entrée 
au  noviciat  de  l'Hôtel-Dieu,  et  il  fit  venir  Aurélie  à  l'hôpital 
naguère  fondé  par  Jeanne  Mance,  pour  y  passer  les  trois  derniers 
jours  de  sa  retraite.  Ce  n'était  pas  cela  qu'il  fallait.  Finalement, 
M.  Nercam  conclut  que  sa  nouvelle  dirigée  était  destinée  au 
cloître,  mais  ne  put  spécifier  dans  quel  institut  elle  devait  entrer, 
et  il  la  renvoya  à  Saint-Hyacinthe.  Le  27  mai,  il  rendait  ainsi 
compte  de  sa  mission  à  Mgr  Prince  :  "  J'avoue,  Monseigneur, 
que  je  ne  suis  guère  capable  de  diriger  une  âme  comme  celle-là 
et  de  prononcer  sur  sa  vocation.  Néanmoins,  il  me  semble  qu'elle 
doit  entrer  en  religion  parce  qu'elle  a,  au  plus  haut  degré,  toutes  les 
marques  de  la  vocation  religieuse  et  que,  quoi  qu'on  fasse,  cet 
attrait  revient  toujours.  Je  suis  porté  à  croire  qu'elle  a  une  voca- 
tion spéciale  pour  propager  la  dévotion  au  Précieux  Sang.  Ce 
second  attrait  est  en  elle  aussi  vif  que  le  premier.  Mais  il  me 
semble  que  son  séjour  dans  une  communauté  ne  serait  pas  un 
obstacle  aux  desseins  particuliers  que  Notre-Seigneur  peut  avoir 
sur  elle.  Dieu  ferait  connaître  ses  desseins  et  les  exécuterait  peut- 
être  mieux  dans  une  communauté  religieuse  que  dans  le  monde. 
Enfin,  Monseigneur,  je  vous  dirai  que  l'ensemble  de  ses  attraits 
me  porterait  à  croire  qu'une  communauté  cloîtrée  conviendrait 
mieux  que  toute  autre  pour  cultiver  une  âme  aussi  éminente." 

Au  mois  de  juillet  suivant,  toujours  sur  l'avis  de  Mgr  Prince 
et  de  M.  Raymond,  Catherine-Aurélie  revint  à  Montréal  pour  se 
mettre  de  nouveau  sous  la  direction  de  M.  Nercam.  A  ce  moment, 
le   vénérable   sulpicien   devait   s'absenter,   pour   aller   peut-être 


76  MÈRE  CATHEBINE-AURÉLIE 

prêcher  quelque  retraite  au  clergé,  ministère  qu'il  exerça  souvent. 
Il  ne  put  accorder  à  la  pieuse  fille  qu'un  court  entretien  et  lui  con- 
seilla de  s'adresser,  pendant  son  absence,  à  Mgr  Bourget,  à  Mgr 
Joseph  LaRocque,  alors  coadjuteur,  au  supérieur  du  séminaire,  M. 
Bayle,  et  à  Mère  Saint-Bernard,  la  distinguée  supérieure  de  la 
Congrégation  du  temps.  Naturellement,  Catherine-Aurélie  se 
donna  bien  garde  de  ne  pas  suivre  ces  avis.  Ce  deuxième  séjourna 
Montréal  ne  devait  pourtant  encore  rien  éclaircir.  M.  Nercam, 
toutefois,  persistait  dans  ses  vues  et,  avant  de  partir  de  Montréal, 
il  avait  pris  le  temps  d'écrire  à  Mgr  Prince  qu'il  était  toujours 
d'avis  que  "  Mlle  Caouette  ferait  bien  d'aller,  dans  un  noviciat 
quelconque,  suivre  la  voie  simple  et  commune  de  l'obéissance,  en 
attendant  humblement  et  simplement  l'exécution  des  desseins 
de  Dieu  sur  elle  ". 

Une  troisième  fois,  au  cours  de  cet  été,  en  août,  Mgr  Prince, 
voulant  sans  doute  arriver  à  une  solution,  renvoya  la  pauvre 
Aurélie,  toujours  indécise,  à  la  Congrégation  de  Montréal,  mais 
pour  y  demander,  cette  fois,  son  entrée  au  noviciat.  "  Elle  était 
écrasée,  dit  le  Livre  d'or,  mais  elle  obéit."  Cependant,  avant  de 
l'admettre  au  noviciat.  Mère  Saint-Bernard,  qui  l'aimait  beau- 
coup, lui  conseilla  de  revoir  Mgr  Bourget,  ce  que  d'ailleurs  Mgr 
Prince  avait  aussi  prescrit.  L'heure  tant  attendue  allait  enfin 
sonner.  Le  grand  évêque  Bourget,  qui  avait,  semble-t-il,  le  don 
de  lire  dans  les  âmes,  comme  il  avait  celui  de  pénétrer  l'avenir, 
soumit  une  fois  de  plus  Catherine-Aurélie  à  un  minutieux  examen. 
Puis,  il  la  fit  entrer  dans  son  oratoire  privé,  et  là,  en  présence  du 
saint  Sacrement,  après  avoir  prié  avec  elle,  il  prononça  ce  que 
nous  croyons  pouvoir  appeler  la  parole  définitive  :  "  Mon  enfant, 
si  j'étais  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe,  je  vous  dirais:  "  Allez- vous- 
en  dans  une  petite  chaumière  bien  solitaire  et  fondez  une  com- 
munauté d'adoratrices  du  Précieux  Sang,  filles  de  Marie  Imma- 
culée."—  "  Je  ne  saurais  exprimer,  dira  plus  tard  la  fondatrice,  la 


DANS  LE  UONDE 


77 


dilatation  de  mon  cœur  quand  j'entendis  Mgr  Bourget  me  parler 
ainsi.  En  un  instant,  je  passai  d'une  profonde  tristesse  à  une  vive 
allégresse.  Tout  mon  être  exultait.  Tout  chantait  en  moi:  "  Vive  le 
sang  de  Jésus  !  Amour  à  Marie  Immaculée  !  "  J'étais  maintenant 
convaincue  que  Notre-Seigneur  me  voulait  là." 

Le  11  août  1859,  Mgr  Bourget  écrivait  à  Mgr  Prince  une  lettre 
dont  voici  les  passages  substantiels  :  "  Une  demoiselle,  que  Votre 
Grandeur  a  adressée  à  la  Congrégation,  est  venue  me  consulter 
sur  sa  vocation.  .  .  Ne  considérant  que  son  attrait  et  nullement 
les  grâces  extraordinaires  dont  il  paraît  qu'elle  est  favorisée, 
dont  elle  ne  m'a  dit  mot  et  sur  lesquelles  je  ne  lui  ai  fait  aucune 
question,  parce  que  cela  ne  faisait  rien  à  l'afFaire  de  sa  vocation, 
je  crois  que  Notre-Seigneur  l'appelle  à  fonder  une  communauté 
nouvelle  spécialement  consacrée  au  service  des  corps  et  des 
âmes  par  la  dévotion  au  Sang  Précieux  de  Jésus-Christ  et  à 
rimmaculée  Conception  de  sa  glorieuse  mère...  Ce  qui  m'a 
surtout  engagé  à  lui  donner  cette  décision,  c'a  été  la  disposition 
d'esprit  dans  laquelle  je  l'ai  trouvée  par  rapport  à  l'état  de  vie 
auquel  elle  était  appelée.  Car  son  attrait  marqué  est  pour  une 
communauté  consacrée  au  Précieux  Sang,  et  il  ne  lui  venait  pas 
en  pensée  qu'elle  pourrait  bien  être  appelée  à  la  fonder.  Elle 
désirait  ardemment  que  d'autres  fussent  inspirées  de  faire  une 
institution  qui,  selon  elle,  doit  beaucoup  contribuer  à  la  sanctifi- 
cation des  âmes.  Elle  ressemblait  un  peu  en  cela  à  la  bienheu- 
reuse Vierge,  qui  désirait  ardemment  l'incarnation  du  Verbe 
divin,  mais  qui  n'eut  jamais  la  pensée  qu'elle  pourrait  bien  être  sa 
mère.  Je  n'ai  rien  aperçu  d'extraordinaire  dans  sa  personne,  sinon 
une  joie  pure  et  modeste,  qui  fait  briller  sur  sa  figure  le  bonheur 
dont  son  cœur  est  sans  doute  inondé ...  Je  remarquai  aussi  un 
mouvement  sensible  et  de  vives  impressions  sur  sa  figure,  lorsque 
j'eus  l'occasion  de  la  faire  parler  de  son  attrait  principal  pour  le 
Précieux  Sang  et  l'Immaculée  Conception ..." 


78  MÈRE  CATHERINE- AUBÉLTB 

Mgr  Prince,  on  l'imagine  facilement,  accueillit  avec  une  grande 
joie,  et  comme  lui  venant  du  ciel,  cette  décision  du  pieux  et  saint 
évêque  Bourget,  et  il  se  hâta  de  la  communiquer  à  M.  Raymond 
qui,  lui  aussi,  en  fut  ravi.  Tout  n'était  pas  fini  cependant  et  deux 
ans  devaient  encore  s'écouler  avant  la  fondation.  Mais  peu  à  peu 
la  lumière  se  faisait.  Catherine-Aurélie  n'entra  donc  pas  au 
noviciat  de  la  Congrégation.  Elle  prolongea  quand  même  son 
séjour  sous  le  toit  de  Mère  Saint-Bernard  et  de  ses  filles  jusqu'à 
la  mi-septembre,  et  elle  revit  plus  d'une  fois  Mgr  Bourget  et  M. 
Nercam.  A  l'exemple  de  l'évêque  de  Montréal,  et  peut-être  sous 
son  inspiration,  le  digne  sulpicien  se  convainquit,  lui  aussi,  de  plus 
en  plus,  que  la  vierge  de  Saint-Hyacinthe  avait  une  vocation 
spéciale.  Le  12  septembre,  il  écrivait  à  Mgr  Prince  une  longue 
lettre  dans  laquelle,  entre  autres  choses,  il  disait  :  "Je  crois 
qu'en  effet  elle  est  appelée  à  fonder  un  institut  qui  manque  au 
Canada,  un  institut  purement  contemplatif,  que,  depuis  long- 
temps, je  désirais  moi-même  et  beaucoup  d'autres  avec  moi.  Je 
suis  même  convaincu  que  le  temps  est  arrivé  d'exécuter  ce  dessein 
et  que  Notre-Seigneur  a  déjà  préparé  les  pierres  vives  de  ce  nouvel 
édifice.  Je  vois  très  bien  pourquoi  cette  bonne  âme  ne  pouvait 
rien  trouver  dans  les  maisons  actuellement  existantes  qui  pût  la 
satisfaire.  Il  lui  faut  une  réunion  de  personnes  très  ferventes, 
uniquement  appliquées  à  la  contemplation  et  à  la  prière  et  aussi 
un  institut  dont  le  but  soit  d'honorer  l'Immaculée  Conception 
de  la  sainte  Vierge  par  le  Précieux  Sang,  les  deux  grandes  dévo- 
tions destinées  à  retremper  et  à  régénérer  les  âmes  dans  notre 
siècle.  .  .  Si  Notre-Seigneur  me  le  fait  bien  voir,  je  pourrai  entrer 
dans  plus  de  détails,  soit  sur  cette  bonne  fille,  soit  sur  les  moyens 
d'exécuter  au  plus  tôt  l'œuvre  qu'elle  a  conçue.  J'en  ai  causé  avec 
Mgr  de  Montréal  et  aussi  avec  Mgr  LaRocque.  Leurs  idées  s'ac- 
cordent parfaitement  avec  celles  que  je  vous  ai  exprimées  :  preuve 
nouvelle  que  les  moments  sont  venus  et  que  Dieu  bénira  tout. 


DANS  LE  MONDB  79 

malgré  les  obstacles  de  tout  genre  qu'une  œuvre  si  inutile  aux 
yeux  de  la  prudence  humaine  pourra  rencontrer.  .  ." 

Les  obstacles,  en  effet,  ne  devaient  pas  manquer,  et,  si  les 
nuages  se  dissipaient,  la  pleine  lumière  ne  brillait  pas  encore. 
La  "  bonne  fille  ",  ainsi  que  l'appelait  M.  Nercam,  avait  désormais, 
semble-t-il,  devant  les  yeux,  un  but  bien  arrêté.  Mais  par  quels 
moyens  y  arriverait-elle  ?  Le  18  septembre  1859,  nous  trouvons 
sous  sa  plume  ces  lignes  significatives  :  "  Souffrirai-je  en  vain  ces 
accablements  du  cœur,  ces  désolantes  obscurités  de  l'esprit,  ces 
affreuses  ténèbres  de  l'âme  ?  Seigneur,  sont-ce  là  les  traits  de  votre 
saint  amour  crucifié  que  je  ressens  ?  Voulez-vous  m'immoler  avec 
vous  pour  les  pécheurs  ?  Est-ce  vous  qui  me  donnez  ces  souffrances, 
cette  faim  et  cette  soif  inaltérables  des  âmes,  ces  désirs  véhéments 
de  voir  enfin  votre  Précieux  Sang  connu  et  glorifié  ? .  .  .  " 

Si,  pour  Mgr  Prince  aussi,  le  but  à  atteindre  était  maintenant 
net  et  clair,  le  digne  évêque  ne  se  pressait  pas,  La  précipitation,  il 
le  savait,  ne  convient  pas  aux  œuvres  qui  durent  :  non  in  commo- 
tione  Dominus.  Il  attendait,  sans  doute,  des  circonstances  favo- 
rables. Ce  fut  la  maladie  qui  vint,  et  une  maladie  fatale,  suite 
de  son  attaque  de  typhus  de  1848,  qui  devait  l'emporter  le  5  mai 
1860.  Il  est  absolument  sûr  cependant  que  le  pieux  prélat  était 
bien  décidé  à  établir  dans  son  diocèse  l'œuvre  à  laquelle  la  jeune 
Catherine-Aurélie,  de  l'avis  de  Mgr  Bourget  et  de  M.  Nercam, 
était  prédestinée.  Longtemps  auparavant,  dans  une  visite  qu'il 
avait  faite,  lors  de  son  voyage  à  Rome  en  1852,  sur  le  mont 
Quirinal,  à  un  monastère  de  Sacramentines,  il  avait  eu  la  pensée 
de  doter  sa  ville  épiscopale  d'une  institution  semblable.  Quand, 
précédemment,  l'appel  de  Pie  IX,  retour  de  Gaëte,  s'était  fait  en- 
tendre au  monde,  Mgr  Prince  y  avait  pieusement  prêté  l'oreille. 
Plus  encore,  le  14  septembre  1859,  il  informait  M.  Raymond  qu'il 
avait  décidé  de  fonder  une  communauté  contemplative  en 
I         l'honneur  du  même  Précieux  Sang,  et,  le  13  avril  1860,  il  écrivait  à 


80  MÈRE   CATHERINE- AURÉL1« 

Mgr  Baillargeon,  administrateur  du  diocèse  de  Québec,  afin  de 
solliciter  ses  prières  et  son  concours  pour  le  succès  du  futur 
institut  :  "  Croyant  reconnaître  depuis  longtemps,  disait-il,  que 
la  Providence  veut,  dans  mon  diocèse,  une  communauté  de  reli- 
gieuses ayant  pour  but  de  rendre  un  culte  au  Précieux  Sang  de 
Jésus  et  à  la  pureté  immaculée  de  Marie,  et  voulant  correspondre 
aux  desseins  de  la  miséricorde  divine  et  faire  couler  une  source 
de  grâces  abondantes  sur  mon  diocèse  et  sur  tout  le  pays,  je  me 
propose  d'établir  cette  institution  aussi  prochainement  que  possi- 
ble si  les  circonstances  me  le  permettent ..."  Enfin,  pendant  sa 
dernière  maladie,  il  avait  chargé  M.  Raymond  d'aller  bénir  en 
son  nom  la  chambre  que  Catherine-Aurélie  occupait  dans  la 
maison  de  son  père,  et,  ayant  mandé  la  jeune  fille  auprès  de  lui, 
il  lui  manifesta  que  sa  volonté  était  qu'elle  considérât  cette  pièce 
comme  son  oratoire,  son  cloître  et  sa  cellule,  jusqu'à  ce  qu'il  lui 
fût  possible  d'ouvrir  une  maison  régulière  d'adoratrices  du  Pré- 
cieux Sang,  filles  de  Marie  Immaculée.  Mais  avec  sa  mort,  survenue, 
avons-nous  dit,  le  5  mai  1860,  et  bien  qu'il  laissât  la  dévotion  au 
Précieux  Sang  en  héritage  à  son  diocèse,  les  choses  se  trouvèrent 
naturellement  retardées. 

Un  vénérable  prêtre,  alors  étudiant  au  séminaire,  écrit  qu'on 
apprit  avec  admiration,  dans  toute  la  ville,  que  la  fille  du  forgeron 
Caouette,  confinée  dans  sa  chambre,  attendait  l'heure  de  la 
Providence  pour  fonder  une  communauté  d'adoratrices.  "  Tous 
les  survivants  de  cette  époque,  ajoute-t-il,  se  rappellent  bien  cette 
chambre,  au  coin  sud-est  de  la  maison,  dont  les  rideaux  étaient 
sans  cesse  rabattus.  C'était  un  lieu  mystérieux.  On  s'y  rendait 
avec  un  sentiment  de  vénération.  On  passait  devant  et  on  repas- 
sait en  disant  à  mi-voix  "  C'est  là  qu'est  la  sainte  !  ",  car  le 
peuple  la  qualifiait  ainsi. 

La  sainte,  elle,  souffrait  comme  une  simple  mortelle.  A  l'une 
de  ses  amies,  elle  écrivait,  vers  cette  époque:  "Le  temps  de  tailler 


DANS  LE  MONDE 


81 


la  vigne  est  venu,  le  Seigneur  va  retrancher  ce  qui  s'oppose  à 
ses  desseins  de  miséricorde.  Priez  pour  que  je  connaisse  la  sainte 
volonté  de  Dieu  et  que  j'aie  la  force  de  l'accomplir.  Je  suis  prête 
à  tout.  Comme  le  cerf  altéré  soupire  après  les  fontaines  d'eau  vive, 
ainsi  mon  âme  soupire  après  la  volonté  de  Jésus." 

Cette  volonté  allait,  en  effet,  se  manifester  de  façon  visible  et 
tangible  pour  tous.  Depuis  dix  ans  bientôt  passés,  Catherine- 
Aurélie  et  son  pieux  directeur  M.  Raymond  l'attendaient.  L'hom- 
me de  Dieu,  qui  enlèverait  tous  les  obstacles,  mais  non  sans  avoir 
lui  aussi  d'abord  longuement  hésité,  le  successeur  de  Mgr  Prince, 
Mgr  Joseph  LaRocque,  allait  venir.  La  fondation  allait  se  faire. 
Mais  il  faudrait  encore  et  toujours  souffrir  !  C'est  la  loi  proclamée 
par  le  divin  maître  :  "  Celui  qui  veut  venir  après  moi,  dit-il, 
doit  d'abord  se  renoncer  et  prendre  la  croix  —  Qui  vult  post  me 
venir e,  abneget  semetipsum  et  tollat  crucem." 


CHAPITRE  IV 

Fondation  et  établissement  de  l'institut  dans  la  maison  Caouette  (1861) 


Sommaire. —  Mgr  Joseph  LaRocque  succède  à  Mgr  Prince. —  Hésitations  du 
nouvel  évêque. —  Mort  de  la  mère  de  Catherine-Aurélie. —  Une  vision  de 
sang. —  Le  mémoire  de  M.  Raymond. —  Décision  de  Mgr  Joseph. —  Lea 
trois  compagnes  de  Catherine-Aurélie. —  Élizabeth  Hamilton. —  Sophie 
Raymond. —  Euphrasie  Caouette. —  La  maison  de  M.  Caouette. —  Il  l'offre 
pour  deux  ans  à  l'œuvre  qui  va  naître. —  Les  premier  secours  matériels. — 
On  prépare  le  premier  local,  le  "  berceau  ". —  Pensées  et  sentiments  de 
Catherine-Aurélie  au  moment  de  la  fondation. —  Sa  lettre  du  jour  de  l'an 
1861  à  Mgr  Joseph. —  Autre  lettre  du  25  mars. —  Ornementation  de  la 
chapelle  et  costume  des  novices. —  Cérémonie  du  14  septembre  1861. — 
Réponses  de  Catherine-Aurélie  aux  questions  de  l'évêque. —  Discours  de 
Mgr  Joseph. —  Prise  d'habit. —  "  Mère,  t'en  souvient-il .'  "  —  Catherine- 
Aurélie  est  choisie  comme  supérieure. —  Le  règlement  de  la  communauté. — 
Pauvreté  de  la  première  heure. —  Lettre  de  Mgr  Bourget  à  Mgr  Joseph. — 
Réflexions. —  Lettre  du  31  décembre  1861,  que  la  jeune  supérieure  écrit  à 
Mgr  Joseph. —  Un  mot  de  Louis  Veu'llot. 


Mgr  Prince,  décédé  le  5  mai  1860,  succédait,  le  22  juin 
suivant,  le  zélé  coadjuteur  de  Montréal,  Mgr  Joseph 
LaRocque.  "  Réjouissez-vous,  écrivait-on  de  Montréal 
à  M.  Raymond,  Mgr  LaRocque  est  nommé  évêque  de 
Saint-Hyacinthe."  Cette  nomination  ne  pouvait,  en 
'effet,  que  réjouir  le  dévoué  grand-vicaire  et  tous  ceux  qui 
s'intéressaient  à  la  future  fondation  du  Précieux-Sang. 
Le  nouveau  chef  du  diocèse  avait  été  le  confident  de  Mgr  Prince 
et  il  était  depuis  longtemps  l'ami  très  intime  de  M.  Raymond 
lui-même.  Évêque  de  Cydonia  et  coadjuteur  de  Mgr  Bourget 
depuis  huit  ans,  il  était  au  courant  de  toutes  les  démarches  que 
nous  avons  racontées.  Homme  d'une  ardente  piété,  personnelle- 
ment très  dévot  au  Précieux  Sang,  il  n'avait  pas  manqué  de  suivre 


84  MÈEE   CATHERINE-AUBÉLIE 

avec  intérêt  les  événements  auxquels  il  s'était  trouvé  mêlé.  Les 
opinions  de  Mgr  Bourget,  de  Mgr  Prince,  de  M.  Raymond,  de 
M.  Nercam  sur  la  vocation  de  Catherine-Aurélie  et  sur  l'oppor- 
tunité de  tenter  par  elle  la  fondation  d'un  institut  d'adoratrices 
lui  étaient  familières.  D'avance,  il  était  gagné  à  la  cause.  "  Ainsi 
pensait  M.  le  grand-vicaire  Raymond,  lisons-nous  dans  le  Livre 
d'or,  mais  ainsi  ne  pensait  pas  Mgr  LaRocque." 

C'est  que,  en  effet,  le  nouvel  évêque  de  Saint-Hyacinthe,  à  qui 
il  avait  toujours  fallu  imposer  les  charges  du  commandement, 
qui  donnait  lui-même  comme  raisons' de  ses  oppositions  ses  scru- 
pules, ses  perplexités  et  son  défaut  de  fermeté,  et  qui  n'avait 
accepté  l'épiscopat  que  contraint  et  pour  ne  pas  assumer  la 
responsabilité  d'un  refus,  ne  pouvait  guère,  étant  donné  son 
tempérament,  en  devenant  chef  d'un  diocèse,  se  décider  tout  de 
suite  à  le  grever  d'une  œuvre  nouvelle,  si  belle  qu'elle  lui  parût, 
alors  surtout  que  la  mort  de  son  prédécesseur,  qui  en  avait  empê- 
ché la  création  à  peu  près  décidée,  pouvait  lui  faire  supposer  que  la 
Providence  ne  la  voulait  pas.  Il  préféra  d'abord  réfléchir,  étudier 
de  nouveau  la  question  sous  toutes  ses  faces,  prendre  son  temps. 
Les  contradictions  ne  faisaient  pas  non  plus  défaut.  Plusieurs 
membres  du  clergé  de  Saint-Hyacinthe  ne  voyaient  pas  cette 
fondation  d'un  œil  favorable.  Même  d'excellents  esprits  se  deman- 
daient ce  qu'il  fallait  au  juste  penser  de  celle  dont  on  voulait 
faire  une  fondatrice.  Il  y  avait  tant  de  choses  extraordinaires 
qui  planaient  autour  d'elle  !  Et  puis,  incontestablement,  une 
fondation  nouvelle,  c'est  un  fardeau  nouveau.  Le  diocèse  était-il 
prêt  à  le  supporter  ?  Qui  sait  si  le  scrupuleux  prélat  ne  craignit 
pas  surtout  de  trop  suivre  le  mouvement  de  son  cœur  gagné 
d'avance  à  la  cause  et  pas  assez  celui  de  la  prudence  et  de  la 
circonspection  constamment  nécessaires  à  ceux  qui  gouvernent  ? 
Toujours  est-il  que  sa  décision  se  faisait  attendre.  Le  reste  de 
l'année  1860  se  passa  ainsi.  Sans  doute,  M.  Raymond,  que  Mgr 


FONDATION    DE  l'iNSTITUT   DU  PRÉCIEUX-3 ANO  86 

LaRocque  avait  continué  dans  ses  fonctions  de  grand-vicaire, 
en  souffrait  tout  bas.  Mais  il  était  trop  bon  prêtre  et  trop  surna- 
turel dans  ses  intentions  pour  ne  pas  attendre  avec  respect  que  son 
supérieur  manifestât  son  assentiment.  Il  se  contentait  de  le 
presser  doucement  en  plaidant  la  cause  qui  lui  était  si  chère. 

Le  31  janvier  1861,  la  bonne  chrétienne  qu'était  la  mère  de 
Catherine-Aurélie,  madame  Caouette,  mourut.  Confiante  en  la 
mission  que  le  ciel  semblait  avoir  départie  à  sa  chère  Aurélie,  elle 
lui  laissait,  par  testament,  un  legs  de  deux  mille  francs,  soit 
environ  quatre  cent  dollars,  en  faveur  de  l'œuvre  projetée.  M. 
Caouette  lui-même  devait  bientôt  ajouter  à  ce  petit  héritage  une 
somme  égale.  Ce  n'était  pas  considérable,  sans  doute,  pour  pour- 
voir à  une  fondation.  Mais  c'est  la  preuve  que,  éclairés  probable- 
ment par  les  avis  de  M.  Raymond,  les  pieux  parents  entraient 
saintement  dans  les  vues  surnaturelles  de  leur  enfant  de  prédi- 
lection. Bien  plus,  d'après  un  récit  des  circonstances  de  la  mort 
de  madame  Caouette  dont  l'authenticité  ne  peut  faire  de  doute,  il 
est  permis  de  croire  que  la  pieuse  femme  eut  à  ce  moment  comme 
une  vue  prophétique  sur  l'avenir.  Peu  d'instants  avant  d'expirer, 
en  jetant  les  yeux  autour  d'elle,  elle  manifesta  une  grande  surprise, 
et  dit  à  M.  Raymond,  qui  l'assistait  :  "  Du  sang  !.  .  .  du  sang  !.  .  . 
mon  Père,  je  vois  du  sang  partout  sur  les  murs  de  ma  chambre  ! .  .  .  " 
Ne  cherchons  pas  d'explications  savantes.  Puisqu'on  s'entretenait 
souvent  autour  de  celle  qui  allait  mourir  du  sang  de  Jésus  et  de 
la  dévotion  qui  lui  est  due,  il  n'est  pas  invraisemblable  que  sa 
sensibilité  imaginative  en  ait  été  vivement  impressionnée.  Il  est 
encore  plus  chrétien  de  penser  que  Dieu  se  servit  une  fois  de  plus 
des  sens  de  l'une  de  ses  pieuses  servantes  pour  éclairer  l'avenir. 
Il  y  a  des  pressentiments  parfois  bien  étonnants  chez  les  âmes 
ferventes,  dont,  après  coup,  les  faits  ayant  parlé,  on  peut  légiti- 
mement, et  sans  crier  au  miracle,  faire  état.  La  maison  où  mourait 
madame  Caouette  devait  avant  longtemps  devenir  le  premier 


86  MÈRE  CATHERINE-AUBIÈLIE 

monastère  du  Précieux-Sang,  et  la  chambre  où  elle  expirait,  son 
premier  oratoire.  Elle  en  eut,  avant  de  mourir,  la  prévision  ou  le 
pressentiment.  C'est  là,  nous  semble-t-il,  l'explication  la  plus 
naturelle  de  ce  fait  extraordinaire. 

Mgr  LaRocque,  nous  l'avons  dit,  ne  se  pressait  pas.  Agir  immé- 
diatement lui  paraissait  une  témérité,  mais  s'abstenir  et  définiti- 
vement refuser  d'approuver  le  projet  de  fondation  lui  eut  semblé 
une  lâcheté.  Il  attendait.  Mgr  Bourget  et  M.  Nercam  s'étaient 
sans  doute  montrés  favorables.  M.  Raymond  répétait  tranquil- 
lement que  le  temps  d'agir  était  venu.  Il  rédigea  même,  vers  ce 
temps,  afin  d'engager  son  vénérable  ami  à  l'action,  un  long  mémoire 
intitulé  Motifs  pour  V établissement  de  Vinstitution  en  l'honneur  du 
Précieux  Sang.  Mgr  LaRocque,  personnellement,  ne  demeurait  pas 
inactif.  Il  préparait  silencieusement  les  matériaux,  au  sens  moral 
du  mot  s'il  en  peut  avoir  un,  qui  serviraient  à  la  construction  de 
l'édifice.  De  toute  sa  correspondance  d'alors,  en  effet,  et  de  toutes 
ses  démarches,  il  ressort  clairement  qu'il  ne  demandait  qu'une 
chose,  se  laisser  convaincre.  Dieu  allait  se  charger  de  dissiper  tous 
ses  doutes,  et  l'année  1861  ne  s'achèverait  pas  sans  que  la  parole 
que  lui  avait  dite  Mgr  Bourget  à  lui-même  ne  reçut  un  commen- 
cement d'exécution  :  "  Il  me  paraît  évident,  avait  prononcé  le 
saint  évêque  de  Montréal  en  s'adressant  au  nouvel  évêque  de 
Saint-Hyacinthe,  que  Dieu  vous  a  préparé  tout  exprès  pour 
fonder  cette  excellente  œuvre  d'expiation  et  de  réparation." 

Nous  tenons  à  citer,  à  ce  propos,  le  récit  du  Livre  d'or.  Il  est 
simple  et  naïf  comme  ceux  de  cette  légende  dorée  que  nous  ont  léguée 
les  âges  où  la  foi  était  vive.  Mais  dans  sa  simplicité  même,  et,  si 
l'on  veut,  jusque  dans  sa  naïveté  sans  apprêts,  il  voisine  à  l'élo- 
loquence.  "  Jugeant  qu'il  fallait  pourtant  en  finir,  y  lisons-nous, 
Mgr  LaRocque  s'adressa  à  saint  Joseph.  Dans  une  prière  pro- 
longée et  fervente,  il  lui  demanda  de  lui  obtenir,  comme  indice 
de  la  volonté  divine,  un  sentiment  de  sainte  joie  et  d'intime  con- 


FONDATION    DE  l'iNSTITUT    DU   PRÉCIEUX-SANG  87 

fiance.  "  Je  ne  m'attends  pas,  écrit-il,  que  les  anges  viendront 
m'instruire  des  desseins  du  ciel.  Mais  si,  grâce  à  l'intervention  de 
saint  Joseph,  je  sens  mon  cœur  fort  et  divinement  réjoui,  et  si 
j'éprouve  un  abandon  confiant  et  joyeux,  ces  dispositions  m'indi- 
queront assez  ce  que  Dieu  demande  de  moi  et  me  décideront.  .  ." 
"  Au  timide,  à  l'irrésolu  prélat,  poursuit  le  Livre  d'or,  il  fallait  donc 
une  manifestation  directe  du  ciel  !  Eh  !  bien,  soit,  Notre-Seigneur 
lui  accordera,  comme  à  l'apôtre  Thomas,  de  palper  en  quelque 
sorte  son  cœur  et  d'y  trouver  la  guérison  de  son  hésitation.  Le  14 
avril  1861,  jour  où  tombait,  cette  année-là,  la  fête  du  patronage 
de  saint  Joseph,  la  prière  de  l'évêque  était  exaucée.  Dans  un 
moment  rapide  comme  l'éclair,  son  âme  devint  radieuse.  Une 
lumière  chaude  et  pénétrante  y  remplaça  les  ombres.  Une  onction 
divine,  faite  d'énergie  et  de  confiance,  chassa  toute  crainte. 
Désormais  Mgr  LaRocque  était  décidé.  Il  voulait  l'œuvre  du  Pré- 
cieux-Sang et  jamais  ne  s'affaiblirait  en  son  âme  l'intime  conviction 
acquise  à  cette  heure  de  grâce  !  "  On  le  voit,  ce  récit  est  très  simple 
et  très  grand  à  la  fois.  Quelque  fier  penseur  pourra  peut-être  en 
sourire.  Il  n'importe  !  Le  plus  souvent,  les  desseins  de  Dieu  et  les 
moyens  dont  il  use  pour  les  faire  accepter  par  les  hommes  demeu- 
rent impénétrables  et  mystérieux  aux  yeux  purement  humains  des 
fiers  penseurs,  si  bornés  que  nous  sommes  tous.  En  tout  cas,  la 
décision  de  l'évêque  était  prise  et  bien  prise.  C'est  un  fait  incontes- 
table. Le  soir  même,  M.  le  grand-vicaire  Raymond  recevait  de 
Mgr  LaRocque  l'assurance  qu'une  communauté  d'adoratrices 
serait  fondée  le  plus  tôt  possible,  qu'elle  serait  établie  à  Saint- 
Hyacinthe  et  que  Catherine-Aurélie,  sa  dirigée  depuis  douze  ans, 
serait  mise  à  la  tête  de  l'œuvre. 

Nous  savons  déjà  par  quelle  voie  douloureuse  la  future  fonda- 
trice en  était  arrivée  au  point  où  nous  sommes.  Si  l'attrait  naturel, 
le  désir  de  s'y  conformer,  et,  surtout,  l'épreuve  qu'il  faut  surmon- 
ter pour  suivre  l'attrait  et  réaliser  le  désir,  sont  les  meilleurs 


88  MÈEE   CATHERINE-ATjHÉLIE 

signes  d'une  vocation,  Catherine- Aurélie,  sûrement,  avait  la 
vocation.  Seulement,  elle  ne  pouvait,  à  elle  toute  seule,  constituer 
une  communauté.  Il  lui  fallait  des  compagnes.  La  Providence, 
c'est  le  temps  de  le  raconter,  y  avait  pourvu,  et  déjà,  depuis  quel- 
que temps,  des  âmes  soeurs  de  la  sienne  soupiraient  après  l'heure 
où  elles  pourraient  s'unir  à  elle  pour  honorer  Notre-Seigneur  dans 
son  Précieux  Sang,  ou  encore,  selon  les  trois  mots  qui  lui  seraient 
toujours  si  chers,  pour  aimer,  pour  réparer  et  pour  souffrir.  Elles 
étaient  trois  :  Élizabeth  Hamilton,  Sophie  Raymond  et  Euphrasie 
Caouette.  Comment,  dans  un  pays  où  il  n'y  avait  pas  encore  de 
communautés  contemplatives,  l'idée  leur  était-elle  venue  de 
s'enfermer  dans  un  monastère  pour  y  mener,  loin  du  monde,  une 
vie  de  silence,  de  prière  et  de  mortification  ?  C'est  ce  que  nous 
allons  dire. 

Élizabeth  Hamilton  était  née  en  Irlande,  à  Londonderry,  mais 
elle  était  anglaise  au  moins  par  son  père.  C'était  une  convertie  — 
elle  était  venue  à  la  vraie  foi  à  J'âge  de  quinze  ans  —  généreuse  et 
fervente  comme  elles  le  sont  toutes,  d'une  piété  quand  même  intel- 
ligente et  éclairée.  Les  circonstances  l'avaient  conduite  à  Saint- 
Hyacinthe,  au  couvent  de  la  Présentation,  qui  avait  remplacé, 
on  s'en  souvient,  en  1858,  celui  de  la  Congrégation,  et  où  elle  ensei- 
gnait la  musique.  Elle  connut  là  Catherine-Aurélie,  qui,  tout  en 
vivant  dans  le  monde,  chez  son  père,  venait  souvent,  en  qualité 
de  pensionnaire  volontaire,  étudier,  dans  la  retraite  de  la  pieuse 
maison,  les  pratiques  de  la  vie  religieuse  et  se  mettre  plus  immé- 
diatement sous  la  direction  de  M.  Raymond  et  de  l'évêque  de 
Saint-Hyacinthe.  Elizabeth  se  sentit  très  vite  attirée  vers  la  future 
fondatrice.  Les  âmes  d'élite  se  pénètrent  et  se  comprennent 
toujours  rapidement.  Devenue  plus  tard  Sœur  Élizabeth-de- 
rimmaculée-Conception,  elle  a  maintes  fois  rappelé  que  certaine 
confidence  de  son  amie  au  sujet  de  son  désir  d'enfant  d'imiter 
le  Sauveur  Jésus  en  portant  comme  lui  une  croix  de  bois  —  un 


FONDATION   DE  l'iXSTITUT   DU  PRÉCIEUX-SANG  89 

trait  de  l'enfance  d'Aurélie  dont  nous  avons  déjà  parlé  —  l'avait 
profondément  touchée.  Autant  pourtant  l'âme  d'Aurélie  était 
ardente,  autant  celle  d'Élizabeth  se  manifestait  réservée  et  dis- 
tante. Cela  n'empêcha  pas  la  sympathie  la  plus  vive  de  s'établir 
entre  elles.  Que  de  fois  d'ailleurs  il  arrive  ainsi  que  les  extrêmes 
s'attirent  !  xAussi,  quand  Catherine-Aurélie  s'ouvrit  à  son  amie,  la 
jeune  anglaise  convertie,  de  son  projet  de  fonder  une  œuvre  vouée 
à  l'expiation  et  à  la  réparation  par  le  culte  au  Précieux  Sang,  la 
pria-t-elle  instamment  de  l'accepter  com.me  l'une  de  ses  compa- 
gnes. Elle  devait  être  la  première  assistante  de  Sœur  Caouette  à  la 
fondation. 

Sophie  Raymond  était  la  propre  nièce  de  M.  le  grand-vicaire 
Raj'^mond,  la  fille  de  son  frère,  M.  Rémi  Raymond,  député  à  la 
chambre  haute  du  Canada,  qui  avait  épousé  une  Cartier,  parente 
du  père  de  la  Confédération  canadienne,  sir  Georges-Etienne 
Cartier,  longtemps  premier  ministre  du  pays.  Ainsi  honorablement 
apparentée,  nécessairement  mêlée  au  grand  monde  dès  ses  jeunes 
années,  d'ailleurs  très  distinguée  pour  les  belles  qualités  de  son 
esprit  autant  que  pour  les  charmes  de  sa  beauté,  Sophie  Raymond 
étonna  grandement  les  milieux  mondains  où  elle  fréquentait,  à 
Québec  comme  à  Saint-Hyacinthe,  quand  elle  se  fit,  même  avant 
la  fondation,  la  compagne  assidue  et  l'émule  de  Catherine- 
Aurélie  dans  les  pratiques  de  piété  et  de  modestie  singulière  que 
nous  lui  connaissons.  Ce  fut  la  première  en  date  des  conquêtes 
de  la  future  fondatrice.  De  jeune  fille  du  monde  assez  répandue 
qu'elle  était,  quoique  réservée  toujours  et  digne,  elle  devint,  pour 
se  rapprocher  d'Aurélie,  une  sorte  de  religieuse  avant  l'heure. 
C'est  que,  à  elle  aussi,  l'attraction  de  la  croix  lui  avait  parlé  à 
l'âme.  L'ardeur  qu'elle  apporta  à  suivre  cet  attrait  n'eut  d'égale 
que  la  ferveur  de  sa  persévérante  générosité.  Au  moment  de  la 
fondation,  elle  prit  en  religion  le  nom  de  Sœur  Sophie-de-l'Incar- 


90  MÈRE   CATHERINE- AURÉLIE 

nation  et  se  vit  confier  la  charge  de  secrétaire  de  la  petite  commu- 
nauté. 

Euphrasie  Caouette,  cousine  germaine  d'Aurélie,  à  peu  près  du 
même  âge  qu'elle,  qui  devait  s'appeler  Sœur  Euphrasie-de- 
Saint-Joseph  et  devenir  la  supérieure-fondatrice  tant  aimée  du 
monastère  de  Toronto,  était  native  de  Saint-Hugues.  Ayant  reçu 
son  éducation  chez  les  Sœurs  de  la  Présentation,  elle  pensa  d'abord 
à  entrer  dans  cette  communauté  et  passa  même  quelques  mois  au 
noviciat.  Elle  était  institutrice  à  Saint-Aimé,  dont  M.  Lecours 
était  alors  curé,  quand  ses  relations  avec  sa  cousine  firent  s'épanouir 
sa  vocation  à  l'œuvre  future  du  Précieux-Sang.  Dans  les  premiers 
temps  qui  suivirent  la  fondation,  elle  fut  occupée  aux  travaux  de 
couture  qui  assuraient  quelques  bénéfices  à  la  communauté  nais- 
sante, puis  elle  succéda  à  Sœur  Elizabeth  dans  les  fonctions  de 
maîtresse  des  novices  et  aussi  d'assistante,  avant  de  partir,  en  1869, 
pour  Toronto. 

Le  père  spirituel  qui  dirigeait  ces  jeunes  âmes  éprise  de  l'amour 
du  Précieux  Sang,  et  désireuses  de  se  consacrer  à  l'œuvre  de 
l'expiation  et  de  la  réparation  par  la  prière  et  le  sacrifice,  était 
depuis  longtemps  désigné  par  la  Providence.  C'était  M.  le  grand- 
vicaire  Raymond,  à  qui  Mgr  LaRocque  avait  enfin  communiqué  sa 
décision  au  soir  du  14  avril  1861.  Les  deux  co-fondateurs  ne  deman- 
daient plus  qu'à  bénir  la  naissance  de  l'œuvre.  Catherine-Aurélie 
et  ses  trois  compagnes  étaient  prêtes  à  renoncer  au  monde  auquel 
elles  tenaient  si  peu.  Que  manquait-il  encore  à  l'œuvre  pour  qu'elle 
vît  le  jour .''  Rien,  semble-t-il,  ou  si  peu  de  chose,  mais  qui  a  bien 
son  importance,  nous  voulons  dire  une  maison  ou  un  logement, 
ou  encore,  si  l'on  veut,  pour  nous  servir  d'une  expression  toujours 
affectionnée  chez  les  Sœurs  du  Précieux-Sang,  à  en  juger  par  leur 
correspondance  et  les  notes  que  nous  avons  sous  les  yeux,  il  man- 
quait à  l'œuvre  qui  allait  naître  un  "  berceau  ".  L'oiseau  fait  son 
nid  tout  seul.  Les  institutions  humaines,  aussi  bien  que  les  pauvres 


FONDATION    DE  l'iNSTITUT   DU   PRÉCIEUX-SANG  91 

hommes,  ont,  d'ordinaire,  besoin  d'aide.  Ainsi  le  veut  la  Provi- 
dence pour  nous  amener  sans  doute  aux  œuvres  méritoires  de 
l'assistance  mutuelle.  La  foi  nous  apprend  qu'avec  peu  de  choses 
on  peut  faire  de  grandes  choses.  C'est  vrai.  Mais  il  faut  un  commen- 
cement à  tout.  D'où  allait  venir  à  Catherine-Aurélie  ce  premier 
secours  matériel  ?  De  ses  parents  eux-mêmes,  ou,  pour  parler  net, 
de  son  propre  père.  Ce  serait  l'une  des  consolations  de  sa  vie 
d'avoir  vu  naître  son  institut  dans  la  maison  même  de  son  enfance 
et  de  sa  jeunesse. 

M.  Caouette,  en  effet,  qui  avait  déjà  ajouté  au  modeste  legs  que 
sa  femme  en  mourant  avait  fait  pour  la  fondation,  nous  l'avons  vu 
plus  haut,  constatant  que,  à  cause  du  manque  de  ressources,  il 
serait  impossible  à  son  Aurélie  de  loger  son  œuvre,  offrit  pour 
deux  ans  sa  propre  maison.  Mgr  LaRocque  et  M.  Raymond  y 
virent  une  manifestation  évidente  de  la  volonté  de  Dieu  et  ils 
acceptèrent  l'offre.  Le  berceau  était  trouvé  !  En  aucune  façon, 
le  père  et  la  mère  d'Aurélie  n'avaient  jamais  pensé  à  intervenir 
dans  la  grave  affaire  de  la  vocation  de  leur  chère  enfant.  Ils 
avaient  toujours  laissé  aux  ministres  de  Dieu  de  régler  là-dessus 
ce  qui  conviendrait.  On  peut  même  affirmer  sans  crainte  de  se 
tromper  qu'ils  avaient  souffert  des  souffrances  que  tant  d'hési- 
tations et  de  tâtonnements  avaient  imposées  depuis  dix  ans  et 
plus  à  la  pauvre  Aurélie.  Mais  c'est  leur  honneur  de  n'avoir  rien 
épargné,  l'heure  venue,  selon  leurs  modestes  ressources,  pour 
seconder  les  décisions  des  hommes  de  Dieu.  Bel  exemple  d'esprit 
de  foi  et  de  sens  chrétien  qu'on  ne  saurait  trop  louer  et  assez  faire 
connaître.  Si  un  verre  d'eau  froide  suffit  pour  acquérir  un  trône  dans 
la  gloire  du  ciel,  selon  la  promesse  de  l'Évangile,  que  n'a  pas  dû  va- 
loir, pour  les  siècles  sans  fin,  à  celui  que  Catherine-Aurélie  appela 
toujours  "  son  cher  père  blanc  ",  la  donation  de  sa  propre  maison 
pour  l'œuvre  naissante  du  Précieux-Sang  ! 

Cette  maison,  berceau  modeste,  qui  serait  bientôt  trop  petite,  il 
fallait  la  meubler  un  peu,  la  fournir  des  choses  indispensables  à 


92  MÈRE  CATHERINE- ATIRÉLIE 

une  communauté  d'orantes  ou  d'adoratrices.  Mgr  l'évêque,  M. 
le  grand-vicaire  et  quelques  amis  dévoués  se  mirent  à  l'œuvre  avec 
un  bel  ensemble.  L'évêque  n'hésita  pas  à  se  faire  mendiant  auprès 
de  ses  vénérés  collègues  et  des  prêtres  de  sa  connaissance.  L'œuvre 
était  trop  recommandable  pour  qu'on  ne  répondît  pas  à  son 
appel.  La  chronique  rapporte  qu'il  se  permettait  d'ailleurs  de 
quêter  d'une  manière  aussi  plaisante  que  suggestive.  A  un  prêtre 
de  Montréal,  très  connu  pour  son  cuite  de  la  forme  romaine  des 
ornements  d'église,  il  écrivait,  par  exemple  :  "  Veuillez  donc  me 
dire  si  votre  zèle  pour  le  romam  ira  jusqu'à  me  donner  un  ornement 
vert  ou  violet  (pour  la  chapelle  du  monastère)  ou  bien  si,  voulant 
me  faire  entendre  que  vous  vous  lavez  les  mains  de  ma  fondation, 
vous  allez  vous  contenter  de  m'offrir  un  manuterge  ?  "  Nous  avons 
déjà  raconté  qu'il  rabroua  un  peu  le  bon  M.  Lecours,  qui  venait 
spontanément  mettre  à  sa  disposition  pour  l'œuvre  sa  personne 
et  ses  biens,  mais  il  avouait  dans  la  suite  qu'il  l'avait  fait  à  contre- 
cœur et  il  n'avait  pas  tardé  du  reste  à  lui  écrire  une  lettre  aimable 
pour  lui  dire  qu'il  acceptait  ses  services  avec  reconnaissance.  M. 
Raymond,  on  l'imagine  aisément,  faisait  de  même.  Il  avait  à 
Québec  une  sœur,  madame  Morin,  la  femme  du  juge,  dont  il 
mit  largement  à  contribution  la  charité  personnelle  et  l'influence 
dans  la  bonne  société.  On  a  gardé  fidèlement,  dans  l'institut,  le 
souvenir  des  largesses  dont  quelques  pieuses  âmes  de  la  cité 
de  Champlain  ont  voulu  entourer  son  berceau.  Dans  des  cœurs 
bien  faits,  ce  qui  est  dû  par  reconnaissance  ne  se  prescrit  pas.  Et 
puis,  dès  la  première  heure  aussi,  il  y  eut  M.  Lecours  !  Mais  nous 
en  reparlerons. 

Cependant  M.  Caouette,  le  père  d'Aurélie,  faisait  préparer  sa 
modeste  maison  pour  qu'elle  fût  en  état  de  recevoir  les  nouvelles 
religieuses.  Cette  maison,  faite  de  briques,  si  elle  était  petite  pour 
une  communauté,  était  d'autre  part  fort  joliment  située,  à  un 
demi-mille  environ  de  l'église  Notre-Dame,  sur  la  rive  gauche  de 


FONDATION   DE  l'iNSÏITUT   DU  PRÉCIEUX-SANG  93 

l'Yamaska.  Ce  site  poétique,  riche  en  aperçus  pittoresques,  se 
prêtait  superbement  aux  douces  et  pieuses  exigences  de  la  vie 
contemplative.  On  l'aménagea  le  mieux  qu'on  pût.  La  pièce  la 
plus  convenable  fut  choisie  comme  chapelle.  En  arrière,  se  trouvait 
une  minuscule  sacristie.  Du  côté  opposé,  on  avait  le  parloir,  puis 
le  réfectoire  et  la  cuisine.  Les  deux  chambres  du  haut  prirent  le 
nom,  somptueux  pour  elles,  de  dortoir.  Mais  tout  cela  était  bien 
étroit.  Pour  l'amour  de  Notre-Seigneur  on  s'en  contenta,  comme 
de  tant  d'autres  choses  incommodes  d'ailleurs.  On  devait  passer  là 
exactement  deux  ans,  du  14  septembre  1861  au  14  septembre  1863. 

Avant  que  d'y  entrer  par  la  pensée,  et  d'y  assister  à  l'inoublia- 
ble cérémonie  du  14  septembre  1861,  il  nous  a  paru  particulière- 
ment intéressant  de  nous  demander  quels  étaient  les  sentiments 
de  Catherine-Aurélie,  à  ce  moment  précis  où  le  rêve  de  sa  pieuse 
enfance  et  de  son  ardente  jeunesse  allait  enfin  se  réaliser.  Personne 
mieux  qu'elle-même  sans  doute  ne  pouvait  nous  renseigner.  Nous 
avons  donc,  une  fois  encore,  cherché  dans  ses  notes  ou  lettres  à 
Mgr  LaRocque,  ou  à  M.  Raymond,  à  nous  instruire  et  à  nous 
édifier.  La  tâche  est  en  un  sens  aisée,  car  nous  avons  de  gros  cahiers 
pleins  de  ces  confidences.  Et  pourtant,  en  un  autre  sens,  elle  est 
difficile,  parce  que  le  profane  ne  peut  sans  trembler  un  peu  essayer 
de  palper  et  de  remuer  ce  mélange  singulier  et  magnifique  de  récits 
très  simples  et  de  considérations  très  hautes,  d'extases  ou  de 
ravissements  déconcertants  et  d'explications  naturelles  et  toutes 
naïves.  Pour  bien  lire  les  lignes  que  nous  allons  citer,  il  convient  de 
ne  pas  perdre  de  vue  que  Catherine-Aurélie,  quand  elle  les  écrivit, 
était  encore  dans  le  monde,  s'ignorait  franchement  beaucoup 
elle-même,  et,  surtout,  qu'elle  parle  des  faveurs  dont  elle  est 
évidemment  gratifiée  par  obéissance. 

Voici  d'abord  ce  que  son  cœur  aimant  éprouve  à  l'égard  de  celui 
qui  est  pour  elle  le  premier  en  dignité  et  le  plus  immédiat  repré- 
sentant de  Dieu,  Mgr  LaRocque,  alors  que  le  prélat  se  montre 


94 


MERE   CATHERINE-ATJRELIE 


encore  si  hésitant,  au  dernier  jour  de  décembre  1860.  "  Monsei- 
gneur et  très  vénéré  Père,  écrit-elle.  Que  bénie  et  heureuse  soit  pour 
vous  la  nouvelle  année  qui  s'ouvre  !  Puisse-t-elle  s'écouler  toute 
entière,  pour  vous,  douce  et  pure  comme  le  reflet  d'un  beau  jour  !... 
Puissent  vos  laborieux  travaux,  vos  nombreux  sacrifices,  votre 
généreux  dévouement  pour  les  âmes  devenir  autant  de  perles  pré- 
cieuses qui  formeront  un  jour  votre  couronne  dans  le  ciel  !  Oui,  Père 
vénéré  et  respectueusement  chéri  de  mon  cœur.  Dieu  vous  aime  ! 
Il  répandra  sur  votre  personne  sacrée  ses  plus  larges  bénédictions. 
Il  les  répandra  aussi  sur  votre  Église,  sur  votre  cher  troupeau,  sur 
tous  les  actes  de  votre  épiscopat.  .  .  N'est-ce  pas  que  vous  boirez 
souvent  son  sang  avec  amour,  que  vous  en  imprégnerez  votre 
chère  âme  et  que  vous  vous  efforcerez  d'être  le  protecteur  de  son 
culte  divin  ?  Cette  conviction  m©  rend  heureuse  et  me  fait  éprouver 
des  transports  d'une  suavité  inexprimable.  .  .  Tous  mes  souhaits 
pour  vous  sont  revêtus  du  sang  de  Jésus.  Le  vœu  le  plus  ardent 
que  je  forme  pour  vous,  c'est  que  vous  viviez  inondé  du  sang  de 
Jésus ..." 

Nous  avons  de  Catherine-Aurélie  une  autre  lettre,  écrite 
vraisemblablement  le  25  mars  1861,  certainement  avant  la  décision 
de  Mgr  LaRocque  du  14  avril,  que  nous  croyons  devoir  reproduire 
ici  à  peu  près  dans  son  texte  intégral.  Il  y  a  là,  littéralement,  le 
reflet  d'une  âme,  et  d'une  belle  âme,  le  reflet  d'une  âme,  ajoute- 
rons-nous, qui  veut  être  soumise,  mais  qui  ne  craint  pas  de  prier, 
de  presser,  de  conjurer,  de  menacer  même.  Elle  est  longue,  cette 
lettre,  chargée,  étonnante  par  endroits.  Mais  elle  est  évidemment 
sincère  et  confiante.  Il  y  est  encore  question  de  l'une  de  ces  mysté- 
rieuses communications  avec  Notre-Seigneur  dont  nous  avons 
précédemment  essayé  de  spécifier  la  nature  et  que,  par  prudence 
respectueuse,  nous  nous  abstenons  de  juger.  Mais  on  va  voir 
quelle  force  et  quelle  hardiesse  ces  sortes  de  visions  ou  d'extases 


FONDATION  DE  l'iNSTITUT  DU  PB^CIEUX-SANa  05 

donnaient  à  cette  jeune  fille  par  ailleurs  timide  et  volontairement 
obéissante  jusqu'au  scrupule. 

"  Cher  ministre  du  Seigneur,  écrit-elle  donc  à  Mgr  LaRocque. 
Pour  l'amour  de  Jésus  crucifié  et  pour  remplir  un  devoir  d'obéis- 
sance, je  viens,  la  confusion  dans  l'âme,  et  vivement  pénétrée 
du  sentiment  de  mon  indignité,  de  ma  bassesse  et  de  mon  petit 
néant,  vous  redire  les  miséricordieuses  bontés  de  notre  Dieu 
d'amour  envers  la  plus  misérable  et  la  plus  ingrate  de  ses  créa- 
tures. .  .  Dans  la  nuit  du  jeudi  au  vendredi,  il  me  fut  donné  de 
voir  mon  divin  Sauveur  crucifié  couvert  de  plaies  et  gisant  dans  son 
sang.  Je  vis  surtout  d'une  manière  distincte  les  pensées  cuisantes 
dont  s'entretenait  son  âme.  J'ai  compris  que  c'était  pour  moi 
qu'il  endurait  de  si  cruelles  angoisses,  de  si  effroyables  souffrances. . . 
Ma  douleur  devint  profonde  comme  la  mer,  le  péché  m'apparut 
dans  toute  sa  malice.  .  .  La  voix  du  Bien- Aimé  se  fit  entendre  à 
mon  âme  :  "  Ouvrez-moi  votre  cœur,  disait-elle,  parce  que  partout 
on  me  rebute.  .  .  Êtanchez  ma  soif  brûlante,  donnez-moi  de 
l'amour,  aimez-moi  pour  ceux  qui  insultent  à  mes  douleurs,  qui 
foulent  aux  pieds  le  sang  que  j'ai  versé.  .  ."  Toute  hors  de  moi- 
même,  en  voyant  le  Dieu  fait  homme  comme  écrasé  sous  le  poids 
des  opprobres,  je  jurai  à  Jésus  que  je  voulais  m'immoler  avec  lui, 
verser  comme  lui  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  mon  sang  pour  lui 
gagner  des  âmes .  .  .  Jésus  répétait  encore  :  "  Je  rejetterai  ceux 
qui  me  rejettent,  je  me  rirai  de  ceux  qui  méprisent  le  prix  de  mon 
sang .  .  .  Mais  ceux  qui  méditent  ma  passion  et  ma  mort,  qui  s'en 
appliquent  les  mérites  infinis  et  qui  désirent  partager  mes  an- 
goisses, ceux-là  sont  mes  bien-aimés,  je  les  porte  dans  mon  cœur, 
je  les  nourris  de  mon  sang.  .  .  Venez  donc,  Aurélie,  vous  désal- 
térer avec  confiance  à  la  source  de  vie .  .  .  Mes  plaies  sont  ouvertes 
pour  vous  recevoir.  .  ."  J'approchai  avec  tremblement  du  Dieu 
trois  fois  saint,  j'appliquai  ma  bouche  brûlante  sur  son  divin 
cœur,  je  bus  à  longs  traits  le  sang  vermeil  et  tout  chaud .  .  .  Mes 


96  MÊRB  CATHERINE-AURÉLIE 

douleurs  furent  suspendues,  mes  craintes  dissipées.  .  .  Le  ciel 
était  dans  mon  cœur  ou  mon  cœur  était  au  ciel.  .  .  Au  sortir  de 
cette  vision,  je  me  sentis  dévorée  d'un  zèle  brûlant ...  La  beauté 
d'une  âme  imprégnée  du  sang  précieux  excita  dans  mon  cœur  un 
vif  désir  de  me  dévouer  énergiquem.ent  au  salut  des  âmes.  C'est 
dans  ces  dispositions  que,  quelques  heures  après,  je  recevais  la 
sainte  communion .  .  .  Une  lumière  subite  éclaira  en  même  temps 
mon  entendement.  Je  vis  d'une  manière  très  distincte  que  j'étais 
appelée  à  travailler  à  la  fondation  d'une  petite  arche  où  viendrait 
s'abriter  une  troupe  d'âmes  d'élite.  Je  ne  doutai  pas  des  promesses 
de  Jésus-Christ  et,  dans  l'enthousiasme  d'une  reconnaissance  sans 
égale,  je  répétais  :  "  Je  veux,  je  crois,  j'espère  !"  —  "  Mais 
reprenait  Jésus,  il  ne  suffit  pas  de  croire,  de  vouloir  et  d'attendre  ; 
il  faut  se  hâter  de  faire  ma  volonté,  que  je  t'ai  plus  d'une  fois 
manifestée."  —  "  Seigneur,  disais-je,  voyez  mon  cœur  !  Vous 
connaissez  l'ardeur  de  mes  désirs  !  Vos  ministres  n'ont  qu'à  dire 
un  mot  et  je  suis  à  l'œuvre  !"  —  "  Eh  !  bien,  mets  de  côté  le 
sentiment  de  crainte  qui  t'arrête.  Tout  en  confessant  ton  indignité, 
sollicite  vivement,  de  ma  part,  l'exécution  de  mes  desseins  sur 
toi  et  sur  un  grand  nombre  d'âmes.  N'hésite  plus  à  croire  que  je 
t'ai  choisie  pour  être  l'amante  de  mon  sang,  et  que,  par  toi,  il 
doit  être  connu,  aimé  et  glorifié  !  "  Au  moment  où  ces  paroles 
sont  prononcées,  une  figure  resplendissante  de  lumière  et  de  beauté 
m'apparaît .  .  .  C'est  un  homme  revêtu  d'une  immortelle  jeunesse, 
qui,  en  me  montrant  ses  mains,  ses  pieds  et  son  côté  percés,  d'où 
s'échappaient  des  rayons  lumineux  et  des  torrents  de  sang,  me 
dit  d'une  voix  forte  et  douce  ;  "  Je  suis  l'époux  des  vierges,  la  vraie 
voie,  la  vérité  souveraine,  la  véritable  vie.  Suivez-moi  et,  à  votre 
suite,  marchera  cette  troupe  de  vierges  que  vous  voyez  !.  .  ." 
Je  vis,  en  effet,  par  le  regard  de  mon  intelligence,  un  cortège  de 
vierges  plus  blanches  que  le  lis  et  plus  vermeilles  que  la  rose  qui 
s'avançaient  vers  moi.  Jésus  les  aspergeait  de  son  sang  en  disant  : 


FONDATION  DE  l'iNBTITUT  DO  PEÉCIEDX-SANQ  97 

"  Soyez  bénies,  ô  vierges,  qui  avez  été  jugées  dignes  de  marcher 
à  la  suite  de  l'Agneau.  .  .  de  partager  ses  souffrances,  ses  humilia- 
tions, ses  abandons.  .  .  Dans  le  ciel  vous  partagerez  ma  félicité. 
Je  ferai  rejaillir  sur  vous  la  gloire  que  me  procurera  le  salut  des 
pécheurs,  en  retour  des  âmes  que  vous  enfanterez  à  la  vie  de  la 
grâce  par  vos  jeûnes,  vos  macérations  et  vos  larmes ...  Le  lis  de 
votre  virginité  que  vous  imprégnerez  de  mon  sang  chaque  jour 
sera  d'une  splendeur  incomparable.  .  .  Quiconque  m'imitera  et 
se  revêtira  de  mon  sang  aura  la  Vie  en  lui  !  "  O  promesse  conso- 
lante !  Jésus  a  donné  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  son  sang  pour 
les  pécheurs  !  Ce  sang  coule  encore  sur  nos  autels  !  Recueillons-le 
précieusement  et  répandons-le  sur  les  pécheurs.  .  .  Au  nom  de 
Jésus  crucifié,  que  j'ai  vu,  que  j'aime,  en  qui  je  crois,  que  j'ai 
choisi  pour  mon  unique  époux,  je  viens  (Monseigneur)  vous 
conjurer  de  ne  pas  plus  longtemps  suspendre  l'exécution  de  la 
volonté  de  Dieu.  Ne  tardez  plus  mon  bonheur  !  Ne  laissez  pas 
se  perdre  l'ornement  de  gloire  que  l'Église  recevrait  de  la  pauvreté, 
de  l'humilité,  de  la  pureté  et  de  l'amour  des  vierges  adoratrices 
du  Précieux  Sang,  filles  de  Marie  Immaculée,  sinon  vous  aurez  à 
rendre  compte  du  temps  perdu  et  le  bon  Pasteur  vous  redeman- 
dera l'âme  de  sa  brebis  que  le  sang  aurait  sauvée  !.  .  .  Adieu  ! 
Que  le  sang  vous  éclaire,  vous  embrase  d'amour  et  de  zèle  ! 
J'éprouve  une  paix  profonde  depuis  que  j'écris.  Mon  Dieu,  qu'il 
est  doux  d'obéir  !  Aussi  je  veux  obéir  toujours.  J'en  fais  le  vœu. 
A  vous  maintenant  de  peser  toutes  ces  choses  et  à  moi  d'exécuter 
promptement  tous  vos  ordres,  que  je  regarderai  toujours  comme 
me  venant  de  Jésus...  Pendant  mon  séjour  à  Montréal,  j'ai 
plus  de  mille  fois  rendu  mes  hommages  au  sang  de  Jésus  dans  le 
sein  de  Marie.  Je  dois  à  cette  pratique  des  faveurs  précieuses. 
Aussi  avais-je  formé  le  projet  de  regarder  la  fête  de  l'Annonciation 
(jour  où  elle  écrit,  vraisemblablement,  bien  que  nous  n'ayons  pas 
de  date)  comme  l'une  des  premières  fêtes  des  vierges  du  Précieux 


98  MÊBE  CATHERINE-AUBÉLIE 

Sang.  C'est  ma  fête  !.  .  .  Vive  Marie  et  le  sang  !  —  L'indigne 
esclave  du  Précieux  Sang,  Aurélie." 

Ces  vœux  ardents  allaient  enJBn  être  exaucés.  Nous  l'avons  dit, 
la  maison  de  M.  Caouette  était  prête,  trois  compagnes  étaient 
trouvées  et,  avant  tout,  Mgr  l'évêque  était  décidé.  La  petite 
arche,  entrevue  par  Aurélie  dans  ses  extases,  au  moins  par  l'œil 
de  son  intelligence,  n'avait  plus  qu'à  recevoir  ses  colombes,  comme 
dirait  Mgr  LaRocque  si  souvent.  Les  jours  qui  précédèrent  celui 
du  14  septembre  1861,  choisi  pour  l'inauguration  de  ce  premier 
monastère,  parce  que  l'Église  fait,  ce  jour-là,  la  fête  de  l'exal- 
tation de  la  sainte  croix,  se  passèrent,  pour  les  futures  religieuses, 
à  décorer  la  modeste  chapelle  où  Notre-Seigneur  allait  résider. 
Comme  à  la  veille  des  noces,  on  s'occupa  aussi  de  la  toilette  des 
nouvelles  épouses  du  Christ.  Un  costume  provisoire  fut  adopté 
avec  l'autorisation  de  l'évêque.  Il  consistait  tout  simplement  en 
une  robe  noire  avec  une  collerette  de  même  couleur,  un  gros  cordon 
de  laine  rouge  servant  de  ceinture,  un  voile  noir  marqué  à  l'endroit 
du  front  d'une  croix  rouge  et  un  collet  de  toile  blanche.  Le  14 
septembre,  par  un  de  ces  gais  matins  d'automne  où,  dans  la  nature 
qui  va  mourir  aux  approches  de  l'hiver,  tout  se  teinte  d'or  et  de 
pourpre  et  semble  s'épanouir  dans  un  dernier  sourire,  les  quatre 
postulantes,  qui  disaient  adieu  au  monde,  se  trouvèrent  réunies, 
avec  quelques  parents  et  quelques  amis,  dans  le  petit  oratoire  de 
la  maison  Caouette.  Mgr  LaRocque,  assisté  de  M.  le  grand-vicaire 
Raymond  et  des  abbés  Moreau  et  Lafrance,  procéda  à  l'instal- 
lation du  nouvel  institut  et  donna  le  saint  habit  aux  premières 
Sœurs  adoratrices  du  Précieux-Sang  :  Aurélie  Caouette,  Élizabeth 
Hamilton,  Sophie  Raymond  et  Euphrasie  Caouette. 

Ce  fut  une  bien  expressive  et  bien  touchante  cérémonie.  Le 
Livre  d'or  la  relate  dans  tous  ses  détails.  Ce  récit  trouve  ici  natu- 
rellement sa  place.  Dès  6  h.  30  du  matin.  Monseigneur  et  ses 
assistants  d'une  part,  et,  d'autre  part,  Catherine-Aurélie  et  ses 


\ 


FONDATION   DE  l'iNSTITUT  DU  PRÉCIBUX-SANQ  99 

trois  compagnes,  étant  tous  réunis,  avec  un  petit  groupe  d'intimes 
privilégiés,  dans  la  maison  Caouette,  l'institut  du  Précieux-Sang 
fut  donc  ofEciellement  inauguré.  Le  chancelier  de  Mgr  LaRocquc, 
M.  l'abbé  Moreau  —  qui  devait  être  son  deuxième  successeur  sur 
le  siège  de  Saint-Hyacinthe  —  lut  l'induit  du  pape  Pie  IX  qui 
permettait  l'érection  de  l'oratoire  avec,  bien  entendu,  le  privilège 
d'y  célébrer  la  sainte  messe.  Mgr  l'évêque  bénit  ensuite  la  nouvelle 
chapelle.  Enfin,  Monseigneur,  revêtu  de  la  chape,  s'étant  assis  de- 
vant l'autel,  les  quatre  postulantes  vinrent  s'agenouiller  à  ses 
pieds.  C'était  l'heure  à  jamais  solennelle  de  la  naissance  de 
l'institut.  A  l'avance,  Mgr  LaRocque  avait  dressé  un  petit  ques- 
tionnaire, auquel,  à  l'avance  pareillement,  Catherine- Aurélie 
avait,  pour  elle-même  et  pour  ses  compagnes,  rédigé  les  réponses 
à  faire.  Ces  questions  et  ces  réponses  nous  allons  les  rapporter 
telles  qu'elles  ont  été  faites  ou  prononcées  le  14  septembre  1861. 
Pour  les  Sœurs  du  Précieux-Sang,  elles  sont  évidemment  bien 
vénérables.  C'est  comme  leur  grande  charte  ou  leur  pacte  d'alliance 
avec  Dieu.  Pour  tout  le  monde,  elles  sont  bien  édifiantes.  Elles 
montrent  si  heureusement  ce  que  c'est  que  l'oblation  d'une  âme 
pour  l'œuvre  expiatrice  et  rédemptrice. 

"  Ma  fille,  disait  l'évêque  à  Catherine-Aurélie,  que  demandez- 
vous  ?"  —  "  Monseigneur,  répondait  l'heureuse  postulante,  je 
demande  d'être  victime  de  l'adorable  volonté  de  Jésus  crucifié 
et  crucifiant,  de  m'immoler  pour  le  salut  des  âmes  par  la  pénitence 
et  l'expiation  et  de  consumer  mes  jours  pour  la  plus  grande  gloire 
du  Précieux  Sang  et  l'honneur  de  Marie  Immaculée." 

"  C'est  une  voie  nouvelle,  ma  fille,  continuait  l'évêque,  que 
celle  où  vous  voulez  entrer,  non  pas  à  la  vérité  dans  l'Église 
universelle  mais  dans  cette  portion  de  l'Église  où  Dieu  vous  a 
fait  naître.  Quel  motif  avez-vous  donc  de  croire  que  le  SeigneuT 
vous  appelle  à  un  genre  de  vie  qui  rencontrera  sans  doute  beau- 
coup   de    censeurs  ?"  —  "  Il   est    vrai,    Monseigneur,    reprenait 


100  MÈRE  CATHERINE- AURÈLIK 

Aurélie,  que  les  sentiers  par  lesquels  je  veux  marcher  sont  rudes 
et  étranges.  Mais,  pressée  par  la  voix  du  Seigneur  et  le  puissant 
attrait  de  compatir  à  ses  souffrances,  j'ai  voulu,  dès  mon  enfance, 
me  consacrer  comme  vierge  à  son  service.  Depuis  longtemps  déjà, 
j'ai  cherché  un  genre  de  vie  qui  pût  satisfaire  pleinement  les  dispo- 
sitions et  les  vœux  de  mon  cœur,  sans  qu'aucun  ait  pu  réaliser  ce 
que  j'ambitionnais.  Aujourd'hui,  cet  attrait  est  plus  énergique 
que  jamais.  Vu  mes  propres  besoins,  ceux  de  notre  sainte  mère 
l'Église  et  ceux  de  toutes  les  âmes,  les  aspirations  de  mon  cœur 
tendent  irrésistiblement  au  genre  de  vie  que  je  demande  à  embras- 
ser." 

"  Avez-vous  pris  les  moyens,  objectait  l'évêque,  de  ne  pas  vous 
laisser  égarer  dans  de  vaines  et  dangereuses  illusions  ?"  —  "  Mon- 
seigneur, protestait  ardemment  la  postulante,  le  cerf  altéré  ne 
cherche  pas  avec  plus  d'activité  les  eaux  de  la  fontaine  que  moi, 
pauvre  esclave  de  Jésus,  je  n'ai  cherché  à  connaître  la  vérité.  J'ai 
tâché  de  suivre  sans  cesse  la  voie  de  l'obéissance.  J'ai  soumis 
toutes  mes  inclinations  au  jugement  de  mon  directeur,  à  celui 
des  autres  guides  spirituels  à  qui  j'ai  reçu  l'ordre  d'ouvrir  ma 
conscience  et  aussi  aux  lumières  et  à  l'autorité  de  ceux  qui  sont 
chargés  de  me  diriger  au  nom  de  l'Église.  Je  me  suis  abandonnée 
aux  flots  du  sang  divin  avec  une  amoureuse  confiance  !  Voilà  ce 
qui  me  fait  croire  que  je  ne  suis  point  dans  une  voie  fausse." 

"  Mais,  ma  fille,  ajoutait  encore  l'évêque,  n'êtes-vous  pas 
épouvantée  à  la  vue  du  lourd  fardeau  dont  vous  prétendez  charger 
vos  épaules  ?  Comment,  avec  votre  iaiblesse  et  votre  insuffisance, 
pourrez-vous  bien  suivre  la  vocation  à  laquelle  vous  aspirez  ?  " — 
"  M'appuyant  uniquement  sur  la  miséricordieuse  bonté,  répondait 
humblement  la  modeste  Aurélie,  je  courbe  mes  épaules  sous  le 
fardeau  qu'il  m'impose.  J'embrasse  avec  joie,  confiance  et  courage 
les  mille  sacrifices  et  immolations  que  nécessite  l'état  de  perfection 
que  je  veux  suivre.  Considérant  mon  indignité,  mon  extrême 


FONDATION   DE  l'iNSTITUT   DU  PRÉCIEUX-SANG  101 

bassesse  et  mon  peu  de  fermeté,  j'attends  tout  de  Jésus  pour  qui 
je  quitte  tout  et  j'espère  qu'il  m'accordera  la  grâce  de  correspondre 
à  la  sainte  vocation  à  laquelle  il  semble  me  destiner." 

"  Et  vous,  mes  filles,  dit  ensuite  Mgr  l'évêque  aux  trois  com- 
pagnes d'Aurélie,  que  demandez-vous  ?  "  —  "  Monseigneur,  ré- 
pondirent-elles, en  se  servant  des  paroles  qu'avait  écrites  encore 
Aurélie,  nous  demandons  de  nous  joindre,  malgré  notre  indignité, 
à  celle  qui  vient  de  faire  entendre  l'expression  de  ses  sentiments. 
Nous  voulons  consacrer  notre  vie  au  culte  du  Précieux  Sang  et  de 
Marie  Immaculée.  Nous  voulons  expier  nos  fautes  et  nous  faire 
victimes  pour  le  salut  des  âmes.  Nous  désirons  monter  au  calvaire 
et  nous  associer  aux  souffrances  de  Jésus  mort  pour  nous,  ayant 
toute  confiance  que,  puisqu'il  nous  a  appelées,  il  nous  soutiendra, 
et  que  notre  bonne  mère  Marie  prendra  soin  de  nous  comme  de 
filles  qui  veulent  lui  être  spécialem.ent  dévouées." 

L'entrée  dans  la  vie  religieuse,  c'est  une  double  donation,  la 
donation  d'une  âme  à  Dieu  et  aussi  la  donation  de  Dieu  lui-même 
à  l'âme  qui  s'offre  à  lui.  A  lire  ces  expressions  si  pleines  d'humilité 
confiante  et  d'évidente  sincérité  que  la  fondatrice  du  Précieux- 
Sang  avait  elle-même  rédigées,  on  éprouve  parfaitement,  nous 
semble-t-il,  que  la  donation  qu'elle  faisait  de  sa  personne  et  de  sa 
vie  était  moins  un  sacrifice  qu'une  joie.  Il  y  avait  si  longtemps 
qu'elle  désirait  d'un  grand  désir,  suivant  l'expression  desiderio 
desideravi  de  nos  saintes  lettres,  de  se  donner  à  la  vie  contem- 
plative, et  ses  compagnes  avec  elle  et  comme  elle,  que  ce  jour 
et  cette  heure  de  leur  première  oblation  leur  étaient  surtout  un 
jour  et  une  heure  de  bonheur  et  d'indicible  allégresse.  Au  reste, 
pour  toute  âme  fervente,  il  n'en  saurait  être  autrement.  Quand 
on  aime  vraiment,  on  fait  tout  avec  joie. 

Avant  d'entonner  l'hymne  à  l'Esprit-Saint,  de  bénir  les  pauvres 
habits  que  porteraient  ses  filles  et  de  commencer  la  messe  au 
cours  de  laquelle  il  les  leur  remettrait,  Mgr  LaRocque  voulut  leur 


102  MÈRE   CATHERINE-AURéLIE 

ouvrir  son  cœur  de  père  et  leur  parler  affectueusement.  Après 
soixante  ans  écoulés,  et  en  considérant  ce  qu'est  devenu  aujour- 
d'hui l'institut  qui  naissait  alors  si  modestement,  on  ne  saurait 
lire  ce  discours  du  premier  fondateur  de  l'œuvre  sans  une  vive 
émotion.  Ah  !  que  les  voies  de  Dieu  sont  prodigieuses  toujours  ! 

"  Puisque  telles  sont  vos  dispositions,  mes  chères  filles,  disait 
donc  le  bon  et  digne  évêque,  j'acquiesce  à  votre  demande  avec  la 
confiance  que  Jésus  et  son  Immaculée  Mère  daignent  l'avoir  pour 
agréable.  Mais,  tout  en  vous  encourageant  à  suivre  la  voie  où  vous 
demandez  d'entrer,  parce  que  j'estime  que  vos  désirs  sont  assez 
ardents  et  que  votre  attente  a  été  assez  longue  pour  que  le  Seigneur 
en  soit  touché,  je  n'en  vois  pas  moins  le  besoin  de  me  rassurer  et 
de  me  fortifier  moi-même  en  me  rappelant  la  parole  des  saints 
livres  :  Dieu  choisit  ce  qui  est  faible  parmi  le  monde  pour  confon- 
dre ce  qui  est  fort  —  Infirma  mundi  elegit  Deus  ut  fortia  quoque 
confundat.  De  mon  côté,  je  suis  dépourvu  de  richesses  et  dénué  de 
ces  puissantes  ressources  qu'un  évêque  peut  trouver  dans  une 
opulente  cité,  et  vous,  mes  chères  filles,  faibles  et  timides  vierges, 
vous  n'êtes  que  de  bien  fragiles  instruments  pour  opérer  une 
œuvre  dont  la  gravité  serait  propre  à  déconcerter  les  simples  forces 
humaines.  Toutefois,  Dieu,  qui  se  plaît  à  confondre  la  force  par  la 
faiblesse,  se  plaît  aussi  à  faire  trouver,  aux  vierges  qui  se  donnent 
à  lui,  des  ressources  dans  le  dénûment  même  auquel  elles  se 
condamnent  et  de  la  puissance  dans  leur  petitesse  et  leur  humilité." 

Mgr  LaRocque  rappela  alors  la  parabole  si  connue  du  grain 
de  sénevé  et  il  en  fit  l'application  à  l'œuvre  qui  commençait.  Il 
montra  que,  comme  le  christianisme  lui-même,  établi  par  douze 
pauvres  pêcheurs,  l'institut  naissant,  s'il  s'appuyait  sur  Dieu 
seul,  croîtrait  sûrement  pour  l'honneur  de  l'Église  et  le  bien  des 
âmes.  "  Si  votre  œuvre,  disait-il,  est,  comme  je  l'espère,  selon 
le  bon  plaisir  de  Dieu,  même  en  se  servant  d'aussi  frêles  instru- 
ments que  vous  il  saura  la  faire  réussir.  Quand  il  voulut  terrasser 


FONDATION   DE  l'iNSTITUT   DU   PRÉCIETJX-SANG  103 

le  paganisme  et  régénérer  le  monde,  qu'opposa-t-il  à  leur  corrup- 
tion et  à  leurs  désordres  ?  La  simplicité  de  l'Évangile  et  la  folie 
de  la  croix  !  Or,  le  paganisme  vaincu  et  la  croix  exaltée  par  tout 
l'univers  ont  prouvé  que  la  folie  de  Dieu  est  plus  sage  que  la 
sagesse  des  hommes.  La  doctrine  de  la  croix  est  devenue  le  sel 
du  monde  et  l'a  guéri  de  sa  corruption.  Lumière  des  hommes,  elle 
a  dissipé  les  ténèbres  où  ils  étaient  plongés." 

Enfin,  s'adressant  directement  aux  postulantes  et  leur  affirmant 
que  la  sainte  folie  de  la  croix  se  retrouve  avec  sa  puissance  et  sa 
merveilleuse  sagesse  pour  chaque  âme  qui  se  donne  sincèrement 
à  la  vie  religieuse,  Mgr  l'évêque  leur  dit  encore  :  "  Vous  allea 
désormais,  mes  chères  filles,  mettre  vos  délices  dans  la  prière, 
dans  la  méditation  et  dans  la  pénitence.  La  vertu  des  anges  va 
être  votre  passion.   Jeux,   dissipation,  luxe,   vanité,   vous  allez 
estimer  tout  cela  comme  de  la  boue  et  de  la  fange.  C'est  bien  là 
la  folie  de  la  croix  !  Mais,  par  cette  sainte  folie,  quelle  sagesse 
vous  pouvez  inspirer  à  bien  des  âmes  !  Quelle  salutaire  influence 
vous  pouvez  exercer  sur  la  société  en  infiltrant  dans  les  cœurs  les 
vertus  dont  vous  serez  vous-mêmes  animées  !  La  piété  engendre 
la  piété  et  les  cœurs  qui  sont  à  Dieu  attirent  à  Dieu  d'autres 
cœurs.  .  .    Comme  des  fleurs  plantées  dans  le  jardin  de  l'époux 
céleste,  vous  répandrez  autour  de  vous  ce  parfum  que  l'Écriture 
appelle  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ.  .  .    Vous  exercerez  un 
ministère  tout  intérieur,  le  ministère  de  l'amour.  .  .  Vous  remplirez 
un  apostolat,  celui  de  la  prière  et  du  sacrifice .  .  .  Cachées  aux  yeux 
du  monde,  vous  ferez  descendre  sur  lui,  pour  le  purifier  et  le 
sanctifier,  les  mérites  du  sang  de  Jésus-Christ.  .  .  Courage  donc  !... 
En  aimant,  en  priant,  en  souffrant,  vous  remplirez  une  belle, 
utile  et  bien  sublime  fonction .  .  .   Courage  ! .  .  .   Comptez  sur  le 
centuple  promis  dès  cette  vie  aux  âmes  qui  se  donnent  complète- 
ment à  Dieu  en  attendant  la  gloire  et  les  délices  du  ciel  I  ** 


104 


MEEE  CATHERINE-AURELIB 


Ému  par  sa  propre  parole  et  par  les  grandes  choses  qui  s'accom- 
plissaient par  son  ministère,  le  pieux  prélat  entonna  ensuite  le 
Veni  Creator,  bénit  les  saints  habits,  qu'il  devait  bientôt  remettre 
aux  heureuses  postulantes,  et  la  messe,  source  sans  cesse  renou- 
velée du  Précieux  Sang,  dite  par  lui-même,  commença. 

Quels  moments,  dans  l'histoire  et  pour  la  vie  de  l'institut  du 
Précieux-Sang,  que  ceux  que  nous  venons  de  raconter  !  Quelle 
scène,  pour  les  yeux  des  adoratrices  d'alors  et  d'aujourd'hui,  que 
celle  qui  se  déroula  ainsi,  dans  la  modeste  maison  du  forgeron 
Caouette,  le  14  septembre  1861  !  Trente  ans  plus  tard,  l'une  des 
filles  de  Mère  Caouette,  qui  avait  reçu  du  ciel  le  don  de  s'exprimer 
dans  la  langue  des  dieux,  évoquait  cette  scène  et  ces  heureux 
moments.  Nous  ne  résistons  pas  au  plaisir  de  citer  ici  quelques- 
uns  de  ses  beaux  vers  : 

Mère,  t'en  souvient-il  ?  C'était  un  jour  d'automne 
Où  l'Église  exaltait  la  croix  du  Rédempteur  ; 
Les  anges  descendaient,  et  ta  sainte  patronne, 
Catherine,  était  là  pour  te  nommer  sa  sœur.  .  . 

Trois  vierges  t'entouraient  et  te  disaient  "  ma  mère  ", 

Elles  avaient  compris  ton  siiio  d'amour.  .  . 

Un  pontife  sacré  vous  montrait  le  calvaire 

Et  vous  disait  :  "  Enfants,  voilà  votre  séjour  !  " 

Et  la  croix  de  Jésus  rayonnait,  triomphante  ! 

Ses  grands  bras  ombrageaient  quatre  beaux  lis  en  fleurs, 

En  épanchant  sur  eux  une  onde  bienfaisante.  .  . 

Ces  flots  étaient  du  sang  !  Ces  lis  étaient  des  cœurs  ! 

L'institut  du  Précieux-Sang  était  donc  inauguré,  la  première 
prise  d'habit  était  faite.  Mais  la  prise  d'habit  définitive  et  la 
première  profession,  celle  de  la  fondatrice,  n'auraient  lieu  que 
deux  ans  plus  tard.  En  attendant,  il  fallait  tout  de  même  un  règle- 
ment et  un  organisme  disciplinaire  à  la  nouvelle  communauté. 
En  d'autres  termes,  il  lui  fallait  une  autorité  reconnue  et  un  ordre 
de  vie  déterminé.  L'élection  d'une  supérieure  ne  fut  pas  longue 
à  faire  et  il  n'y  eut  pas  besoin  de  scrutin  secret.  "  Quand  elles  se 
virent  seules,  dit  le  Livre  d'or,  dans  le  petit  cénacle  que  l'encens 


FONDATION    DE  L'iNSTITUT   DD  PRÉCIEUX-SANG  105 

embaumait  encore,  les  quatre  fondatrices  s'étreignirent  mutuelle- 
ment dans  un  tendre  baiser,  puis,  les  trois  compagnes  de  Sœur 
Catherine-Aurélie,  agenouillées  à  ses  pieds  et  la  remerciant  de  leur 
bonheur,  la  nommèrent  d'une  commune  voix  leur  "  petite  mère  " 
et  lui  promirent,  non  sans  verser  des  larmes  d'émotion,  la  fidélité, 
la  constance  et  la  générosité."  Le  dimanche  suivant,  Mgr  l'évêque 
de  Saint-Hyacinthe  confirmait  de  son  autorité  épiscopale  et 
complétait  cette  élection  spontanée  en  nommant  officiellement 
Sœur  Catherine-Aurélie  supérieure.  Sœur  Élizabeth  assistante 
et  Sœur  Sophie  secrétaire.  Quant  au  règlement  de  vie,  Mgr 
l'évêque,  qui  l'avait  lui-même  fixé,  le  remit  aux  nouvelles  reli- 
gieuses immédiatement  après  la  cérémonie  du  14  septembre. 
En  voici  les  grandes  lignes.  Lever  à  5  h.,  oraison  d'une  heure, 
messe  à  6  h.  30,  déjeuner  à  7  h.,  travail,  petites-heures  à  8  h.  30, 
travail,  examen  à  11  h.  45,  dîner  à  midi,  avec  lecture,  récréation 
jusqu'à  1  h.  30,  vêpres  puis  travail,  à  3  h.  exercice  en  l'honneur  de 
la  passion  et  matines  et  laudes,  à  6  h.  30  chapelet,  lecture  spiri- 
tuelle, chapelet  du  Précieux-Sang  (le  jeudi)  ou  de  Notre-Dame 
des  Sept  Douleurs  (le  vendredi),  à  8  h.  prière,  oraison  d'une 
heure,  coucher.  .  . 

La  chronique  nous  apprend  que  lorsqu'elles  prirent  connais- 
sance de  ce  règlement,  aussitôt  que  leurs  parents  et  amis  se  furent 
retirés  à  l'issue  de  la  cérém.onie  du  14,  ces  assoiffées  de  souffrances 
réparatrices  en  furent  médiocrement  satisfaites.  Elles  le  dirent 
naïvement  à  Monseigneur,  lui  exprimant  le  désir  d'avoir  quelque 
chose  de  plus  !  "  Comment,  protestaient-elles  pieusement,  pas  un 
seul  petit  jeûne  ?  "  —  "  Peut-être,  mes  chères  filles,  repartit 
Monseigneur,  jeûnerez-vous  plus  souvent  que  vous  n'en  aurez  la 
dévotion.  .  .  Laissons  à  Dieu  de  régler  cette  question  lui-même." 
Comme  pour  lui  donner  immédiatement  raison,  quand  le  moment 
vint  de  déjeuner,  "  puisque  Monseigneur  et  le  règlement  le 
voulaient  ",  vers  les  11  heures  de  ce  matin  du  14  septembre,  elles 


106  MÈRE  CATHEBINE-ATJRÉLIB 

constatèrent  qu'elles  n'avaient  que  de  l'eau  chaude  sur  le  poêle. 
On  avait  oublié  de  se  munir  de  provisions  !  "  Nous  en  fûmes 
extrêmement  peinées,  écrira  plus  tard  Sœur  Euphrasie  (Mère 
Euphrasie-de-Saint- Joseph),  à  raison  de  la  présence  de  deux 
Sœurs  Grises  qui  avaient  passé  une  partie  de  la  nuit  à  nous  aider 
à  préparer  l'autel  et  tout  ce  qu'il  fallait  pour  la  cérémonie." 
Sœur  Catherine-x\uréiie  ayant  fait  part  de  son  embarras  à  son 
père  M.  Caouette,  l'excellent  homme  y  pourvut  de  grand  cœur. 
Mais  il  ne  put  lui-même  leur  fournir  comme  pièce  de  résistance 
qu'un  morceau  de  lard  froid.  Cela  restait  bien  dans  la  note  de 
mortification  voulue. 

Les  premières  bases  de  l'œuvre  du  Précieux-Sang  se  trouvaient 
ainsi  au  moins  provisoirement  assises.  Mgr  LaRocque,  s'il  avait 
longtemps  hésité,  pouvait  maintenant  se  tenir  pour  assuré,  puis- 
qu'il était  bien  convaincu  qu'elle  était  voulue  de  Dieu,  que  l'insti- 
tution prospérerait.  Il  fut  encouragé  dans  cette  consolante  pensée 
par  la  belle  et  si  expressive  lettre  que  lui  écrivit,  à  quelques  semai- 
nes de  là,  exactement  le  22  octobre,  le  vénéré  Mgr  Bourget,  à  qui 
il  avait  rendu  compte  de  tout  ce  qui  s'était  passé,  à  la  maison 
Caouette  devenue  monastère,  le  14  septembre.  "  Votre  lettre  du 
18  courant,  très  cher  Seigneur,  lui  écrivait  Mgr  de  Montréal,  qui 
me  donne  le  détail  de  la  touchante  cérémonie  du  14  septembre 
dernier,  remplit  mon  cœur  d'émotions  bien  vives  et  me  confirme 
dans  la  pensée  que  c'est  vraiment  Dieu  qui  est  l'auteur  de  l'œuvre 
du  Précieux-Sang.  .  .  Je  me  réjouis  du  fond  de  mon  cœur,  en 
voyant  ces  nouvelles  colombes  se  plonger  dans  le  sang  adorable 
du  Sauveur  afin  de  se  faire  victimes  d'expiation  pour  les  péchés  du 
monde  dans  ces  temps  mauvais.  .  .  Il  faut  bien  augurer  de  cette 
œuvre  naissante,  puisque  déjà  elle  a  rencontré  tant  de  contra- 
dictions. Les  sombres  rumeurs  qui  peuvent  circuler  contre  le 
sort  futur  de  la  nouvelle  communauté  ne  signifient  rien.  .  .  Les 
personnes  qui  les  font  courir  dans  le  monde  ne  connaissent  pas  ce 


FONDATION  DE  l'inSTITUT  DU  PRÉCIEUX-SANG  107 

qui  a  été  fait  pour  s'assurer  si  cette  œuvre  d'expiation  était  bien 
voulue  de  Dieu,  ou,  si  elles  savent  quelque  chose,  elles  n'ont  pas 
mission  ou  autorité  pour  en  juger  sainement.  Pour  ma  part,  je 
crois  que  la  divine  Providence  vous  a  préparé  de  longue  main, 
ainsi  que  M.  Raymond,  pour  faire  planer  bien  haut  les  âmes 
contemplatives  de  ce  nouvel  institut.  Il  est  temps,  ce  me  semble, 
que  notre  jeune  pays  qui,  jusqu'ici,  n'a  eu  à  l'œuvre  que  des 
Marthes,  ait  aussi  ses  Madeleines  dans  le  désert  de  la  sainte 
Beaume  !  Le  jour  où  des  âmes  généreuses  (qui  sont  des  nôtres) 
commencent  à  s'élever  dans  les  sublimes  régions  de  la  contem- 
plation doit  nous  paraître  à  tous  un  jour  heureux.  Nous  devons 
le  saluer  avec  bonheur.  Pour  moi,  je  n'ai  point  d'expressions  qui 
me  satisfassent  pour  dire  ce  que  mon  cœur  ressent  quand  je  songe 
que  Notre-Seigneur  se  donne  ici  comme  ailleurs  de  chastes  épouses 
qui  n'auront  d'autre  chose  à  penser  et  à  faire  que  de  souffrir  en 
l'aimant.  Votre  Saint-Hyacinthe  est  le  lieu  privilégié  que  le 
Seigneur  a  choisi  pour  être  le  berceau  de  la  vie  cachée  qu'il  veut 
mener  chez  nous  dans  ses  humbles  servantes.  Je  m'en  réjouis  de 
tout  mon  cœur  et  je  ne  cesserai  de  former  des  vœux  pour  qu'il 
achève  ce  qu'il  a  commencé  avec  tant  de  bonté.  Je  serai  trop 
heureux  de  pouvoir  contribuer  en  quelque  manière  au  dévelop- 
pement d'une  œuvre  si  sainte.  En  attendant,  je  réclame  avec 
instance  l'avantage  de  participer  aux  ferventes  prières  et  aux 
gros  sacrifices  qui  vont  se  faire  dans  ce  nouveau  port  du  salut." 

L'on  comprend  aisément  quel  réconfort  cette  lettre  du  grand 
évêque,  à  qui  Montréal  et  la  vie  religieuse  canadienne  doivent 
devant  l'histoire  tant  de  gratitude,  dut  apporter  à  Mgr  LaRocque, 
au  pieux  M.  Raymond,  à  Sœur  Catherine-Aurélie  et  à  ses  trois 
compagnes.  Dieu  leur  eût -il  envoyé  un  ange,  comme  à  Tobie,  pour 
les  guider  ou  pour  les  assurer  qu'ils  et  qu'elles  étaient  dans  la  bonne 
voie,  que  les  uns  et  les  autres,  nous  semble-t-il,  n'en  auraient  pas 
été  plus  persuadés,  plus  convaincus  et  plus  certains.  Mgr  Bourget, 


108 


MERE  CATHERIN  E-ATJRELIE 


Tadmirable  homme  de  Dieu  qui  administrait  Montréal  depuis 
vingt  ans  et  à  qui  le  diocèse  de  Saint-Hyacinthe  devait  la  vie, 
l'évêque  à  l'œil  pénétrant  qui  avait  fait  venir  de  France  ou  fait 
jaillir  du  sol  fécond  de  notre  terroir  canadien  tant  et  de  si  utiles 
communautés,  Mgr  Bourget  se  réjouissait  de  voir  ces  nouvelles 
colombes  se  plonger  dans  le  sang  adorable  !  Il  estimait  qu'il 
fallait  bien  augurer  d'un  institut  qui  naissait  au  milieu  des  contra- 
dictions !  Aux  nombreuses  Marthes  que  nous  avions  déjà,  il  pro- 
clamait que  c'était  le  temps  de  joindre  des  Madeleines  !  —  Il  disait 
des  Madeleines  et  non  pas  des  Maries  à  dessein  sans  doute,  pour 
bien  marquer  le  caractère  d'expiatrices  qu'il  voyait  chez  les 
Sœurs  de  l'institut  naissant.  —  Il  félicitait  Saint-Hyacinthe  d'avoir 
été  choisi  pour  être  le  berceau  de  cette  autre  vie  cachée  que  Jésus 
vivrait  dans  ses  modestes  servantes  !  Que  pouvait-on,  en  vérité, 
chez  les  nouvelles  religieuses  et  chez  leurs  vénérables  et  respectés 
amis,  Mgr  LaRocque  et  M.  Raymond,  désirer  ou  souhaiter  de 
plus  réconfortant  et  de  plus  consolant  ? 

Dans  l'âme  ardente  de  Sœur  Catherine-Aurélie  en  particulier, 
les  sentiments  de  la  plus  profonde  reconnaissance  s'alliaient  à 
ceux  de  sa  foi  et  de  son  culte  envers  le  Sang  Précieux  de  Jésus. 
A  la  fin  de  cette  année  1861,  où  elle  avait  vu  enfin  ces  pieux  projets 
aboutir  et  le  rêve  de  son  enfance  et  de  sa  jeunesse  se  réaliser, 
elle  écrivait  à  Mgr  LaRocque,  qui  s'était  montré  si  bon  père, 
et  avait  été,  avec  M.  Raymond,  l'instrument  dont  Dieu  s'était 
servi  pour  l'amener  à  ses  fins,  une  nouvelle  lettre,  que  nous  ne 
saurions  ne  pas  reproduire  dans  son  texte,  tant  elle  exprime  juste- 
ment ce  que  l'on  est  en  droit  de  conclure  des  événements  que  nous 
avons  racontés  dans  ce  chapitre. 

"  Monseigneur  et  bien  cher  Père,  disait-elle,  le  31  décembre 
1861,  dans  cette  lettre  datée  du  Couvent  du  Précieux- Sang.  Que  les 
mille  bénédictions  de  l'amoureux  époux  des  âmes  tombent  sur  la 
vôtre  et  l'enrichissent  de  ses  plus  précieux  trésors  !  Soyez  mille 


rONDATRICE    DE   l'iNSTITUT    DU    PRÉCIEUX-SANG  109 

et  mille  fois  béni  par  l'effusion  du  sang  du  bien-aimé  Jésus  de  la 
crèche  !  Soyez  béni  encore  par  Marie  la  vierge-mère  !  Qu'elle 
vous  inonde  de  ses  flots  de  pureté  !  Bénie  aussi  soit  l'œuvre 
sainte  que  vous  avez  entreprise  pour  sa  gloire  !  Après  avoir  pressé 
Jésus  par  une  ardente  supplication  de  vous  submerger  dans 
l'océan  de  l'amour,  laissez  vos  petites  enfants  vous  redire  le  trop 
plein  de  leur  bonheur.  Vous  avez  comblé  votre  intérêt  pour  nous 
en  réalisant  notre  plus  cher  désir.  Vous  nous  avez  donné  tout  à  la 
fois  le  calvaire  et  le  cénacle.  Le  céleste  amant  se  fait  notre  perpé- 
tuel gardien.  O  que  de  félicité  dans  notre  humble  solitude  ! .  .  . 
Et  c'est  à  vous,  ô  notre  bienfaiteur  par  excellence,  que  cette  faveur 
est  due  !  Si  votre  bonheur  n'égalait  pas  le  nôtre,  nous  n'hésiterions 
pas  à  l'acheter  par  mille  sacrifices.  Nous  croyons  cependant  avoir 
trouvé  le  secret  de  l'augmenter.  N'est-ce  pas,  bon  Père,  que, 
plus  nous  aimerons  Jésus,  plus  nous  serons  humbles  et  pures,  et 
plus  aussi  votre  cœur  sera  saintement  réjoui  ?  Daignez  donc  agréer, 
avec  nos  sentiments  et  nos  vœux,  l'assurance  de  notre  aveugle 
soumission  et  du  désir  que  nous  avons  de  correspondre  entièrement 
à  vos  soins  si  paternels  et  aux  vues  de  Dieu  sur  nous .  .  ,  " 

"  L'homme  n'est  grand  qu'à  genoux,  a  dit  Louis  Veuillot.  Là, 
ses  chaînes  tombent  et  il  lui  pousse  des  ailes.  Le  pharisien  priait 
debout  ;  le  publicain,  prosterné,  se  préparait  à  prendre  son  vol." 
En  lisant  les  notes  ardentes,  mais  si  humbles,  par  lesquelles  la 
fondatrice  du  Précieux-Sang,  dès  le  début  de  son  œuvre,  commu- 
niquait ses  sentiments  aux  représentants  de  Dieu  qui  en  avaient 
protégé  la  naissance,  on  se  prend  à  évoquer  le  souvenir  de  cette 
belle  et  forte  leçon  de  l'Êv^angile  que  le  grand  publiciste  chrétien 
mettait  d'un  mot  heureux  en  si  pleine  valeur.  Oui,  vraiment, 
comme  le  publicain,  les  adoratrices  de  Saint-Hyacinthe  se  tenaient 
à  genoux  et  prosternées,  et  c'est  pour  cela  qu'il  leur  poussait  des 
ailes  et  qu'elles  se  préparaient  à  prendre  leur  vol.  Elles  savaient 
qu'elles  ne  pouvaient  rien  par  elles-mêmes,  et  c'est  pourquoi  la 


110  MÈRE  CATHERINE- AUKÉLIE 

force  de  Dieu  serait  avec  elles.  Elles  étaient  grandes  déjà,  sans  s'en 
douter  certainement,  parce  qu'elles  étaient  et  parce  qu'elles  res- 
taient à  genoux  !  Et  c'est  pourcela  que  les  effusions  du  Précieux  Sang 
allaient  magnifiquement  féconder  l'institut  qui  naissait  par  elles. 


CHAPITRE  V 


De  la  fondation  de  l'institut  à  la  profession  de  la  fondatrice  (1861-1863) 


Sommaire. —  L'esprit  et  les  dévotions  des  premières  années. —  Assistance  de  M.  le 
curé  Lecours,  acquisition  d'une  propriété. —  Mgr  Joseph  part  pour  Rome, 
Sœur  Catherine-Aurélie  lui  écrit. —  Lettres  de  M.  l'abbé  Raymond  à  la 
jeune  supérieure. —  Voyage  à  Montréal,  séjour  à  l'Hôtel-Dieu  et  à  la  Congré- 
gation.—  Lettre  de  Sœur  Catherine-Aurélie  à  Mgr  Joseph  (19  avril  1863). — 
Lettre  de  M.  l'abbé  Raymond  à  la  supérieure  (9  mai  1863). —  On  se  prépare 
à  entrer  dans  le  nouveau  monastère. —  Lettre  de  Sœur  Catherine-Aurélie  à 
Mgr  Joseph  (13  septembre  1863). —  L'entrée  au  blanc  monastère. —  Mgr 
Bourget  donne  le  saint  habit  aux  quatre  premières  novices  et  reçoit  la 
profession  de  la  fondatrice  (14  septembre  1863.) —  Le  costume. —  Détails 
de  la  cérémonie. —  La  profession  de  Sœur  Catherine-Aurélie-du-Précieux- 
Sang. —  Profession  de  ses  trois  premières  compagnes  (8  décembre  1863). — 
De  nouvelles  recrues. —  Lettre  de  la  fondatrice  à  Mgr  Joseph  (septembre 
1863). —  Lettre  de  M.  l'abbé  Raymond  à  la  supérieure  (6  octobre  1863). — 
Lettre  de  Sœur  Catherine-Aurélie  à  Mgr  Joseph  (30  décembre  1863). — 
Confiance  de  Mgr  Joseph  en  la  prière  de  ses  filles  (lettre  du  24  août  1864). — 
Saint  Jean  de  la  Croix  et  sainte  Thérèse. 


,Rs  quatre  premières  Sœurs  du  Précieux-Sang  devaient 
ainsi  passer  deux  ans,  dans  la  maison  du  père  Caouette, 
en  se  préparant  à  la  grâce  de  la  profession  religieuse 
qui  aurait  lieu,  pour  Sœur  Catherine-Aurélie,  le  14 
septembre  1863,  et,  pour  ses  trois  compagnes,  le  8 
décembre  de  la  même  année.  En  suivant  la  règle  que 
nous  avons  indiquée,  elles  s'efforceraient,  au  cours  de  ces 
toutes  premières  années,  de  l'animer  par  le  meilleur  esprit 
chrétien  et  de  lui  faire  exprimer  dans  la  pratique  la  vraie  vie 
religieuse.  On  trouve  dans  les  archives  du  temps  l'exposé,  bref 
mais  suggestif,  de  l'esprit  et  des  dévotions  spéciales  dans  lesquelles, 
en  effet,  on  s'entretenait  pour  arriver  à  ce  noble  but. 


112  MÈRE  CATHERINE-AURÉLIE 

D'abord  on  devait  vivre  autant  que  possible   dans  le   silence 
et  le  recueillement.  Le  plus  profond  silence  devait  être  gardé  depuis 
la  fin  de  la  récréation  du  soir  jusqu'après  la  messe  du  matin,  et, 
pour  le  reste  de  la  journée,  excepté  aux  heures  de  récréation,  on 
devait  aussi  s'y  astreindre  le  moins  mal  qu'on  le  pouvait,  sauf 
dans  un  cas  d'évidente  utilité  à  le  rompre.  Pendant  les  heures  de 
travail,  on  devait  s'exercer  toujours  à  honorer  explicitement  le 
Précieux  Sang,  soit  intérieurement,  soit  par  des  ofifrandes  ou 
aspirations  faites  à  hautes  voix  par  l'une  des  Sœurs.  Les  divers 
actes  de  piété  surtout  devaient  s'inspirer  du  culte  à  l'auguste 
Trinité  et  de  la  dévotion  au  Précieux  Sang.  Après  chaque  Angélus^ 
qu'on  disait  à  l'origine  au  son  de  la  cloche  paroissiale,  on  récitait, 
suivant  une  pratique  chère  à  Mgr  Bourget,  trois  fois  le  Gloire  au 
Père  et  au  Fils  et  au  Saint-Esprit.  Deux  fois  par  jour,  après  la 
prière  du  matin  et  après  celle  du  soir,  et  aussi  privément  dans  la 
journée  selon  sa  dévotion,  on  honorait  Dieu  par  la  récitation  des 
trois  actes  de  foi,  d'espérance  et  de  charité.  La  nuit,  quand  on  ne 
dormait  pas,  on  cherchait  par  la  pensée  à  s'entretenir  avec  son 
bon  ange,  son  saint  patron,  la  bonne  Vierge  "  qu'on  se  figurera 
avoir  auprès  de  son  lit  ".  L'invocation  à  l'Esprit-Saint  précédait 
aussi,  naturellement,  chaque  exercice  de  chaque  jour.  On  avait 
choisi  pour  principaux  patrons  et  patronnes  de  l'institut  naissant  : 
saint  Joseph,  saint  Hyacinthe,  saint  Jean  de  la  Croix,  sainte 
Catherine  de  Sienne,  sainte  Thérèse,  saint  Louis  de  Gonzague  et 
saint  Stanislas  Kostka.  Comme  de  juste  les  deux  dévotions  fonda- 
mentales, c'étaient  la  dévotion  à  Marie  et  la  dévotion  à  Jésus. 
**  La  très  sainte  Vierge,  avait  écrit  Sœur  Catherine- Aurélie,  sera, 
dans  tous  ses  mystères,  et  spécialement  dans  celui  de  sa  conception 
immaculée,    comme   le   lis    embaumé    que   nous    contemplerons 
habituellement  et  dont  nous  respirerons  l'odeur  suave  en  nous 
efiForçant  d'être,  nous  aussi,  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ." 
Les   Sœurs   du   nouvel  institut  s'adonneront,   avait-elle   encore 


DE  LA  FONDATION   A  LA   PROFESSION  113 

exprimé,  au  culte  dû  à  Notre-Seigneur  sous  toutes  ses  formes  : 
au  nom  de  Jésus,  "  qui  sera  le  miel  de  leur  bouche  ";  à  Jésus 
enfant,  par  des  prières  spéciales  ;  à  Jésus  crucifié,  par  le  chemin  de 
la  croix  ;  à  Jésus  présent  au  saint  Sacrement  et  à  son  cœur  sacré, 
en  la  manière  voulue  par  l'Église  ;  à  Jésus  dans  son  Précieux  Sang, 
"  qui  sera  surtout  l'objet  de  leurs  adorations,  de  leurs  aspirations, 
de  leurs  expiations,  de  leurs  amendes  honorables,  d'une  dévotion 
enfin  tendre  et  dévouée  de  la  part  de  toutes  et  de  chacune  des 
Sœurs  qui  ont  l'honneur  de  porter  son  nom  comme  un  titre  de 
noblesse  ".  Beau  programme,  en  vérité,  substantiel  autant  que 
varié,  bien  ordonné,  et  où  l'on  aperçoit  le  souci  de  la  plus  scru- 
puleuse orthodoxie.  Rien,  semble-t-il,  n'y  était  laissé  à  l'aventure. 
Tout  y  était  à  sa  place.  On  variait  le  menu,  oserons-nous  dire, 
parce  que  c'est  un  besoin  pour  la  nourriture  de  l'esprit  comme  pour 
celle  du  corps,  mais  il  restait  doctrinal,  sain,  nourrissant  et  forti- 
fiant. 

Aussi  bien,  l'institut  du  Précieux-Sang  se  fortifia-t-il  norma- 
lement et  sûrement.  En  1861,  l'année  même  de  la  fondation  de 
l'institut  dans  la  maison  Caouette,  M.  Lecours  passait  de  la  cure 
de  Saint-Aimé  à  celle  de  Saint-Hyacinthe.  L'une  des  trois  compa- 
gnes de  la  fondatrice,  Euphrasie  Caouette,  nous  l'avons  raconté, 
était  précédemment  institutrice  à  Saint-Aimé.  Par  elle  et  aussi 
par  la  renommée  qui  déjà  s'étendait  au  loin,  M.  Lecours  avait 
connu  l'œuvre  encore  en  projet.  Les  nouvelles  religieuses  se  trou- 
vaient maintenant  être  ses  paroissiennes.  Il  résolut  de  s'intéresser 
à  leur  avenir  matériel.  Mgr  LaRocque,  après  l'avoir  éprouvé  de  la 
façon  que  nous  avons  dite,  lui  donnait  désormais  à  peu  près 
carte  blanche.  Le  digne  prêtre,  en  dépit  de  ses  largesses  envers  les 
pauvres,  considérables  partout  où  il  avait  passé,  enjdépit  notam- 
ment de  tout  ce  qu'il  avait  donné  pour  diverses  constructions  à 
Saint-Aimé,  avait  quelques  économies.  Il  les  doubla  et  les  quin- 
tupla en  tendant  la  main  de  tous  les  côtés  et  en^multipliant  les 


114  UÈBE  CATHEBINE-AtrBÉLIE 

pieuses  industries  que  lui  inspiraient  son  zèle  et  sa  charité.  Et 
tout  cela  fut  consacré  au  Précieux-Sang.  C'est  ainsi  qu'il  put 
acquérir  d'une  dame  Benoit,  et  donner  aux  Sœurs  en  pur  don,  un 
vaste  terrain,  celui-là  même  où  se  voient  de  nos  jours  le  monastère 
et  la  chapelle  du  Précieux-Sang  de  Saint-Hj^acinthe.  *'  Ce  terrain 
avait  de  telles  proportions,  raconte  le  Livre  d'or  (1911),  que,  outre 
la  ferme  qui  leur  apporte  encore  ses  produits  annuels  et  ses  autres 
avantages,  les  Sœurs  ont  pu,  avec  les  années,  non  seulement  y 
faire  construire  d'amples  dépendances,  mais  encore  vendre  une 
langue  de  terre  pour  les  compagnies  de  chemin  de  fer  et  gratifier, 
à  certaines  conditions,  le  conseil  municipal  de  Saint-Hyacinthe 
de  quatre  lisières  qui  ont  servi  à  l'ouverture  et  à  l'élargissement 
des  quatre  rues  voisines."  Mais,  à  l'époque  de  la  fondation,  le 
terrain  susdit  se  trouvait  en  pleine  campagne,  avec  seulement, 
pour  l'occuper,  une  maison  assez  spacieuse,  si  propre  et  si  blanche, 
qu'on  l'appela  d'abord  le  hlanc  monastère,  puis,  après  1867,  la 
maison  blanche.  Pour  faire  ce  don  vraiment  royal  d'une  belle  pro- 
priété et  d'une  jolie  maison  aux  Sœurs  de  l'institut  naissant,  le 
bon  M.  Lecours,  dont  la  gauche  aimait  à  ignorer  ce  que  faisait  la 
droite  suivant  le  conseil  évangélique,  usa  d'un  délicat  subterfuge. 
Il  acheta  de  madame  Benoit  et  il  donna  aux  Sœurs  au  nom  de  la 
corporation  épiscopale  de  Saint-Hyacinthe.  "  Cette  donation  est 
ainsi  faite,  dit  cependant  l'acte  officiel,  qui  n'est  connu  que  de  peu 
de  gens,  aux  Sœurs  du  Précieux-Sang,  au  nom  de  la  dite  corpo- 
ration épiscopale,  par  le  révérend  messire  Edouard  Lecours,  prêtre 
et  curé  de  la  dite  paroisse  de  Saint-Hyacinthe,  et  payée  par  ce 
monsieur  de  ses  propres  deniers,  à  l'acquit  de  la  dite  corporation 
épiscopale,  le  dit  messire  Edouard  Lecours  étant  de  fait  le  seul 
bienfaiteur  et  fondateur  du  monastère  des  Sœurs  du  Précieux- 
Sang  dans  la  donation  de  ce  terrain."  La  charité  du  bon  M.  Le- 
cours ne  se  borna  pas  là  du  reste.  Elle  fut  de  mille  façons  profitable 
aux  Sœurs  de  la  maison  Caouelte  d'abord,  puis  du  blanc  monastère 


DE  LA  FONDATION    À  LA  PROFESSION  115 

et  de  la  maison  blanche.  A  la  façon  des  anciens  curés,  il  donnait  et 
donnait  toujours.  Il  avait  même  communiqué  son  goût  de  toujours 
donner  à  son  entourage.  La  gouvernante  de  son  presbytère,  la 
demoiselle  Julie  La  voie,  avait  sans  cesse  quelque  mystérieux 
paquet  à  envoyer  au  cher  monastère,  et  Godefroy,  le  bon  serviteur, 
était  du  complot.  "  Que  portes-tu  donc  là,  Godefroy,  "  lui  demande 
un  jour  le  curé,  en  le  voyant  chargé  d'un  grand  panier  se  diriger 
vers  la  maison  Caouette.  L'autre  fit  l'embarrassé  et  murmura  un 
"  mademoiselle  Lavoie  "  et  quelques  mots  embrouillés  qui  se 
perdirent  dans  le  vent.  Ah  !  la  belle  charité  que  celle  de  ces  discrètes 
gens  !  Ajoutons  d'un  mot  qu'elle  n'était  pas  la  seule  qui  se  dépen- 
sait au  service  des  nouvelles  religieuses.  On  était  si  certain  qu'en 
les  secourant  c'était  à  Dieu  que  l'on  prêtait  ! 

C'est  le  14  septembre  1863  qu'on  devait  entrer  dans  le  blanc  mo- 
nastère, le  jour  même  oii  aurait  lieu  la  première  profession.  Puis- 
qu'on se  sentait  de  plus  en  plus  à  l'étroit  dans  la  maison  Caouette 
et  que  M.  Lecours  dut  songer  à  pourvoir  ses  protégées  d'un  logis 
plus  vaste,  c'est  un  signe  que  le  nombre  des  vocations  allait  en 
s'augmentant.  Outre  les  quatre  Sœurs  fondatrices  il  y  avait,  en 
effet,  trois  ou  quatre  postulantes  en  septembre  1863.  La  bénédic- 
tion de  Dieu  donnait  l'accroissement. 

Cependant  la  fondatrice,  pour  se  rendre  de  plus  en  plus  digne 
de  l'attention  de  Dieu  et  de  ses  ministres,  suivait  le  conseil  de 
saint  Paul  :  elle  s'exerçait  à  la  piété.  Dans  le  courant  de  l'année 
1862,  Mgr  LaRocque  fit  à  Rome  son  voyage  ad  limina.  Naturel- 
lement la  jeune  supérieure  eut  l'occasion  de  lui  écrire  plus  d'une 
fois  et  ses  lettres  nous  permettent  de  suivre  le  travail  de  la  grâce 
dans  cette  âme  de  prédilection  et  aussi  le  progrès  de  l'œuvre 
qu'elle  venait  de  fonder,  sous  la  direction  de  l'évêque  et  de  son 
grand-vicaire,  M.  Raymond.  "  Partez,  écrit-elle  à  Monseigneur 
le  13  mars  1862,  puisque  Jésus  le  veut.  Mais  quand  vous  aurez 
échangé  pour  le  beau  ciel  de  l'Italie  celui  si  doux  de  notre  cher 


116 


MERE   CATHERINE-AURELIE 


Canada,  pensez  que  des  cœurs  jeunes  mais  forts  de  leur  filiale 
tendresse  s'attacheront  à  vos  pas  sur  les  rives  étrangères.  Quand 
vos  pieds  fouleront  avec  respect  cette  terre  engraissée  du  sang 
des  martyrs,  quand  vous  prierez  sur  les  tombeaux  des  vierges, 
nos  amies,  et  que  vous  vous  arrêterez  dans  leurs  sanctuaires  aimés, 
n'oubliez  pas  de  conjurer  le  Seigneur  de  faire  de  nous  des  lis  blancs 
de  la  pure  virginité  et  des  roses  rouges  du  martyre  du  cœur.  .  .  " 
"  Vous  m'écriviez  il  y  a  quelques  semaines,  mande-t-elle  le  23 
mai,  du  sein  des  vagues  de  l'océan,  où  j'étais  bien  près  de  vous 
d'esprit  et  de  cœur;  je  vous  écris,  moi,  pauvre  petite  misérable, 
du  sein  de  la  mer  rouge  du  sang  du  mille  fois  béni  bon  Jésus . .  , 
Neuf  fois  le  jour,  notre  commune  prière  s'élève  vers  le  ciel  pour 
appeler  sur  vous  les  plus  abondantes  efiFusions  du  sang  divin .  .  . 
Vous  me  parlez  de  l'humilité  ?  Oh  !  oui,  je  comprends  que  les 
vertus  d'un  cœur  n'embaumeront  jamais  la  tête  du  céleste  époux 
que  si  leur  parfum  se  répand  d'abord  du  vase  brisé  de  l'humilité.  .  . 
Laissez-moi,  mon  Père,  vous  dire  un  petit  secret  de  mon  cœur, 
que  vous  cacherez  au  fond  du  vôtre.  C'est  que  rien  ne  me  contente 
que  ce  qui  est  croix  et  mépris  du  monde ...  Je  me  figure  être 
comme  une  pierre  brute  dont  on  veut  bien  se  servir  pour  asseoir 
un  édifice  et  qu'on  enfonce  d'autant  plus  dans  la  terre  qu'on  veut 
l'édifice  solide.  .  .  En  vue  de  la  mission  que  j'ai  à  remplir,  je  ne 
regimbe  pas  contre  l'aiguillon,  je  m'abandonne  sans  réserve  à 
l'époux  de  sang  qui  veut  me  broyer  pour  me  faire  mieux  vivre 
de  la  vie  de  son  très  pur  amour.  .  .  Ne  craignez  donc  rien,  mon 
Père,  le  Seigneur  bénira  votre  œuvre.  .  .  Ne  craignez  rien,  nous 
sommes  toutes  petites,  mais  c'est  la  petitesse  et  la  faiblesse 
que  Dieu  choisit  pour  confondre  ce  qui  est  grand  et  fort.  .  .  Les 
quelques  mois  que  j'ai  passés  avec  mes  filles  m'ont  convaincue  que 
le  germe  de  précieuses  qualités  est  au  fond  de  leurs  âmes  vierges 
et  que  vos  petites  enfants  feront  de  bonnes  religieuses.  Leurs 
cœurs  paraissent  bien  fermés  aux  jouissances  profanes  et  ouverts 


DE  LA  FONDATION   À   LA  PROFESSION  117 

aux  influences  de  la  grâce,  à  celle  en  particulier  de  la  pureté  de 
Marie.  Mes  filles  ont  le  courage  du  sacrifice.  .  .  Notre  bon  père, 
M.  le  grand-vicaire  Raymond,  malgré  son  état  de  faiblesse,  qui 
l'oblige  à  mettre  un  frein  à  son  zèle,  est  loin  d'être  inactif.  .  .  Sa 
charité  sait  toujours  dérober  à  ses  incessantes  occupations  quel- 
ques minutes  pour  visiter  notre  humble  solitude.  .  .  Il  nous  donne 
les  soins  que  réclame  notre  faiblesse.  .  .  Nous  recueillons  sa 
parole  avec  avidité  pour  en  alimenter  nos  âmes  affamées .  .  .  Quant 
au  temporel,  dont  je  m'occupe  fort  peu,  la  Providence  y  pourvoit . . 
Nous  la  trouvons  toute  maternelle  dans  le  cœur  de  notre  bon  M. 
le  curé  (M.  Lecours)  qui  prévient  nos  plus  pressants  besoins.  .  . 
Mlle  Lavoie  se  montre  également  dévouée  pour  nous .  .  .  Les 
messieurs  de  l'évêché  nous  ont  fait  un  sensible  plaisir  en  nous 
passant  vos  lettres .  .  .  Mon  vieux  père  est  encore  avec  nous,  mais 
je  crains  bien  qu'il  n'y  soit  pas  pour  longtemps ..." 

Cette  longue  lettre  du  23  mai  1862,  dont  nous  venons  de  citer 
de  larges  extraits,  nous  paraît  singulièrement  révélatrice  des 
vrais  sentiments  de  l'âme  de  Sœur  Catherine-Aurélie  au  cours 
même  de  la  première  année  de  l'existence  de  son  institut  (1861- 
1862).  Les  conseils  de  son  vénéré  correspondant,  Mgr  LaRocque, 
n'y  étaient  pas  sans  doute  étrangers.  Mais  le  dévoué  M.  Raymond 
y  avait  aussi  sa  part  de  mérite.  On  n'a  qu'à  parcourir  la  série  de 
ses  lettres  à  Aurélie  pour  s'en  convaincre.  Au  soir  du  14  septembre 
1861,  il  s'était  saintement  réjoui.  "  Jésus-Christ,  mon  bien-aimé 
Rédempteur,  écrit-il  à  cette  date,  c'est  donc  vrai  !  Un  sanctuaire 
vient  d'être  ouvert,  où  doit  se  rendre  à  votre  sang  précieux  le  plus 
doux  hommage,  celui  de  vierges  pures  consumant  leur  vie  dans 
l'amour  et  le  sacrifice  !.  .  .  Je  me  réjouis.  .  .  Ah  !  ce  n'est  pas 
(seulement)  de  voir  la  réalisation  de  tant  de  vœux  que  j'ai  formés, 
le  succès  de  tant  de  travaux  et  cette  fin  heureuse  qui  couronne  dix 
ans  de  sollicitudes.  .  .  Je  me  réjouis  de  votre  jouissance  à  vous- 
même,  ô  Jésus,  des  délices  que  vous  devez  goûter  dans  ce  parterre 


118  MÈRE  CATHERINE- AUKÉLIE 

de  lis  à  la  suave  odeur ..."  Et,  dans  le  même  écrit,  rendant  comp- 
te de  la  cérémonie  que  nous  avons  racontée,  il  dit  encore  :  "  La 
chapelle  avait  été  préparée  dans  la  maison  même  où  est  née 
Aurélie,  où  elle  a  tant  souffert  et  pratiqué  de  si  sublimes  vertus, 
dans  cette  enceinte  que  sa  mère  mourante  avait  vue  il  y  a  quel- 
ques mois  toute  couverte  de  sang...'* 

Oui,  M.  Raymond  s'était  réjoui,  mais  il  n'avait  eu  garde  de  penser 
que,lafondation  faite, tout  allait  marcher  tout  seul  !  Il  continuait  de 
suivre  affectueusement  et  sévèrement  sa  dirigée,  que  les  contra- 
dictions et  les  épreuves  ne  pouvaient  manquer  de  visiter.  "  Pour- 
quoi, chère  affligée,  lui  écrit-il  le  6  mars  1862,  vous  désolez-vous 
lorsque  vous  avez  près  de  vous  le  souverain  consolateur  ?  Ne 
voyez- vous  pas  qu'il  vous  envoie  l'affliction  pour  que  vous  soyiez 
plus  semblable  à  lui  et  que  vous  unissiez  vos  peines  ensemble  ?  La 
vôtre  est  bien  sensible  !  Eh  !  bien,  elle  est  du  genre  de  celles  qu'il  a 
souffertes  en  son  cœur  pendant  toute  sa  vie.  N'a-t-il  pas  sans  cesse 
g^mi  sur  les  fautes  et  les  malheurs  de  ses  frères  ? .  .  .  Entre  Jésus 
et  vous  il  doit  y  avoir  pour  toujours  unité  de  sentiments.  Vivez 
comme  il  a  vécu,  souffrez  comme  il  a  souffert,  aimez  comme  il  a 
aimé,  faite  le  bien  comme  il  l'a  fait.  .  .  Tenez  plus  que  jamais 
votre  bien-aimé  sur  votre  cœur  pour  vous  pénétrer  de  son  esprit 
et  faire  passer  sa  vie  en  vous ..."  Enfin,  au  milieu  de  bien  d'autres 
écrits,  car  il  faut  nous  limiter,  nous  lisons  encore  sous  la  plume 
de  M.  Raymond  ce  billet,  daté  d'octobre  1862,  que  nous  donnons 
dans  son  texte  intégral:  "  Chère  crucifiée,  —  Je  remercie  votre 
époux  divin  de  vous  avoir  visitée  ce  matin  et  de  vous  avoir 
encouragée.  Souvenez-vous  de  ces  paroles  :  "  Avec  mon  sang,  tu 
vaincras  tous  tes  ennemis  !"  Si  la  désolation  spirituelle  revient, 
invoquez  donc  le  sang  avec  la  confiance  la  plus  grande.  Je  demeu- 
re convaincu  que  vos  maladies  sont  une  épreuve  surtout  pour  vos 
compagnes  à  qui  votre  présence  au  milieu  d'elles  serait  très 
utile.  Par  un  sentiment  de  zèle,  demandez  votre  entière  guérison. 


DE   L\   FONDATION    A   LA   PROFESSION 


119 


Mettez  bien  de  la  confiance  dans  votre  prière.  Promettez  de  faire 
observer  la  règle  dans  les  plus  petits  points.  Montrez  à  vos  filles 
beaucoup  d'affection  et,  sans  leur  dire  ce  que  vous  sentez,  répon- 
dez-leur d'une  manière  positive  quand  elles  vous  demandent  com- 
ment vous  êtes. —  Vos  souffrances,  si  vous  les  offrez  à  Jésus  avec  le 
désir  de  le  voir  aimé  et  glorifié,  serviront  à  la  sanctification  de 
votre  institution.  C'est  la  pierre  fondamentale  de  l'édifice.  Mais 
demandez  à  Dieu  d'en  hâter  la  fin  pour  le  bien  commun,  non  pas 
que  vous  deviez  être  exempte  de  toute  douleur,  mais  de  celles  qui 
vous  condamnent  au  lit  et  à  ne  pas  marcher. —  Dans  tous  les  cas, 
pensez  à  votre  ange  gardien  vous  montrant  le  ciel  et  vous  disant  : 
"  Un  jour  encore  de  souffrances,  et  puis  (ce  sera)  l'amour  éternel, 
le  ciel  !  "  Mais,  gagnez  des  âmes  auparavant  !  Que  le  sang  de 
Jésus  vous  fortifie  et  vous  encourage  !  Et,  pour  demain  matin, 
allez  vous  y  plonger  encore. —  J.-S.  Raymond." 

En  novembre  1862,  nous  trouvons  Sœur  Catherine-Aurélie  en 
voyage  à  Montréal,  avec  deux  de  ses  compagnes.  Sœur  Sophie  et 
Sœur  Euphrasie.  Elle  y  était  allée,  croyons-nous,  pour  deux  motifs, 
soigner  sa  santé  qui  laissait  à  désirer,  ainsi  que  nous  venons  de  le 
voir  par  la  lettre  de  M.  Raymond,  et  étudier  le  fonctionnement  de 
la  vie  religieuse  dans  des  communautés  expérimentées  et  ferventes, 
comme  celles  de  l'Hôtel-Dieu  et  de  la  Congrégation  de  Notre- 
Dame.  Le  26  du  mois,  elle  écrit  à  Mgr  LaRocque,  datant  sa  lettre 
du  couvent  de  la  Congrégation.  "  Huit  jours  loin  de  notre  chère 
solitude.  Monseigneur,  c'est  plus  que  suffisant  pour  nous  faire 
sentir  combien  sont  forts  les  liens  qui  nous  y  attachent.  Ici,  préve- 
nues par  la  plus  délicate  bienveillance,  nous  pourrions  goûter  un 
vrai  bonheur .  .  .  Mais  Jésus  a  le  secret,  parce  qu'il  nous  veut  sur  la 
croix,  de  mêler  toujours  une  goutte  du  fiel  de  sa  passion  à  nos 
joies  les  plus  légitimes ...  En  sortant  de  leur  cellule,  les  religieuses 
hospitalières  courent  donner  leurs  soins  aux  membres  souffrants 
de  Jésus-Christ ...   En  s'y  enfonçant  davantage,  les  vierges  du 


120  MÈRE  CATHEEINE-AURÉLIE 

Précieux-Sang  les  donnent  directement  à  son  cœur  sacré.  .  . 
Comme  nous  nous  voyons  à  peu  près  rendues  vers  la  moitié  de 
notre  pèlerinage,  nous  redoublons  d'ardeur  pour  faire  une  forte 
provision  de  connaissances  religieuses .  .  .  Nous  les  mettrons  à  pro- 
fit dans  notre  cher  petit  chez-nous,  car  ici  nos  facultés  sont  unique- 
ment employées  à  voir  et  à  saisir  les  moindres  observances.  .  .  Le 
bon  M.  Nercam  a  la  charité  de  nous  venir  voir  quelquefois,  ce  qui 
charme  un  peu  notre  ennui.  Il  parle  si  bien  de  Jésus  ! .  .  .  Mgr 
Bourget  est  à  peu  près  dans  le  même  état,  le  crachement  de  sang 
continue,  sa  maladie  paraît  toujours  incurable.  On  dit  que  sa 
charité  l'est  également  !  Le  saint  évêque  nous  en  a  donné  des  preuves 
en  daignant  nous  parler  quatre  ou  cinq  fois.  Il  noas  engage  éner- 
giquement  à  marcher  dans  la  sainte  carrière  que  nous  a  ouverte  la 
miséricorde  de  notre  Dieu.  .  .  Nous  sommes  avec  les  très  chères 
Sœurs  de  la  Congrégation  depuis  hier  soir.  Je  leur  dérobe  quelques 
minutes  pour  vous  écrire  bien  à  la  hâte.  .  .  Je  vous  dirai  de  vive 
voix  les  mille  impressions  éprouvées  durant  mon  exil.  Vive  notre 
chaumière  !  Vive  notre  pauvreté  !  Il  nous  tarde  de  revoir  notre 
cher  petit  berceau.  .  ." 

Que  de  lettres  encore,  soit  de  M.  Raymond  à  Aurélie,  soit  d'Au- 
rélie  à  Mgr  LaRocque,  ou  vice-versa,  nous  pourrions  analyser  où 
les  mêmes  sentiments  d'humilité,  de  confiance  en  Dieu,  de  ferveur 
et  surtout  de  dévotion  au  Précieux  Sang,  s'expriment  sous  des 
formules  variées.  Mais  nous  ne  croyons  pas  devoir  insister.  Voici 
pourtant  un  extrait  de  celle  que  Sœur  Catherine-Aurélie  écrit  à 
Mgr  LaRocque,  le  19  avril  1863,  la  veille  de  la  fête  du  patronage 
de  saint  Joseph,  qui  rappelait  une  date  qu'elle  avait  ses  raisons 
de  chérir  :  "  A  pareil  jour,  il  y  a  deux  ans,  Monseigneur  et  tant 
aimé  Père,  les  ténèbres  fuyaient  votre  âme  pour  faire  place  à  la 
lumière  divine.  La  paix,  comme  un  lait  délicieux,  coulait  suavement 
en  vous.  Le  doux  Jésus  avait  entendu  la  prière  du  père  et  des 
enfants.  Il  daignait  marquer  ce  jour  par  un  insigne  bienfait  en  vous 


DE  LA  FONDATION   A  LA  PROFESSION 


121 


faisant,  pour  ainsi  dire,  toucher  du  doigt  son  adorable  volonté. 
Votre  cœur,  nous  disiez-vous,  surabondait  de  joie .  .  .  Vous  étiez 
vainqueur  de  l'ennemi,  vous  nous  laissiez  entrevoir  dans  un  saint 
enthousiasme  la  terre  promise  !...  Depuis,  malgré  notre  indi- 
gnité, pas  un  jour  ne  s'est  levé  sur  nos  têtes  qu'il  n'ait  laissé 
quelques  traces  des  bontés  de  Dieu  ou  de  ses  créatures .  .  .  Nous 
nous  reposons  en  tout  à  l'ombre  de  votre  paternelle  protection, 
espérant  qu'elle  nous  tiendra  captives  près  de  la  croix  de  notre 
Bien-Aimé.  .  ."  Une  autre  fois,  le  24  juin  1863,  Sœur  Catherine- 
Aurélie  parle  à  Monseigneur  de  ses  misères  et  de  ses  épreuves  : 
*'  Vous  connaissez,  très  vénéré  Père,  mes  misères  profondes  et  mes 
cruelles  incertitudes.  Eh  !  bien,  j'offre  à  Jésus  les  plaies  qu'elles 
me  font  pour  que,  en  retour,  il  me  donne  un  double  courage  et  la 
douce  paix  du  cœur.  Je  considère  et  je  chéris  ces  épreuves  et 
nombre  d'autres  plus  amères  comme  des  parcelles  de  la  vraie 
croix.  Plus  je  sens  les  douloureuses  étreintes  du  cher  crucifié,  plus 
j'espère  vivre  de  la  vraie  vie.  .  .  Le  divin  époux  est  un  époux  de 
sang  !  Les  marques  les  plus  ordinaires  de  l'amour  qu'il  donne 
à  ses  épouses,  c'est  de  les  crucifier  avec  lui  sur  le  calvaire.  Aussi 
l'ambition  de  la  vierge  du  Précieux-Sang  doit-elle  être  de  vivre  sur 
la  croix.  .  .  Que  ne  puis-je  donner  mon  sang  et  ma  vie,  la  moelle 
de  mes  os,  pour  gagner  des  âmes  ! .  .  .  Mes  chères  sœurs  sont  comme 
des  abeilles  qui  travaillent  activement  à  remplir  leur  ruche  d'un 
miel  exquis .  .  .  Mais  elles  sont  encore  sujettes  aux  orages  de  la 
terre.  Elles  ont  besoin  d'être  soutenues  par  la  prière  et  d'être 
fortifiées  par  le  pain  de  la  parole  divine.  .  .  " 

Du  mieux  qu'ils  le  pouvaient,  Mgr  LaRocque  et  le  pieux  M. 
Raymond  consolaient  et  fortifiaient  de  leurs  précieux  avis  et 
conseils  la  jeune  supérieure  et  ses  compagnes,  pour  qui  l'heure 
de  la  profession,  c'est-à-dire  de  la  véritable  entrée  dans  la  vie 
religieuse,  approchait.  Le  9  mai  1863,  M.  Raymond  écrivait  de 
Québec  à  Sœur  Catherine-Aurélie  une  longue  lettre,  que  nous 


122  MÈKE   CATHERINE- AUKÉLIE 

avons  sous  les  yeux  :  "  Quoique  bien  occupé,  je  trouve  le  moyen 
de  me  transporter  souvent  au  cher  monastère,  de  me  tenir  près  de 
vous  par  la  pensée,  de  compatir  à  vos  souffrances,  de  m'intéresser 
à  vos  sollicitudes  et  de  prier  avec  vous  et  pour  vous.  J'appelle  le 
sang  divin  sur  votre  chère  âme,  afin  qu'il  la  purifie  de  plus  en  plus, 
qu'il  la  console,  qu'il  l'embrase  plus  ardemment  de  l'amour  de 
Dieu  et  du  zèle  de  la  charité  pour  le  prochain.  Je  demande  aussi 
pour  votre  corps  un  soulagement  et  des  forces  qui  vous  permettent 
d'accomplir  vos  desseins.  Après  m'être  entretenu  avec  vous,  je 
fais  une  visite  spirituelle  à  vos  chères  sœurs,  en  priant  Dieu  de  les 
enrichir  à  chaque  instant  de  nouveaux  mérites.  .  .  Je  dis  tous  les 
jours  la  messe  aux  Ursulines .  .  .  Vous  ne  sauriez  croire  toute 
l'affection  qu'on  vous  porte  et  toute  la  confiance  qu'on  repose 
dans  les  prières  de  votre  communauté ...  Il  faut  que  cette  confian- 
ce ne  soit  pas  trompée  et  que  vous  puissiez  obtenir  de  Dieu,  qui  a 
donné  son  sang  pour  nous,  des  grâces  spéciales  pour  les  personnes 
qui  s'intéressent  tant  aux  vierges  qui  se  dévouent  à  glorifier  son 
sang  précieux.  .  .  Soyons  tout  à  Notre-Seigneur  qui  a  vécu  et 
qui  est  mort  pour  nous  !  Soyons  tout  à  lui  !  Vivons  de  son  âme  ! 
Cette  vie,  il  faut  la  prendre  chaque  jour  à  son  cœur  qu'il  nous  pré- 
sente dans  la  communion  sacramentelle  ou  spirituelle.  Allons  tous 
les  jours  à  la  table  eucharistique  !  Qu'aucune  crainte  ne  vous  en 
éloigne  !  Que  des  aspirations  fréquentes  au  sang  de  Jésus  vous 
fassent  vivre  sans  cesse  sous  son  influence  dans  l'horreur  des 
moindres  fautes,  dans  l'amour,  dans  le  dévouement,  dans  le 
désir  du  ciel  !  Que  Marie,  la  source  de  ce  sang,  vous  enlace  dans 
ses  bras,  vous  presse  sur  son  sein,  vous  fortifie,  vous  impreigne 
de  sa  pureté,  vous  em"brase  de  sa  flamme,  vous  communique  sa 
sainteté  et  vous  prépare  pour  la  place  qui  vous  est  réservée  dans  le 
chœur  des  vierges  épouses  de  l'Agneau  !  Adieu  !  soyez  toute 
sainte  !  Je  vous  bénis  dans  le  sang  divin. —  J.-S.  Raymond." 


DE   LA    FONDATION    A    LA   PHOFES8ION  123 

J 

Ainsi  consolées  et  fortifiées,  les  chères  recluses  de  la  maison 
Caoueite  se  préparaient  tout  à  la  fois  à  entrer  dans  le  nouveau 
monastère  que  leur  construisait  M.  Lecours  et  à  émettre  leurs  pre- 
miers vœux  de  religion.  M.  Caouette,  on  s'en  souvient,  avait  prtté 
sa  propre  maison  pour  deux  ans.  On  en  avait  fait  le  berceau  de  l'ins- 
titut nouveau.  Mais  il  fallait  un  local  plus  grand.  Nous  avons  vu 
avec  quel  zèle  le  bon  curé  de  Notre-Dame  s'était  employé,  d'ail- 
leurs très  discrètement,  à  assurer  aux  Sœurs  le  blanc  monastcre  qui 
serait  plus  tard  la  maison  blanche.  A  la  veille  même  d'y  venir  avec 
ses  filles,  pour  s'y  engager  à  jamais  dans  les  liens  très  doux  et  si 
désirés  de  la  vie  religieuse.  Sœur  Catherine-Aurélie,  le  13  septem- 
bre, épanchait  ainsi  son  âme  dans  celle  du  vénéré  Mgr  LaRocque  : 
"  Avant  de  célébrer,  Monseigneur  et  très  digne  Père,  mes  fiançail- 
les avec  l'époux  divin,  je  sens  le  besoin  de  faire  passer  mon  âme 
dans  la  vôtre.  Ce  ne  sera  cependant  ni  de  ces  dispositions  d'amour 
et  de  reconnaissance  ni  de  ces  désirs  de  dévouement  que  je  vous 
entretiendrai.  Vous  les  connaissez  depuis  longtemps.  Et  puis, 
l'impression  d'ineffable  bonheur  versée  dans  mon  pauvre  et 
dénué  cœur  est  trop  grande  pour  la  définir.  .  .  Mon  Père,  je  suis 
tout  à  la  fois  craintive  et  tremblante.  Je  suis  couverte  de  confu- 
sion de  me  présenter  à  l'époux  divin  avec  si  peu  de  mérites.  Je  me 
sens  écrasée  sous  le  poids  de  mon  néant.  Oh  !  je  vous  en  prie, 
prenez  pitié  de  mes  faiblesses.  Prenez-les  toutes  et  noyez-les  dans 
le  sang  de  l'Agneau  immaculé  !  Hâtez-vous  de  me  purifier  et  de 
me  blanchir  dans  ce  sang,  afin  que  je  sois  moins  indigne  des  regards 
du  Bien-Aimé.  Bientôt,  oui,  bientôt,  je  serai  la  petite  et  bien  indi- 
gne épouse  de  Jésus,  l'époux  de  sang.  .  .  Qu'ai-je  donc  à  faire? 
Implorant  la  protection  de  Marie  et  me  couvrant  des  mérites  du 
divin  crucifié,  je  n'hésite  pas  à  m 'attacher  irrévocablement  à  mon 
Dieu  par  les  trois  vœux  de  religion.  Les  chaînes  qui  me  lieront  à 
Jésus  sont  formées,  je  le  sais,  de  sacrifices  de  toutes  sortes.  C'est  ce 
à  quoi  j'aspire.  .  .   Je  veux,  à  quelque  prix  que  ce  soit,  marcher 


124 


MERE  CATHEKIXE-AURELIE 


avec  Jésus  au  calvaire,  souffrir  et  m'immoler  avec  lui  au  rachat  des 
âmes,  user  les  restes  de  mes  jours  à  honorer  son  très  précieux  sang. 
Pour  remplir  cet  engagement,  je  me  soumets  en  tout  à  la  sainte 
volonté  de  Dieu.  J'accepte,  avec  le  sentiment  intime  de  mon  inca- 
pacité et  de  mon  indignité,  l'important  fardeau  que  vous  m'impo- 
sez en  me  tenant  à  la  tête  de  cette  maison .  .  .  En  vous  confiant  les 
secrets  de  mon  âme,  j'ai  aussi  à  vous  faire  part  des  sentiments  de 
mes  bien-aimées  sœurs  qui  auront  (demain),  comme  moi,  l'inap- 
préciable bonheur  de  prendre  le  saint  habit.  Elles  sont  toutes  plei- 
nes de  bonne  volonté,  d'ardeur  et  de  zèle.  Leurs  désirs  de  s'immo- 
ler vous  sont  du  reste  connus.  Je  n'ai  rien  à  ajouter,  si  ce  n'est  que 
nous  sommes  toutes  heureuses  et  que  nous  sentons  comme  un 
avant-goût  de  la  paix  du  ciel.  .  ." 

La  cérémonie  de  la  translation  de  la  maison  Caouette  au  blanc 
monastère,  delà  prise  d'habit  véritable  des  quatre  fondatrices  et  de 
la  première  profession,  celle  de  Sœur  Catherine-Aurélie,  eut  donc 
lieu,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  annoncé  plus  d'une  fois,  le  14  sep- 
tembre 1863,  deux  ans  exactement  après  la  prise  d'habit  tempo- 
raire qui  s'était  faite  à  la  maison  Caouette  le  14  septembre  1861. 
Elle  fut  présidée,  souvenir  précieux  pour  l'institut,  par  Mgr 
Bourget,  évêque  de  Montréal,  qui  avait  bien  voulu  donner  lui- 
même  pendant  deux  jours  les  instructions  préparatoires  au  grand 
événement.  On  eut  d'abord,  à  l'église  paroissiale,  la  bénédiction 
de  la  cloche  du  nouveau  monastère,  qui  serait  la  première  à 
donner,  au  Canada,  chaque  nuit,  le  signal  de  la  prière  et  de  la 
veille,  aux  pieds  du  saint  Sacrement,  pour  l'adoration  du  Précieux 
Sang.  On  donna  à  cette  cloche  le  nom  de  Catherine-Aurélie.  M. 
Billaudèle,  supérieur  de  Saint-Sulpice  et  grand-vicaire  de  Mont- 
réal, prêcha,  à  son  baptême,  un  éloquent  sermon.  Le  clergé,  suivi 
d'une  foule  considérable  de  fidèles,  se  dirigea  ensuite  vers  la 
maison  Caouette.  Une  dernière  fois,  les  religieuses  s'étaient  réunies 
dans  la  petite  chapelle,  où  on  avait  passé  de  si  douces  heures.  On 


DE  LA  FONDATION   A  LA  PROFESSION  125 

chanta  le  Tantum  ergo.  Mgr  Bourget  prit  le  saint  Sacrement  et  la 
procession  se  mit  en  marche  vers  le  blanc  monastère.  Les  nombreux 
amis  de  l'institut,  surtout  Mgr  LaRocque,  M.  Raymond  et  le 
bon  M.  Lecours,  exultaient  ! 

Qu'on  nous  permette  ici  de  faire  une  pause  et  d'inviter  toutes 
les  religieuses  adoratrices  de  Saint-Hyacinthe  et  des  divers  monas- 
tères issus  de  ce  premier  berceau  à  regarder,  par  les  yeux  de  l'es- 
prit et  du  cœur,  cette  procession  du  14  septembre  1863.  Ce  fut  un 
bien  grand  événement  dans  l'histoire  de  leur  institut.  Ils  étaient 
là  les  deux  co-fondateurs,  dont  les  prières  autant  que  les  sages  avis 
et  les  décisions  même  un  peu  tardives  avaient  assuré  la  naissance 
de  l'oeuvre  !  Il  était  là  cet  illustre  évêque  de  Montréal,  qui  avait 
eu,  une  fois  de  plus,  le  coup  d'œil  si  juste  !  Elles  étaient  là  les 
quatre  fondatrices,  la  supérieure  surtout,  dont  les  oraisons  et  les 
sacrifices  avaient  évidemment  gagné  le  cœur  de  Dieu  !  On  aime 
s'imaginer  que  le  temps  s'était  mis  au  beau  et  que,  par  cette 
matinée  d'automne,  le  ciel  de  toutes  façons  souriait  à  la  terre. 

Deux  cérémonies  distinctes  devaient  se  succéder,  celle  de  la 
prise  d'habit  des  quatre  fondatrices,  et,  immédiatement  après, 
celle  de  la  profession  religieuse  de  la  supérieure.  Pourquoi  avait-on 
retardé  la  profession  des  trois  compagnes  de  Sœur  Catherine-Auré- 
lie  ?  Il  avait  paru  bon  sans  doute  d'établir  cette  distinction  entre 
la  fondatrice  et  celles  qui  s'étaient  jointes  à  elles.  Son  autorité  se 
trouvait  ainsi  marquée  d'un  caractère  particulier.  On  inaugurait 
naturellement,  à  cette  double  cérémonie,  le  costume  qu'on 
avait  adopté  pour  les  novices  et  aussi  celui  des  futures  professes, 
que  seule  Sœur  Catherine-Aurélie  devait  revêtir  pour  l'instant. 
Pour  être  secondaire,  la  question  du  costume  a  pourtant  son  impor- 
tance. Dans  ses  magnifiques  cérémonies,  si  parlantes  et  si  émou- 
vantes, l'Eglise  ne  s'en  désintéresse  pas.  Elle  sait  que  le  peuple 
aime  les  déploiements  extérieurs  et  qu'il  est  touché  parfois  jusqu'au 
cœur  par  la  pompe  des  vêtements  sacerdotaux  ou  pontificaux, 


126 


MERE   CATHERlNE-ArRELIE 


tout  autant  que  par  l'ampleur  et  la  magnificence  des  gestes  d'ado- 
ration ou  de  bénédiction.  Un  beau  costume,  modeste  sans  doute, 
mais  expressif,  donne  du  cachet  à  un  ordre  religieux.  Le  large 
manteau  et  la  robe  blanche  du  Dominicain,  par  exemple,  le  posent 
bien  en  chaire  et  le  crucifix  apparent  de  l'Oblat  missionnaire  a  lui 
aussi  son  éloquence.  Le  costume  adopté  par  les  Sœurs  du  Précieux- 
Sang,  et  pour  les  novices,  et  pour  les  professes,  est  vraiment  beau 
et  plein  de  sens.  Il  parle  au  cœur  en  même  temps  qu'il  parle  aux 
yeux.  Le  Livre  d'or  nous  en  donne  la  description,  que  nous  nous 
reprocherions  de  ne  pas  transcrire  ici.  "  Le  costume  des  novices, 
y  lisons-nous,  consiste  en  une  robe  et  un  manteau  de  say  blanc,  une 
guimpe  et  un  bandeau  de  toile  blanche,  un  voile  en  mousseline 
blanche  sur  le  bord  duquel  est  cousue,  vers  le  haut  du  front,  une 
petite  croix  en  drap  rouge,  un  scapulaire  en  say  rouge,  une  cein- 
ture sur  la  partie  pendante  de  laquelle  sont  peints  en  blanc  les 
instruments  delà  passion  de  Notre-Seigneur.  Les  novices  portent 
en  plus,  attaché  à  la  ceinture,  un  rosaire  à  gros  grains,  avec  une 
tête  de  mort  à  l'une  de  ses  extré cuites  et,  à  l'autre,  une  médaille 
représentant  le  saint  Sacrement  et  l'Immaculée  Conception.  Le 
costume  des  professes  est  le  même  que  celui  des  novices,  avec  cette 
différence  que  le  voile  des  premières,  marqué  de  la  croix  rouge, 
au  lieu  d'être  en  mousseline  blanche,  est  en  étamine  noire,  et  que 
les  professes  portent  en  plus  des  novices  une  croix  d'argent  renfer- 
mant des  reliques  et,  au  doigt,  un  anneau  d'argent."  Qu'on  nous 
pardonne  de  le  répéter,  ce  costume  est  vraiment  beau  et  imposant- 
Ce  rouge  qui  tranche  sur  le  blanc,  par  le  scapulaire  s'ouvrant  sous  le 
manteau  et  par  la  petite  croix  de  sang  qui  signe  le  front,  n'a  pas 
besoin  qu'on  explique  ce  qu'il  veut  dire  !  Rarement  un  costume 
s'est  trouvé  plus  expressif  et  plus  éloquent.  C'est  ce  costume, 
celui  des  novices  d'abord,  puis  celui  de  la  professe,  que,  en  cette 
matinée  du  14  septembre  1863,  Mgr  Bourget  allait  bénir  et  impo- 
ser à  l'heureuse  Mère  et  à  ses  non  moins  heureuses  filles. 


DE  LA  FONDATION   A  LA   PROFESSION 


127 


Le  14  septembre  1801,  c'était,  nous  l'avons  dit  en  son  temps, 
un  costume  provisoire  qu'on  avait  adopté  pour  les  quatre  premières 
postulantes.  Celui  que  nous  venons  de  décrire  ne  fut  revêtu  par 
les  mêmes  que  ce  14  septembre  1863.  Dès  que  le  saint  Sacrement  eut 
été  déposé  dans  le  tabernacle  du  nouveau  monastère,  Soeur  Auréïie 
et  ses  trois  compagnes  de  la  fondation  vinrent  s'agenouiller  aux 
pieds  de  Mgr  Bourget  et  solliciter  pieusement  d'être  admises  à 
prendre  le  saint  habit  des  novices.  Sur  un  signe  de  l'évêque  offi- 
ciant, aussitôt  qu'il  eût  béni  les  diverses  parties  du  costume,  les 
postulantes  allèrent  à  l'écart  se  vêtir  des  habits  qu'elles  ne  de- 
vaient pas  recevoir  à  l'autel.  "  La  maison  était  si  littéralement 
remplie,  raconte  l'annaliste,  que  nous  eûmes  peine  à  trouver  un 
petit  coin  pour  revêtir  notre  Mère  et  ses  compagnes  et  qu'il  fallut 
qu'elles  fussent  profondément  absorbées  pour  ne  point  remarquer, 
à  leur  retour  au  sanctuaire,  la  curiosité  qu'elles  excitaient.  La  foule 
des  personnes  présentes  se  coudoyait,  se  heurtait,  s'étouffait 
presque,  pour  les  voir  entrer,  et  l'on  avait  peine  à  retenir  un  cri  de 
surprise  en  voyant  pour  la  première  fois  ce  costume  blanc  et 
rouge  qu'on  trouvait  à  la  fois  si  étrange  et  si  beau.  Notre  Mère  et 
ses  compagnes  furent  portées  plutôt  qu'elles  ne  marchèrent  jus- 
qu'au pied  de  l'autel.  C'était  bien  le  seul  endroit  du  monastère  où 
l'on  put,  ce  matin-là,  respirer  un  peu  librement.  Toutes  les  autres 
pièces,  les  galeries  et  les  fenêtres,  tout  était  encombré,  à  un  tel 
point,  que  l'une  des  postulantes,  en  voulant  se  faire  une  issue  à 
travers  tout  ce  monde,  perdit  un  de  ses  souliers  !  "  On  parvint 
toutefois  à  se  placer  convenablement.  Mgr  Bourget  donna  à 
chacune  des  quatre  heureuses  fiancées  de  Jésus  le  scapulaire 
rouge  et  le  manteau  blanc.  Puis,  à  chacune,  selon  le  cérémonial 
adopté,  il  remit  un  cierge  allumé,  et  enfin,  à  chacune  encore,  il  im- 
posa son  nom  de  religion. 

Si  connus  soient-ils,  ces  détails  méritent  d'être  enregistrés  ici  et 
conservés  à  l'histoire.  En  donnant  le  scapulaire  rouge,  Monseigneur 


128  MÈRE   CATHERINE- AURÉLIE 

disait:  "  Recevez,  ma  fille,  cet  habit,  qui  doit  vous  rappeler  sans 
cesse  le  sang  de  Jésus-Christ  que  vous  faites  profession  d'honorer 
d'un  culte  spécial.  Regardez-vous  comme  imprégnée  de  ce  sang 
précieux  et  que  le  souvenir  de  l'affection  que  Jésus  vous  a  témoignée 
en  le  versant  vous  embrase  du  feu  de  son  amour."  En  donnant  le 
manteau  blanc,  l'évêque  disait:  "  Fille  de  Marie  Immaculée,  vous 
devez  imiter  votre  mère  dans  sa  pureté.  Les  vierges  qui  suivent 
l'Agneau  sans  tache  seront  vêtues  de  blanc.  Recevez,  ma  fille,  ce 
vêtement  blanc  pour   marque  de  la  pureté  du  cœur  que  vous 
conserverez  toujours  sans  tache,   afin  que,  lorsque  les  noces  de 
l'Agneau  seront  venues,  vous  y  soyez  introduite  avec  la  robe  nup- 
tiale et  que  vous  ayez  le  bonheur  de  le  suivre  partout  dans  ses 
démarches  éternelles."  En  remettant  à  chacune  le  cierge  symbo- 
lique.  Monseigneur  disait  :   "  Recevez,  ma  fille,  la  lumière  du 
Christ  en  signe  de  votre  immortalité,  afin  que,  morte  au  monde, 
vous   viviez  pour  Dieu.  Levez-vous  du  milieu  des  morts  et  le 
Christ   vous  illuminera  !  "   Enfin,   en  imposant   à  chacune   des 
quatre  son  nom  de  religion,  Mgr  l'évêque  ajoutait  :  "  Celui  qui 
sera  victorieux,  dit  Notre-Seigneur,  recevra  de  moi  un  nom  nou- 
veau. En  voici  un,  ma  fille,  qu'il  vous  donne,  pour  vous  obliger  à 
être  victorieuse  du  démon,  du  monde,  du  péché  et  de  vous-même. 
Ainsi,  au  lieu  de  vous  appeler  Mlle  Catherine-Aurélie  Caouette, 
.vous  vous  nommerez  désormais  Sœur  Catherine- Aurélie-du-Pré- 
cieux-Sang  ;  au  lieu  de  vous  appeler  Mlle  Elizabeth  Hamilton» 
vous  vous  nommerez  désormais  Sœur  Elizabeth-de-l'Immaculée- 
Conception  ;  au  lieu  de  vous  appeler  Mlle  Sophie  Raymond,  vous 
vous  nommerez  désormais  Sœur  Sophie-de-l'Incarnation  ;  au  lieu 
de  vous  appeler  Mlle  Euphrasie  Caouette,  vous  vous  nommerez 
désormais  Sœur  Euphrasie-de-Saint-Joseph." 

Le  Livre  d'or  ne  mentionne  pas  que  Mgr  Bourget,  ou  quelque 
autre,  ait  prononcé  une  allocution.  Nous  savons  seulement,  nous 
l'avons  noté,  que  M.  Billaudèle  avait  prêché  à  la  bénédiction  de  la 


DE  LA  FONDATION  À  LA  PROFESSION  129 

cloche  qui  précéda  la  cérémonie  de  cette  inauguration  du  monas' 
tère  blanc  et  de  cette  première  vêture.  Il  nous  semble  bien  qu'en 
plus  le  digne  évêque  de  Montréal  n'eut  pas  de  peine  à  dire,  avec 
cette  onction  qui  caractérisait  sa  parole,  le  mot  de  circonstance 
qui  convenait.  Peut-être  attendit-il  après  la  cérémonie  de  la  profes- 
sion de  Sœur  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang,  qui  devait 
suivre  immédiatement.  Les  quatre  novices,  dit  sobrement  le 
compte  rendu  que  nous  reproduisons,  se  retirèrent  du  sanctuaire 
en  chantant  le  répons  Rcgnum  mundi,  qui  peut  se  traduire  comme 
suit  :  "  J'ai  méprisé  le  royaume  du  monde  et  la  pompe  du  siècle 
pour  m'attacher  à  Jésus-Christ." 

La  prise  d'habit  des  quatre  premières  novices  étant  ainsi  faite, 
la  cérémonie  de  la  profession  de  la  fondatrice  succéda.  Dès  que  le 
chant  du  Regnum  mundi  fut  terminé,  Mgr  Bourget  se  tourna  vers 
la  grille  du  chœur  et  appela  Sœur  Catherine-Aurélie-du-Précieux- 
Sang,  en  se  servant  du  mot  des  saints  livres  :  "  Épouse  du  ChriaL 
venez  —  Veni,  sponsa  Christi."'  Elle  répondit  de  même  :  "  Voici 
que  je  me  rends  de  tout  mon  coeur —  Elnunc  sequor  intoto  corde.'' 
Tout  avait  été  prévu  pour  donner  beaucoup  de  solennité  à  cette 
partie  sans  conteste  la  plus  importante  de  la  cérémorie,  et  c'est 
accompagnée  de  pas  moins  de  trois  supérieures  de  communautés, 
Mère  Saint-Bernard,  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame  (Mont- 
téal),  Mère  Saint-Célestin,  de  la  Présentation  de  Marie  (Saint- 
Hyacinthe),  et  Mère  Jauron,  de  l'Hôtel-Dieu  (Saint-Hyacinthe), 
que  Sœur  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang  entra  de  nouveau 
au  sanctuaire  et  vint  s'agenouiller  aux  pieds  du  pontife.  Dans 
l'assistance  nombreuse  et  distinguée,  outre  le  prélat  officiant,  Mgr 
Bourget,  on  remarquait,  à  ce  moment,  Mgr  LaRocque,  M.  le 
grand-vicaire  Raymond,  M.  le  grand-vicaire  Billaudèle,  supérieur 
de  Saint-Sulpice,  M.  le  grand-vicaire  Caron,  des  Trois-Rivières,  et 
M.  l'archiprêtre  Moreau,  futur  évêque  de  Saint-Hyacinthe.  Bien- 
tôt s'engagea  entre  l'évêque  officiant  et  la  novice  le  dialogue  magni- 


130  MÈKE  CATHERINE-AUBÉLIF, 

fique,  adopté  pour  la  circonstance,  qu'on  n'entend  jamais,  dans  les 
professions  religieuses,  si  on  a  vraiment  la  foi,  sans  une  réelle 
émotion.  "  Ma  fille,  dit  Monseigneur,  que  demandez-vous  ?"  — 
"  Monseigneur,  répond  Sœur  Catherine-Aurélie,  je  demande  à 
être  admise  à  la  profession  religieuse  dans  cette  nouvelle  institu- 
tion dédiée  au  Précieux  Sang  de  Jésus-Christ  et  à  l'Immaculée 
Conception  de  Marie." — "  Avez- vous  sérieusement  pensé  à  ce  que 
vous  demandez,  reprend  l'évêque,  et  vous  êtes-vous  bien  éprouvée 
vous-même  pour  connaître  si  vous  êtes  véritablement  appelée  à  un 
si  saint  état  ?  Vous  aurez  à  vous  imposer  toutes  sortes  de  privations, 
à  vous  immoler  sans  cesse.  Il  s'agit  de  faire  un  choix  qui  regarde 
tout  le  temps  de  votre  vie  et  d'où  dépend  votre  éternité.  Vous 
êtes  encore  libre.  .  .  Voyez,  avant  de  vous  engager,  si  vous  aurez 
le  courage  de  persévérer  jusqu'à  la  mort  dans  le  genre  de  vie  que 
vous  voulez  embrasser  ?  " — "  Oui,  Monseigneur,  répond  avec  fer- 
meté la  novice,  je  veux,  en  faisant  mes  vœux  de  religion,  consacrer 
ma  vie  au  culte  du  Précieux  Sang  de  Jésus  et  à  celui  de  Marie 
Immaculée.  Je  veux  me  faire  victime  pour  manifester  mon  amour 
à  mon  Sauveur  et  pour  procurer  le  salât  des  âmes.  Je  désire  monter 
au  calvaire  et  m'associer  aux  souffrances  du  divin  Rédempteur, 
embrassant  pour  cela  tous  les  sacrifices  imposés  par  l'état  de 
perfection  que  je  veux  suivre.  Connaissant  mon  indignité,  mon 
extrême  bassesse  et  mon  peu  de  fermeté,  je  me  défie  de  moi-même  ; 
mais  j'attends  tout  de  celui  pour  qui  je  quitte  tout.  J'espère  qu'il 
«n'accordera  la  grâce  de  persévérer  dans  le  saint  état  auquel  je 
crois  qu'il  m'a  appelée."  Nous  avons  vu  précédemment  que,  pour  la 
première  prise  d'habit,  le  14  septembre  1861,  c'est  la  fondatrice 
elle-même  qui  avait  rédigé  les  réponses  à  faire  au  questionnaire 
de  l'évêque.  Il  n'est  dit  nulle  part  qu'elle  l'ait  fait  aussi  pour  la 
cérémonie  de  sa  profession.  Mais  il  nous  paraît  bien  qu'on  la  recon- 
naît à  son  style,  toujours  ardent,  un  peu  chargé,  si  plein  d'humi- 
lité pourtant  et  si  vivant  de  foi  et  de  piété. 


DB  LA  FONDATION   A  LA   PROFESSION 


131 


Quoi  qu'il  en  soit,  ces  belles  réponses  étant  données,  l'évoque 
oflBciant,  Mgr  Bourget,  prononça  :  "  Puisque  vous  persistez  dans 
votre  bonne  volonté,  il  vous  est  permis,  ma  fille,  d'accomplir  ce 
que  vous  avez  résolu."  Tous  alors  s'agenouillèrent  et  l'évêque 
entonna  le  chant  des  litanies  des  saints.  Suivant  l'usage,  vers  la 
fin,  se  tenant  debout,  mitre  en  tête  et  crosse  en  mains,  il  bénit  à 
deux  reprises  la  future  professe.  L'un  des  prêtres  assistants  exposa 
ensuite  le  saint  Sacrement  dans  l'ostensoir,  pendant  que  le  chœur 
chantait  le  motet  dont  s'accompagne  d'ordinaire  l'émission  des 
vœux  :  "  Je  rendrai  mes  vœux  à  Dieu,  en  présence  de  tout  le 
peuple,  dans  les  parvis  de  la  maison  du  Seigneur."  Sœur  Catherine- 
Aurélie-du-Précieux-Sang  prononça  ensuite  solennellement  ses 
vœux,  qu'elle  signa  immédiatement  au  pied  même  de  l'autel. 
Puis,  le  saint  Sacrement  ayant  été  replacé  dans  le  tabernacle,  ce 
fut  la  bénédiction  et,  enfin,  la  tradition  du  voile,  de  la  croix  et  de 
l'anneau  d'argent,  que  porterait  désormais  la  nouvelle  professe. 
En  donnant  le  voile,  le  prélat  dit  :  "  Recevez,  ma  fille,  ce  voile 
sacré  qui  exprime  que  vous  méprisez  le  monde  et  que  vous  voulez 
être  unie  entièrement  et  uniquement  à  Jésus-Christ."  La  professe 
se  levant  reprend  :  "  Il  m'a  mis  un  signe  sur  la  face  afin  que  je 
n'admette  pas  d'autre  amant  que  lui."  En  donnant  la  croix, 
l'évêque  prononce  :  "  Ma  fille,  recevez  la  croix  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  et  portez-la  sur  votre  poitrine  comme  un  bouclier 
destiné  à  vous  préserver  des  traits  de  l'ennemi  des  âmes.  Les  saintes 
reliques  qui  y  sont  enfermées  serviront  à  vous  encourager  dans  la 
lutte  en  vous  rappelant  les  combats  des  saints  et  leurs  triomphes." 
La  professe  prend  la  croix,  la  baise,  se  lève  et  dit  :  "  La  croix  sera 
ma  force  et  ma  consolation,  car  par  elle  je  serai  unie  à  mon  bien- 
aimé."  Enfin,  l'évêque,  ayant  mis  l'anneau  d'argent  à  l'annulaire 
de  la  main  droite  de  la  professe,  lui  explique  :  "  Ma  fille,  recevez  cet 
anneau  comme  signe  de  votre  alliance  mystique  avec  le  céleste 
époux  des  vierges.  Portez-le  toujours  à  votre  doigt  comme  un  gage 


132  MÈRE  CATHERINE- AUBÉLIE 

de  l'amour  qui  doit  vous  unir  à  Jésus  dans  la  religion  pour  se 
consommer  dans  le  ciel."  La  professe  se  levant  derechef  dit  encore  : 
"Je  suis  l'épouse  de  celui  que  les  anges  servent  et  dont  les  cieux 
admirent  la  beauté.  Comme  un  gage  de  foi,  il  m'a  donné  son 
anneau."  Pour  tout  terminer  le  chœur  chanta  l'antienne  Vent 
sponsa  Christi,  qu'on  peut  traduire  :  "  Venez,  épouse  du  Christ, 
recevoir  la  couronne  que  le  Seigneur  vous  a  préparée  pour  l'éter- 
nité." Et  l'évêque,  mettant  une  couronne  de  roses  blanches  sur  la 
tête  de  la  nouvelle  épouse  de  Jésus,  ajouta  :  "  De  même  que  vous 
êtes  couronnée  par  nos  mains  sur  la  terre,  ainsi  puissiez-vous 
mériter  d'être  couronnée  de  gloire  dans  le  ciel  par  le  Christ  votre 
époux  !  "  De  sa  voix  douce  et  sympathique,  la  nouvelle  professe 
chanta  encore  la  belle  prière  Ahsit  mihi  —  "A  Dieu  ne  plaise  que 
je  me  glorifie  en  d'autre  chose  que  dans  la  croix  du  Christ  ",  et 
Mgr  Bourget  entonna  le  Te  Deum.  La  cérémonie  de  profession 
était  terminée. 

Ces  paroles  et  ces  cérémonies,  remarque  le  Livre  d'or,  sont  demeu- 
rées en  usage  dans  l'Institut,  à  une  exception  près.  En  recevant  le 
voile  symbolique,  la  fondatrice  avait  dit  ces  paroles  extraites  de 
Vofice  de  sainte  Agnès,  la  douce  vierge  romaine  :  "  Il  m'a  mis  un 
signe  sur  la  face  afin  que  je  n'admette  point  d'autre  amant  que  lui." 
Aujourd'hui  l'on  dit".  .  .  afin  que  je  n'admette  point  d'autre  amour 
que  le  sien."  C'est  Mgr  Charles  LaRocque  qui  a  voulu  ce  chan- 
gement. Il  jugeait  sans  doute  que  la  première  formule  était  trop 
ardente.  Mais,  sans  vouloir  discuter  l'acte  d'un  supérieur,  il  nous 
semble  que  cette  expression  tirée  de  l'oflâce  d'une  sainte  martyre, 
qu'on  sait  être  la  gloire  des  âmes  pures,  et  qui  évoque  presque  le 
langage  du  Cantique  des  Cantiques,  se  pouvait  parfaitement  jus- 
tifier. 

L'œuvre  du  Précieux-Sang  était  désormais  solidement  assise 
et  fondée.  Les  trois  compagnes  de  Sœur  Catherine-Aurélie-du- 
Précieux-Sang,  nous  voulons  dire  Sœur  Élizabeth-de-l'Immaculée- 
Conception,  Sœur  Sophie-de-l'Incarnation  et  Sœur  Euphrasie-de- 


DE  LA  FONDATION   A  LA   PBOFE88ION 


133 


Saint-Joseph,  ne  devaient  prononcer  leurs  vœux  que  le  8  décembre 
suivant,  le  jour  de  l'Immaculée  Conception.  Mais,  dès  la  profession 
de  la  fondatrice,  on  peut  dire  que  l'œuvre  était  assurée  de  vivre. 
Jusque-là,  faute  d'un  local  suffisamment  vaste  à  la  maison  CaouettCt 
il  n'y  avait  pas  eu  de  salle  de  noviciat  et  Sœur  Catherine-Aurélie 
avait  rempli  les  fonctions  de  maîtresse  des  novices  pour  toutes  les 
Sœurs  indistinctement.  Quinze  jours  après  la  double  cérémonie  de 
prise  d'habit  et  de  profession  que  nous  venons  de  raconter,  le 
29  septembre  1863,  en  la  fête  de  saint  Michel,  le  noviciat  était 
régulièrement  ouvert  au  blanc  monastère  et  il  était  placé  sous  la 
direction  de  Sœur  Élizabeth-de-l'Immaculée-Conception.  Le  1er 
novembre,  jour  de  la  Toussaint,  trois  postulantes,  entrées  quelques 
semaines  après  la  fondatrice,  étaient  admises  à  la  vêture  et  au 
noviciat.  Le  8  décembre,  jour  de  l'Immaculée-Conception,  avec 
les  trois  premières  compagnes  de  Sœur  Catherine-Aurélie,  ces  der- 
nières novices  faisaient  leur  profession,  et,  le  même  jour,  une  autre 
postulante  prenait  le  saint  habit.  De  telle  sorte  que,  à  la  fin  de 
1863,  la  nouvelle  communauté  comptait  sept  professes  et  une 
novice.  .  De  plus,  neuf  postulantes  déjà  avaient  été  admises  au 
monastère  blanc,  qui  se  préparaient  à  suivre  l'exemple  de  leurs 
devancières.  On  peut  l'affirmer  sans  crainte,  c'était  un  beau  succès. 
L'avenir  s'annonçait  prospère.  Suivant  le  mot  des  lettres  saintes, 
ce  premier  germe  de  plant  religieux  était  riche  de  promesse  —  spes 
erat  in  semine. 

Peu  de  jours  après  celui,  si  grand  pour  l'institut,  du  14  septem- 
bre 1863,  Sœur  Catherin e-Aurélie-du-Précieux-San g,  au  comble  de 
la  joie,  mais  toujours  désireuse  de  souffrir  et  de  s'immoler,  écrivait 
à  Mgr  LaRocque  une  lettre  que  nous  tenons  à  reproduire,  au 
moins  partiellement,  à  cet  endroit  de  notre  récit  où  elle  se  place 
naturellement,  parce  qu'elle  dit  très  bien,  cette  lettre,  dans  quels 
nobles  sentiments,  étonnants  pour  la  faible  nature,  mais  si  hauts 
et  si  élevés,  l'âme  de  notre  héroïne  savait  se  garder.  "  Dieu  seul 


134  MÈB£  CATHEBINE-AUBÉLIE 

suffit,  disait  un  jour  Mgr  d'Hulst,  c'est  un  malheur  de  l'ignorer  et 
c'est  une  béatitude  de  l'apprendre  et  de  le  comprendre  !  "  Dieu 
seul  suffisait  à  la  jeune  supérieure,  et  c'était  surtout  le  Dieu  du 
calvaire  qu'elle  aimait  et  qu'elle  recherchait.  Ce  fut  sa  grande 
béatitude  de  le  comprendre  et  de  le  faire  comprendre.  Voici  donc  ce 
qu'au  lendemain  de  sa  profession,  elle  écrivait  au  digne  évêque  qui 
avait  fait  naître  son  institut.  "  Aujourd'hui  enfin,  Monseigneur  et 
bien  cher  Père,  je  cède  aux  sollicitations  de  mon  pauvre  cœur .  .  . 
C'est  pour  vous  parler  de  ce  que  j'aime,  pour  vous  faire  part  de 
mes  impressions,  pour  vous  inviter  à  venir  avec  moi  vous  plonger 
dans  le  sang  de  Jésus ...  Je  ne  sais  si  je  m'illusionne,  mais  il  me 
semble  que  mon  plus  grand  désir  serait  de  vivre  crucifiée  avec 
Jésus ...  et  que  je  ne  trouve  de  vrai  repos  que  dans  l'humiliation 
et  l'oubli.  .  .  Mon  âme,  malgré  ses  misères  et  son  orgueil,  aspire  au 
mépris,  elle  en  est  avide  et  voudrait  en  être  constamment  nourrie. 
D'ailleurs,  une  force  puissante  l'entraîne  quelquefois  comme 
malgré  elle  aux  festins  du  calvaire.  Elle  se  voit  plongée  dans  des 
abîmes  d'humiliations  si  profondes  qu'il  lui  paraît  impossible  de  se 
tirer  de  là .  .  .  Elle  reçoit  des  impressions  de  douleur  si  fortes  qu'il 
lui  faut  la  force  même  de  celui  qui  les  lui  envoie  pour  qu'elle  soit 
capable  de  les  supporter.  .  .  Plus  nous  aurons  aimé  ici-bas  par  la 
patience  et  la  résignation,  plus  nous  aimerons  là-haut  et  plus  nous 
pénétrerons  dans  le  cœur  du  bien-aimé  Sauveur.  .  . "  Et  puis,  tout 
de  suite,  audace  vraiment  étonnante  chez  une  professe  toute 
nouvelle  et  pourtant  très  modeste  que  seul  peut  expliquer  son 
sentiment  religieux  profond  jusqu'à  la  naïveté,  elle  entreprend, 
dans  la  suite  de  sa  lettre,  d'exhorter  son  évêque,  son  supérieur  et 
bien  cher  père  en  Dieu  !  "  Souffrons  donc  avec  amour,  écrit-elle» 
les  peines  de  l'esprit  et  les  angoisses  de  l'âme!  Vous  surtout,  mon 
très  cher  Père,  réjouissez-vous  de  ce  que  la  peine  vous  poursuit  sans 
cesse  !  Bénissez  le  Seigneur  de  ce  qu'il  vous  a  fait  le  martyre  de 
Tépiscopat  !  N'oubliez  pas  qu'à  chaque  torture  de  votre  âme  doit 


Dr  LA  FONDATION   k  LA  PROFKSaiON  135 

correspondre  une  félicité  éternelle.  Chérissez  vos  craintes,  vos 
ténèbres,  vos  amertumes  !  Avant  de  passer  dans  votre  âme,  elles 
ont  toutes  passé  dans  celle  du  divin  modèle  qui  les  a  toutes  empour- 
prées de  son  sang  précieux.  Ah  !  que  la  souffrance  est  précieuse 
aux  yeux  du  Seigneur  et  chère  à  l'âme  chrétienne  quand  elle  la 
reçoit  ainsi  imprégnée  du  sang  de  la  victime  d'amour  !.  .  .  Dans  le 
plus  fort  de  nos  angoisses,  aimons  à  nous  rappeler  que  ceux  qui 
souffrent  davantage  sont  les  plus  chers  amis  du  Sauveur .  .  .  Rési- 
gnons-nous à  tout,  abandonnons-nous  avec  confiance  aux  flots  du 
sang  de  Jésus  !  Je  demande  à  Dieu  que  votre  pensée  et  votre  affec- 
tion vous  reportent  sans  cesse  en  cette  source  de  paix  où  vous  puise- 
rez à  long  traits  le  breuvage  qui  désaltère,  qui  guide.  .  .  Aspirez-le 
sans  cesse  (ce  breuvage),  respirez-le,  .  .  Servez-vous-en  souvent  et 
distribuez-le  aux  autres  sans  épargne,  mais  avec  une  profonde 
humilité,  une  foi  vive,  un  amour  ardent.  .  .  Appliquez-le  surtout 
bien  souvent  à  l'âme  de  votre  pauvre  petite  enfant,  qui  en  fait 
sa  vie  et  ses  délices ..." 

Ces  sentiments  élevés  et  si  édifiants,  la  direction  spirituelle,  si 
fortement  nourrie  de  doctrine,  de  M.  Raymond,  ne  contribuait  pas 
peu  sans  doute  à  les  entretenir  dans  l'âme  de  la  jeune  supérieure. 
Le  6  octobre  1863,  il  lui  écrivait  :  "  Il  vous  faut  la  santé,  ma  chère 
fille,  demandez-la  avec  instance  et  prenez  garde  de  ne  rien  faire  qui 
l'altère.  Il  vous  faut  une  forte  conviction  que  tous  vos  moments 
sont  précieux  à  cause  des  importantes  fonctions  que  vous  avez  à 
remplir.  Priez  donc  le  Seigneur  de  vous  inspirer  à  chaque  moment 
ce  que  vous  avez  à  faire,  soit  en  actes  à  l'égard  de  vos  sœurs,  soit 
en  sentiments  et  prières  à  son  égard.  Vous  avez  encore  à  vous  main- 
tenir dans  la  persuasion  que  vous  êtes,  malgré  votre  bassesse,  sin- 
gulièrement aimée  de  Dieu  et  choisie  pour  faire  honorer  le  sang  de 
Jésus.  Rendez  donc  amour  pour  amour  !  Croyez,  espérez,  brûlez  et 
faites  brûler.  .  .  N'oubliez  pas  que  vous  êtes  appelée  à  travailler  à 
ma  sanctification  et  que  je  suis  appelé,  moi,  à  vous  diriger  dans  les 


136  MÈRE   CATHERINE- AtTRÉLIE 

voies  de  la  sainteté.  Je  sens  mon  incapacité,  mais  Dieu  m'aidera.  Il 
veut  faire  sentir  sa  force  dans  notre  faiblesse.  Courage  donc  et 
zèle  pour  le  Précieux  Sang,  pour  faire  apprécier  l'excellence  de  la 
sublime  virginité,  pour  faire  des  élus  ! .  .  .  La  grâce  ne  vous  man- 
quera pas.  Mais,  ne  perdons  pas  une  des  faveurs  du  ciel.  Le  temps 
passe,  l'éternité  s'avance.  A  l'œuvre  pour  le  sang  qui  nous  a 
rachetés  et  qui  doit  faire  notre  bonheur  dans  l'éternité  !.  .  ." 

A  l'œuvre,  la  fondatrice,  on  peut  l'affirmer,  l'était  depuis  long- 
temps. Mais  la  Providence  avait  voulu  qu'elle  y  fut  mise  surtout, 
pour  la  gloire  du  Précieux  Sang,  en  cette  année  de  grâce  1863  qui 
allait  bientôt  s'achever  et  au  cours  de  laquelle  elle  s'était  enjBn 
coDsacrée  à  Dieu  définitivement.  Ce  grand  bonheur,  qui  réalisait 
le  rêve  de  son  enfance  et  de  sa  jeunesse,  elle  le  devait  d'abord  à  son 
prudent  et  sage  directeur,  M.  Raymond.  Elle  le  devait  aussi, 
dans  une  très  large  mesure,  à  Mgr  LaRocque,  qui,  par  son  autorité 
épiscopale,  avait  pu  et  avait  bien  voulu  donner  la  vie  canonique 
à  son  institut.  Au  dernier  jour  de  l'année,  le  30  décembre  1863, 
elle  lui  écrivait  en  son  propre  nom  et  au  nom  de  ses  filles  ;  "  Con- 
viées par  la  douce  voix  du  blanc  petit  Jésus  de  Noël,  Monseigneur 
et  très  vénéré  Père,  nous  venons,  auprès  de  Votre  Grandeur,  lui 
offrir,  dans  notre  humilité,  l'ancienne  mais  pour  nous  toujours 
nouvelle  expression  de  nos  souhaits  et  de  nos  vœux  reconnaissants. 
Il  faudrait  une  plume  plus  digne  et  plus  habile  à  s'exprimer  que  la 
mienne,  ô  notre  Père,  pour  vous  redire  ce  que  la  vue  de  vos  bontés 
de  chaque  jour  produit  dans  les  cœurs  aimants  de  vos  petites 
filles.  D'un  commun  élan,  elles  se  jettent  dans  votre  cœur,  vraie 
source  d'ardeur,  et  elles  y  jettent  avec  elles  leurs  hommages  de 
vénération  et  d'entière  soumission,  comme  aussi  les  vœux  brûlants 
qu'elles  ont  formés  pour  vous  auprès  du  mystérieux  berceau  de 
l'Enf ant-Dieu .  .  .  Bon  et  digne  Père,  que  nous  vous  coûtons  de 
sollicitudes  et  de  perplexités  !  Nous  savons  bien  que  votre  âme  est 
souvent  ballotée  par  la  crainte  de  nous  voir  infidèles.  Mais,  si  vous 


DE  LA  FONDATION   A  LA  PROFESSION 


137 


écartez  pour  nous  les  chardons  et  les  épines  qui  se  rencontrent  sur 
la  route  de  la  vie  où  on  ne  paraît  qu'un  instant,  ne  gravirons-nous 
pas  avec  joie  la  montagne  de  la  myrrhe  et  n'atteindrons-nous  pas 
le  degré  de  sainteté  où  Dieu  nous  appelle?  Ah  !  oui,  ah  !  oui,  les 
germes  des  vertus  que  vous  jetez  dans  nos  âmes  porteront  leurs 
fruits.  .  .  La  semence  féconde  mûrira  sous  l'influence  du  sang  ! 
Vos  filles,  zélé  prélat,  animées  par  la  flamme  d'amour  qui  consume 
votre  cœur  pour  Jésus,  croîtront  de  grâce  en  grâce  et  deviendront 
de  dignes  hosties  de  louanges  ! .  .  .  Que  la  pure  Marie,  suppléant 
à  notre  dénûment,  vous  apporte  sous  son  aile  maternelle  quelques 
présents  du  ciel  !  Que  sur  vous  Dieu  verse  des  grâces  de  choix  et  de 
prédilection  !  Qu'il  vous  donne  un  rayon  de  la  félicité  des  élus, 
l'amour  brûlant  des  séraphins,  l'abondante  effusion  de  son  esprit 
tout  divin  ! .  .  Vivez  encore  de  longues  années  pour  la  gloire  du 
Précieux  Sang  et  le  bonheur  des  vierges  qui  lui  sont  consacrées  et 
toutes  dévouées  !  Sous  votre  main  bénissante,  nos  têtes  sont  hum- 
blement courbées  pour  recevoir  mille  bénédictions." 

De  ses  bénédictions,  comme  de  ses  pieux  conseils,  Mgr  LaRoc- 
que,  on  le  sait  déjà,  n'était  pas  avare  pour  les  vierges  du  Précieux- 
Sang,  ces  brebis  préférées  de  sa  bergerie  pastorale.  Tout  comme  M. 
Raymond,  il  leur  prodiguait  les  unes  et  les  autres.  Il  leur  confiait 
même  l'honorable  mission  de  prier  et  de  s'immoler  pour  les  fidèles 
du  diocèse,  et,  en  particulier,  nous  ne  l'écrivons  pas  sans  émotion, 
pour  les  membres  de  son  clergé.  Au  cours  de  la  retraite  des  prêtres 
de  Saint-Hyacinthe,  qui  eut  lieu  l'été  suivant,  en  août  1864,  il 
écrivait  à  la  fondatrice  une  lettre  à  ce  sujet  bien  significative.  Nous 
ne  saurions  mieux  clore  ce  chapitre  qu'en  la  reproduisant  dans  son 
texte  intégral.  Elle  pose,  en  effet,  en  termes  fort  justes,  l'utilité 
dans  l'Église  de  Dieu  d'une  œuvre  expiatrice  et  réparatrice.  Elle 
est  datée,  cette  lettre,  du  29  août  1864,  et  du  collège  (où  l'on  était 
en  retraite),  que  Monseigneur  appelle  le  cénacle.  "  Ma  chère  fille, 
écrit-il,  vous  et  vos  religieuses  vous  priez  pour  moi,  j'en  suis  sûr, 


138 


MERE    CATHERIXE-AURELIE 


VOUS  priez  pour  tous  les  retraitants.  Mon  cœur  me  fait  néanmoins 
prendre  la  plume  pour  vous  dire  :  "  Oh  !  priez,  priez  beaucoup  !  '* 
Que  d'outrages  seront  épargnés  à  notre  Jésus  et  que  ses  souffran- 
ces, son  sang  et  son  amour  seront  mieux  appréciés,  si  tout  le  clergé 
sort  de  retraite  embrasé  du  feu  sacré  pour  aller  l'allumer  aux  qua- 
tre coins  du  diocèse!  Priez,  priez,  chères  enfants  !  Levez  vers  votre 
Jésus,  prisonnier  d'amour  au  tabernacle,  vos  mains  de  vierges  et 
d'épouses  bien-aimées.  Il  ne  saurait  rien  vous  refuser.  .  .  Toutes 
ensemble,  importunez  sa  bonté  et  sa  miséricorde.  .  .   Mais  voici 
surtout  l'heure  propice.  Minuit  sonne  !  Les  vierges  amoureuses  se 
rendent  avec  hâte  au  lieu  où  elles  vont  prouver  à  Jésus  leur  dévoue- 
ment. .  .    C'est  l'heure  réparatrice  !  Entendez-vous,  ô  tout  bon 
Jésus,  cette  prière  gémissante  ? .  .  .  Oh  !  oui,  vous  l'entendez  et  vous 
l'exaucez.  Je  l'espère,  je  le  crois  !.  .  .    Heureuses  enfants  de  la 
douleur,  de  la  componction  et  du  sacrifice,  que  ne  puis-je  vous 
être  uni,  toutes  les  nuits,  à  minuit,  à  l'heure  réparatrice  !  Je  le 
souhaite.  La  jalousie  dévore  pieusement  mon  âme.  C'est  trop  de 
bonheur  pour  que  vous  en  jouissiez  seules  !.  .  .    Le  sentiment 
m'égare,  mon  cœur  est  inondé  !  J'aime  mes  enfants,  et,  dans  la 
chaleur  de  ma  tendresse  toute  spirituelle,  je  veux  travailler  sans 
relâche  à  en  faire  des  anges  dans  le  cloître,  afin  de  les  contempler, 
parmi  les  anges  du  ciel,  dans  les  jours  sans  fin  de  l'éternité  bien- 
heureuse ...  Il  est  tard,  adieu.  Que  mon  bon  ange  aille  vous  dire 
le  reste  !  Et  puis,  qu'il  vous  endorme  en  vous  berçant  dans  la  paix 
et  la  félicité  du  cœur  !  " 

En  vérité,  en  vérité,  nous  osons  le  dire  comme  nous  le  pensons, 
saint  Jean  de  la  Croix  parlait-il  autrement  à  la  grande  sainte 
Thérèse  ? 


CHAPITRE  VI 


De  la  profession  de  la  fondatrice  à  l'entrée  dans  le  monastère  actuel 

(1863-1867) 

Sommaire. —  Lettre  de  Mgr  LaRocque  à  Mgr  Bourget. —  Progrès  de  l'œuvre  de 
Mère  Catherine-Aurélie. —  M.  le  curé  Lecours  et  madame  Biais. —  On  creuse 
les  fondations  du  nouveau  monastère. —  Les  constructions  durent  quatre 
ans. —  L'état  d'âme  et  la  marche  en  avant  dans  les  voies  de  la  perfection 
de  la  fondatrice  peints  par  ses  lettres  et  celles  de  son  directeur. — Mgr  l'é- 
vêque  de  Saint-Hyacinthe  (Mgr  Lallocque)  associe  ses  filles  du  Précieux- 
Sang  à  ses  sollicitudes  pastorales. —  lîn  bill  de  la  législature  reconnaît 
l'existence  légale  à  l'institut. —  Mgr  l'évêque  (Mgr  Joseph)  demande  pour 
lui  au  Saint-Père  Pie  IX  la  bénédiction  apostolique  et  autres  faveurs 
spirituelles. —  Maladie  de  Mgr  LaRocque. —  Bénédiction  du  pape,  fa- 
veur des  Quarante-Heures  et  de  l'exposition  mensuelle  du  saint  Sacrement 
(23  décembre  1864). —  Remerciements  de  la  supérieure  et  réponse  de  Monsei- 
gneur.—  L'action  de  M.  l'abbé  Raymond  pour  le  bien  spirituel  de  l'institut. — 
Lettre  de  Mère  Catherine-Aurélie  à  "  une  amie  crucifiée  ". —  Sa  nièce,  la 
"  petite  Marie  ",  est  prise  au  monastère. —  Les  soucis  matériels. —  Démission 
de  Mgr  Joseph  LaRocque  comme  évêque  de  Saint-Hyacinthe. —  Mandement 
du  15  avril  1866  (de  Mgr  Joseph)  confirmant  l'existence  canonique  de 
l'institut. —  Lettre  pastorale  du  3  mai  1866. —  Remerciements  de  Mère 
Catherine-Aurélie  à  l'évêque  démissionnaire. —  Mgr  Charles  LaRocque.^ 
Ce  qu'il  dit  de  l'institut  dans  son  mandement  d'entrée. —  Lettre  de  la 
fondatrice  à  une  amie  "  aimée  de  Jésus  ". —  Lettre  du  31  décembre  1866  à 
Mgr  Joseph. —  M.  l'abbé  Raymond  écrit  de  Boucherville  à  la  fondatrice. — 
L'entrée  au  nouveau  monastère,  présidée  par  Mgr  Joseph  (26  juin  1867).— 
Le  blanc  monastère  devient  la  maison  blanche. 


ÉvÊQUE-FONDATEUR  du  Précicux-SaDg  de  Saint-Hyacin- 
the, Mgr  LaRocque,  n'oubliait  pas  ce  qu'il  devait  à 
son  ancien  supérieur  et  vénéré  collègue  dans  l'épiscopat, 
Mgr  Bourget,  qui  avait  bien  voulu,  en  particulier, 
venir  préparer  ses  filles  de  prédilection  aux  grandes 
cérémonies  du  14  septembre  1863  et  présider  lui-même  cette 
première  vêture  et  cette  première  profession. 


140  MÈBB   CATHEBIKB-APBéLIE 

A  la  veille  du  jour  de  l'an  de  1864,  exactement  le  29  décembre, 
il  lui  écrivait  :  "  J'ai  un  bonheur  tout  particulier,  cette  fois.  Mon- 
seigneur, à  vous  écrire  une  lettre  du  jour  de  l'an.  L'année  dernière, 
votre  santé  laissait  à  désirer.  Aujourd'hui,  bénie  en  soit  mille  fois 
la  divine  bonté,  l'espérance  et  la  joie  peuvent  se  donner  carrière. 
Agréez  donc  mes  vives  félicitations.  Votre  exil  se  prolonge  sur  la 
terre,  mais  c'est  une  joie  pour  l'Église  et  cela  vous  fournira  l'occa- 
sion d'ajouter  de  nouveaux  fleurons  à  la  couronne  à  laquelle  vous 
aspirez .  .  .  Parmi  vos  bienfaits  de  l'année  qui  s'achève,  pourrais-je 
ne  pas  mentionner  celui  dont  vous  nous  avez  gratifiés  en  venant 
introduire  mes  chères  filles  du  Précieux-Sang  dans  leur  nouveau 
petit  monastère  et  en  concourant  ainsi  puissamment  à  me  confir- 
mer dans  l'espoir,  qu'il  m'est  si  doux  de  nourrir,  que  cette  petite 
oeuvre  grandira  et  fera  bénir  le  Seigneur.  .  .  " 

L'œuvre,  en  effet,  devait  grandir,  et  le  zélé  prélat  en  était  recon- 
naissant à  tous  ceux  qui  l'y  aidaient.  Le  bon  M.  Lecours,  tout  le 
premier,  était  de  ceux-là.  L'année  précédente,  les  Sœurs  Lrsulines 
de  Québec,  par  l'entremise  sans  doute  de  madame  Morin,  la  sœur 
de  M.  Raymond,  avait  consenti  un  prêt  important  de  cinq  cents 
louis  pour  permettre  à  l'œuvre  du  Précieux-Sang  de  s'installer. 
Mgr  LaRocque  s'en  était  ainsi  expliqué  dans  une  lettre  à  M.  Ca- 
zeau,  vicaire  général  de  Québec  :  "  A  la  prière  de  M.  Raymond, 
vous  avez  eu  l'obligeance,  cher  monsieur  le  grand- vicaire,  de  vous 
intéresser  auprès  de  vos  vénérables  Ursulines  afin  de  m'obtenir 
d'elles  un  prêt  de  cinq  cents  louis  pour  que  je  puisse  commencer  à 
établir  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  sur  un  pied  convenable.  Grâce 
à  cet  emprunt,  j'ai  acheté  une  grande  maison,  avec  vingt  arpents 
de  terre,  dans  un  des  plus  beaux  sites  de  Saint-Hyacinthe.  A  la 
mort  du  père  de  la  supérieure,  le  reste  de  la  terre,  environ  qua- 
rante-deux arpents,  me  reviendra  pour  la  même  fin.  .  .  Je  suis 
l'acheteur,  mais  c'est  M.  Lecours,  curé  de  Notre-Dame  de  Saint- 
Hyacinthe,  qui  se  charge  du  paiement.  Sans  que  je  lui  aie  rien 


DE  LA  PROFESSION   A  l'eNTRÉE   DANS  LE  MONASTÈRE  141 

demandé,  il  s'est  senti  pris  du  zèle  le  plus  généreux  pour  l'œuvre .  .  . 
Comme  il  faut  plusieurs  centaines  de  louis  pour  adapter  cette 
maison  aux  exigences  d'une  communauté,  il  a  dû,  ne  voulant  pas 
retirer  de  leur  placement  les  fonds  qu'il  destine  aux  nouvelles 
religieuses,  recourir  à  un  emprunt.  .  ."  Le  même  jour  (13  février 
1863)  Mgr  LaRocque  écrivait  à  la  Mère  Saint-Gabriel,  supérieure 
des  Ursulines  :  "  J'ai  appris,  ma  révérende  Mère,  avec  une  vive 
reconnaissance,  que  vous  vouliez  bien  faire  un  prêt  de  cinq  cents 
louis  pour  favoriser  la  nouvelle  institution  du  Précieux-Sang,  à 
laquelle  je  travaille  avec  la  plus  grande  conviction  que  cette 
œuvre  est  dans  les  vues  de  Dieu ...  La  bonté  que  vous  témoignez 
aux  nouvelles  Sœurs  vous  donne  un  titre  à  la  plus  affectueuse 
reconnaissance  de  leur  part .  .  .  Quant  à  moi,  elle  me  fait  bénir  la 
Providence  qui  veut  bien  ménager  à  mes  efforts  de  si  bienveillantes 
sympathies.  .  .  J'espère,  aujourd'hui  plus  que  jamais,  voir  l'œuvre 
couronnée  de  succès.  Votre  vénérée  maison,  par  ses  encourageantes 
paroles  et  par  ses  actes,  n'aura  pas  peu  contribué  à  ce  succès.  .  .  " 
Quand  les  Sœurs  furent  installées,  le  Livre  d'or  raconte  que  Mgr 
LaRocque,  en  finissant  la  visite  des  diverses  pièces  du  logis,  dit 
à  celle  que  nous  appellerons  désormais  Mère  Catherine-Aurélie  : 
"  Si  cette  maison  est  remplie  quand  je  mourrai,  ma  chère  Mère, 
je  chanterai  avec  joie  mon  nunc  dimittis."  Son  pieux  désir  devait 
se  trouver  satisfait  bien  plus  tôt  qu'il  ne  pensait  et  longtemps 
avant  qu'il  ne  chantât  le  cantique  de  Siméon  !  Dès  les  années 
1864  et  1865,  il  ne  cessa  pas  de  bénir  de  nouvelles  aspirantes  !  Les 
"  colombes  ",  comme  il  aimait  à  les  nommer  tendrement,  arri- 
vèrent même  si  nombreuses  au  "blanc  colombier"  que,  deux  ans 
plus  tard,  on  ne  savait  plus  comment  faire  pour  les  loger  toutes  ! 
La  fondatrice  s'inquiétait  à  bon  droit,  et,  se  tournant  vers  l'éco- 
nome modèle  que  la  Providence  lui  avait  donné,  elle  demandait 
à  M.  Lecours  :  "  Où  logerons-nous  les  nouvelles  postulantes  ?  " 


142  MÈHE  CATHERINE- AURÉLTB 

Il  ne  fallait  pas  songer  à  augmenter  les  dettes.  Mgr  LaRocque, 
toujours  craintif  sous  ce  rapport,  ne  l'aurait  pas  permis.  Et  d'ail- 
leurs, la  plus  élémentaire  prudence,  M.  Lecours  le  savait  bien  aussi, 
s'y  opposait  certainement.  Le  nouveau  Joseph  ne  désespérait  pas 
cependant.  Il  était  d'une  rare  ténacité.  Il  continuait  à  imaginer 
et  à  méditer  de  nouveaux  projets  de  dévouement.  Il  ne  devait 
pas  être  déçu.  La  Mère  fondatrice  et  le  prudent  Mgr  LaRocque 
allaient  bientôt  se  réjouir  avec  lui.  Comme  toujours,  la  Providence 
veillait.  Le  14  septembre  1864,  juste  un  an  après  l'entrée  au 
nouveau  monastère,  lisons-nous  au  Livre  d'or,  madame  Mélanie 
de  la  Grave,  veuve  de  Godefroy  Biais,  bourgeois  de  Saint-Pierre-de 
Montmagny,  assistait,  à  Saint-Hyacinthe,  à  une  cérémonie  reli- 
gieuse, dans  le  petite  chapelle  du  Précieux-Sang.  Cette  vie  austère, 
à  laquelle  se  vouaient  de  jeunes  personnes  habituées  pour  la 
plupart  dans  leurs  familles  à  jouir  de  toutes  les  aises,  la  toucha 
profondément.  Elle  voulut  s'associer  autant  que  possible  au 
mérite  de  leurs  œuvres  en  sacrifiant  ce  qui  lui  restait  de  ses  biens 
pour  la  gloire  du  Précieux  Sang.  Elle  avait  déjà  beaucoup  donné  à 
d'autres  œuvres.  Elle  pouvait  disposer  encore  d'une  somme  de 
quatre  mille  piastres.  Elle  les  versa  dans  la  bourse  de  M.  Lecours. 
C'était  en  1865.  L'une  des  clauses  de  l'acte,  passé  par  devant 
notaire,  stipulait  que  la  donatrice  viendrait  finir  ses  jours  au 
monastère.  On  l'eût  certes  accueillie  avec  une  grande  joie.  Dieu 
ne  le  permit  pas.  Retournée  parmi  les  siens,  la  généreuse  dame 
tomba  malade  et  fut  obligée  de  prendre  le  lit  pour  plusieurs  mois. 
Le  9  octobre  1866,  elle  décédait  pieusement.  M.  Lecours  alla  repré- 
senter la  communauté  à  ses  funérailles  et  rapporta.  .  .  son  cœur, 
que  la  regrettée  bienfaitrice  léguait  aux  Sœurs,  par  disposition 
testamentaire,  pour  qu'il  fût  inhumé  sous  le  marchepied  de  l'autel 
de  leur  monastère.  "  La  grande  consolation  de  madame  Biais, 
pendant  sa  longue  maladie,  dit  M.  Lecours  à  Mère  Catherine- 
Aurélie,  c'était  d'apprendre,  par  vos  lettres,  que  les  murs  du 


DE  LA  PBOÏK3810N    À  l/ENTRélû    DANS  LE  MONABTèRÏ  143 

monastère  montaient  rapidement  et  que,  à  mesure  qu'ils  s'éle- 
vaient, votre  prière,  à  vos  sœurs  et  à  vous,  prenait  des  ailes  plus 
rapides  aussi  pour  voler  vers  Dieu  et  lui  recommander  son  âme." 

L'on  s'était  empressé,  en  effet,  de  profiter  de  ce  don  de  madame 
Biais.  Le  9  avril  1866,  le  terrain  du  futur  monastère  avait  été  béni 
par  M.  le  grand-vicaire  Raymond.  Le  même  jour,  on  avait  com- 
mencé à  creuser  pour  les  fondations.  De  telle  sorte  que,  au  moment 
de  la  mort  de  la  bienfaitrice,  en  octobre  1866,  la  première  aile  de 
l'édifice  était  construite.  "  Mais,  remarque  mélancoliquement  la 
chronique  des  annales,  les  quatre  mille  piastres  de  madame  Biais 
étaient  épuisées  et  de  même  toutes  les  autres  provisions  et  écono- 
mies du  bon  M.  Lecours."  Il  fallut  donc  attendre,  solliciter  de 
nouvelles  libéralités.  Car  le  besoin  se  faisait  de  plus  en  plus  pres- 
sant d'occuper  cette  première  aile,  dont  l'intérieur  devait  aupa- 
ravant être  mis  à  point.  Le  dévouement  extraordinairement  actif 
et  inlassable  de  M.  Lecours  y  pourvut  encore.  L'évêché  de  Saint- 
Hyacinthe,  M.  le  juge  Morin,  d'autres  amis  et  protecteurs  furent 
par  lui  convaincus.  Les  dons  augmentèrent.  Certains  legs  testa- 
mentaires, les  dots  de  quelques  Sœurs  dont  les  familles  étaient  plus 
à  l'aise,  des  emprunts  faits  sur  les  dots  à  venir  de  quelques  postu- 
lantes ajoutèrent  aux  sommes  déjà  en  caisse.  Le  résultat  fut  conso- 
lant et  effectif.  Le  26  juin  1867,  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  pre- 
naient possession  de  cette  première  partie  de  leur  monastère. 

Pendant  ces  quatre  années  de  vie  au  blanc  monastère,  qui  allait 
par  la  suite  s'appeler  la  maison  blanche,  si  le  nombre  des  "  colom- 
bes "  s'était  périodiquement  accru,  l'esprit  du  cher  "  colombier  " 
de  Mgr  LaRocque  n'avait  pas  varié.  On  ne  saurait  mieux  le  consta- 
ter qu'en  lisant,  dans  les  notes  et  les  lettres  de  la  fondatrice,  quel- 
ques-unes de  ses  manifestations  les  plus  directes.  "  C'est  le  sang 
de  l'Agneau,  écrit-elle  le  30  janvier  1864,  qui  est  la  force  du 
christianisme .  .  .  C'est  dans  le  sang  eucharistique,  source  de  lumiè- 
re et  de  vie,  que  les  vierges  puisent  cette  féconde  ardeur  de  la  piété 


144  MÈRE  CATHEHINE-AURÉLIE 

qui  les  pacifie  encore  et  les  vivifie.  .  .  C'est  là,  quand  elles  sont 
appuyées  sur  la  blanche  hostie,  que,  pour  elles,  l'union  des  cieux 
commence.  .  .  L'Eucharistie  est  la  fontaine  éternelle  d'allégresse 
pour  ceux  qui  la  cherchent.  .  .  La  religieuse  abîmée  en  elle  (dans 
l'Eucharistie)  y  fleurira  comme  le  lis  dans  la  blancheur  de  l'inno- 
cence et  elle  produira  des  fruits  de  toutes  les  vertus .  .  .  Jésus  veut 
que  son  épouse  soit  un  jardin  clos  et  fermé,  pour  que  nul  de  ses 
bons  désirs  n'en  sorte,  pour  qu'aucune  pensée  profane  n'y  entre. . . 
Il  lui  offre  pour  cellule  son  cœur  brûlant  d'amour.  .  .  Bienheureu- 
se l'âme  qui  se  sent  pressée  du  désir  de  vivre  de  cette  vie  divine  ! .  . . 
Bienheureuse  la  religieuse  qui  est  tourmentée  de  cette  soif  de  la 
plus  grande  gloire  de  Dieu  qui  élève  au-dessus  de  la  nature  !.. 
L'âme  qui  se  traîne  n'aime  pas .  .  .  Baisons  avec  tendresse  la  main 
qui  nous  tient  sous  le  pressoir  de  la  tribalation,  quelle  qu'elle  soit. 
C'est  la  grande  richesse  de  l'âme  de  beaucoup  souffrir  avec  amour." 
—  "  Depuis  de  longs  jours,  mande-t-elle  une  autre  fois  à  Mgr 
LaRocque  (avril  1864),  Jésus  semble  se  cacher  et  laisser  sa  misé- 
rable servante  aux  obscurités  de  son  esprit.  .  .  Quand  je  songe 
à  l'abondance  de  grâces  qui  pleuvent  sur  moi ...  et  quand  je  vois 
mon  âme  comme  une  terre  inculte  et  aride  si  peu  préparée  à  rece- 
voir cette  rosée  céleste,  oh  !  comme  cette  idée  m'afflige  ! .  .  .  A 
tout  cela  se  joint  le  fardeau  de  la  supériorité  que  je  sais  me  conve- 
nir si  peu.  Je  commence  à  croire  que  Dieu  me  laisse  cette  charge 
parce  qu'elle  m'est  une  source  d'humiliations  et  peut  me  devenir, 
si  je  sais  en  profiter,  une  source  de  mérites ...  Je  passe  sous  silence 
les  charmes  et  les  délicatesses  que  me  font  éprouver  ces  vierges 
liées  par  une  inexplicable  tendresse  à  ma  chétive  personne  et  qui 
voudraient  n'avoir  de  vie  que  par  ma  vie,  pour  vous  dire  que,  dans 
ces  mêmes  instants  d'un  bonheur  si  pur,  je  voudrais  m'anéantir  à 
jamais  dans  les  entrailles  de  la  terre.  .  .  à  cause  de  mes  défauts,  de 
mes  misères ..." 


DB  LA  PROFESSION   A  l' ENTRÉE  DANS  LA  MONASTÈRE  145 

Humilité  profonde,  amour  de  Jésus  très  vif,  défiance  d'elle- 
même  et  de  ses  pauvres  forces,  mais,  en  même  temps,  confiance  en 
Notre-Seigneur  et  en  ceux  qui  dirigent  en  son  nom,  tout  Mère 
Catherine-Aurélie  est  là,  dès  les  premiers  âges  de  son  gouverne- 
ment comme  supérieure.  M.  Raymond  y  veillait  d'ailleurs  avec 
un  zèle  qui  ne  se  démentait  pas.  Le  10  janvier  1864,  il  écrivait  à 
sa  dirigée  :  "Qu'est-ce  que  Jésus  vous  demande  ?  Ce  qu'il  a  don- 
né. De  l'amour.  Donnez-lui  le  vôtre.  Aimez-le,  en  compatissant  à 
ses  souffrances.  Aimez-le  en  pensant  à  sa  grandeur  pour  vous  en 
réjouir.  Aimez-le,  en  allant  lui  sourire  à  son  berceau.  Aimez-le,  en 
vous  plaisant  à  croire  à  son  extrême  bonté  envers  vous,  en  vous 
regardant  comme  ardemment  aimée  de  lui  malgré  vos  misères. 
Aimez-le,  en  lui  répétant  de  bouche  et  de  cœur  que  vous  l'aimez. 
Aimez-le,  en  acceptant  toutes  les  souffrances  corporelles  et  mo- 
rales qu'il  vous  envoie  et  cependant  en  lui  demandant  une  santé 
suflBsante  pour  remplir  vos  devoirs  essentiels.  Aimez-le,  en  tra- 
vaillant à  la  grande,  sainte  et  délicieuse  œuvre  qu'il  vous  a  im- 
posée :  celle  de  le  faire  aimer  de  cœur  (par)  des  vierges  pures  et 
humbles.  Faites-le  aimer  d'elles,  par  l'amour  que  vous  inspire- 
rez et  qui  de  votre  âme  passera  dans  la  leur.  Faites-le  aimer, 
par  les  paroles  brûlantes,  quelque  brèves  qu'elles  soient,  que 
vous  leur  adresserez,  soit  en  commun,  soit  en  particulier.  Fai- 
tes-le aimer,  en  reprenant  vos  sœurs  de  leurs  fautes  avec 
charité  et  fermeté  parce  que  ces  fautes  sont  opposées  à  l'amour. 
Faites-le  aimer,  en  maintenant  autant  que  possible  le  recueille- 
ment, sans  lequel  ne  peut  avoir  lieu  ce  qui  enflamme  l'amour  : 
l'oraison.  Faites-le  aimer,  en  priant  beaucoup  pour  ces  filles  chéries 
de  votre  cœur  ;  la  grâce  de  l'amour  viendra  quand  vous  la  deman- 
derez pour  elles .  .  .  Faites  produire  souvent  des  actes  d'amour. 
Ne  craignez  pas  de  paraître  extravagante ...  Ce  n'est  pas  pour  vous 
seule  que  Jésus  vous  parle  !  Ce  qu'il  vous  donne  d'ardeur,  il  veut 
que  vous  le  transmettiez  aux  autres.  Allez  souvent  vous  embraser 
aux  pieds  de  l'Enfant  Jésus,  ou  auprès  du  tabernacle,  et  ensuite 


MÈRE   CATHERINE-AURÉLIK 

répandez  le  feu.  Ce  sera  par  les  flammes  de  l'amour,  et  pas  autre- 
ment, que  seront  consumés  les  défauts  qui  peuvent  apparaître 
encore  dans  vos  filles.  Encore  une  fois,  brûlez  et  faites  brûler  ! 
C'est  votre  mission.  Votre  récompense  au  ciel  dépendra  de  la 
manière  dont  vous  l'aurez  remplie."  Il  est  difficile,  croyons-nous, 
d'imaginer  une  philippique  plus  ardente  sur  l'efficacité  de  l'amour 
de  Notre-Seigneur.  On  voit  là,  tracé  par  une  main  experte,  le  pro- 
gramme d'une  vie  vraiment  fervente.  M.  Raymond,  toujours 
pratique,  terminait  d'ailleurs  son fervorino  en.  disant  à  sa  pénitente: 
"Écrivez  tout  ce  que  vous  aurez  de  particulier  et  d'intime  avec 
Jésus,  communiez  demain  et  dormez  cette  nuit,  je  vous  l'ordonne 
au  nom  de  l'amour.  . ." 

Toujours  obéissante.  Mère  Catherine-Aurélie  s'efforçait  de 
mettre  ce  beau  programme  à  exécution.  Elle  aimait  et  elle  faisait 
aimer,  conme  elle  écrivait  et  comme  elle  dormait  même,  par  obéis- 
sance. Elle  faisait  aimer,  disons-nous,  et  c'est  Notre-Seigneur 
qu'elle  faisait  aimer  par  ses  filles.  Le  29  avril  1864,  elle  écrit  à  Mgr 
LaRocque  :  "  Monseigneur  et  bon  Père,  vos  filles  sont  heureuses  ! 
Elles  sont  plongées  dans  un  océan  de  paix  !  Dieu,  voyez-vous, 
daigne  sourire  à  leurs  plus  chers  désir ...  Il  leur  donne  d'incessan- 
tes preuves  de  son  amour .  .  .  Nous  sortons  de  la  retraite  pleines  de 
force  et  d'énergie.  .  .  Si  de  jeunes  vierges  ont  eu  jadis  la  force 
de  lasser  par  leur  constance  la  fureur  des  persécuteurs,  si  une 
Catherine  de  Sienne  a  été  jusqu'à  s'armer  elle-même  du  glaive  qui 
devait  l'immoler  à  Dieu,  ne  pouvons-nous  pas,  nous  aussi,  par  la 
vertu  du  bien-aimé  Rédempteur,  vaincre  l'ennemi  et  souffrir  le 
doux  martyre  de  la  vie  religieuse  ?  "  La  veille  de  l'Ascension,  elle 
évoque  et  invoque  les  saints  qui  ont  suivi  Jésus  et  vivent  déjà 
dans  la  gloire  :  "  Esprits  bienheureux,  amis  célestes,  écrit-elle, 
qui  êtes  parvenus  à  la  gloire,  enseignez-nous  votre  secret.  Du  port 
tranquille  où  vous  ont  conduits  vos  travaux  et  vos  vertus,  jetez 
les  yeux  sur  nous.  .  .    Dites-moi  quand  viendra  le  jour  où  ma 


DE  LA  PROFESSION   À  l'enTRHIE  DANS  LE  MONASTÈUB  147 

belle,  ma  blanche,  ma  radieuse  mère  Marie  m'accueillera.  .  . 
quand  viendra  surtout  celui  où  mon  époux  blanc,  mon  époux  de 
sang  aussi,  m'amènera  dans  la  cité  céleste .  .  .  Vainqueurs  du  monde, 
montrez-nous  vos  couronnes  immortelles  !..."  Une  autre  fois, 
la  même  année  encore,  en  juin  1864,  commentant  le  beau  mot  du 
livre  des  Cantiques  Vamour  est  plus  fort  que  la  mort,  elle  écrit  : 
"  Jésus  nous  invite  et  nous  presse  d'aller  étancher  notre  soif  brû- 
lante. Et  quelle  soif  ?  Celle  de  nos  âmes,  celle  de  notre  amour,  celle 
de  notre  bonheur.  Voyons  des  regards  de  la  foi  Jésus  dans  l'hostie. 
Son  cœur  est  embrasé  du  même  feu  d'amour  qu'à  la  dernière  cène. 
De  l'autel,  comme  de  la  croix,  la  voix  du  sang  crie  miséricorde  vers 
le  ciel.  .  .  Sa  bouche  laisse  encore  entendre  ce  cri  de  son  âme  : 
J'ai  soif  !  Il  demande  de  l'amour,  il  demande  des  âmes.  De  vos 
mains  virginales,  ô  épouses  de  l'Agneau,  présentez  la  coupe  du 
sang  aux  pécheurs.  La  force  de  son  parfum  les  attirera.  .  .  Sa 
vertu  les  arrachera  aux  pièges  du  siècle  et  de  satan .  .  .  Les  gouttes 
précieuses  qui  s'en  échappent  seront  comme  des  flèches  de  feu 
lancées  sur  leur  cœur.  .  .  Filles  bien-aimées  de  l'époux  d'amour, 
c'est  en  retrempant  vos  âmes  dans  la  fontaine  eucharistique 
que  vous  stimulerez  votre  ardeur  et  votre  ambition  de  gagner  des 
âmes  à  Dieu.  .  .  Oh  !  donnez,  donnez  sang  pour  sang  !  L'œuvre 
de  la  réparation  s'accomplira.  Car  Dieu  est  libéral  dans  ses 
faveurs,  comme  il  est  magnifique  dans  ses  promesses.  Il  ne  se  laisse 
jamais  vaincre  en  générosité.  .  ."  De  tels  accents,  où  l'ardeur  du 
sentiment  ne  compromet  en  rien,  semble-t-il,  la  sûreté  de  la  doc- 
trine, ce  qui  est  pour  le  moins  étonnant  chez  une  modeste  fille 
qu'aucune  étude  de  théologie  n'a  pourtant  éclairée,  de  tels 
accents  ne  pouvaient  pas  ne  pas  produire,  dans  des  âmes  naturelle- 
ment ferventes,  comme  étaient  celles  de  ses  chères  filles,  des  fruits 
abondants  d'amour  pieux,  solide  et  sain.  Aussi  croissaient-elles 
en  ferveur  tout  autant  qu'en  nombre. 


148 


MERE   CATHERINE- AURELIE 


La  Mère  fondatrice  ne  laissait  pas,  en  même  temps,  d'avancer 
dans  les  voies  de  la  perfection.  Elle  en  rend  témoignage  elle-même 
à  son  insu  en  quelque  sorte,  en  écrivant,  ainsi  que  lui  avait  ordon- 
né M.  Raymond,  "  tout  ce  qu'elle  a  de  particulier  et  d'intime  avec 
Jésus  ".  Le  19  juin  1864,  elle  écrit  une  longue  lettre  à  Mgr  LaRoc- 
que,  dans  laquelle,  entre  autres  choses  merveilleuses,  nous  lisons 
celle-ci  :  "  Depuis  quelques  jours.  Dieu  me  donne  une  vue  très 
claire  et  très  pénétrante  de  sa  sainte  présence.  Il  me  semble  qu'il 
est  là  près  de  moi,  en  moi,  qu'il  me  regarde,  qu'il  scrute  ma  cons- 
cience, qu'il  étudie  mes  actions.  Cette  conviction  intime  me  rend 
extrêmement  vigilante  et  prompte  à  tout  ce  qui  est  de  mon  devoir 
et  de  son  bon  plaisir.  La  moindre  infidélité  me  fait  mal  au  coeur  et 
m'humilie,  sans  néanmoins  me  causer  d'inquiétude  commenaguère. 
...  Je  conçoi  ^  avec  une  nouvelle  estime  de  ma  chère  vocation,  un 
nouveau  désir  de  mourir  à  tout,  surtout  à  moi-même,  pour  avancer 
de  plus  en  plus  dan.s  la  perfection  dont  je  suis  si  fort  éloignée .  . . 
Je  sens  un  désir  si  véhément  d'être  toute  à  Dieu,  que  cela  me 
donne  l'espérance  que  je  ne  vivrai  pas  longtemps  ici-bas .  .  .  Si,  de 
l'autel,  comme  de  la  croix,  je  pense  entendre  de  la  bouche  de  Jésus 
mourant  J'ai  soif  I  mon  âme  s'émeut.  Avec  une  ardeur  toute  de 
feu  je  vole  au-devant  des  sacrifices  pour  trouver  des  âmes  dont 
Jésus  à  une  soif  si  ardente .  .  .  Tout  respire  la  gaieté  du  ciel  et  c'est 
de  la  radieuse  Eucharistie  qu'elle  découle.  Mes  filles  sont  comme 
des  abeilles  autour  de  cette  ruche  mystique.  Elles  ne  respirent  que 
le  pur  amour  de  Dieu.  .  .  Au  plus  vif  attrait  pour  la  prière,  elles 
joignent  le  plus  grand  zèle  pour  travailler  à  leur  perfection.  Les 
travaux  pénibles,  les  petits  soucis,  que  nécessite  notre  chère  indi- 
gence, n'altèrent  en  rien  leur  paisible  bonheur .  .  .  Oh  !  si  vous 
saviez  comme  je  les  aime  toutes  et  chacune  en  particulier  et 
combien  elles  méritent  d'être  aimées  !.  .  ."  Dans  une  autre  lettre, 
datée  celle-là  du  30  août,  elle  dit  encore  :  "  Oh  !  que  le  prêtre  est 
heureux  d'être  le  canal  par  lequel  le  sang  de  Jésus  coii,le  sur  les 


DE  LA  PROFESSION  A  l'eNTRÉE   DAN8  LE  MONASTÈRE  149 

âmes  !...  Jésus  a  dit  à  Pierre  :  "M'aimez-vous?  Eh  !  bien, 
paissez  mes  brebis  !  "  Monseigneur  et  très  vénéré  Père,  n'entendez- 
vous  pas  Notre-Seigneur  vous  dire  la  même  parole  ? .  . .  Petites 
brebis  de  Jésus,  vous  travaillerez  toujours  à  nous  tenir  dans  le 
bercail.  Si  nous  nous  en  éloignons,  vous  courrez  après  nous,  comme 
le  bon  Pasteur,  et  quand  vous  nous  aurez  trouvées,  vous  nous 
emporterez  sur  vos  épaules.  .  .  Votre  mission,  c'est  de  prendre  des 
âmes  dans  le  filet  de  l'amour.  .  .  Dieu,  dans  un  excès  de  bonté, 
veut  bien  faire  de  nous,  ses  épouses,  comme  de  Marie,  d'autres 
prêtres  qui  ofïrent  au  ciel  la  victime  sacrée  et,  en  union  des  mérites 
de  son  sang,  des  sacrifices  spirituels  d'agréable  odeur.  Oh  !  amour 
éternel  au  Dieu  du  calvaire  !  Gloire  au  sang  de  la  nouvelle 
alliance  !  '* 

On  ne  se  lasse  pas  vraiment  de  citer  d'aussi  belles  pages,  si  pieu- 
ses, si  ardentes,  mais  si  sûres  aussi  et  si  doctrinales.  Que  pourrions- 
nous  dire  qui  exposerait  mieux  l'état  d'âme  de  la  Mère  et  des  filles 
pendant  cette  première  année  de  leur  vie  religieuse  proprement 
dite  ?  L'évêque  de  Saint-Hyacinthe,  on  le  comprend,  se  montrait 
tout  heureux  de  constater  chez  ses  enfants  du  Précieux-Sang  de 
telles  dispositions  surnaturelles.  Il  les  en  récompensa  en  les  asso- 
ciant à  ses  sollicitudes  épiscopales.  En  novembre  1864,  il  écrivait 
à  ses  diocésains  une  fort  belle  lettre  pastorale,  dans  laquelle  il  les 
mettait  en  garde  contre  les  dangers  de  péché,  les  exhortait  vive- 
ment aux  pratiques  de  la  vertu  et  leur  annonçait  une  grande 
retraite  pour  la  ville  et  la  paroisse.  Cette  lettre,  il  l'envoya  à  la 
supérieure  de  son  cher  monastère,  en  lui  mandant  spécialement 
ce  qui  suit  :  "  Lisez-la,  en  chapitre,  à  votre  communauté.  Elle  ne 
vous  concerne  pas  directement,  mais  indirectement,  parce  que 
vous  êtes  vouées  à  la  prière,  à  la  mortification  et  à  la  réparation .  .  . 
Enfants  et  adoratrices  perpétuelles  du  Précieux  Sang,  filles  de 
Marie  Immaculée  et  amantes  passionnées  de  la  céleste  pureté, 
voici  une  belle  occasion  de  répondre  à  la  fin  de  votre  institut. 


150  MÈBB  CATHERINE-AUHéLIB 

Il  s'agit  de  convertir  de  grands  pécheurs,  de  réchauffer  ceux  qui 
sont  tièdes,  d'affermir  ceux  qui  sont  déjà  fixé»  dans  le  bien.  Il 
s'agit  de  faire  en  sorte  que  le  sang  que  Jésus-Christ  a  versé  pour 
la  rédemption  du  monde  ait  toute  son  efficacité  pour  purifier,  pour 
blanchir  notre  ville  et  notre  paroisse .  .  .  Pour  des  cœurs  qui  aiment 
Jésus  et  désirent  lui  manifester  leur  amour,  oh  !  que  l'approche  de 
la  retraite  doit  être  chère  !.  .  .  "  Le  même  jour,  20  novembre  1864, 
Mère  Catherine-Aurélie  répondait  :  "  J'ai  lu  votre  lettre  à  mes 
chères  filles.  Monseigneur  et  très  vénéré  Père.  Cet  exposé  des 
besoins  urgents  de  votre  ville  épiscopale  les  a  enflammées  d'un  zèle 
plus  ardent  encore  pour  répondre  au  sanglant  appel  de  l'amoureux 
Jésus.  Oui,  ô  notre  Père,  avec  l'aide  de  Marie,  la  réparatrice  par 
excellence,  nous  ferons  une  sainte  violence  au  ciel.  Nous  dévouons 
plus  que  jamais  nos  corps  aux  gémissements  de  la  souffrance.  . . 
Nous  voulons,  avec  vous,  sauver  des  âmes.  .  .  Nous  voulons  que 
notre  cher  Jésus  soit  plus  connu  et  plus  aimé.  .  .  Pour  cela,  que 
ne  ferons-nous  pas  ? .  .  .  Je  connais  les  cœurs  de  mes  filles,  ils  sont 
pleins  de  bonne  volonté.  .  ." 

L'année  1864  allait  bientôt  se  terminer.  De  toutes  façons,  elle 
avait  été  heureuse  pour  l'institut  naissant.  Plusieurs  postulantes 
s'étaient  présentées.  On  avait  eu  de.s  prises  d'habit.  Des  dons  en 
argent  et  en  nature  avaient  été  offerts.  L'institut  avait  été,  par 
un  Mil  de  la  législature,  "  incorporé  ",  comme  on  dit  chez  nous, 
pour  signifier  qu'on  lui  avait  reconnu  l'existence  légale.  En  un  mot, 
une  sympathie  générale,  dans  laquelle  s'évanouissait  l'inquiétude 
de  jadis  chez  plusieurs,  se  manifestait  pour  l'œuvre  de  la  fille  du 
forgeron  Caouette.  Des  évoques  en  particulier,  précieux  concours 
toujours  parce  qu'il  est  plus  que  d'autres  autorisé,  venaient  visiter 
Saint-Hyacinthe  et  son  monastère  de  vierges  rouges  et  blanches  : 
Mgr  Bourget,  qui  revint  plus  d'une  fois  en  1864;  Mgr  Taché,  l'ad- 
mirable jeune  évêque  de  l'Ouest,  enfant  du  collège  de  M.  Girouard 
et  de  M.  Raymond  ;  Mgr  Lynch,  alors  évêque,  plus  tard  arche- 


I 


DE  LA   PROFESSION    À  l'eNTRÉE   DANS  LE  MONASTÈRE  151 

vêque  de  Toronto,  chez  qui  le  premier  essaim  à  sortir  du  monastère 
de  Saint-Hyacinthe  irait  bientôt  se  fixer.  .  .  Oui,  Mère  Catherine- 
Aurélie  pouvait  légitimement  se  réjouir.  L'œuvre  promettait  ! 

Pour  la  favoriser  encore  davantage,  cette  œuvre  prospère,  Mgr 
LaRocque  pensa  à  lui  obtenir  un  privilège  spécial  du  Saint-Père. 
Dès  le  7  septembre,  par  l'entremise  du  secrétaire  de  la  Propagande, 
alors  Mgr  Capalti,  il  écrivait  à  Sa  Sainteté  le  pape  Pie  IX  :"  Très 
Saint  Père,  —  L'évêquede  Saint-Hyacinthe,  prosterné  aux  pieds 
de  Votre  Sainteté,  ose  lui  faire  connaître  que  les  religieuses  adora- 
trices du  Précieux  Sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qu'il  a 
instituées  depuis  quelques  années,  en  se  conformant  aux  direc- 
tions de  Son  Éminence  le  cardinal  Barnabo,  forment  déjà  une 
communauté  dont  la  ferveur  et  l'édification  consolent  grandement 
son  cœur  d'évêque.  Elles  ont  pour  but  d'adorer  tout  spécialement 
le  Précieux  Sang  du  divin  Rédempteur,  de  remercier  Dieu  sans 
cesse  du  privilège  accordé  à  Marie  d'avoir  été  conçue  sans  péché, 
d'aimer  et  d'adorer  Jésus  dans  le  très  saint  Sacrement  de  l'autel 
et  enfin  de  s'offrir  comme  victimes  expiatrices  en  union  avec  la 
réparation  offerte  par  Jésus-Christ  à  Dieu  son  père.  Comme 
moyens  puissants  d'encourager  et  de  sanctifier  ces  vierges  aiman- 
tes de  Jésus  et  de  contribuer  à  la  sanctification  de  ses  diocésains, 
l'évêque  de  Saint-Hyacinthe  ose  conjurer  Votre  Sainteté  d'accor- 
der sa  bénédiction  apostolique  à  la  nouvelle  communauté  et  de 
vouloir  bien  permettre  que  les  prières  des  Quarante-Heures  avec 
indulgence  plénière  aient  lieu  deux  ou  trois  fois  l'année  dans  la 
chapelle  de  ces  religieuses.  Il  conjure  encore  Votre  Sainteté  de 
permettre  l'exposition  solennelle  du  très  saint  Sacrement,  une  fois 
par  mois,  durant  un  jour  et  une  nuit,  en  attachant  à  cette  exposi- 
tion telle  indulgence  qu'il  vous  plaira  d'accorder.  .  ." 

La  réponse  à  cette  supplique  devait  venir  au  mois  de  décembre 
de  la  même  année.  En  attendant,  les  rhumatismes  dont  souffrait 
Mgr  LaRocque  s'aggravèrent.  Il  écrivait,  à  ce  sujet,  à  Mgr  Bourget 


152 


MERE   CATHERINE-AURELIE 


le  24  octobre,  qu'il  n'avait  pu,  la  veille,  assister  à  l'ofiSce  public, 
tant  ses  jambes  le  faisaient  souffrir,  et  qu'il  appréhendait  d'être 
déjà  considérablement  atteint  par  une  affection  cardiaque,  ajou- 
tant que,  ses  infirmités  devançant  l'âge,  sa  carrière  ne  saurait 
désormais  être  longue.  Cela  toutefois  ne  l'empêchait  pas  de  vaquer 
aux  graves  devoirs  de  l'administration  épiscopale,  nous  l'avons 
constaté  en  rappelant  sa  lettre  pastorale  de  novembre  et  la  belle 
explosion  de  pieux  sentiments  qu'elle  avait  fait  jaillir  du  cœur  de 
Mère  Catherine-Aurélie,  La  réponse  qu'il  reçut  du  Saint-Père,  le 
23  décembre,  à  sa  lettre  du  7  septembre  ne  contribua  pas  peu  à  le 
faire  se  remettre,  au  moins  pour  un  temps.  Il  la  communiqua  à  ses 
chères  filles  du  Précieux-Sang  dans  les  termes  suivants  :  "Ma  chère 
Mère, —  Je  me  hâte  de  vous  annoncer,  pour  votre  joie  et  celle  de 
vos  filles,  que  je  viens  de  recevoir  de  Rome  un  rescrit  par  lequel  le 
Saint-Père  accorde  à  votre  petite  communauté  des  faveurs  pré- 
cieuses. Exauçant  l'humble  supplique  que  j'avais  prié  le  cardinal- 
préfet  de  la  Propagande  de  déposer  à  ses  pieds.  Sa  Sainteté  1  °  ac- 
corde à  votre  communauté  la  bénédiction  apostolique  ;2°  accorde 
l'exposition  des  Quarante-Heures,  deux  ou  trois  fois  l'année,  dans 
votre  chapelle,  avec  toutes  les  indulgences  que  les  Souverains  Ponti- 
fes y  ont  attachées  ;  3  °  accorde  l'exposition  du  très  saint  Sacrement, 
une  fois  par  mois,  durant  un  jour  et  une  nuit,  avec  une  indulgence 
de  cent  jours  pour  tous  ceux  qui  viendront  adorer  le  saint  Sacre- 
ment exposé  et  qui  prieront  pour  la  propagation  de  la  foi  et  suivant 
les  intentions  du  Souverain  Pontife.  .  .    Maintenant,  ma  chère 
Mère,  vous  avez  à  vous  acquitter  de  devoirs  en  rapport  avec   les 
grâces  qui  vous  sont  accordées.  Pour  cela,  vous  réunirez  vos  sœurs 
dans  la  salle  de  communauté  pour  leur  annoncer  ces  joyeuses 
nouvelles,  et,  là,  vous  vous  mettrez  toutes  à  genoux,  les  mains 
levées  vers  le  ciel,   comme  pour  faire  pénétrer  jusqu'au  plus 
intime  de  vos  âmes  la  bénédiction  que  vous  accorde  le  Saint-Père. 
Vous  demeurerez  quelques  instants  dans  cette  attitude  en  priant 


DE  LA  PROFESSION   A  l'eNTRÉE   DANS  LE  MONASTÈRE  153 

avec  ferveur.  Vous  irez  ensuite  au  chœur  et  vous  remercierez 
Notre-Seigneur  dans  son  adorable  Sacrement  pour  le  bonheur 
qu'il  va  vous  donner,  pour  les  grâces  qu'il  va  faire  pleuvoir  sur 
VOUS ..."  En  effet,  sitôt  la  lettre  de  Monseigneur  reçue,  après  qu'on 
s'en  fut  saintement  réjoui,  on  se  rendit  à  la  chapelle,  on  s'inclina 
en  silence  sous  la  main  lointaine  de  Pie  IX,  qui  bénissait  l'institut 
pour  la  première  fois  et,  spontanément,  on  entonna  le  Te  Deum. 
"Jamais,  pour  notre  part,  note  l'annaliste,  nous  n'avons  été  témoin 
d'un  plus  vrai  et  d'un  plus  touchant  enthousiasme  au  sein  de  la 
communauté."  Il  fut  tout  de  suite  décidé,  avec  l'approbation  de 
Monseigneur,  que  ces  expositions  mensuelles  du  saint  Sacrement  se 
feraient  le  premier  dimanche  de  chaque  mois  et  que  les  premières 
Quarante-Heures  auraient  lieu  du  1er  au  3  janvier  1865. 

Mgr  LaRocque,  retenu  par  ses  rhumatismes,  ne  put  se  rendre  au 
monastère  pour  cette  pieuse  cérémonie  de  la  première  exposition 
du  1er  au  3,  et  cela  nous  vaut  encore  un  échange  de  lettres  bien 
significatives.  On  était  da  reste  au  jour  de  l'an,  l'époque  des  bons 
souhaits.  Mère  Catherine- Aurélie  fit  remettre  à  l'évêque  malade 
une  jolie  image  où  se  voyait  un  charmant  petit  Jésus  entouré 
d'autant  de  colombes  que  la  communauté  comptait  en  ce  moment 
de  sujets.  Il  y  en  avait  dix-neuf.  En  même  temps,  elle  lui  écrivait, 
entre  autres  choses  :  "  Demain,  la  blanche  et  radieuse  hostie  sera 
exposée  à  notre  amoureuse  contemplation  !  Nous  lui  confierons 
les  secrets  les  plus  sacrés  de  nos  âmes .  .  .  Demain,  avec  la  blanche 
et  timide  troupe  de  mes  vierges,  après  avoir  purifié  nos  souhaits 
dans  le  feu  de  l'amour  eucharistique,  nous  viendrons  les  déposer 
respectueusement  dans  votre  cœur  qui,  si  souvent,  a  battu  pour 
nous  du  plus  généreux  dévouement .  .  .  En  vain.  Père  mille  fois 
béni,  vous  semblez  vouloir  nous  dérober,  sous  les  voiles  du  devoir 
et  de  la  modestie,  les  pénibles  fatigues  que  vous  vous  imposez  pour 
nous.  .  .  Nous  comprenons  que  c'est  à  vos  heures  laborieuses  que 
vous  retranchez  les  précieux  moments  que  vous  nous  consacrez, 


154  MÈRE   CATHERINE- ATTKéLIE 

tantôt  pour  nous  consoler  et  nous  guérir  de  nos  misères  spirituelles, 
tantôt  pour  nous  enseigner  les  vertus;  qui  doivent  nous  aider  à 
gravir  la  montagne  du  calvaire,  où,  nouveaux  Moïses,  nous 
voulons  tenir  sans  cesse  nos  mains  et  nos  cœur  élevés  vers  le  ciel 
pour  attirer  sur  la  terre  ingrate  les  bénédictions  du  sang  régé- 
nérateur de  Jésus.  .  ."  Le  1er  janvier  1865,  Mgr  LaRocque  lui 
écrivait  en  retour  :  "  L'image  de  Jésus  à  son  berceau,  entouré  de 
dix-neuf  colombes  voltigeantes,  dont  il  caresse  l'une  entre  ses 
mains  et  sur  son  coeur,  a  attiré  mon  attention.  Cette  scène  gracieuse 
a  réjoui  mon  âme .  .  .  Oh  !  comme  je  me  plais  à  me  représenter  les 
petites  recluses  contemplatives  du  blanc  monastère  comme  autant 
de  colombes  !  La  colombe,  c'est  si  simple,  si  candide,  si  pur,  si 
aimant .  .  .  Soit  que  vous  regardiez  Jésus  présent  au  milieu  de 
vous  par  son  incarnation,  soit  que  vous  le  contempliez  dans  sa 
présence  eucharistique  aujourd'hui  exposée  aux  tendresses  de 
votre  amour,  il  vous  est  doux  de  voltiger  autour  de  lui  et  de  le 
caresser  des  caresses  du  cœur .  .  .  Oh  !  oui,  mystiques  amantes 
de  votre  mystique  époux,  comme  des  colombes,  voltigez,  battez 
des  ailes  !  Ravissez  par  vos  caresses  ce  Jésus  tant  affiigé  par 
d'autres.  .  .  Caché  sous  le  voile  de  l'hostie,  il  vous  aime  donc 
beaucoup  puisqu'il  voudra  désormais,  pour  jouir  de  vous  de  plus 
prè-,  sortir  de  son  palais  d'amour  pendant  dix-huit  jours  et 
dix-huit  nuits  chaque  année .  .  .  C'est  le  bon  moment  !  Demandez, 
demandez  !  Jésus  est  la  sagesse  des  vierges,  la  science  des  contem- 
platives. Jésus  est  le  soleil  de  justice,  l'astre  qui  illumine  et  qui 
féconde  les  âmes .  .  .  Demandez  la  science  et  la  sagesse  des  vierges  ! 
Demandez  les  lumières  qui  éclairent  les  voies  de  la  sainteté  ! 
Demandez  la  divine  fécondité  qui  puisse  vous  faire  produire  tous 
les  fruits  de  vertus  de  votre  sublime  état  !  Demandez  toutes  les 
grâce'^  du  saint  état  religieux  !  Demandez  en  particulier  celle  que 
vous  appelle  à  pratiquer  le  choix  privilégié  que  Jésus  a  fait  de 
vous  pour  être  les  adoratrices  de  son  sang,  ses  amantes  eucharis- 


DE  LA  PHOFESSION    À  t,' ENTRÉE   DANS  LE  MONASTÈRE  155 

tiques .  .  .  des  réparatrices  !  Belle  nuit,  radieuse  comme  le  plus 
beau  jour,  je  ne  jouirai  de  vous  que  de  loin.  Mais  je  sais  quelle 
rosée  de  grâces,  de  joies  et  de  jouissances,  vous  allez  répandre  sur 
mes  chères  enfants  !  Je  vous  remercie  !  Je  suis  heureux  !  Bénies 
soj'ez  toutes  !  Votre  père  dévoué.  .  ." 

M.  Raymond,  d'autre  part,  se  félicitait  de  grand  cœur  de  ces 
faveurs  spirituelles  obtenues  pour  ses  chères  dirigées,  faveurs 
auxquelles  on  était  peut-être  alors  moins  habitué  que  de  nos 
jours.  Il  suivait  toujours  ses  filles  avec  une  sérieuse  et  délicate 
attention.  Dans  une  lettre  de  lui  à  Mère  Catherine-Aurélie, 
datée  du  21  avril  1865,  un  jour  où  il  n'avait  pu,  par  suite  d'une 
indisposition,  se  rendre  au  monastère,  nous  lisons  :  "  La  solitude 
me  plait.  Je  me  sens  des  dispositions  à  me  faire  chartreux  !  Mais 
non  !.  .  .  J'entends  des  voix  d'âmes  qui  me  réclament.  Il  me  faut 
travailler  pour  elles,  leur  donner  le  pain  de  la  parole  sacrée,  leur 
tendre  la  main  qui  dirige  et  les  abreuver  du  sang  dont  je  suis  le 
dispensateur.  Oui,  mais  que  ces  devoirs  sont  graves  !  Qu'ils 
exigent  en  moi  de  vertus  dont  je  sens  l'absence  en  mon  âme  ! 
On  prie,  on  souffre  pour  moi,  voilà  ce  qui  me  rassure.  Merci,  ma 
chère  fille. —  Je  prie  notre  bien-aimé  Seigneur  de  vous  diriger  et 
de  vous  consoler,  en  ces  jours,  d'une  manière  spéciale.  C'est  surtout 
quand  les  autres  secours  manquent  qu'on  a  droit  à  celui  de  Dieu .  . 
On  en  sent  mieux  alors  toute  la  merveilleuse  et  miséricordieuse 
efiicacité.  .  ."  Le  zélé  directeur,  après  ces  explications  de  circons- 
tance, passe  soudain,  selon  son  habitude,  à  des  considérations 
élevées  sur  l'amour  de  Jésus  pour  les  âmes,  manifesté  spécialement 
en  son  dernier  soupir.  Il  nous  semble  bien  rester  dans  le  sujet  de 
notre  récit  en  les  reproduisant.  Elles  montrent  exactement  quel 
était  l'esprit  dans  lequel  M.  Raymond,  aussi  bien  que  Mgr 
LaRocque,  entretenait  les  religieuses.  Elles  font  toucher  du 
doigt,  pour  ainsi  dire,  la  vraie  vie  qu'elles  menaient  sous  l'oeil  de 
Dieu.  M.  Raymond  écrit  donc  :  "  Voici  3  heures  !  C'est  l'heure 


156 


MERE  CATHERINE- AURELIE 


de  l'amour  suprême  !  A  cette  heure,  celui  qui  aime  était  sur  la 
croix,  toutes  les  douleurs  étaient  en  lui,  son  corps  n'était  qu'une 
plaie,  son  âme  était  noyée  dans  un  océan  d'amertume.  Pouvait-il 
souflfrir  quelque  chose  de  plus  pour  les  âmes  qui  sont  l'objet  de 
son  amour?  Non.  Tout  a  été  consommé  !  Il  vient  de  dire  à  son 
père  :  "  Pourquoi  m'avez-vous  abandonné  .'*  "  Il  remet  son  âme 
entre  ses  mains.  C'est  tout  à  la  fois  l'extrémitc  de  l'amour  envers 
son  père  et  l'extrémité  de  l'amour  envers  les  hommes.  Il  n'a  plus 
qu'à  pencher  la  tête  et  à  exhaler  le  dernier  soupir ...  Ce  dernier 
soupir,  c'est  le  plus  ardent  que  le  cœur  de  Jésus  ait  poussé  pour 
nous.  Approchons-nous  de  sa  tête  sacrée  pour  le  recueillir,  pour 
sentir  toute  sa  force  et  toute  sa  tendresse,  pour  que,  passant  en 
nous,  il  nous  anime  de  toute  la  vie  que  Jésus  perd  en  le  rendant .  .  . 
Nous  aussi,  nous  rendrons  le  dernier  soupir.  Puisse-t-il  être 
immédiatement  suivi  du  premier  tressaillement  du  ciel  !  Notre 
dévotion  au  dernier  soupir  de  Jésus  pourrait  bien  nous  mériter 
cette  faveur.  Je  ne  développe  pas  cette  idée.  Présentez-la  à  vos 
filles.  Faites-leur  recueillir  ce  dernier  soupir  sur  la  croix .  .  . 
Souvenez-vous  toujours  qu'avec  la  confiance  on  obtient  tout .  .  . 
Que  Marie  passe  et  repasse  dans  toutes  les  parties  de  son  monas- 
tère !  Qu'elle  y  laisse  une  odeur  de  ses  parfums  qui  attire  ses 
filles  à  elle  !  Cherchez-la,  ma  chère  Mère,  vous  la  rencontrerez, 
elle  vous  bénira,  et  vous  lui  direz  un  mot  de  celui  qui  voudrait 
l'aimer  malgré  son  indignité  ..." 

Dans  ces  appels  à  l'amour  de  Jésus  et  de  son  Précieux  Sang, 
plus  virils  peut-être  sous  la  plume  de  M.  Raymond  et  plus  tendres 
sous  celle  de  Mgr  LaRocque,  mais  toujour.s  si  fervents  et  si 
ardents,  il  y  a  sans  doute  une  terminologie  qui,  pour  sûre  qu'elle 
soit  du  point  de  vue  doctrinal,  ne  laisse  pas  que  d'étonner  un  peu 
par  son  ardeur  même.  Mais  les  saints  parlaient-ils  autrement  dans 
l'intimité  du  cœur  à  cœur  avec  les  âmes  d'élite  que  la  Providence 
confiait  à  leur  direction  ?  Ce  langage,  en  tout  cas,  en  même  tempa 


DE  LA  PROFESSION  A  l'ENTHÉE  DANS  LE  UONASTÈBE  157 

qu'il  l'enchantait,  faisait  pieusement  s'élever  la  jeune  Mère 
Catherine-Aurélie  dans  l'amour  du  sang,  comme  elle  disait,  c'est- 
à-dire  de  Jésus  souffrant  et  mourant  pour  nous.  Ses  lettres  aux 
deux  co-fondateurs,  ses  notes  intimes,  toute  sa  correspondance» 
si  fournie  que  nous  désespérons  de  pouvoir  lui  rendre  justice,  tout 
le  montre  jusqu'à  l'évidence  même.  Voici,  comme  unique  exemple, 
quelques  extraits  d'une  lettre  écrite  vraisemblement  en  mars 
1865,  à  l'une  de  se.=  connaissances  du  monde,  qu'elle  appelle  "  sa 
chère  amie  crucifiée  "  :  "  La  bien  petite  distance  qui  nous  sépare 
serait  bientôt  franchie  par  celle  qui  peut  sans  présomption  se 
dire  votre  amie  la  plus  dévouée  et  la  plus  a+tachée,  si  mon  cher 
cloître  n'opposait  à  ce  drsir  une  barrière  infranchissable.  .  .  Vous 
ledir^is-je,  ma  chère  amie,  parmi  les  faveurs  que  vous  a  départies 
l'amoureuse  main  de  notre  unique  tout,  la  plus  précieuse  à  mes 
yeux,  c'est  cet  enchaînement  successif  de  croix,  d'immolations, 
d'obstacles  à  vos  plus  chers  désirs,  qui  ont  marqué  tous  les  jours 
de  votre  vie .  .  .  Vous  avez  voulu  être  à  lui,  devenir  son  épouse  ? 
Il  a  réalisé  vos  désirs,  mais  d'une  autre  manière ...  Il  s'est  uni 
à  vous,  non  pas  par  la  douce  et  austère  solitude  du  cloître  et  par 
les  délices  du  Thabor,  mais  en  vous  conduisant  sur  le  sommet 
sanglant  du  Golgotha,  en  vous  couchant  sur  le  lit  douloureux 
de  la  croix...  Que  pouviez-vous  désirer  de  mieux?  Combien 
vos  espérances  doivent  être  fortes  et  douces  ! . .  .  Le  ciel,  le  ciel, 
c'est  là  seulement  que  le  cœur  trouvera  le  repos  qu'il  cherche 
vainement  dans  l'exil,  le  bonheur  après  lequel  il  soupire  jour  et 
nuit,  enfin  son  plein  ravis-^ement . .  ." 

En  1865,  le  30  avril,  jour  de  la  fête  de  sainte  Catherine  de 
Sienne,  l'annaliste  note  un  fait  charmant  dans  la  vie  de  la  jeune 
communauté  :  "  Un  odorant  et  bien  gracieux  bouquet  de  fête 
est  présenté  à  notre  Mère,  en  la  personne  de  sa  petite  nièce,  Marie 
Benoit,  aimable  enfant  de  six  ans,  que  Monseigneur  voue,  le 
jour  même,  à  la  sainte  Vierge  et  qu'il  admet  définitivement  au 


158  MÈRE   CATHERlNE-AUKéLlB 

monastère."    A  celle  qui  s'immolait  pour  lui,  Notre-Seigneur  ne 
refusait^pas  toute  joie  sensible. 

Cependant,  Mère  Catherine-Aurélie,  si  elle  tâchait  de  monter 
de  perfection  en  perfection,  s'occupait  aussi,  dans  la  mesure 
nécessaire,  des  intérêts  matériels  de  son  institut.  Nous  avons 
déjà  relevé  dans  l'une  de  ses  lettres  que,  d'une  façon  générale, 
elle  "  s'en  occupait  fort  peu  "  et  se  fiait  surtout  à  l'active  bien- 
veillance du  bon  M.  Lecours.  Toutefois,  elle  savait,  même  en 
cette  matière,  se  plier  au  devoir.  A  l'époque  où  nous  sommes  arrivé 
d?»ns  notre  récit,  nos  lecteurs  se  rappellent  que  la  question  de  la 
donation  de  madame  Biais,  dont  nous  avons  parlé  au  début  de 
ce  chapitre,  était  en  cours.  Dans  une  lettre  à  Mgr  LaRocque, 
en  date  du  20  septembre  1865,  Mère  Catherine-Aurélie  s'en 
explique  ainsi  :  "Déjà,  Monseigneur,  on  vous  a  parlé,  au  sujet 
de  madame  Biais,  de  son  pieux  dévouement  et  de  ses  projets. 
Je  présume  que  vous  seriez  aise  de  connaître  ce  que  j'en  pense  ? 
En  deux  mots,  je  vous  dirai  que,  aveuglément  confiante  en  la 
divine  Providence,  qui  tient  toujours  sa  main  ouverte  poiir  les 
enfants  du  Précieux-Sang,  je  ne  fais  nulle  difficulté  d'accepter  les 
mille  louis  offerts  pour  entreprendre  une  aile  qui  coûtera  quinze 
cents,  en  n'exigeant  rien  autre  chose  de  la  donatrice.  Elle  ne  cesse 
de  me  répéter  qu'elle  se  contentera  de  peu  et  qu'elle  a  un  cœur 
de  mère.  Ceci  veut  dire  sans  doute,  que,  sans  s'engager  à  payer 
pension,  elle  n'hrsiterait  pas  au  besoin  à  nous  passer  les  deiiiers 
dont,  pour  de  très  justes  raisons,  elle  ne  veut  pas  se  dessaisir 
maintenant ...  Ce  n'est  qu'après  avoir  con.iulté  Jésus  et  fait 
prier  mes  petits  anges  que  je  me  décide  à  vous  demander  de 
conclure  sans  crainte  cette  affaire  qui  tournera  à  la  gloire  du 
sang.  C'est  aujourd'hui  mercredi.  Depuis  le  matin,  trente-quatre 
piastres  nous  ont  été  données.  Vive  notre  bon  père  saint  Joseph  !..." 
Un  mois  plus  tard,  le  20  octobre,  la  supérieure  parle  encore  de 
temporel  à  l'évêque  :  "  Veuillez  me  pardonner,  Monseigneur,  cette 


DE  I-A   PROFESSION   A.  l'ENTRIÎE   DANS  LK  MONASTèRB  159 

nouvelle  importunité.  Mais  une  enfant  sans  son  père  n'e^t  pas 
capable  de  grand'chose.  C'est  encore  ;ui  sujet  de  notre  iemvorel 
que  je  me  permets  de  venir  vous  consulter.  Comme  l'état  de 
souffrance  actuel  de  madame  Biais  la  met  dans  l'impossibilité  de 
pourvoir  elle-même  à  l'emprunt  des  cinq  cents  loiiis  requis,  et  que 
je  ne  vois  guère  de  moyen  de  nous  les  procurer,  il  ne  m'en  coûte 
rait  nullement,  Monseigneur,  avec  votre  approbation,  de  retirer, 
de  chez  MM.  C.  .  .  et  R. .  .,  les  p?tits  capitaux  que  nous  3vons 
là,  pour  les  remettre  à  M.  le  curé.  Cette  affaire  ne  pourrait  certai- 
nement pis  tourner  à  notre  détriment,  ne  dût-elle  avoir  d'autre 
avantage  que  celui  de  favoriser  les  pions  de  dévouement  du  géné- 
reux bienfaiteur  que  nous  avon.-.  dans  le  digne  INI.  Lecours .  .  .  Ce 
serait  une  marque  de  confiance  dont  il  nous  garderait  un  recon- 
naissant souvenir.  N'a-t-il  pas  besoin  d'être  encouragé  ?  L'évêché 
de  Québec  serait  disposé  à  donner  un  transport  aux  ]MM.  du 
séminaire  de  Saint-Hyacinthe  pour  f?ire  remettre  ànotre  monastère 
l'intérêt  des  cinq  cents  louis  qui  lui  ont  été  prêtés .  .  .  On  dit  géné- 
ralement, Monseigneur,  qu'on  ne  peut  faire  deux  choses  à  la  fois. 
Dans  cet  instant,  je  puis  vous  ceruifîer  le  contraire.  Aurélie  est 
à  son  bureau  occupée  à  traiter  avec  vous  d'affaires  matérielles, 
mais  son  cœur  est  en  même  temps  absorbé  en  son  Jésus  souf- 
frant..." 

A  ce  m.oment,  Mgr  Joseph  LaRocque  était  démissionnaire. 
Ses  infirmités  précoces  s'ajoutant  à  la  crainte  qu'il  avait  toujours 
eue  des  hautes  responsabilités  l'avaient  amené  à  demander 
respectueusement  au  Saint-Siège  de  le  relever  de  ses  fonctions. 
Rome  avait  accepté  sa  démission  comme  évêque  de  Saint-Hyacin- 
the le  17  août  1865,  mais  en  lui  enjoignant  de  continuer  son  admi- 
nistration jusqu'à  la  prise  de  possession  du  successeur  que  l'Eglise 
lui  donnerait.  Nos  lecteurs  savent  déjà  que  ce  successeur,  élu  le 
20  mars  et  sacré  le  29  juillet  1866,  ce  devait  être  son  cousin,  Mgr 
Charles  LaRocque,  qui  prendrait  possession  le  31  juillet  de  la 


160  MÈRE   CATHERINE- AURÉLIE 

même  année.  Il  faut  se  rappeler  ces  faits  pour  bien  lire  ce  que 
Mgr  Joseph,  ainsi  qu'on  allait  dire  bientôt,  écrivait  à  Mère 
Catherine-Aurélie  en  réponse  à  la  lettre  du  20  septembre  1865, 
dont  nous  avons,  plus  haut,  cité  un  substantiel  extrait  :  "  Révé- 
rende et  chère  Mère,  lui  mandait-il  le  22  septembre.,  je  vous 
écris  quelques  lignes  en  réponse  à  votre  bonne  lettre  d'avant-hier. 
Vous  pouvez  vous  abandonner  entre  les  bras  de  la  Providence» 
sans  craindre  les  résultats  de  ma  démission,  soit  pour  vous,  soit 
pour  vos  chères  compagnes .  .  .  Votre  petite  communauté  ne  sera 
privée  ni  des  bienfaits  de  mon  successeur,  ni  de  mes  soins,  si 
Dieu  juge  bon  de  me  laisser  assez  de  santé  pour  vous  les  consacrer 
comme  j'en  ai  le  désir  et  l'espoir.  .  .  Vous  allez  passer  contrat 
aujourd'hui  avec  votre  bonne  et  maternelle  madame  Biais. 
J'espère  que  les  anges  vont  assister  aux  conventions  pour  rapporter 
au  ciel  que  vous  n'avez  qu'un  seul  et  unique  désir  :  accomplir 
la  sainte  volonté.  De  tout  mon  coeur,  je  bénis  votre  transaction. 
Remerciez  bien  pour  moi  cette  chère  bonne  mère,  que  le  ciel  vient 
de  vous  donner.  Le  monastère  sera  pour  elle,  je  l'espère,  un 
séjour  de  bonheur  dans  l'affection  et  avec  l'affection  de  vous 
toutes ...  Le  rhumatisme  ne  me  laisse  pas  encore  la  liberté  de 
quitter  tout  à  fait  le  lit.  .  .  "'  Nous  avons  déjà  dit  que  madame 
Biais  ne  devait  jamais  venir  vivre  au  monastère  et  qu'elle  devait 
mourir  en  octobre  1866.  Mais  on  ne  tarda  pas,  M.  Lecours  surtout, 
à  mettre  à  profit  sa  générosité,  et,  à  sa  mort,  nous  l'avons  égale- 
ment noté,  la  première  aile  de  l'édifice  était  debout. 

En  1866,  comme  en  1865,  les  échanges  de  lettres  et  de  beaux 
sentiments  se  continuent.  Le  15  avril,  un  fait  important  se  pro- 
duit. L'évêque-fondateur,  qui  va  bientôt  quitter  l'administration, 
écrit  un  mandement  pour  confirmer  l'existence  de  la  communauté. 
Après  avoir  rappelé  que  c'est  le  15  avril  1861,  en  la  fête  du  patro- 
nage de  saint  Joseph,  qu'éclairé  par  les  lumières  d'en  haut  il  s'est 
décidé  à  fonder  l'institut,  qui  a  pris  effectivement  naissance  le 


DE  LA  PROFESSION   A   l' ENTRÉE   DANS  LA   MONASTÈRE  161 

14  septembre  1861  et  dont  les  origines  furent  si  modestes,  et  avoir 
insisté  sur  le  bonheur  de  la  vie  contemplative,  sur  les  avantages 
propres  aux  Sœurs  du  Précieux-Sang,  sur  les  grâces  qui  découlent 
de  cette  bénie  dévotion,  sur  la  glorification  de  Marie  conçue  sans 
péché  et  enfin  sur  ce  qu'il  appelle  bellement  le  ministère  de  la 
réparation  et  de  l'expiation,  le  pieux  prélat  arrête  le  dispositif 
suivant  :  "  1**  Nous  renouvelons  et  confirmons  définitivement, 
autant  que  nous  y  autorise  notre  charge  épiscopale,  l'existence 
religieuse  dont  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  ont  joui,  sous  notre 
protection  et  avec  notre  encouragement,  depuis  le  14  septembre 
1861,  et  nous  offrons  cette  naissante  communauté  au  divin  Sau- 
veur des  âmes  en  témoignage  du  désir  que  nous  nourrissons  de 
voir  son  sang  précieux  être  l'objet  de  la  reconnaissance,  de 
l'amour  et  des  profondes  adorations  qui  lui  sont  dues.  2°  Nous 
voulons  que  ces  religieuses  soient  spécialement  vouées  à  la  vie 
contemplative  et  s'y  livrent  en  commun  à  des  œuvres  de  piété, 
de  charité  et  de  miséricorde  y  ayant  rapport.  3°  Outre  le  but 
qui  leur  est  commun  avec  toutes  les  religieuses  contemplatives, 
elles  auront  pour  fins  spéciales  :  a)  de  rendre  mille  et  mille  amoureux 
hommages  au  sang  adorable  du  Dieu  fait  homme  qui  a  été  répandu 
pour  le  salut  du  genre  humain;  b)  de  glorifier  et  honorer  tout 
particulièrement  la  Vierge  Marie,  immaculée  dans  sa  conception  ; 
c)  d'adorer  assidûment  Jésus  dans  le  sacrement  de  l'autel;  (f)  de  se 
dévouer  comme  victimes,  si  Dieu  les  accepte,  et  d'offrir  continuel- 
lement au  Seigneur  les  mérites  du  sang  de  Jésus-Christ  pour 
obtenir  la  conversion  des  pécheurs.  4"  Les  principales  fêtes  de 
l'institut  seront  la  fête  du  très  Précieux  Sang  de  Jésus-Christ 
qui  se  célèbre  le  premier  dimanche  de  juillet,  la  fête  de  l'Imma- 
culée Conception  de  la  sainte  Vierge,  la  fête  de  sainte  Catherine 
de  Sienne  et  la  fête  de  sainte  Thérèse ..."  Quinze  jours  plus  tard, 
le  3  mai,  jour  de  l'invention  de  la  sainte  croix,  Mgr  Joseph 
LaRocque  adressait  en  plus  une  lettre  pastorale  à  ses  chères  filles 


162 


MERE   CATHERINE-AURELTE 


du  Précieux-Sang.  La  terre  natale  des  religieuses  du  Précieux- 
Sang,  y  disait-il,  c'est  la  région  sacrée  du  Golgotha.  C'est  là,  au 
pied  de  la  croix,  que  se  trouve  pour  elles  la  vraie  patrie,  parce 
que  c'est  là  que  se  trouvent  tous  leurs  souvenirs  de  famille  et 
tous  leurs  titres  de  noblesse.  C'est  là,  par  conséquent,  que  doivent 
aller  les  pensées  de  leur  esprit  et  les  sentiments  de  leur  cœur. 
Puis,  l'évêque  précisait  qu'il  se  proposait  de  mettre  sous  peu  la 
dernière  m.ain  aux  règles  et  constitutions  de  la  communauté,  que 
d'ailleurs  il  ne  faisait,  ajoutait-il  modestement,  que  compiler, 
"  en  les  extrayant  des  codes  de  perfection  qui  ont  subi  l'épreuve 
des  siècles  et  servi  au  progrès  spirituel  de  tant  d'âmes  saintes  ". 
Tout  en  se  réjouissant  des  libéralités  dont  la  com-munauté  ét'^it 
l'objet  de  la  part  de  nombreux  bienfaiteurs,  il  recommandait  en  fi- 
nissant l'esprit  de  pauvreté  et  ordonnait  des  mesures  pratiques  pour 
qu'une  sage  éronomie  réglât  toujours  l'administration  matérielle  de 
l'institut. 

En  ce  même  jour  du  3  mai,  Mère  Catherine-Aurélie  remerciait 
Monseigneur,  et  pour  son  mandement,  et  pour  sa  lettre  pastorale. 
"  Plus  que  jamais,  lui  écrivait-elle,  nous  sentons  le  besoin  de 
faire  de  la  région  sacrée  du  calvaire  notre  patrie.  Plus  que  jamais, 
nous  sommes  avides  de  planter  notre  tente  pour  toujours  sur  le 
roc  de  cette  montagne  sainte  qu'a  empourprée  le  sang  de  Jésus. 
Partout  ailleurs,  comme  vous  nous  le  dites,  Monseigneur,  nous  ne 
trouverions  que  déceptions  et  amertumes,  nos  cœurs  resteraient 
vides  et  a,ltérés,  car  ils  ne  pourraient  recueillir  la  douce  rosée  du 
sang  qui  fait  leur  nourriture  et  leur  vie.  .  .  Puissions-nous,  Mon- 
seigneur, correspondre  aux  desseins  miséricordieux  du  Seigneur 
et  devenir,  par  les  grâces  divines  que  vous  faites  descendre  sur 
nous  avec  tant  de  profusion,  des  âmes  véritablement  contem- 
platives et  réparatrices  !. .  ." 

Le  31  juillet  1S6G,  Mgr  Charles  LaRocque  prenait  possession  du 
siège  épiscopal  de  Saint-Hyacinthe.  Il  convient  de  rappeler  ici 


DE  LA  PROFESSION  A  l'bNTRÉE  DANS  LG  MONASTÈRB  163 

les  principaux  faits  de  sa  carrière.  Nous  savons  déjà  que,  comme 
son  cousin  et  prédécesseur,  il  était  né  à  Chambly  (15  novembre 
1809)  et  qu'il  avait  étudié,  lui  aussi,  à  Saint-Hyacinthe,  où,  suivant 
l'usage  du  temps,  il  avait  enseigné  trois  ans,  tout  en  faisant  sa 
théologie.  Ordonné  prêtre  à  Montréal,  par  Mgr  Lartigue,  le  29 
juillet  1832,  après  quatre  ans  de  vicariat,  il  avait  été  curé  à 
Saint-Pie  (1836-1840),  à  l'Acadie  (1840-1844),  puis,  pendant 
vingt-deux  ans  (1844-1866),  à  Saint-Jean-d'Iberville.  Élu  pour 
succéder  à  Mgr  Joseph,  le  20  mars  1866,  il  avait  été  sacré,  à 
Saint-Jean,  le  29  juillet  suivant  (1866),  par  Mgr  Baillargeon, 
assisté  de  Mgr  Bourget  et  de  Mgr  Guigues.  Deux  jours  plus  tard, 
le  31,  il  prenait  possession,  à  Saint-Hyacinthe.  Mais,  disons-le 
tout  de  suite,  à  l'automne  de  1868,  au  bout  de  deux  ans,  pour 
parer  aux  difficultés  financières  que  traversait  son  diocèse  (l'évêché 
avait  une  dette  de  onze  mille  louis,  soit  de  cinquante-cinq  mille 
piastres  environ),  en  s'assurant  quelques  revenus  et  en  dégrevant 
d'autant  le  budget  de  sa  mense  épiscopale,s'étant  pour  cela  muni 
de  l'autorisation  du  Saint-Siège,  il  quittait  l'évêché,  y  laissant 
son  chancelier,  M.  l'abbé  Moreau,  chargé  de  l'expédition  des 
affaires  courantes,  et  prenait  la  cure  de  Belœil,  où  il  s'en  alla 
résider.  "  Pénétré  du  sentiment  de  ses  obligations,  écrivait  plus 
tard  le  biographe  des  premiers  évêques  de  Saint-Hyacinthe 
(Mgr  Bernard),  Mgr  Charles,  muni  de  l'approbation  du  Souverain 
Pontife,  s'immola  sans  bruit  et  prit  le  chemin  de  l'exil.  Pendant 
sept  ans,  il  vécut  loin  de  Saint-Hyacinthe,  centre  de  ses  pensées 
et  foyer  naturel  de  ses  occupations,  se  soumettant  à  tous  les  incon- 
vénients de  l'absence,  aux  voyages,  à  la  multiplicité  des  corres- 
pondances. Ce  sacrifice  méritait  de  devenir  fructueux."  Il  le 
fut  en  effet.  Mais  cela  nous  explique  aussi  qu'il  n'intervint  que 
rarement  dans  la  direction  et  les  affaires  de  l'œuvre  du  Précieux- 
Sang.  Dès  la  première  heure,  du  reste,  il  se  reposa  volontiers,  pour 


164  MÈBE  CATHEBINE-ATTBÉLIB 

ce  soin,  sur  la  prudence  et  le  zèle  de  son  vénéré  prédécesseur, 
Mgr  Joseph. 

Pasteur  diligent  de  tout  le  bercail  que  l'Église  lui  confiait,  il 
ne  pouvait  cependant  se  désintéresser  complètement  de  cette 
déjà  florissante  et  si  fervente  communauté  de  vierges  rouges  et 
blanches,  vouées  à  la  contemplation  et  à  la  réparation.  Dans  son 
mandement  d'entrée,  daté  du  1er  août  1866,  il  tint  à  leur  rendre, 
comme  aux  Sœurs  de  l'Hôtel-Dieu  et  comme  aux  Sœurs  de  la 
Présentation,  qu'il  trouvait  aussi  dans  sa  ville  épiscopale,  un 
délicat  hommage  :  "  Elles  s'immolent  nuit  et  jour,  disait  Sa 
Grandeur  en  parlant  des  Sœurs  du  Précieux-Sang,  dans  les 
exercices  d*une  mortification  et  d'une  prière  continuelles.  Ce  sont 
des  âmes  généreuses,  des  colombes  gémissantes,  qui  ont,  comme 
saint  Paul  (Col.  I,  24),  le  courage  de  se  réjouir  dans  les  souffrances 
de  toutes  sortes  qu'elles  s'imposent  pour  accomplir  en  leur  chair 
innocente  de  vierges  pures  ce  qui  reste  à  souffrir  à  Jésus-Christ 
pour  son  corps  mystique,  l'Église.  .  .  Qui  ne  sait  que  le  champ 
de  cette  sainte  Église,  quelque  bien  cultivé  qu'il  puisse  être 
par  le  travail  apostolique,  n'est  cependant  fécond  qu'à  proportion 
qu'il  est  plus  abondamment  arrosé  par  les  larmes  de  la  prière  et 
de  la  pénitence .  .  .  Après  les  labeurs  de  ses  prêtres,  rien  ne  vient 
aussi  efficacement  en  aide  à  un  évêque,  pour  procurer  le  salut 
des  âmes,  que  ces  prières  et  ces  sacrifices  qui  s'élèvent  sans  cesse 
vers  le  trône  de  Dieu  du  fond  de  ces  retraites  de  Tinnocence  et  de 
la  pureté  virginales ..." 

Ainsi  bénie  et  appréciée  par  Mgr  Charles  aussi  bien  que  par 
Mgr  Joseph,  l'œuvre  du  Précieux-Sang  continuait  de  prospérer. 
Cette  prospérité.  Mère  Catherine-Aurélie  s'efforçait  de  la  mériter, 
à  elle-même  et  à  ses  filles,  en  pratiquant  l'amour  vrai  de  la  croix 
et  du  sang  de  Jésus  et  en  le  prêchant,  cet  amour,  à  toutes  les 
âmes  qui,  d'une  façon  ou  d'une  autre,  avaient  recours  à  son 
intercession  auprès  de  Notre-Seigneur.  "  Chère  aimée  de  Jésus, 


DE  LA  PROFESSION  À  l'eNTRÉE  DANS  LE  MONASTÈRE  165 

écrivait-elle,  le  2  octobre  1866,  à  une  amie  grandement  éprouvée, 
semblables  à  des  fleurs  teintes  du  sang  de  la  victime  du  calvaire, 
les  souffrances  semblent  éclore  constamment  sous  vos  pas. 
Mais  n'est-ce  pas  la  volonté  du  divin  époux  qui  veut  qu'il  en  soit 
ainsi  ?  N'est-ce  pas  Jésus  qui  embaume  votre  existence  de  cette 
myrrhe  amère  de  la  douleur  ? .  .  .  Depuis  que  je  vous  sais  attachée 
à  la  croix,  je  me  suis  souvent  transportée  par  le  souvenir  près  de 
vous,  chère  amie,  et  plus  d'une  fois  vous  avez  dû  entendre  à 
l'oreille  du  cœur  mille  choses  que  m'inspirait  ma  tendre  affection. 
J'aime  à  vous  répéter  que  j'ai  chargé  mon  ange  gardien  de  veiller 
à  votre  chevet,  de  vous  fortifier,  de  vous  consoler,  comme  je 
l'aurais  fait  moi-même,  et  beaucoup  mieux  que  moi,  si  j'avais  pu 
aller  vous  voir.  Dans  ce  moment  où  je  vous  parle,  mon  âme  va 
chercher  la  vôtre  pour  la  plonger,  avec  vos  infirmités,  vos  souf- 
frances et  vos  désirs,  dans  le  bain  embrasé  du  sang  de  Jésus. 
Ensemble,  petite  victime,  enivrons-nous  de  ce  vin  généreux  qui 
rendait  les  saints  tout  haletants  de  la  soif  de  souffrir  et  de  s'immo- 
ler pour  la  gloire  de  notre  Dieu  d'amour." 

On  touchait  à  1867.  C'étr»it  le  26  juin  de  cette  année-là  que  l'on 
prendrait  possession  de  cette  aile  nouvelle  du  monastère,  à  la 
construction  de  laquelle  M.  Lecours  s'était  si  largement  dépensé. 
Les  travaux  se  poursuivaient  activement.  D'autre  part,  les  "  co- 
lombes "  se  faisaient  de  plus  en  plus  nombreuses  au  '*  blanc 
colombier  ".  Dans  sa  lettre  du  jour  de  l'an  à  Mgr  Joseph  LaRocque, 
qui  n'était  plus  évêque  de  Saint-Hyacinthe  et  allait  bientôt  (le 
15  janvier)  être  nommé  évêque  titulaire  de  Germanicopolis, 
Mère  Catherine-Aurélie  écrivait,  le  31  décembre  1866  :  "  Il  y 
a  six  ans.  Monseigneur  et  digne  Père,  j'allais  seule,  au  début  de 
l'année,  vous  offrir,  pour  bouquet  du  jour,  les  faibles  tiges  que 
vous  cultiviez  dans  le  terrain  si  peu  fertile  de  mon  pauvre  cœur.  .  . 
Celui  dont  la  richesse  supplée  à  mon  indigence  a  regardé  la 
bassesse  de  sa  servante  et  il  a  permis  qu'autour  de  ces  faibles 


166  MÈRE  CATHERINE- ATJRÉLI» 

tiges  soient  venues  se  grouper  bien  des  petites  fleurs  qui,  grâce 
à  la  céleste  pluie  dont  vous  les  abreuvez  sans  cesse,  croissent, 
à  la  gloire  de  l'Agneau,  pour  votre  bonheur  et  pour  le  mien . .  . 
Que  d'inquiétudes  peut-être  l'avenir  ne  vous  cause-t-il  pas  à 
notre  sujet  !  Que  de  nuits  sans  sommeil  ne  passez-vous  pas  en 
songeant  à  notre  jeunesse  et  à  notre  inexpérience  ! .  .  .  Ne  craignez 
rien,  trop  bon  Père,  vos  enfants  répètent  avec  saint  Paul  qu'elles 
peuvent  tout  en  celui  qui  les  fortifie.  Oui,  nous  serons  fidèles  à 
l'époux  de  sang!  Nous  lui  garderons  notre  foi  jusqu'à  l'abandon 
de  Gethsémani  et  jusqu'à  l'obscurité  du  Golgotha  !  Initiées  par 
vous  aux  secrets  du  combat,  nous  soutiendrons  la  lutte.  Nous 
persévérerons  dans  l'amour  de  l'abjection  et  du  mépris.  Vous  nous 
avez  appris.  Monseigneur,  à  aimer  le^  fleurs  cachées  de  la  croix 
et  à  en  parer  nos  âmes.  Dociles  à  votre  voix,  nous  chercherons, 
heureuses  filles,  à  les  cueillir  sur  les  traces  de  notre  sanglant 
époux.  Mai^,  nos  désirs  sont-ils  vrais  et  nos  actions  et  nos  œuvres 
les  confirment-elles  ?  Vous  connaissez  notre  fragilité.  .  ." 

Il  est  bien  remarquable  que,  dans  l'ardeur  de  ses  pieux  épan- 
chements.  Mère  Catherine-Aurélie,  pourtant  si  visiblement 
favorisée  du  ciel,  n'oublie  jamais  de  parler  de  sa  bassesse  et  de 
sa  fragilité.  Et  l'on  éprouve,  à  la  lire,  qu'elle  est  évidemment  sincère. 
Ses  excellents  directeurs  ne  se  lassaient  pas  d'ailleurs  de  l'entretenir 
dans  ces  pensées  d'humilité.  Une  victime  expiatrice,  en  effet, 
ne  saurait  ne  pas  être  humble  d'abord.  M.  Raymond,  à  la  mort 
de  madame  Biais  (Q  octobre  1866),  écrivant  de  Boucherville,  où 
il  prêchait  une  retraite,  mandait  à  sa  dirigée  :  "  Je  viens  d'appren- 
dre la  mort  de  votre  chère  bienfaitrice,  madame  Biais.  Sa  géné- 
rosité et  ses  longues  souffrances  ont  dû  la  faire  accueillir  favora- 
blem.ent  de  celui  au  sang  duquel  elle  a  offert  un  hommage  qui  a 
été  une  expression  bien  forte  de  son  désir  de  le  voir  glorifier. 
Vous  n'épargnez  sans  doute  pour  elle  ni  prières  ni  offrandes 
de  vos  mortifications ..."  A  la  fin  de  1866,  il  lui  écrivait  encore  : 


DE  LA  PROFESSION   A  l'eNTHÉE   DANS  LE  UONASTÈBIB  167 

"  La  soufiFrance  est  pénible,  mais  elle  est  un  motif  de  confiance .  .  . 
Elle  vous  assure  que  vous  êtes  dans  la  voie  de  la  vérité,  que  Jésus 
est  bien  réellement  votre  époux.  .  .  Elle  est  comme  le  cachet  de 
la  prédilection  de  Dieu  à  votre  égard.  Elle  supplée  à  votre  indi- 
gnité personnelle.  Rien  ne  ravit  le  cœur  de  Jésus  et  ne  le  dispose 
à  mettre  sa  puissance  au  service  de  sa  bonté  comme  une  souffrance 
supportée  par  amour  pour  lui.  On  montre  par  là  qu'on  apprécie 
ce  qu'il  a  tant  aimé,  sa  chère  croix..."  Et  enfin,  au  début  de 
1867,  nous  trouvons  encore  sous  la  plume  du  zélé  directeur,  à 
l'adresse  de  Mère  Catherine-Aurélie,  ces  ferventes  exhortations: 
"Demandez  avec  instance  dans  vos  prières  que  partout,  surtout 
dans  notre  contrée  si  catholique,  on  croit  à  la  passion  de  Jésus  et 
à  l'Eucharistie,  pour  que  l'on  aime  ce  Dieu  qui  nous  a  donné  de  si 
grands  et  si  touchants  témoignages  d'amour.  Imitez  votre  chère 
sœur  et  patronne,  sainte  Catherine  de  Sienne,  si  dévorée  de  zèle 
pour  l'Église,  qui  offrait  toutes  ses  souffrances  pour  qu'elle 
remportât  la  victoire  sur  ses  ennemis.  Oui  demandez,  demandez 
avec  instance,  que  le  sang  divin  soit  toujours  l'objet  d'une  foi 
vive  et  d'un  culte  ptein  de  dévotion ..." 

Ce  culte  plein  de  dévotion  et  cette  foi  vive  au  Précieux  Sang, 
on  allait  pouvoir  s'y  consacrer  plus  à  l'aise  dans  le  nouveau 
monastère.  On  y  entra  le  26  juin  1867,  nous  l'avons  déjà  dit. 
C'était,  cette  année-là,  le  jour  de  l'octave  de  la  Fête-Dieu.  La 
cérémonie  fut  longue  et  fort  expressive.  Elle  fut  présidée,  au  nom 
de  Mgr  Charles,  évêque  de  Saint-Hyacinthe,  par  Mgr  Joseph,  qui 
prêcha  également  l'allocution  de  circonstance.  Il  y  eut  d'abord 
la  bénédiction  des  nouvelles  pièces  d'habitation  du  monastère, 
puis  procession  du  très  saint  Sacrement  et  troisièmement  proces- 
sion des  saintes  reliques  qu'on  avait  le  bonheur  de  posséder. 
C'est  à  la  suite  de  Notre-Seigneur  et  en  compagnie  de  ses  saints 
qu'on  voulait  ainsi  prendre  possession  du  nouveau  logis  qui  avait 
coûté  tant  de  sollicitudes  à  M.  Lecours  et  qu'on  devait  surtout 


168  MÈBE   CATHEBINE-ATJEÉLIE 

à  la  générosité  de  madame  Biais.  Détail  touchant,  dont  nous  noui;^ 
reprocherions  de  ne  pas  faire  mention,  on  avait,  pour  l'occasion, 
placé  dans  le  nouveau  local,  sur  une  pyramide  tendue  de  noir, 
la  cassette  qui  contenait  le  cœur  de  la  principale  bienfaitrice, 
qu'elle  avait  légué,  on  s'en  souvient,  au  monastère.  "  Nous  avions 
voulu,  écrit  l'annaliste,  en  exposant,  dans  la  partie  terminée  du 
monastère,  ce  cœur  qui  s'était  montré  si  libéral  à  notre  égard, 
donner  à  notre  regrettée  madame  Biais  un  témoignage  de  recon- 
naissance et  la  rendre,  autant  que  nous  le  pouvions,  témoin  de 
notre  bonheur." 

Le  vénéré  prélat  célébrant  voulut  bien,  ainsi  que  nous  avons 
dit,  expliquer  au  début  de  la  cérémonie,  avec  cette  abondance 
d'expressions  qui  était  dans  sa  manière,  tout  ce  qui  allait  se 
passer.  "  La  cérémonie  que  nous  allons  accomplir,  mes  chères 
filles,  dit-il  aux  religieuses,  est  tout  à  fait  dans  l'esprit  de  la 
religion  qui  veut  que  l'on  bénisse  tout  ce  qui  est  bon  et  utile, 
dans  le  but  de  nous  rappeler  que  toutes  les  choses  viennent  de 
Dieu  et  que  l'on  doit  en  user  pour  sa  gloire.  La  bonté  du  Seigneur 
a  bien  voulu  mettre  à  votre  usage  une  nouvelle  maison.  Nous 
allons  la  bénir  au  nom  de  la  religion.  .  .  Bénir,  c'est  unir  la  créature 
au  créateur,  la  rapprocher  de  Dieu,  appeler  sur  elle  les  secours 
et  les  faveurs  de  la  grâce.  Bénir,  c'est  donc  faire  un  acte  saint  et 
sanctifiant.  En  bénissant  votre  nouvelle  demeure,  nous  allons  y 
appeler  Dieu  et  en  chasser  satan .  .  .  Vous  devrez  conserver  à  cette 
maison,  désormais  vénérable,  toute  sa  sainteté  en  évitant  d'y 
commettre  des  fautes.  Puisque  l'Église  invite  les  anges  à  habiter 
dans  vos  murs,  vous  devrez  vous  efforcer  d'être  les  émules  des 
anges . .  ,  Pénétrées  de  l'attention  que  met  la  religion  à  rendre 
saint  votre  monastère,  vous  allez  en  prendre  occasion  pour  vous 
remémorer  que  vous  devez  être  saintes  vous-mêmes,  vous  qui 
êtes  les  épouses  du  Dieu  de  toute  sainteté,  les  tabernacles  de 
l'Esprit-Saint,    des  hosties  vivantes...    Il  y  aura  trois  parties 


DE  LA  PROFESSION  A  l' ENTRÉE  DANS  LE  MONASTÈRfl  169 

dans  cette  cérémonie  :  la  bénédiction  du  nouveau  local,  la  proces- 
sion du  saint  Sacrement  et  celle  des  reliques  des  saints.  La  première 
vous  engage  à  vous  plonger  dans  une  prière  pieuse  et  vive  pour 
obtenir  la  grâce  de  faire  toujours  un  saint  usage  du  nouvel  abri 
qui  vous  est  donné.  La  deuxième  vous  indique  que  Notre-Seigneur 
prend  possession  de  cet  abri  en  même  temps  que  vous  ;  vous  allez 
donc  l'établir,  par  une  volonté  joyeuse  et  dévouée,  le  roi  de  cette 
maison  de  vierges,  vous  proposant  à  l'avenir  de  vous  considérer 
chez  lui,  dans  sa  maison ...  La  troisième  partie  enfin  de  la  céré- 
monie vous  montre  que  vous  introduisez  avec  vous  dans  votre 
nouvel  a=ile  vos  meilleurs  amis,  vos  protecteurs  célestes.  .  ." 

La  bénédiction  de  l'aile  nouvelle  et  les  deux  processions  se 
firent  ainsi  qu'il  avait  été  prévu.  A  la  fin,  après  avoir,  à  l'issue  de 
la  bénédiction  du  saint  Sacrement,  fait  aussi  vénérer  les  pieuses 
reliques  et  béni  de  nouveau  l'assistance  avec  celle  de  la  vraie 
croix,  Mgr  Joseph  ajouta  quelques  mots  de  circonstance.  Il  en 
profita  pour  évoquer  à  nouveau  le  souvenir  de  madame  Biais 
et  faire  l'éloge  de  la  générosité  chrétienne.  La  chronique  conclut 
quelque  part  que  le  bon  M.  Lecours,  ce  jour-là,  en  contemplant 
la  joie  de  tous,  fut  lui-même  très  heureux.  Disons,  nous,  qu'il  l'a- 
vait bien  gagné  ! 

Avec  cette  date  du  26  juin  1867,  et  l'entrée  dans  l'aile  nou- 
velle, se  clôt  la  première  période  de  la  vie  de  la  communauté 
—  après  les  deux  années  passées  à  la  maison  Caouette  —  dans 
cette  bénie  maison  qu'on  avait  appelée  jusque-là  le  blanc  monas- 
tère et  qu'on  allait  dénommer  maintenant  la  maison  blanche.  Lés 
Sœurs  allaient  en  effet  habiter  surtout  l'aile  nouvelle,  et  le  blanc 
monastère  n'étriit  plus  un  monastère.  Temporairement,  mais  pour 
plusieurs  années  encore,  la  chapelle  de  la  maison  blanche  res- 
terait la  chapelle  de  la  communauté.  Toutefois,  on  le  constate,  le 
"  colombier  "  s'élargissait,  ou  encore,  la  "  ruche  "  prenait  de  l'a  m- 


170  MÈRE  CATHERINE-AURÉLIE 

pleur.  Or,  voilà  que,  bientôt,  la  "  ruche  "  devrait  essaimer  et  le 
"  colombier  "  voir  partir  de  ses  "  colombes  ".  La  maison-mère 
du  Précieux-Sang,  voulons-nous  dire,  aurait  bientôt  des  maisons- 
filles. 


J 

I 


CHAPITRE  VII 


De  l'entrée  dans  le  monastère  actuel  à  la  fondation 
de  Notre-Dame-de-Grâce  (1867-1874) 

Sommaire. —  Ce  qu'avait  voulu  M.  l'abbé  Raymond. —  Programme  de  vie 
donné  à  l'institut  par  Mgr  Joseph  :  fidélité,  constance  et  générosité. —  Le 
Sitio  d'amour  de  la  fondatrice  :  prier,  réparer  et  souffrir. —  Mgr  Joseph 
prend  sa  retraite  à  la  maison  blanche  (septembre  1869). —  Progrès  de  l'institut 
de  1867  à  1869. —  Projets  de  fondation  à  Toronto  et  à  ^Montréal. —  M. 
Lecours  et  l'agrandissement  du  monastère-berceau. —  Lettre  de  la  fondatrice 
à  Mgr  Joseph  (décembre  1867). —  Lettre  de  M.  Raymond  (février  1868). — 
Lettre  de  Mère  Catherine-Aurélie  à  Mgr  Joseph  (décembre  1868). —  La 
fondation  de  Toronto.—  Visite  de  Mgr  Lynch  à  Saint-Hyacinthe. —  Deux 
Sœurs  de  Lorette  viennent  de  Toronto  à  Saint-Hyacinthe. —  Pourparlers 
divers. —  Choix  des  "  missionnaires  "  pour  la  fondation  nouvelle. —  Mgr 
Lynch  vient  lui-môme  chercher  ses  Sœurs. —  Lettre  de  Mgr  Charles  LaRocque 
à  celles  qui  vont  partir  (29  août  1869). —  Mère  Catherine-Aurélie  conduit 
ses  filles  à  Toronto. —  Visites  à  Montréal. —  La  réception  à  Toronto. — 
Lettre  de  M.  Raymond  à  la  fondatrice  adressée  ù  Toronto. —  Voyage  de  M. 
Raymond  dans  la  capitale  ontarionne. —  Recommandations  de  la  fondatrice, 
avant  de  les  quitter,  aux  Sœurs  de  Toronto. —  Appel  de  M.  le  curé  Lecours 
aux  associés  de  la  confrérie  du  Précieux-Sang. —  Ce  qu'était  cette  confrérie. — 
Zèle  des  associés  pour  répondre  à  M.  Lecours. —  Mgr  Charles  LaRocque 
bénit  la  pierre  angulaire  des  futures  constructions  (24  septembre  1871). — 
Suspension  des  travaux. —  M.  le  curé  Lecours  quitte  la  cure  de  Saint - 
Hyacinthe,  que  prennent  les  Pères  Dominicains  venus  de  France  (1873). — 
Lettre  de  la  supérieure  à  ses  filles  de  Toronto. —  Elle  va  les  visiter. —  Elle 
est  toute  à  toutes. 


I. 


^XfC^VANT  d'assister  au  départ  des  premières  "  colombes  " 
qui  émigrèrent  du  "  blanc  colombier  "  ou,  selon  l'autre 
image  affectionnée  de  IMgr  LaRocque,  avant  de  voir 

t^^i^^  "  lf>  ruche"  du  Précieux-Sang  "essaimer"  au  loin, 
^:j  nous  croyons  utile  d'invitef  nos  lecteurs  à  se  recueillir 
^^  avec  nous  un  moment,  et  à  faire  comme  un  retour  géné- 
ral sur  tout   ce  que  nous   avons  jusqu'ici  raconté,  pour  mieux 


172  MÈHE   CATHERINE-AURÉLIE 

pénétrer  et  comprendre  l'esprit  de  la  fondatrice  et  de  sa  commu- 
nauté. Cet  esprit,  nous  l'avons  déjà  vu  se  manifester  plus  d'une 
fois.  Mais  l'heure  nous  paraît  venue,  à  la  lumière  des  faits  qui 
précèdent,  de  le  contempler  dans  toute  sa  grandeur  et  dans  toute 
sa  force  d'expansion. 

Dès  1860,  dans  le  manifeste  où  il  exposait  les  motifs  pour 
V établissement  de  V institution  en  V honneur  du  Précieux  Sang,  dont 
nous  avons  parlé,M. Raymond  l'avait  précisé,  cet  esprit,  en  termes 
fort  justes  :  *'  La  dévotion  principale  de  l'Église  à  cette  (notre) 
époque,  écrivait-il  pour  décider  Mgr  LaRocque  à  faire  la  fonda- 
tion, est  au  Précieux  Sang  et  à  Marie  Immaculée.  La  communauté 
serait  en  parfaite  harmonie  avec  les  vœux  de  l'Église.  L'oubli  de 
Dieu  et  l'impureté  sont  les  vices  dominants  du  siècle.  La  commu- 
nauté  (projetée)  a  pour  but  d'en  faire  réparation.  On  sent,  dans 
le  pays,  le  besoin  d'une  communauté  contemplative  et  réparatrice. 
La  nouvelle  qu'il  est  question  d'en  fonder  une  a  été  accueillie 
par  le  public  avec  intérêt  et,  de  toutes  parts,  on  demande  si  elle 
doit  s'établir  bientôt.  L'opposition  est  locale  et  due  à  des  causes 
faciles  à  connaître  et  à  expliquer ..." 

Plus  d'un  an  avant  d'écrire  le  mandement  du  15  avril  1866, 
par  lequel,  nous  l'avons  dit,  il  confirmait  de  son  autorité  d'évêque 
l'existence  religieuse  de  la  communauté,Mgr  LaRocque,  dans  une 
longue  lettre,  écrite  à  Mère  Catherine-Aurélie  de  l'Hôtel-Dieu 
de  Saint-Hyacinthe  et  datée  du  8  janvier  1865,  avai^,  lui  aussi, 
déterminé  ce  qu'il  entendait  et  voulait  des  Sœurs  du  Précieux- 
Sang.  En  trois  mots,  mots  bénis,  qui  ont  constitué  depuis  comme 
le  premier  motto  de  l'institut,  fidélité,  constance  et  générosité,  il 
av^ait  tracé  tout  un  programme  de  vie  à  ses  chères  filles.  "  Être 
victime  avec  le  sanglant  Jésus,  ainsi  que  vous  vous  exprimez,  ma 
chère  fille,  écrivait-il,  c'est  un  incomparable  bonheur.  Lasoufîrance, 
en  effet,  c'est  la  chaîne  d'amour  qui  unit  à  Dieu.  Que  les  religieuses 
du   Précieux-Sang   aiment   les   souffrances   et    sachent   le   doux 


DE  l'entrée     au    monastère      k  LA  FOND.    DE  N.-D.-DE  GBÂCE  173 

secret  d'unir  tous  leurs  sacrifices  à  ceux  du  roi  des  martyrs, 
qu'elles  aiment  à  être  nourries  des  mets  du  calvaire  et  à  attacher 
leurs  lèvres  à  la  coupe  a  mère  des  eaux  de  la  passion  de  Jésus, 
qu'elles  soupirent  même  pour  obtenir  l'objet  de  leurs  désirs,  leur 
Mère  en  tête,  je  n'y  mets  pas  d'obstacle.  Mais  je  ne  me  sens 
nullement  inspiré  de  pousser  les  Sœurs  à  aggraver  leurs  pénitences 
et  macérations  corporelles..."  Non,  c'est  l'esprit  intérieur  que 
le  docte  et  prudent  prélat  voulait  avant  tout  inculquer  à  ses  en- 
fants. Il  y  insiste  longuement  pour  arriver  enfin  à  tout  condenser 
dans  les  trois  mots  que  nous  avons  énoncés  :  "  Fidélité,  constance 
et  générosité,  écrit-il,  oh  !  que  ces  trois  mots  ont  brillé  souvent 
comme  un  phare  lumineux  aux  yeux  des  âmes  religieuses  et  le.s 
ont  guidées  sûrement  ! .  .  .  Fixez  les  yeux  de  votre  foi  sur  ces  trois 
mots,  marchez  à  la  lumière  qui  en  jaillit,  elle  vous  fera  aborder 
au  port  de  la  sainteté. —  La  fidélité  enfante  l'amour  et  l'amour 
fait  descendre  Jésus  avec  mille  faveurs  dans  le  cœur  qui  aime. 
Faites  en  sorte  que  vos  chères  filles  soient  fidèles  et  que,  pour 
cela,  elles  se  montrent  attentives  à  la  grâce  chaque  fois  qu'elle 
leur  adressera  son  langage  intérieur  et  secret,  dix  fois,  vingt  fois 
par  jour .  .  .  Cette  docilité  les  remplira  de  mérites  et  c'est  par  elle 
qu'elles  deviendront  non  seulement  parfaites  mais  saintes.  Elles 
ne  courront  pas,  elles  voleront  dans  la  voie  du  ciel.  Elles  feront 
la  joie  du  cœur  de  Jésus  !  —  Que  vos  filles  soient  constantes  aussi. 
L'âme  doit  surmonter  bien  des  obstacles  avant  qu'elle  ne  soit 
unie  à  Jésus  par  une  chaîne  indissoluble  .  .  .  C'est  par  les  diflScultés 
rencontrées  avec  courage  et  par  les  sacrifices  endurés  avec  une 
volonté  ferme  que  vos  filles  prouveront  leur  amour  à  Jésus.  .  . 
La  vie  spirituelle  même  la  plus  fervente  a  ses  épreuves  et  ses 
chagrins.  Jésus  se  dérobe  quelquefois  aux  plus  ardentes  aspi- 
rations de  l'amour,  et,  comme  l'amante  des  Cantiques,  l'âme 
gémit ...  Et  puis,  il  y  a  la  mauvaise  nature,  il  y  a  satan .  .  .  Dites 
à  vos  filles  qu'elles  persévèrent  dans  la  constance. —  A  la  fidélité 


174 


MERE  CATHERINE- AURELIE 


et  à  la  constance,  qu'elles  joignent  enfin  la  générosité.  La  géné- 
rosité, c'est  à  proprement  parler  la  chaîne  d'or  qui  unira  au  cœur 
de  Jésus  leurs  coeurs  de  vierges.  Par  elle,  elles  s'attacheront  à  lui 
de  façon  que  rien  ne  pourra  les  en  détacher,  ni  les  mépris,  ni  les 
peines,  ni  les  souffrances.  L'amante  généreuse  veut  faire  de  grandes 
choses  pour  le  Bien-Aimé.  Elle  donne  tout  sans  rien  réserver,  et 
elle  croit  encore  n'avoir  rien  donné.  Oh  !  comme  Jésus  enlace  dans 
les  étreintes  de  sa  tendresse  l'âme  ainsi  généreuse  !  Comme  il  la 
presse,  comme  il  la  serre  sur  son  cœur  !  Il  l'introduit  dans  ses 
celliers  et  l'enivre  du  vin  de  son  amour.  Il  lui  ouvre  son  cœur 
et  lui  en  livre  les  trésors.  Il  lui  dévoile  ses  amabilités.  Il  l'enchante 
de  ses  beautés. —  Bonne  Mère,  quelles  joies  et  quelles  délices  pour 
vous,  dans  la  solitude  de  votre  blanc  monastère,  si,  comme  je  le 
désire  et  je  l'e.-ipère,  vos  chères  filles  se  montrent  des  vierges 
fidèles,  constantes  et  généreuses  !  " 

A  cet  appel  magnifique  du  père  de  leurs  âmes.  Mère  Catherine- 
Aurélie,  pour  ses  filles  et  pour  elle-même,  avait  déjà  répondu  par 
son  admirable  Sitio  d'amour.  Cette  longue  et  belle  prière  excla- 
mative,  bien  connue  de  tous  les  fervents  du  Précieux-Sang,  surtout 
de  toutes  les  religieuses  qui  lui  sont  consacrées,  on  ne  sait  pas 
exactement  quand  elle  fut  composée  par  la  fondatrice.  Son  texte 
même  indique,  puisqu'elle  y  parle  de  ses  chères  filles,  que  c'est 
après  la  fondation  de  1S61.  La  tradition  des  anciennes  veut,  en 
tout  cas,  que  ce  soit  dans  les  premières  années,  probablement  la 
toute  première,  de  l'existence  de  l'institut.  Ce  Sitio  de  Mère 
Catherine-Aurélie  qui,  aux  trois  mots  du  vénéré  fondateur, 
fidélité,  constance  et  générosité,  répond  par  ces  trois  autres,  prier, 
réparer  et  souffrir,  lesquels  constituent  comme  le  second  motto 
de  l'institut,  pouvons-nous  nous  risquer  à  l'analyser?  L'auteur 
du  Livre  d'or  nous  prévient  aimablement  qu'on  l'a  déjà  vainement 
tenté  et  que,  à  l'époque  de  l'approbation  des  constitutions,  Rome 
n'y  a  rien  changé  et  a  voulu  qu'on  l'imprime  à  la  suite  du  formu- 


DS  l'entrée  au   UONABTÈBS   k  LA  FOND.  DE  N.-D.-DE-GUÂCE  175 

laire  des  saintes  règles,  tout  simplement.  Osons  quand  même 
essayer  d'en  extraire  la  moelle  pour  on  faire  mieux  saisir  et  com- 
prendre l'esprit,  cet  esprit  du  Précieux-Sang,  que  M.  Raymond 
et  Mgr  LaRocque  viennent  déjà  de  nous  mettre  en  quelque  sorte 
sous  les  yeux  et  dont  ils  nous  ont  fait  comme  toucher  du  doigt 
l'ardeur  et  la  vigueur. 

Sitio  —  J'ai  soif  !  C'est  là,  on  le  soit,  l'une  des  sept  paroles  de 
Jésus  mourant  pour  le  salut  du  monde.  Or,  c'est  à  cette  parole 
que,  la  fondatrice  va  nous  le  montrer  avec  une  élégante  tendresse, 
l'institut  du  Précieux-Sang  a  la  mission  de  correspondre.  "  Le 
mystérieux  Sitio,  que  le  divin  crucifié  a  fait  entendre  du  haut  de 
la  croix,  écrit-elle  textuellement,  a  trouvé  un  écho  dans  mon 
cœur.  Je  l'ai  médité,  je  l'ai  goûté,  je  l'ai  compris.  Et,  à  mon  tour, 
je  me  suis  écrié,  dans  un  ardent  transport  :  J'ai  soif!  Dans  la 
vive  ardeur  qui  me  presse,  je  voudrais  être  d'aimant  pour  attirer 
tous  les  cœurs,  afin  de  les  donner  à  Jésus-Christ.  Mais,  n'étant 
que  ce  que  je  suis,  un  vil  néant,  je  me  tourne  vers  celui  qui  est 
tout  et  je  le  conjure,  au  nom  de  son  sang  et  de  son  amour,  de 
subjuguer  lui-même  tous  les  cœurs...  Je  lui  demande  cette 
grâce  surtout  pour  les  timides  vierges  qui,  comme  moi,  ont  entendu 
le  cri  de  l'Agneau  immolé  :  J'ai  soif .  .  .  Jésus  est  altéré  d'amour. 
Je  voudrais  des  cœurs  qui  lui  rendissent  amour  pour  amour,  qui 
le  dédommageassent  de  l'abandon,  de  l'indifférence  et  de  l'impiété 
des  pécheurs . .  .  des  cœurs  qui  s'unissent,  pour  prier,  réparer  et 
souffrir,  à  celui  de  la  victime  sainte  qui  sut  tant  aimer,  tant 
obéir,  tant  souffrir,  pour  le  bonheur  et  le  salut  des  âmes..." 
Le  Sitio  se  continue  par  une  vive  exhortation  aux  "  élues  de  la 
souffrance  "  à  réparer,  par  la  solitude,  par  la  prière,  par  le  sacrifice. 
A  l'exemple  de  sainte  Catherine  de  Sienne,  les  vierges  répara- 
trices doivent  verger  le  baume  de  la  prière  sur  les  blessures  de 
l'Église.  Vient  ensuite  l'invitation  de  bien  répondre  à  la  vocation 
que  Jésus  a  faite  à  ces  "petites  vierges",  "hosties  vivantes 


176 


MERE  CATHERINE-AURELIE 


choisies  entre  mille"...  "Venez,  venez,  leur  dit-elle,  vous 
reposer  sous  les  rameaux  empourprés  de  l'arbre  de  la  croix,  vous 
y  nourrir  de  ses  fruits,  vous  y  dérober  aux  poursuites  de  l'ennemi 
du  salut.  .  ."  Pour  cela,  évidemment,  il  leur  faudra  se  maintenir 
dans  de  saintes  dispositions.  Elles  devront  donc  n'oublier  jamais 
qu'elles  sont  consacrées  à  Dieu  comme  victimes  réparatrices, 
qu'il  leur  convient  que  les  anges  et  les  hommes  les  voient  toujours 
au  sommet  de  la  sainte  montagne  tenant  en  leurs  mains  le  calice 
du  salut,  qu'il  leur  faut  posséder  des  âmes  infatigables  aspirant 
à  tous  les  oacrifices  et  à  tous  les  dévouements,  "  des  âmes  ivres 
de  cet  amour  qui  a  fait  brûler  Jésus  du  désir  d'être  baptisé  d'un 
baptême  de  sang..  .",  qu'enfin,  pour  cela,  il  leur  est  nécessaire 
de  suivre  les  traces  de  Jésus  souffrant  et  mourant,  de  Jésus  tout 
en  sang,  et,  dans  la  mesure  possible,  d'imiter  Marie,  la  mère  très 
sainte,  dont  le  cœur  est  "  un  calice  vivant,  pur  et  blanc,  où  circule 
sans  interruption  le  sang  de  Jésus"...  Pour  terminer  cette 
ardente  exhortation  de  son  Sitio  d'amour,  la  fondatrice  formulait 
des  vœux  non  moins  ardents  :  "  Puissent  ces  lignes  tracées  dans 
le  sang  de  Jésus,  par  une  main  bien  indigne,  tourner  à  la  gloire 
de  Dieu  !  Puisse  la  mère  du  bel  amour,  de  l'amour  crucifié,  les 
bénir  pour  mes  filles  !  Puisse-t-elle  empourprer  sans  cesse  leurs 
âmes  du  sang  pur  et  vermeil  du  Bien-Aimé,  qu'elle-même  lui  a 
fourni,  et  faire  d'elles  des  hosties  blanches,  dignes  d'être  offertes 
sur  l'autel  mystique  !  Puisse-t-elle,  enfin,  nous  porter  elle-même, 
sur  son  aile  maternelle,  dans  la  véritable  demeure,  le  ciel,  pour  y 
chanter,  avec  nos  amies,  Thérèse,  Agnès,  Catherine.  .  .  le  cantique 
deà  vierges  au  festin  de  l'Agneau  !  " 

Le  22  mai  1866,  Mgr  Joseph  LaRocque  avait  annoncé  ojBScielle- 
ment  que  Rome  lui  avait  donné  un  successeur  dans  la  personne 
de  Mgr  Charles  LaRocque,  son  cousin,  depuis  vingt-deux  ans 
curé  de  Saint-Jean-d'Iberville.  Le  31  juillet,  Mgr  Charles  avait 
pris  possession  du  diocèse  et  Mgr  Joseph  ne  signait  plus  que 


1)13  l'entrée  au  monastère  à  la  fon.  de  n.-d.-de-gr1ce  177 

**  ancien  évêque  de  Saint-Hyacinthe  ".  Le  15  janvier  1867,  ce 
dernier  recevait  le  titre  d'évêque  de  Germanicopolis.  Il  continua 
cependant  de  résider  à  l'évêché,  jusqu'au  28  septembre  1868. 
D  alla  loger  ensuite  pour  quelques  mois  chez  le  curé  de  Notre- 
Dame,  cependant  que  Mgr  Charles  o'en  allait  prendre  la  cure  de 
Belœil.  Au  cours  de  l'année  suivante,  le  26  septembre  1869,  Mgr 
Joseph  prenait  définitivement  sa  retraite  à  la  maison  blanche. 
Plus  que  jamais,  le  vénéré  prélat  allait  s'occuper  de  la  direction 
supérieure  de  ses  chères  filles. 

Depuis  la  bénédiction  de  l'aile  nouvelle  et  l'entrée  des  religieuses 
dans  cette  partie  du  monastère,  le  26  juin  1867,  jusqu'au  départ 
des  premières  "  missionnaires  "  de  l'institut  pour  la  fondation 
du  monastère  de  Toronto,  le  31  août  1869,  les  événements  se 
succédèrent  à  peu  près  semblables  à  eux-mêmes.  Les  vocations 
se  multipliaient,  car  la  renommée  portait  au  loin,  comme  au 
proche,  l'éloge  du  jeune  institut.  En  1869,  à  l'époque  de  cet 
première  fondation  de  Toronto,  on  comptait  trente-deux  religieuses 
dont  vingt-six  choristes,  cinq  converses  et  une  tourière.  Et  il 
convient  d'ajouter,  d'après  Ico  documents  que  nous  avons  sous 
les  yeux,  que,  chez  les  pieuses  recrues,  comme  chez  leurs  devan- 
cières, l'esprit  d'amour  et  de  Si.crifice,  tel  que  nous  l'avons  précé- 
demment esquissé,  s'inculquait  et  se  maintenait  dans  toute  sa 
généreuse  ardeur.  Deux  conséquences  pratiques  en  résultèrent  : 
on  put  accepter  la  charge  de  fondations  nouvelles  et  il  fallut 
penser  encore  à  agrandir  le  "  berceau  "  de  Saint-Hyacinthe. 

Dès  le  1er  novembre  1864,  Mgr  Lynch,  évêque  de  Toronto, 
étant  de  passage  à  Saint-Hyacinthe  et  visitant  l'institut  naissant, 
avait  exprimé  le  désir  d'avoir  des  Sœurs  du  Précieux-Sang  dans 
sa  ville  épiscopale.  Mais  ce  n'est  qu'en  1869  que  ce  pieux  projet 
put  prendre  corps.  Entre  temps,  Mgr  Bourget,  le  saint  évêque 
de  Montréal,  dans  une  visite  à  Saint-Hyacinthe,  en  avril  1866, 
avait  exprimé  à  Mgr  Joseph,  qui  administrait  encore  le  diocèse,  le 


178  aiÊEE   CATHERINE-ATJKÉLIE 

même  désir,  ainsi  qu'en  témoigne  l'une  de  ses  lettres  à  Mère 
Catherine-Aurélie,  en  date  du  17  avril  de  cette  année.  Cette  deux- 
ième fondation  ne  devait  avoir  lieu  pourtant  à  Montréal,  à 
Notre-Dame-de-Grâce,  qu'en  juin  1874.  Mais  on  comprend  que 
déjà,  à  l'époque  où  nou««  sommes  arrivé  dans  notre  récit,  il  conve- 
nait, étant  donné  la  haute  situation  des  prélats  dont  les  démarches 
honoraient  l'institut,  de  se  préoccuper  de  l'une  et  de  l'autre. 

Quant  aux  agrandissements  matériels  du  "  berceau  ",  on  se 
tournait,  comme  toujours,  en  y  songeant,  vers  le  bon  M.  Lecours. 
Les  cellules  de  l'aile  nouvelle,  lui  disait-on,  ne  suffisaient  pluj.  A  la 
m.odeste  chapelle  de  la  maison  blanche  le  chœur  des  religieuses 
était,  lui  aussi,  trop  petit.  La  chapelle  elle-même  ne  répondait 
pas  davantage  à  l'affiuence  de  plus  en  plus  considérable  des 
dévots  au  Précieux  Sang.  Que  faire  ?  On  était  encore  si  peu 
pourvu  des  richesses  de  la  terre  !  Nous  dirons  bientôt  à  quelle 
industrie  le  zélé  M.  Lecours  eut  l'idée  de  recourir  et  comment  il 
réussit  à  pouvoir,  le  10  juillet  1871,  mettre  à  l'ouvrage  une  équipe 
de  travailleurs  pour  creuser  le  >ol  et  asseoir  les  fondations  du 
maître-corps  et  de  la  belle  chapelle  qui  existant  de  nos  jours. 
Pour  le  moment,  nous  nous  devons  encore  à  l'histoire  de  la  vie 
religieuse  de  la  fondatrice  et  de  ses  filles,  du  maintien  de  son 
esprit  et  de  ses  progrès,  pour  la  période  qui  va  de  juin  1867  à 
août  18G9,  c'est-à-dire  de  l'entrée  dans  l'aile  nouvelle  à  la  fonda- 
tion de  Toronto. 

"  Pauvres  vierges  du  Précieux-Sang,  lisons-nous  sous  la  plume 
de  Mère  Catherine-Aurélie,  à  l'adresse  de  Mgr  Joseph,  le  30 
décembre  1867,  .;Mand  donc  serons-nous  véritablement  contem- 
platrices et  réparatrices?  Quand  quitterons-nous  la  basse  vallée 
des  préoccupations  terrestres  pour  nous  élever,  toutes  dégagées, 
vers  la  sainte  montagne  de  l'oraison,  sans  quoi  nous  sommes 
comme  de  pauvres  poissons  hors  de  l'eau  ?  Plus  que  jamais,  cette 
plainte  est  le  cri  de  nos  âmes  !  PI  as  que  jamais,  j'envie  ce  bonheur 


DE  l'entrée  au    MO.\AriTÈRE    A  LA  FOND.    DE  N.-D.- DE-GRACE  179 

pour  mes  filles  et  i  oiir  moi,  car  je  comprends  de  mieux  eu  mieux 
combien,  sans  l'oraison,  nous  perdons  de  lumières  et  de  grâces 
précieuses  pour  les  âmes.  .  .  Notre  solitude.  Monseigneur  et  très 
doux  Père,  qui  apparaît  aux  fous  du  siècle  comme  un  tombeau, 
est  au  contraire  pour  nous  le  plus  cher  berceau  de  la  vraie  vie. 
Nous  l'aimons,  parce  qu'il  y  fait  meilleur  que  nulle  part  au 
monde.  Eussions-nous  été  filles  de  roi,  nous  nous  serions  faites 
esclaves  du  Précieux-Sang!  Nous  l'aimons,  notre  solitude,  parce 
que,  dans  ses  étroites  limites,  elle  renferme  l'infini.  Nous  l'aimons, 
parce  que  nous  y  vivons  oubliées  des  créatures,  nous  efforçant  de 
les  oublier  nous-mêmes,  pour  n'avoir  d'autres  désirs  que  ceux 
qu'inspire  l'amour  crucifié.  Nous  l'aimons,  parce  que  nous  y 
trouvons  le  père  dévoué,  le  guide  fidèle,  qui  nous  fait  entrevoir 
les  mérites  et  les  délices  de  l'immolation  du  corps,  de  l'esprit 
et  du  cœur . .  .  En  pensant  à  ce  que  vous  faites  pour  nous,  Mon- 
seigneur, une  parole  du  curé  d'Ars  me  revient.  C'est  celle-ci,  qu'il 
fait  dire  par  Notre-Seigneur  à  une  âme  de  vierge  :  "  Je  t'ai  faite 
si  grande  qu'il  n'y  a  que  moi  qui  puisse  te  remplir,  je  t'ai  faite 
si  pure  qu'il  n'y  a  que  moi  qui  puisse  te  nourrir!  "  IMieux  que  tout 
autre.  Monseigneur,  vous  comprenez  que,  pour  la  vierge  du 
cloître,  la  vie,  c'est  Jésus,  et  le  bonheur,  c'est  Jésus.  Voilà  pourquoi 
vous  vous  efforcez  de  rendre  si  intimes  nos  rapports  avec  cet  amj 
divin,  voilà  pourquoi  vous  n'épargnez  rien  pour  nous  élever  à  la 
hauteur  de  notre  vocation  sainte. .  .  Nous  sommes  fières,  Monsei- 
gneur, de  vous  avoir  pour  père  et  de  sentir  que,  étant  les  plus 
jeunes  et  les  plus  petites  de  vos  filles  en  Dieu,  nous  sommes  pour 
cela  même  les  plus  favorisées. .  .  Si  des  jours  de  ténèbres  et  d'an- 
goisses obscurcissent  votre  ciel,  Monseigneur,  Jé:>us  ne  vous  dira- 
t-il  pas,  comme  à  une  âme  qui  lui  était  éminemment  chère  :  "  Les 
épines  suent  le  baume  et  la  croix  transpire  la  douceur,  mais  il 
faut  presser  la  croix  sur  son  cœur  et  les  épines  dan^i  ses  mains 
pour  avoir  et  goûter  le  suc  qui  fortifie  et  console."    Apprenez- 


180 


MERE   CATHERINE-AURELIE 


nous,  bon  Père,  à  chercher  la  sève  au  goût  de  miel  cachée  sous 
l'écorce  amère  du  bois  du  sacrifice.  Conduisez-nous  dans  la  route 
que  vous  parcourez  vou?-même  et  qui  est  celle  de  l'abnégation. 
Enseignez-nous  à  y  marcher  avec  autant  de  calme  que  d'ardeur, 
simplement,  confidemment,  mais  invinciblement  et  constam- 
ment. .  ." 

Ces  beaux  sentiments,  Mgr  l'évêque  de  Germanicopolis  et  le 
dévoué  M.  Raymond,  son  vénérable  ^nii,  s'efforçaient,  naturel- 
lement, de  les  entretenir  dans  les  âmes  de  leurs  filles  spirituelles, 
avec  un  zèle  que  le  temps  n'affaiblissait  point.  Nous  avons,  là- 
dessus,  une  lettre  de  M.  Raymond  qui  est  bien  édifiante.  N'ayant 
pu,  ce  jour-là,  se  rencïre  au  monastère,  il  écrit  à  Mère  Catherine- 
Aurélie,  le  12  février  1868  :  "  Le  temps  que  je  vous  aurais  donné, 
ma  chère  fille,  si  j'eusse  pu  sortir,  je  vais  l'employer  à  m'occuper 
de  vous  devant  Dieu.  Je  le  remercierai  pour  les  grâces  si  nom- 
breuses dont  il  vous  a  comblée.  Je  lui  offrirai  les  sentiments  de 
votre  cœur.  Je  vous  présenterai  à  lui  comme  son  épouse  choisie. 
Je  lui  rappellerai  vos  souffrances.  J'exciterai  sa  miséricorde  à  votre 
égard,  afin  qu'il  ait  piKé  de  vos  misères,  qu'il  vous  pardonne 
jusqu'aux  moindres  imperfections  et  qu'il  vous  purifie  jusqu'à 
ce  que  vous  soyiez  toute  blanche  à  ses  yeux.  Je  lui  demanderai 
qu'il  vous  donne  pour  lui  un  amour  aussi  ardent  que  celui  qu'ont 
eu  sur  la  terre  vos  saintes  sœurs  du  ciel ...  Je  le  prierai  d'éclairer 
votre  institution  de  se.i  lumières  pour  que,  pénétrant  plus  avant 
dans  la  connaissance  de  sa  beauté  et  de  sa  bonté,  vous  soyiez  plus 
empressée  à  le  servir  et  à  le  faire  servir.  .  .  Je  solliciterai  pour 
vos  filles  en  union  avec  vous  les  grâces  qui  en  feront  des  vierges 
sages,   des  dignes  épouses   de  l'Agneau   divin,   des  adoratrices 
dévouées  de  son  Précieux  Sang,  des  réparatrices  des  injures  que 
reçoit  la  jnajesté  divine,  des  véritables  saintes  qui  aient  horreur 
de  tout  péché  et  ne  travaillent  que  pour  faire  jouir  Jésus  du  charme 
de  leurs  vertus.  Je  m'occuperai  également  de  vos  chères  malades .  . . 


DU  l'kntbée  au  monastkhe  à  la  fond,  m:  n.-d.-de-uuâce         181 

Voilà  bien  des  choses  à  demander  !  Et  qui  sui?-je,  moi,  pour 
adresser  à  Dieu  toutes  ces  supplications  ?  Je  sais,  incomparable- 
ment plus  que  je  ne  saurais  le  dire,  ma  bassesse  et  mon  indignité. 
Mais  je  crois  que  le  sang  de  Jésus  est  à  moi.  Eh  !  bien,  je  vais 
m'en  servir  pour  vous  obtenir  toutes  ces  grâces.  Dans  ce  but,  je 
lui  rendrai  un  cuUe  plus  ardent,  je  lui  donnerai  un  dévouement 
plus  grand  pour  la  sanctification  des  vierges  qui  ne  font  victimes..." 
Ces  prières  que  le  pieux  directeur  offrait  au  bon  Dieu  pour  ses 
dirigées,  il  est  facile  de  remarquer  qu'elles  étaient  aussi,  dans  la 
forme  où  il  les  communiquait  à  la  supérieure  de  l'institut,  une 
vive  exhortation  à  toujours  plus  de  générosité  dans  la  pratique 
des  vertus  fondamentales  de  tout  ordre  contemplatif.  Mère 
Catherine-Aurélie  ne  l'entendait  pas  autrement.  Le  29  décembre 
1868,  elle  épanche  ainsi,  dans  le  cœur  de  son  premier  père  en 
Dieu,  Mgr  Joseph,  le  trop  plein  du  sien  :  "  Le  sang  de  Jésus, 
Monseigneur  et  vénéré  Père,  c'est  un  miel  puisé  au  calice  de  la 
fleur  virginale  que  fut  le  sein  très  pur  de  Marie  !  C'est  ce  miel  que 
nous  voulons  pour  vos  lèvres  quand  elles  seront  altérées  d'amour 
et  de  bonheur.  Le  sang  de  Jésus,  c'est  un  baume  distillé  sur 
l'arbre  du  sacrifice  et  de  l'expiation  !  C'est  ce  baume  que  nous 
demandons  pour  votre  cœur  quand  il  aura  des  blessures  qui  le 
feront  souffrir.  Le  sang  de  Jéous,  c'est  un  vin  généreux  qui  fait 
circuler  la  force  et  la  vie  dans  les  veines  !  C'est  de  ce  vin  que  nous 
désirons  que  vous  soyez  abreuvé  chaque  jour  de  votre  existence. 
Le  sang  de  Jésus,  c'est  la  lumière,  c'est  l'amour,  c'est  le  ciel  ! 
En  attendant  lea  ineffables  transports  de  la  céleste  demeure, 
puissiez-vous  trouver,  dans  le  sang  de  Jésus,  la  lumière,  l'amour, 
la  joie,  et, dans  le  sang  divin  aussi,  un  petit  ciel  sur  terre.  .  .  en 
gage  du  grand  ciel  de  l'éternité  ! .  .  .  Père,  donnez-nous  aussi  ce  sang 
dont  vous  êtes  l'heureux  dispensateur.  Donnez-nous-le  avec 
toujours  plus  d'abondance ...  Si  vous  saviez  comme  vos  enfants 
du  cloître  aiment  la  coupe  empourprée  !.  .  .  Nous  n'avons  pas  à 


182 


MERE   CATHEHINB-AURELIB 


nous  plaindre.  Jésus  nous  dispense  largement  le  divin  breuvage. 
Bien  souvent,  son  cœur  bleisé  laisse  couler  dans  les  nôtres  ses 
flots  veriîieils.  Mais  nous  soupirons  encore .  .  .  Pourquoi,  cepen- 
dant, nous  préoccuper  d'un  avenir  dont  tous  les  instants  sont 
dans  les  mains  d'un  père  plein  de  tendresse  qui  ne  se  lasse  pas 
de  nous  combler  de  ses  dons  ?  Parmi  ces  dons,  celui  de  vous  avoir 
choisi  pour  notre  ange  gardien,  notre  guide  et  notre  père  n'est 
certes  pas  le  moins  précieux.  .  .  C'est  à  genoux  que  je  termine  ces 
lignes,  vous  demandant  pour  Tannée  nouvelle  la  plus  eflicace 
de  vos  bénédictions.  .  ." 

Cette  année  1869,  ce  devait  être  celle  de  la  première  fondation 
après  celle  de  la  maison-mère.  L'homme  de  sa  droite  dont  Dieu 
se  servit  pour  assurer  la  croissance  de  ce  premier  rameau  détaché 
de  l'arbre  de  l'institut  de  Saint-Hyacinthe,  ce  fut  Mgr  Lynch, 
alors  évêque  et  plus  tard  archevêque  de  Toronto.  John-Joseph 
Lynch  était  né  à  Clonf^s,  en  Irlande,  le  6  février  1816.  Il  avait  fait 
ses  études  cléricales  à  Saint-Sulpice  de  Paris  et  avait  été  ordonné 
prêtre  le  9  juin  1843.  Venu  en  Amérique,  comme  un  si  grand  nom- 
bre de  ses  frères  de  la  verte  Erin  au  cœur  plein  de  zèle,  il  avait 
été  supérieur  d'un  collège  du  Missouri,  puis  il  avait  fondé  et 
dirigé  le  collège  de  Notre-Dame-des-Anges,  à  Niagara,  du  côté 
américain.  Élu  évêque  d'Aechinas  et  coadjuteur  de  Toronto, 
le  26  août  1859,  il  avait  été  sacré  le  20  novembre  de  la  même  année 
et  avait  succédé  à  Mgr  de  Charbonnel,  démissionnaire,  sur  le  ^iège 
de  Toronto,  le  26  avril  1860.  Tl  devait  être  promu  archevêque,  son 
siège  devenant  métropolitain,  le  18  mars  1870,  et  mourir  le  12 
mai  1888,  à  l'âge  de  72  ans.  Il  avait,  digne  fils  de  saint  Patrice, 
l'âme  ardente  et  le  cœur  d'un  apôtre.  Sa  piété  fut  toujours  remar- 
quable. 

Le  1er  novembre  1864,  étant  de  passage  à  Saint-Hyacinthe,  le 
pieux  évêque  disait  la  messe  dans  la  petite  chapelle  du  blanc 
monastère.  Le  même  jour,  il  écrivait  à  Mère  Catherine-Aurélie 


II 


DH  1 'bNTRÉE  AT    «ONA8    ÈRB   k  LA  FOND.    DE  N.-D.-DE-QRÂCB  183 

que,  pour  les  besoins  de  son  diocèse,  il  se  sentait  inspiré  de  lui 
demander  d'établir,  dans  la  cité  de  Toronto,  une  maison  du 
Précieux-Sang.  "  De  ce  moment,  disait-il,  je  compte  votre  com- 
munauté au  nombre  des  miennes."  La  supérieure  répondit 
aussitôt  que  la  démarche  du  prélat  était  pour  elle  et  sa  commu- 
nauté un  honneur  et  un  encouragem^ent  et  que,  assurément,  elle 
correspondrait  à  ses  avances  **  si  la  volonté  de  Dieu  se  déclarait 
en  faveur  de  l'enireprise  ".  Mais  plusieurs  années  se  passèrent 
avant  que  l'évêque  pût  donner  suite  au  projet.  On  crut  même, 
dans  l'institut,  qu'il  n'en  serait  plus  question.  Le  19  janvier  1867, 
Mgr  Lynch  se  retrouvait  en  visite  à  Saint-Hyacinthe.  Il  vint  au 
monastère  et  assura  que  son  intention  était  toujours  la  même. 
Au  m.ois  de  juin  suivant,  deux  religieuses  des  Soeurs  de  Lorette, 
de  Toronto,  la  supérieure.  Mère  Teresa,  et  l'assistante,  Mère 
Ignatia,  évidemment  sur  le  conseil  de  leur  évêque,  venaient  faire 
une  retraite  de  dix  jours  au  Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe. 
Ce  fut  pour  les  retraitantes  et  pour  leurs  hôtes  l'ccca^sion  d'une 
mutuelle  édification.  "  Si  les  bonnes  Sœurs  de  Toronto  vous  ont 
édifiées,  écrivait  Mgr  Lynch  à  Mère  Catherine-Aurélie  à  quelques 
jours  de  là,  que  votre  humilité  me  permette  de  vous  dire  en 
retour  que  les  exemples  de  recueillement,  de  silence  et  de  régularité, 
qu'elles  ont  remarqués  parmi  vous,  ont  laissé  en  elles  une  douce 
impression  dont  elles  se  rappelleront  toujours."  Il  est  permis  de 
voir  là  comme  un  pieux  travail  d'approche.  En  envoyant  les 
religieuses  de  Lorette  de  sa  ville  à  Saint-Hyacinthe,  Mgr  de 
Toronto  voulait,  sans  doute,  les  intéresser  à  l'œuvre  de  la  future 
fondation.  Ce  furent  elles,  aussi  bien,  qui  mirent  à  sa  disposition, 
dans  ce  but,  une  petite  maison  qu'elles  possédaient  dans  le  \oisi- 
nage  de  l'église  Sainte-Marie  à  Toronto.  Enfin,  le  16  juillet  1869, 
après  en  avoir  conféré  avec  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe,  Mgr 
Charles,  et  l'évêque  de  Germanicopolis,  Mgr  Joseph,  Mgr  Lynch 


184 


MERE    CATHEHIXE-AURELIE 


écrivit  à  Mère  Catherine-Aurélie  que  tout  était  prêt  dans  la  cité 
de  Toronto  pour  recevoir  les  adoratrices  du  Précieux-Sang. 

L'heure  était  grave  et  la  décision  à  prendre  importante.  La 
cbmmunauté  était  encore  bien  jeune  et  Toronto  était  si  loin  ! 
Mgr  Charles,  dans  sa  lettre  du  21  juillet,  et  Mgr  Joseph,  en  écri- 
vant le  27  du  même  mois,  exprimèrent  à  Mgr  Lynch  qu'il  vaudrait 
peut-être  mieux  attendre.  Le  concile  du  Vatican  allait  s'ouvrir. 
Avec  plusieurs  autres  évêques  canadiens,  celui  de  Toronto  devait 
partir  pour  Rome.  La  fondation  ne  se  ferait-elle  pas  plus  aisément 
et  plus  solidement  au  retour  du  concUe  ^  Mère  Catherine-Aurélie 
écrivit  en  ce  sens  à  Mgr  de  Toronto  :  "  Vous  voulez  une  fondation 
à  Toronto,  lui  mandait-elle.  Mais,  Monseigneur,  mes  yeux  s'inon- 
dent de  larmes  quand  je  songe  que  nous  n'avons  que  huit  ans 
d'existence .  .  .  Nous  sentons  le  besoin  d'avoir  un  temps  plus  long 
pour  nous  préparer  à  une  œuvre  aussi  importante  et  nous  aurions 
préféré  la  commencer  sous  les  yeux  et  sous  la  direction  immédiate 
de  Votre  Grandeur  à  son  retour  du  concile.  Mais  si  vous  insistez 
et  si  nos  supérieurs  le  jugent  à  propos,  nous  serons  prêtes  à  tout 
quitter  pour  aller  vers  vous ...  Ce  sera  avec  confusion,  il  est 
vrai.  .  .  Mais  en  volant  à  votre  appel,  mes  bien-aimées  compagnes 
croiront  répondre  à  celui  de  l'époux  divin.  .  .  Je  ne  comprimerai 
pas  leur  essor.  Qu'elles  dressent  leurs  tentes  où  Dieu  le  veut  ! 
Partout,  mon  indigne  main  les  bénira,  partout  mon  cœur  leur 
sera  uni,  car  rien  ne  peut  séparer  ce  que  Dieu  a  enchaîné  au  pied 
de  l'autel ..."  Mais  Mgr  Lynch  insista  pour  ne  pas  différer.  Il 
voulait  la  fondation  pour  le  8  septembre  1869,  fête  de  la  Nativité 
de  Marie.  Il  se  chargeait  de  la  subsistance  des  Sœurs  pour  un  an 
et  plus  si  c'était  nécessaire,  et  il  souscrivait  à  toutes  les  conditions 
qu'on  croyait  devoir  faire.  Sa  foi  robuste  de  vrai  fils  de  l'Irlande 
répondait  de  tout.  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  et  Mgr  de  Germani- 
copolis  ne  pensèrent  pas  pouvoir,  dans  ces  circonstances,  refuser 
leur  consentement.  La  Mère  fondatrice  et  ses  filles  s'inclinèrent 


DE  l'entrée  au   monastère   A  LA  FOND.  DE  N.-D.-DE-GrIcE  185 

respectueusement  devant  le  désir  des  évêques.  La  décision  était 
prise. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  cadre  de  refaire  ici  toute  l'histoire 
de  cette  première  fondation.  Toutefois  la  part  prise  par  Mère 
Catherine- Aurélie  dans  l'établissement  de  Toronto  fut  trop  grande 
pour  que,  écrivant  sa  vie,  nous  puissions  ne  pas  en  raconter  les 
diverses  circonstances  au  moins  succintement.  C'est  elle  d'abord 
qui  choisit  les  "  missionnaires  ",  comme  il  était  naturel,  et  elle 
n'hésita  pas  à  faire  le  sacrifice  de  se  séparer  de  deux  de  ses  com- 
pagnes de  fondation.  Le  5  août,  après  plusieurs  neuvaines  de  prière 
et  beaucoup  de  réflexion,  elle  annonça  son  choix  à  la  communauté 
réunie  :  "  La  première  victime  choisie,  dit-elle,  non  sans  avoir 
au  préalable  préparé  les  âmes  par  une  ardente  exhortation  à 
l'esprit  de  sacrifice,  ce  sera  mon  assistante.  Sœur  Euphrasie-de- 
Saint-Joseph,  que  je  chéris  à  un  double  titre  et  qui  m'a  rendu 
tant  de  services.  La  deuxième,  c'est  Sœur  Elizabeth-de-l'Imma- 
culée-Conception,  cette  compagne  que  j'estime  et  affectionne 
tant  et  qui,  lorsque  j'étais  pour  ainsi  dire  errante  dans  le  monde, 
m'a  servi  de  mère  et  est  restée  près  de  moi ..."  Les  quatre  autres 
désignées  pour  la  mission  lointaine  étaient  Sœur  Marie-Ange, 
Sœur  Madeleine-de-Jésus,  Sœur  Saint- Jean-l'Êvangéliste  et  Sœur 
des  Sept-Douleurs.  "  Mes  chères  enfants,  dit-elle  ensuite  à  celles 
qui  allaient  partir,  je  me  réjouis  de  vous  voir  pleines  d'ardeur  et 
de  courage.  .  .  J'espère  que  vous  ne  courrez  pas  seulement  dans 
la  voie  crucifiante  qui  vous  est  ouverte,  mais  que  vous  y  volerez 
sur  les  ailes  de  l'amour,  de  l'abnégation  et  du  dévouement,  pour 
la  gloire  du  Précieux  Sang."  Elle  recommanda  encore  à  toutes 
les  Sœurs  de  prier  pour  les  parents  des  partantes,  afin  qu'ils  eussent 
la  grâce  de  bien  faire  leur  sacrifice,  et  pour  les  partantes  elles- 
mêmes,  "  dans  le  cœur  de  qui  se  pourraient  trouver  des  sentiments 
trop  naturels  ".  Les  six  futures  missionnaires  vinrent  alors  s'age- 
nouiller aux  pieds  de  la  fondatrice  et,  en  leur  nom,  leur  supérieure 


186 


MERE  CATHEKINE-AURELIE 


nommée,  Mère  Euphrasie-de-Saint- Joseph,  attesta  de  leur  af- 
fection et  de  leur  dévouement  à  l'œuvre,  accepta  le  sacrifice 
proposé  et  demanda  pardon  pour  les  fautes  donl^  elles  avaient  pu 
se  rendre  coupables.  De  quelles  fautes,  en  vérité,  pouvait-il  être 
question  ?  11  n'y  a  que  les  âmes  saintes  et  pures  qui  s'accusent 
ainsi  des  moindres  imperfections  !  Mère  Catherine-Aurélie  n'en 
repartit  pas  moins,  très  sérieusement,  digne  mère  de  pareilles 
filles,  que  tout  était  oublié.  Et,  dans  un  moment  d'indicible  émo- 
tion, toutes  s'embrassèrent  pieusement.  "  Quand  nous  voyons 
mourir  l'une  des  nôtres,  ajouta  la  fondatrice,  non."  sommes  tristes, 
car  nous  savons  que  nous  ne  la  verrons  plus  ici-bas.  En  ce  moment, 
c'est  six  de  nos  Sœurs  chéries  et  aimées  qui  vont  nous  quitter.  Qui 
donc  les  oblige  à  ce  iacrifice  ?  Ah  !  je  le  comprends,  c'est  l'espoir 
de  gagner  au  moins  une  âme  à  Notre-Seigneur,  c'est  le  désir  de 
glorifier  le  Précieux  Sang  ! .  . ." — "  Tournez-vous  vers  Jésus  crucifié, 
termina-t-elle  à  l'adresse  des  partantes,  offrez-lui  votre  sacrifice .  .  . 
Il  me  semble  que,  maintenant,  vous  pouvea  tout  obtenir  du  ciel  !  " 
Belle  scène,  en  vérité,  que  celle  qu'offre  un  pareil  spectacle  de  foi 
et  de  générosité  !  On  était  triste  et  joyeux  tout  ensemble.  Il  y 
avait  des  larmes  dans  les  yeux,  mais  les  âmes  exultaient  de  bon- 
keur  ! 

Le  même  soir,  les  "  élues  ",  comme  on  aimait  à  les  appeler, 
entraient  en  retraite  sous  la  direction  de  M.  Raymond.  D'autre 
part,  comme  il  avait  été  décidé  que  chaque  partante  apporterait 
de  la  maison-mère  un  trousseau  complet,  on  .^'employa  à  tout 
préparer  avec  soin.  Dans  la  nuit  du  26  au  27  août,  M.  Raymond 
vint  faire,  avec  ses  pieuses  dirigées,  l'heure  réparatrice  qui  fut,  on 
l'imagine  aisément,  des  plus  ferventes  et  des  plus  émouvantes. 
Le  lendemain,  Mgr  Lynch  arrivait  à  Saint-Hyacinthe,  venant 
au-devant  des  religieuses  qu'on  lui  destinait.  Il  s'était  fait  accom- 
pagné du  Père  Proulx,  curé  de  l'église  Sainte-Marie  de  Toronto, 
et  des  deux  Sœurs  de  Lorette,  Mère  Teresa  et  Mère  Ignatia,  qui 


DE   i-'ENTRÉK  AU    MONASTÊRK    A    I.A   FOND.    DE  N.-D.-DE-QhXcE  187 

déjà,  deux  ans  auparavant,  avaient  séjourné  au  Précieux-Sang, 
Le  soir,  il  fit  visite  au  monastère.  INTgr  l'évêque  de  Saint-IIyacin- 
the,  Mgr  de  Germanicopolis,  M.  Raymond,  le  Père  Proulx  et 
M.  Lecours  étaient  avec  lui.  Après  le  chant  d'un  cantique  de 
circonstance,  et  quand  Mgr  Joseph  eut  présenté  chacune  des 
partantes  à  leur  nouvel  évêque  Mgr  de  Toronto,  celui-ci  parla 
avec  abandon  et  confiance  de  l'espoir  qu'il  entretenait  au  sujet  de 
la  future  fondation.  "  Les  bonnes  gens  de  Toronto,  dit-il  plaisam- 
ment, mes  meilleurs  catholiques,  ont  une  idée  si  extraordinaire 
des  Sœurs  du  Précieux-Sang  qu'on  sera  bien  surpris  si  on  ne  vous 
voit  pas  voler  quand  vous  arriverez  dans  notre  ville."  Mgr 
de  Germanicopolis  dit  aussi  quelques  mots.  Il  bénit  le  ciel  de  cette 
prospérité  de  son  cher  institut  qui  permettait  déjà,  après  huit 
ans  seulement,  une  fondation  nouvelle.  Mgr  de  Saint-Hyacinthe, 
prenant  à  son  tour  la  parole,  se  félicita  de  voir  l'institut  se  pro- 
pager pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  bien  des  âmci.  Ce  fut  une  inou- 
bliable soirée.  Le  lendemain,  l'exposition  mensuelle  du  saint 
Sacrement  ayant  été  avancée,  on  i>assa  la  journée  aux  pieds  de 
la  sainte  hostie.  Mgr  Charles  et  Mgr  Joseph  vinrent  de  nouveau, 
le  soir,  encourager  les  partantes  et  consoler  celles  qui  restaient. 
C'était  le  29  août.  Ce  jour  même,  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe 
adressait  aux  six  religieuses  mi^ssionnaires  une  fort  belle  lettre 
pastorale.  Depuis  tout  près  d'un  an,  le  prélat  n'habitait  plus  la 
ville  épiscopale.  Pour  parer  aux  embarras  d'une  crise  financière, 
nous  l'avons  déjà  dit,  il  avait  pris  la  cure  de  Belœil.  Mais  c'est  de 
Saint-Hyacinthe  qu'il  data  sa  lettre  aux  Sœurs  du  Précieux- 
Sang  qui  s'en  allaient  à  Toronto. 

Ce  document  officiel,  qui  rend  un  fort  bel  hommage  à  l'œuvre 
de  Mère  Catherine-Aurélie,  il  nous  convient  de  nous  y  arrêter 
au  moins  quelques  instants.  Le  pasteur  de  l'Église  de  Saint- 
Hyacinthe  proclamait  en  premier  lieu  l'opportunité  de  cette 
œuvre  du  Précieux-Sang,  qui  avait  pris  nais.sance  en  1861,  par  le 


188 


MERE  catherini>-at;relie 


zèle  de  son  prédécesseur  et  de  M.  Raymond,  sur  les  bords  de 
l'Yamaska.  "  L'on  dirait,  en  vérité,  écrivait-il,  que  Dieu  a  réservé 
au  cœur  de  la  femme  le  soin  de  rallumer  sur  la  terre  le  feu  de  la 
divine  charité,  que  l'égoïsme  et  les  froides  conceptions  de  notre 
siècle  sensuel  et  orgueilleux  y  avaient  presque  entièrement 
éteint."  Le  mal  du  siècle,  continuait  le  prélat,  c'est  le  luxe,  c'est 
l'ambition  des  richesses,  c'est  la  convoitise  des  jouissances  maté- 
rielles. Notre  pays  en  est  moins  atteint  que  d'autres,  mais  il  en 
souffre.  Les  fondateurs  du  Précieux-Sang  ont  été  heureusement 
inspirés  en  établissant  cette  communauté  "  vouée  à  la  pénitence 
et  à  l'expiation,  en  laquelle  de  pures  et  innocentes  victimes,  en- 
fermées dans  la  retraite  et  le  silence  du  cloître,  n'ont  plus  de 
corps  que  pour  le  crucifier ...  de  cœur  que  pour  aimer  Jésus  ...  de 
parole  que  pour  la  prière  du  jour  et  de  la  nuit ..."  Enfin,  Mgr  de 
Saint-Hyacinthe  se  réjouissait  de  ce  que  la  Providence  avait  jeté 
les  yeux  sur  ces  filles  de  prédilection  pour  la  fondation  nouvelle. 
"  Allez,  courageuses  et  pleines  de  foi,  leur  disait-il,  dans  le  diocèse 
de  Toronto,  auquel  vous  appartiendrez  désormais  de  cœur  et 
d'âme  encore  plus  que  de  corps,  vous  immoler  pour  de  nouveaux 
frères  et  de  nouvelles  sœurs .  .  .  Soyez  pour  votre  nouveau  chef 
spirituel,  Mgr  l'évêque  de  Toronto,  un  sujet  de  joie  et  de  conso- 
lation .  .  .  N'oubliez,  néanmoins,  ni  l'évêque  ni  le  diocèse  de  Saint- 
Hyacinthe.  .  ." 

Oublier  Saint-Hyacinthe,  oh  !  non,  certes,  aucune  des  filles  de 
Mère  Catherine-Aurélie,  ni  celles-là,  ni  d'autres,  ne  le  feraient 
jamais.  Mais  il  fallait  en  partir  pour  l'œuvre  nouvelle.  Ce  départ 
se  fit  le  31  août.  Le  compte  rendu  de  ce  voyage  de  Saint-Hyacinthe 
à  TorontOj  en  passant  par  Montréal,  a  été  écrit  par  Mgr  le  fonda- 
teur lui-même.  On  le  conserve  précieusement  aux  archives  de  la 
communauté.  Mais  il  est  long  autant  qu'il  est  beau  et  édifiant. 
On  nous  pardonnera  de  le  condenser  pour  ne  pas  trop  charger 
notre  propre  récit.  Le  matin,  le  dévoué  M.  Raymond  dit  une 


OB  L" ENTRÉE  AU    MONASTERE    A  LA  FOND.    DE  N.-D.-DE  GrAcE  189 

première  messe,  à  la  suite  de  l'oraison,  au  cours  de  laquelle  les 
partantes  chantèrent  de  pieux  couplets  composés  pour  l'occasion. 
Ne  retenons  que  ce  quatrain: 

Je  pars,  mais  il  me  reste 
Ta  croix,  trésor  céleste. 
Et  le  via  précieux 
Du  calice  des  cieux.  .  . 

Après  l'action  de  grâces,  Mère  Catherine-Aurélie,  qui  allait 
reconduire  les  "  missionnaires  "  jusqu'à  Toronto,  fit  à  la  commu- 
nauté, qu'elle  quittait  pour  quelques  semaines,  ses  recomman- 
dations. Elle  les  laissait,  disait-elle,  sous  la  protection  de  la 
meilleure  des  mères,  la  vierge  Marie,  et  de  l'incomparable  ami 
qu'est  l'ami  du  tabernacle.  On  assista  ensuite  à  la  messe  de  Mgr 
Lynch,  et  avec  quelle  ferveur!  En  outre  des  deux  Sœurs  de  Lorette 
venues  au  devant  d'elles,  les  partantes  devaient  aussi  être  accom- 
pagnées des  deux  supérieures  de  la  Présentation  et  de  l'Hôtel-Dieu 
de  Saint-Hyacinthe,  Mère  Saint-Marc  et  Mère  Marie.  Mère 
Catherine-Aurélie,  en  plus  des  six  "  missionnaires  ",  amenait 
encore  avec  elle  Sœur  Sophie-de-l'Incarnation  et  sa  petite  nièce 
Marie  Benoit. 

L'autorité  avait  jugé  bon,  puisqu'on  sortait  du  cloître,  de 
permettre  au  passage  la  visite  des  églises  et  des  communautés  à 
Saint-Hyacinthe  et  à  Montréal.  Après  donc  les  derniers  adieux 
au  monastère,  et  l'on  peut  croire  qu'ils  furent  touchants,  on  se 
dirigea  vers  l'église  de  Notre-Dame,  puis,  successivement,  on  fit 
visite  aux  communautés  de  la  Présentation  et  de  l'Hôtel-Dieu  et, 
finalement,  on  s'arrêta  à  la  cathédrale.  Mgr  de  Germanicopolis, 
avec  M,  l'abbé  Gatien  comme  secrétaire,  et  Mgr  de  Toronto,  avec 
le  Père  Proulx,  conduisaient  les  voyageuses.  De  Saint-Hyacinthe 
à  Montréal,  le  trajet  se  faisait  par  chemin  de  fer.  A  la  gare,  la 
population  de  la  petite  ville  se  porta  en  foule  pour  honorer  la 


190  MÈRE   CATHERINE- ATTRÉLIE 

communauté,  Quand,  Mgr  Lynch  ayant  béni  le  peuple,  le  convoi 
s'ébranla  et  vint  passer  non  loin  du  monastère  qu'on  venait  de 
quitter,  des  derniers  signes  d'adieu  s'échangèrent  encore.  A 
Montréal,  on  fit  de  pieux  pèlerinages  à  Bonsecours  et  à  Notre- 
Dame-de-Pitié.  On  alla  ensuite  faire  visite  à  Mgr  Bourget  et  on  fit 
une  station  à  la  cathédrale.  On  s'arrêta  de  même  à  l'église  du 
Gésu  et  l'on  visita  les  Sœurs  de  l'Hôtel-Dieu  et  les  Sœurs  de  la 
Providence.  Les  voyageuses  logèrent  pour  la  nuit  à  la  maison- 
mère  de  la  Congrégation.  Que  de  bons  souvenirs  ces  différentes 
stations  évoquaient  dans  l'esprit  et  dans  le  cœur  de  l'heureuse 
supérieure,  qui,  tant  de  fois,  était  venue  à  Montréal,  quand  elle 
étudiait  sa  vocation  !  Le  lendemain  matin,  ayant  assisté  à  troiâ 
messes  dites  simultanément  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame-de- 
Pitié  par  trois  évêques,  Mgr  Lynch,  Mgr  Joseph  LaRocque  et 
Mgr  Persico  (alors  évêque  de  Saint-Augustin  en  Floride,  plus 
tard  curé  de  Sillery,  puis  secrétaire  de  la  Propagande  à  Rome  et 
cardinal),  les  voyageuses  se  rendirent  au  bateau  qui  devait  les 
transporter  de  Montréal  à  Toronto.  En  passant  devant  le  sémi- 
naire de  Saint-Sulpice,  Mère  Catherine-Aurélie  voulut  saluer  les 
vénérés  prêtres  de  cette  m.ai>on,  où  elle  avait  naguère  aussi 
cherché  lumière  et  conseil  auprès  de  M.  Nercam,  et  où,  cette  fois 
encore, elle  bénéficia  d'une  générosité  qui  a  toujours  été  inépuisable. 
Le  voyage  à  bord  du  Passeport  fut  ravissant  pour  les  Sœurs  et 
fort  édifiant  pour  tous  ceux  qui  se  trouvaient  là.  Mgr  de  Germa- 
nicopolis  en  précise  les  mille  détails  avec  une  complaisance 
marquée. 

A  Toronto,  la  bienvenue  fut  royale.  Les  familles  catholiques 
de  la  première  société  avaient  tenu  à  honneur,  tout  comme  les 
Sœurs  de  Lorette  et  les  Sœurs  de  Saint-Joseph,  de  recevoir  les 
Sœurs  du  Précieux-Sang  avec  des  égards  tout  spéciaux.  On  assista, 
en  arrivant,  à  la  messe  de  Mgr  l'évêq^^e  de  Toronto.  Dans  l'après- 
midi,  on  visita  les  principaux  établissements  religieux,  notam- 


DE  L^aNTRÉB  AU    MONAST^BB   1  LA  FOND.   DB  N.-D.-DB-QBÂCB  191 

ment  la  Providence  des  Sœurs  de  Saint-Joseph  et  la  splendide 
Abbaye  des  Sœurs  de  Lorette,  où  les  nouvelles  venues  prirent 
leur  logement  les  premiers  jouri.  Le  8  septembre,  elles  entraient 
en  possession  de  leur  petite  maison  de  Saint  Mary's.  La  vénéra- 
tion dont  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  furent  l'objet  à  leur  arrivée 
à  Toronto  a  laissé  dans  leur  esprit  un  souvenir  ineffaçable.  On 
s'inclinait  devant  elles,  on  leur  baisait  les  mains,  on  alla  jusqu'à 
couper  un  coin  du  voile  de  Sœur  des  Sept-Douleurs  !  Mais  c'est 
surtout  la  fondatrice  qu'on  entourait  et  auprès  de  qui  on  s'em- 
pressait, en  l'appelant  tout  hjaut  la  sainte  mère  et  en  lui  demandant 
la  bénédiction  comme  à  un  évêque  !  Mère  Catherine-Aurélie 
passa  un  peu  plus  de  deux  mois  dans  la  ville  ontarienne  pour  y 
installer  plus  complètement  ses  religieuses.  Mgr  LaRocque  dut 
retourner  après  quelques  semaines.  M.  Raymond  vint  bientôt 
le  remplacer  à  Saint  INIary's,  d'où  il  devait  ramener  la  fondatrice 
et  ses  deux  compagnes.  Sœur  Sophie-de-l'Incarnation  et  la  petite 
Marie.  Nous  avons  une  lettre  de  Mère  Catherine-Aurélie  à  Mgr 
Joseph,  datée  de  Toronto,  le  11  novembre,  dans  laquelle  elle 
annonce  son  retour  prochain.  Or,  pendant  ces  dix  ou  douze 
semaines,  la  Mère  et  ses  filles  furent  comblées  de  toutes  sortes 
d'attentions  par  Mgr  Lynch,  son  clergé,  ses  communautés  et  son 
peuple.  La  foi  et  la  piété  des  Irlandais  sont  démonstratives  autant 
qu'ardentes,  on  le  sait  depuis  des  siècles.  La  fondatrice  en  fit 
largement  l'expérience.  On  venait  à  elle,  sans  se  lasser,  avec  une 
confiance  touchante.  Elle  en  était,  on  le  pense  bien,  toute  confuse, 
tandis  que  ses  filles  en  étaient  ravies.  Mgr  Joseph  parti,  ce  fut 
le  tour  deMgr  Lynch  qui  s'en  allait  au  concile.  Il  quitta  Toronto 
le  17  octobre.  M.  Raymond  arriva  peu  après.  Nous  renonçons 
à  enregistrer  ici  tous  les  bons  avis  et  les  pieuses  exhortations  que 
Mgr  de  Germanicopolis,  puis  M.  Raymond,  et  aussi  Mère  Cathe- 
rine-Aurélie, multiplièrent  à  l'adresse  des  "  fondatrices  "  du 
monastère  de  Toronto,  et  que  nous  trouvons  consignés,  riche 


192 


MERE   CATHERINE- ATJRELIE 


moisson,  au  livre  des  archives  de  cette  maison.  Disons  seulement, 
pour  terminer  ce  qui  concerne  cet  établissement,  qu'après  que 
les  Sœurs  eurent  passé  trois  ans  dans  la  maison  petite,  humide 
et  malsaine,  de  Saint  Mary's,  le  monastère,  par  la  munificence 
toujours  de  Mgr  Lynch,  fut  installé,  dans  le  voisinage  du  collège 
Saint  Michael,  dans  un  local  fort  convenable,  et  que  ce  rameau 
torontonien  de  l'institut,  dénommé  "  Mount  Olivet  ",  est  devenu  à 
son  tour  un  r^rbre  riche  de  sève  et  largement  fécond. 

Avant  de  se  rendre  à  Toronto,  vers  la  fin  d'octobre,  M.  Ray- 
mond eut  naturellement  l'occasion  d'écrire  à  sa  dirigée.  Une  lettre 
de  lui,  datée  du  14  septembre,  expose  si  heureusement  la  situation 
de  l'institut  à  cette  époque  qu'il  nous  faut  en  rapporter  au  moins 
quelques  extraits.  "  11  y  a  huit  ans  aujourd'hui,  chère  épouse  de 
Jésus-Christ,  lui  écrit-il,  vous  vous  immoliez  à  votre  époux,  pour 
l'exaltation  de  sa  croix  et  la  gloire  de  son  sang .  .  .  Vous  et  vos 
trois  compagnes,  vous  embrassiez  une  vie  de  prière  et  de  sacri- 
fices de  toute  espèce,  ne  sachant  guère  ce  que  serait  l'avenir,  qui, 
Sous  le  rapport  humain,  paraissait  peu  rassurant,  mais  en  vous 
abandonnant  à  la  Providence  qui  vous  avait  inspiré  ce  dévoue- 
ment. Oh  !  que  cette  confiance  a  été  bénie  !  L'œuvre  du  sang 
divin  a  surmonté  toutes  les  contradictions,  tous  les  obstacles- 
Elle  s'est  développée  de  plus  en  plus,  en  attirant  à  la  croix  nombre 
de  vierges.  Sous  le  rapport  matériel,  des  secours  inattendus  lui  sont 
venus  en  aide  de  la  manière  la  plus  opportune.  Le  public  l'a  accueil- 
lie avec  une  étonnante  sympathie.  Elle  a  vu  venir  à  elle,  comme 
possédant  la  vertu  du  Christ,  les  afiiigés,  les  pécheurs,  tous  ceux 
qui  ont  besoin  d'être  soulagés  et  consolés.  Et  voici  qu'elle  s'implan- 
te dans  un  diocèse  étranger  et  lointain,  où  l'hérésie  qui  y  domine 
semble  la  regarder  s'établir  avec  respect  !  Disons-le  donc  avec  un 
sentiment  de  sainte  joie  et  de  vive  reconnaissance,  c'est  l'œuvre 
de  Dieu  !  Elle  est  agréable  à  Jésus  !  Il  a  reçu  avec  satisfaction 
ces  hommages  de  vierges  rendus  à  son  sang  par  l'amour,  la  prière 


DE  l'entrée   au    MOXASTÈKE   A  LA  FOND.    DE  N.-D.- DE-GRACE  193 

et  le  sacrifice .  .  .    Remerciez  Dieu   des  longues  et  douloureuses 
souffrances  qui  ont  torturé  votre  corps,  des  sollicitudes  pénibles 
auxquelles  vous  avez  eu  à  vous  livrer,  des  épreuves  de  l'esprit  et 
du  cœur  que  souvent  vous  avez  eu  à  subir.  En  cela  encore  se 
trouve  l'indice   de  l'intervention   divine   en   faveur  de  l'œuvre 
à  laquelle  vous  avez  été  employée.  Laissez  pour  l'avenir  votre 
cœur  se  livrer  à  la  confiance  la  plus  affectueuse  envers  votre 
Jésus.  Il  perfectionnera  ce  qu'il  a  commencé.  Retrempez  votre 
courage  dans  son  sang,  qu'il  veut  vous  voir  glorifier.  Plus  que 
jamais,  soyez  à  l'œuvre,  avec  le  désir  de  vous  immoler  complè- 
tement, pour  qu'elle  réjouisse  encore  davantage  le  cœur  de  Jésus  et 
donne  à  son  sang  une  gloire  plus  grande.  Allumez  bien  ardemment 
le  feu  de  l'amour  dans  le  cœur  de  vos  filles  de  Toronto.  Faites  un 
feu  si  bon  qu'il  ne  s'éteigne  point  !  Sans  ce  sentiment,  porté  à  un 
haut  degré,  que  deviendraient-elles  quand  elles  seront  seules  ?  .  .  " 
C'est  pour  l'activer,  ce  feu,  et  l'enflammer  encore,  ce  sentiment, 
que  M.  Raymond,  après  Mgr  de  Germanicopolis,  se  rendit  aussi 
à  Toronto.  Pendant  qu'il  y  était,  à  la  date  du  11  novembre,  Mère 
Catherine-Aurélie    écrivait    à    Mgr    Joseph,    retourné    à    Saint- 
Hyacinthe  et  maintenant  logé  à  la  maison  blanche  :  "Je  vais 
quitter  bientôt  Toronto .  .  .  Pauvres  enfants,  je  vais  les  laisser  si 
seules,  si  loin  !.  .  .   J'emporterai  pourtant  le  pressentiment  déli- 
cieux que  Dieu  voudra  répandre  ses  bénédictions  et  ses  grâces 
sur  cette  nouvelle  ruche.  Oh  !  oui,  que  le  ciel  les  bénisse,  ce  sera  le 
dernier  mot  que  ma  bouche  exprimera.  Que  n'aurai-je  pas  à  vous 
dire  à  mon  retour  sur  ces  généreuses  vierges  qui  nous  sont  con- 
fiées ? .  .  .  Je  reçois  des  visites  en  grand  nombre.  Je  passe  la  plus 
grande  partie  de  mes  journées  au  parloir.  Mais  je  regarde  comme 
un  petit  martyre  l'obligation  où  je  suis  d'être  en  rapport  avec  un 
monde  pour  lequel  je  voudrais  être  morte.  Ma  mission  à  moi,  que 
n'est-elle  (uniquement)  de  prier  et  de  m'immoler  en  silence  et 
dans  l'obscurité  !  Dieu  soit  loué  de  tout  ce  qu'il  permet  !  Sous 


194  MÈBE  CATHERINE-AUBÉLIE 

l'empire  de  sa  volonté  divine,  mes  ennuis,  mes  craintes,  mes 
peines  et  mes  douleurs  sont  méritoires,  j'ose  l'espérer,  mais  elles 
ne  disparaissent  pas.  M.  le  grand-vicaire  Raymond  est  au  milieu 
de  nous .  .  .  Les  instants  de  délassement  qu'il  nous  a  fait  goûter, 
en  nous  parlant  du  cher  monastère  et  de  tout  ce  qu'il  renferme, 
et  surtout  les  saintes  méditations  au  pied  de  l'autel,  où  il  fait 
passer  toute  son  âme  dans  les  nôtres,  tout  est  entré  dans  les 
annales  de  mon  cœur  et  vous  sera  fidèlement  redit ..." 

Au  moment  de  se  séparer  de  ses  chères  filles  pour  retourner  à 
Saint-Hyacinthe,  Mère  Catherine-Aurélie  leur  fit  ses  dernières 
recommandations  :  "  Aimez  à  être  cachée^,  leur  disait-elle.  Soyess 
modestes  dans  vos  paroles,  dans  vos  manières  et  dans  vos  actions. 
Fuyez  tout  ce  qui  pourrait  vous  attirer  les  regards  des  hommes 
f  t  leur  vaine  estime.  La  gloire  humaine  est  une  vile  poussière  qui 
s'élève  entre  Dieu  et  nous  et  nous  dérobe  sa  beauté .  .  .  Mon  cœur 
saigne  à  la  pensée  de  vous  quitter,  mais  je  pars  aussi  joyeuse  de 
laisser  ici  des  victimes  qui  vont  ^'offrir  sans  cesse  pour  la  gloire 
du  Précieux  Sang ...  Je  sais  que  vous  accomplirez  toujours 
scrupuleusement  vos  saintes  règles  et  que  vous  marcherez  dans 
les  voies  du  devoir...  Aimez-vous  les  unes  les  autres.  N'ayeï 
qu'un  seul  sentiment  et  qu'un  seul  cœur  avec  celle  qui  vous  diri- 
gera. Aidez-la  par  vos  prières.  Et  puis,  quand  l'ennui  et  la  tris- 
tesse voudront  s'emparer  de  vous,  allez  près  de  Jésus,  allez  à 
Marie  !  Ils  vous  consoleront  et  sécheront  vos  pleurs." 

La  fondation  de  Toronto  était  faite.  A  Saint-Hyacinthe,  d'autres 
préoccupations  attendaient  la  fondatrice.  Nous  l'avons  noté  au 
début  de  ce  chapitre,  le  nombre  des  recrues  nouvelles  qui  venaient 
frapper  à  la  porte  du  monastère  augmentait  toujours.  La  grande 
aile  dans  laquelle  on  était  entré  le  26  juin  1867  n'avait  pas  asses 
de  cellules  pour  les  loger.  La  chapelle  de  la  maison  blanche,  son 
sanctuaire  en  particulier,  devenaient  insuffisants.  Il  fallait  agran- 
dir. M.  le  curé  Lecours  réfléchissait,  se  demandant  ce  qu'il  pourrait 


DE  l'knTBÉB  au  MONASTiRE  1  LA  FOND.  DB  M.-D.-DB-GrAcB  195 

faire.  Les  hommes  au  cœur  d'apôtre  sont,  le  fait  est  connu, 
ingénieux.  Ils  finissent  toujours  par  trouver  le  moyen  d'exercer 
leur  zèle  d'une  façon  pratique.  La  nécessité,  a-t-on  dit,  est  mère 
de  l'invention.  Pressé  par  la  nécessité,  le  bon  M.  Lecours  eut  sou- 
dain une  idée  que  nous  qualifierions  volontiers  de  géniale  si  elle 
n'était  pas  si  simple.  Mais,  en  fait,  le  génie  et  la  simplicité  ne 
voisinent-ils  pas  souvent  ?  Le  curé  de  Notre-Dame  pensa  donc, 
un  beau  jour,  que  les  associés  de  la  confrérie  du  Précieux-Sang,  si 
on  faisait  appel  à  leur  charité,  pourraient  tirer  d'embarras  l'ins- 
titut du  même  nom. 

Cette  confrérie  du  Précieux-Sang,  dont  il  nous  convient  ici  de  ra- 
conter les  origines,  existait  à  Saint-Hyacinthe  depuis  une  douzaine 
d'années.  Le  23  mars  1858,  à  la  demande  du  pieux  M.  Raymond, 
Mgr  Prince  l'avait  érigée,  dans  la  petite  chapelle  de  son  couvent  des 
Sœurs  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame  —  que  les  Sœurs  de 
la  Présentation  devaient  remplacer  l'été  suivant,  en  août  1858  — » 
et  elle  n'avait  pas  tardé  à  prendre  de  l'extension,  surtout  depuis 
que  la  fondation  d'une  communauté,  placée  sous  le  même  vocable, 
était  venue,  en  1861,  donner  un  si  vigoureux  élan  à  la  dévotion 
qui  constituait  sa  raison  d'être.  Le  premier  évêque  de  Saint- 
Hyacinthe  l'avait  du  reste  dès  le  principe  aflSliée  à  l'œuvre-mère, 
dont  le  centre  était  à  Rome,  et  dont  les  Pères  de  l'Oratoire  s'étaient 
faits  partout  les  ardents  apôtres.  Duranf  l'hiver  de  1861-1862,  le 
Père  Bonden,  oratorien  de  Londres  et  futur  biographe  du  Père 
Faber,  venu  en  Amérique,  s'était  arrêté  à  Saint-Hyacinthe.  Mgr 
Joseph  LaRocque  lui  avajt  présenté  ses  filles  du  Précieux-Sang  : 
'*  Ce  sont  de  pauvres  enfants,  lui  avait-il  dit.  J'ai  mis  à  leur  tête 
celle  qui  paraissait  la  plus  digne  de  pitié.  Je  tâche  de  les  former 
à  la  vertu  et  à  une  vie  régulière,  leur  ayant  assigné,  comme  but 
spécial,  la  dévotion  au  Précieux  Sang  de  Jésus  avec  celle  de  l'Imma- 
culée Conception  de  Marie."  En  même  temps,  l'évêque  avait 
parlé  au  distingué  religieux  de  la  confrérie,  chère  aux  Oratoriens, 


196  MÈKE  CATHERINE-AUBÉLIE 

qu'avait  établie  à  Saint-Hyacinthe  son  prédécesseur.  A  la  fin  de 
1862,  le  Père  Bonden  envoyait  de  Londres  à  Mgr  LaRocque  le 
livre  des  Hymnes  du  Père  Faber.  Dans  sa  lettre  de  remerciement, 
le  prélat  écrivait  :  "  La  confrérie  du  Précieux-Sang  de  Saint- 
Hyacinthe  va  toujours  en  prenant  de  l'extension.  J'en  ai  transféré 
le  biège  dans  ma  cathédrale,  à  l'autel  de  la  bienheureuse  Vierge, 
pour  témoigner  de  mon  désir  dp  la  voir  en  honneur  et  aussi  afin 
que  les  réunions  des  ?ssociés  puissent  être  nombreuses  et  solennel- 
les." Au  mois  d'octobre  1863,  le  Père  Faber  mourait.  Aussitôt 
Mgr  LaRocque  écrivit  une  lettre  de  sympathie  au  Père  Bonden. 
"  Les  âmes  déVouées  au  Précieux  Sang,  lui  disait-il,  ont  un  motif 
spécial  d'être  affligées  par  cette  mort  de  l'illustre  Père  Faber,  car 
il  a  été  un  très  fervent  et  très  puissant  promoteur  de  cette  dévotion 
si  en  harmonie  avec  les  besoins  de  notre  époque."  —  "  J'aime  à 
vous  faire  savoir,  mon  Révérend  Père,  ajoutait-il,  que  les  éminents 
services  que  le  regretté  Père  Faber  a  rendus,  par  son  zèle  et  ses 
écrits,  à  la  pieuse  confrérie  du  Précieux-Sang  ne  sont  pas  oubliés 
ici.  Nos  associés  ne  manqueront  pas  d'offrir  pour  le  repos  de  son 
âme  leurs  pieux  suffrage:.  Nos  religieuses  adoratrices,  dont  l'insti- 
tut s*est  beaucoup  développé  depuis  que  vous  les  avez  visitées, 
se  feront  en  particulier  un  devoir  de  prier  pour  votre  illustre 
frère ..."  Or,  en  1870,  les  registres  de  la  confrérie  de  Saint-Hyacin- 
the, maintenant  transportée  au  monastère  du  Précieux-Sang, 
montraient  que  les  membres  de  la  pieuse  association  se  comptaient 
par  milliers.  Chaque  jour,  par  l'entremise  des  zélateurs  et  zéla- 
trices, des  listes  chargées  de  noms  à  inscrire  parvenaient  au  secré- 
tariat de  l'œuvre.  Pour  M.  Lecourj,  le  trait  de  lumière  vint  de  là. 
L'actif  et  zélé  curé  s'avisa  qu'en  faisant  appel  à  la  générosité 
de  tous  les  membres  inscrits  dans  la  confrérie  du  Précieux-Sang, 
et  en  leur  demandant  à  chacun  la  modique  aumône  de  vingt-cinq 
sous,  il  pourrait  construire  un  monastère  plus  convenable  avec  une 
chapelle  plus   spacieuse.    Mgr   Charles   LaRocque,   l'évêque   du 


DE  l'entrée   au   monastère   À  LA  FOND.    DE  N.-D.-DE-QRACE  197 

diocèse,  voulut  bien  approuver  et  bénir  l'idée,  et  Mgr  Joseph 
également.  Elle  fit  rapidement  son  chemin.  Zélî^teurs  et  zélatrices 
se  mirent  à  l'œuvre  et,  largement,  les  confrères  du  Précieux-Sang 
répondirent  à  l'appel.  Tant  et  si  bien  que,  nous  l'avons  dit,  le  10 
juillet  1871,  l'heureux  M.  Lecours  mettait  ses  ouvriers  en  devoir 
de  creuser  les  fondations  des  édifices  projetés  du  maître-corps 
et  de  la  chapelle  du  monastère.  Les  premières  pelletées  de  terre 
furent  enlevées  par  Mgr  Joseph,  M.  Raymond,  M.  I^ecours  et 
Mère  Catherine-Aurélie.  On  pense  bien  que  ce  travail  leur  fut 
léger  et  que  tous  en  rendirent  gloire  à  Dieu. 

Le  24  septembre  suivant,  en  la  fête  de  Notre-Dame-de-la- 
Merci,  Mgr  Charles  LaRocque  bénissait  solennellement  la  pierre 
angulaire  de  la  construction  nouvelle,  assisté  par  M.  Raymond  et 
M.  Moreau.  Pendant  la  cérémonie,  les  religieuses,  pieusement  age- 
nouillées au  pied  du  tabernacle,  conjuraient  Notre-Seigneur,  par  les 
mérites  de  son  Précieux  Sang,  de  bénir  le  futur  sanctuaire  et  ses 
bienfaiteurs.  M.  Lecours  eut  pourtant,  ce  jour-là,  une  déception. 
Il  avait  compté  que  les  coups  de  marteau  qu'on  viendrait  frapper 
sur  la  pierre  angulaire,  selon  l'usage,  lui  rapporteraient  une  riche 
ofiFrande,  et  voilà  qu'un  malencontreux  orage  électrique  dispersa 
trop  tôt,  vers  la  fin  de  la  cérémonie,  la  foule  accourue  nombreuse  ! 
Plusieurs,  heureusement,  revinrent  après  l'orage,  Mgr  l'évéque 
du  diocèse  en  tête.  Mais  la  chronique  note  que  cet  excellent  M. 
Lecours  ne  fut  pas  quand  même  absolument  satisfait. 

Hélas!  ses  déboires  n'étaient  pas  finis.  Les  meilleurs  mouvements 
de  zèle  finissent  par  perdre  de  leur  entrain.  Une  suspension  d'ardeur 
se  fit  bientôt  sentir.  "  Plus  l'édifice  montait,  écrit  curieusement 
l'annaliste,  et  plus  le  chiffre  des  trente  sous  descendait  !  "  Et  ce 
secours,  d'abord  considérable,  devint  à  ce  point  intermittent,  que 
l'on  constata,  un  jour,  qu'on  ne  pouvait  plus  s'appuyer  sur  lui. 
Le  7  novembre  1872,  le  Courrier  de  Saint-Hyacinthe  publiait  cette 
note  :  "  Au  Précieux-Sang,  les  fonds  étant  épuisés  de  part  et 


198  IfÊBE  CATHEBINK-AtmiUE 

d'autre,  et,  M.  le  curé  de  Notre-Dame  n'ayant  plus  que  des  dettes 
($2,225.00),  il  se  voit  obligé  de  suspendre  les  travaux."  Cet  appel 
indirect  et  disfcret  ne  fut  pas  entendu,  comme  l'avait  espéré  M. 
Lecours.  On  avait  pu  terminer  les  travaux  de  l'extérieur,  mais 
l'intérieur  restait  en  plan.  L'année  suivante,  en  1873,  le  digne 
prêtre  cédait  sa  cure  aux  Pères  Dominicains,  que  Mgr  Charles 
LaRocque  était  si  content  d'accueillir  dans  sa  ville  épiscopale. 
Dans  la  retraite  de  sa  cure  de  Sainte-Rosalie,  M.  Lecours  multiplia 
les  sacrifices  pour  arriver  à  payer  "  sa  "  dette.  Mais  les  circons- 
tances lui  avaient  rendu  la  tâche  plus  diflScile.  Nous  verrons 
qu'il  ne  mourrait  pas  sans  revenir  au  Précieux-Sang  et  sans  se  dé- 
vouer encore  à  sa  belle  œuvre. 

Cependant,  Mère  Catherine-Aurélie,  cela  va  de  soi,  ne  demeu- 
rait pas  inactive.  Outre  qu'elle  s'occupait,  dans  la  mesure  possible, 
de  toutes  ces  questions  d'ordre  matériel,  elle  continuait  de  diriger 
ses  chères  filles,  celles  de  Saint-Hyacinthe  et,  de  loin,  celles  de 
Toronto,  dans  les  voies  de  la  sainte  vie  contemplative  que  nous 
connaissons.  Elle  préparait  aussi  une  autre  fondation,  celle  de 
Notre-Dame-de-Grâce,  qui  se  ferait  en  1874.  Elle  multipliait  ses 
prières  et  ses  mortifications,  ses  exhortations  et  ses  pieuses 
directions.  A  elle  seule,  sa  correspondance  avec  ses  filles  de 
Toronto  nous  fournirait  la  matière  d'un  riche  chapitre,  qui  consti- 
tuerait tout  un  traité  de  vie  religieuse  des  plus  documentés  et  des 
mieux  fournis.  Et,  toujours,  ce  serait  l'œuvre  du  Précieux-Sang 
et  l'esprit  de  sacrifice  qui  en  feraient  la  base  et  aussi  le  couron- 
nement. Quelques  extraits  de  ces  précieuses  lettres  vont  nous  le 
faire  entendre.  Le  3  juin  1870,  elle  écrit  à  l'une  de  ses  chères 
enfants,  qu'elle  sait  bien  afl3igée,  dans  son  exil,  au  cœur  de  la 
ville  ontarienne  :  "  Quand,  dans  ses  desseins  mystérieux,  Jésus 
permettra  pour  vous  cette  souffrance  du  cœur,  allez  prier  près 
de  ce  céleste  compagnon  de  votre  esdl,  baises  sa  main  crucifiante 
et  crucifiée  et  dites-lui  que''vous  acceptez  non  seulement  la  croix 


DS  L'BNTaâB  AU  MONASTàRB  1  LA  FOND.   DU  N.-D.-DB-aBÂCa  199 

qui  pèse  sur  les  épaules  mais  aussi  et  surtout  celle  qui  pèse  sur 
le  cœur,  car  c'est  celle-ci,  plus  que  toute  autre,  qui  élève  l'âme 
vers  les  régions  d'un  amour  qui  n'est  plus  de  la  terre ...  Je  sais 
vos  occupations  assujettissantes,  vos  ennuis  de  chaque  jour, 
quand  vous  pensez  à  tout  ce  que  vous  aimiez  au  cher  "  berceau  ", 
auquel  vous  avez  dit  un  adieu  peut-être  éternel.  Mais  tout  cela 
peut  se  changer  en  un  perpétuel  acte  d'amour . .  .  Marchez  donc 
dans  la  voie  étroite,  mais  heureuse,  de  l'âme  crucifiée,  avec  une 
sainte  allégresse  et  un  constant  courage.  Mon  cœur  vous  y  accom- 
pagnera pour  encourager  le  vôtre  en  le  plongeant  dans  le  sang 
divin  et  en  lui  montrant  le  ciel . .  .  Jouissez  de  l'Eucharistie, 
puisez  dans  vos  rapports  avec  Jésus-Hostie  l'amour  de  la  vie 
cachée,  silencieuse,  anéantie.  Il  fait  si  bon  de  vivre  dans  l'obscu- 
rité et  dans  la  solitude,  là  où  Jésus  parle  au  cœur  et  dévoile  ses 
secrets,  là  où  il  fait  oublier  les  amertumes  de  cette  vie  et  commu- 
nique la  lumière  qui  nous  fait  voir  les  choses  sous  leur  vrai  jour ..." 
A  la  mi-septembre.  Mère  Catherine-Aurélie  écrit  encore  à  la 
même  religieuse,  dont  la  faible  santé  lui  cause  plus  d'une  inquié- 
tude :  "...  Je  crains  pour  vous  l'automne,  les  premiers  froids 
de  l'hiver,  et  je  voudrais  vous  voir  assez  fervente  pour  que  vos 
prières  jointes  aux  miennes  puissent  vous  obtenir  une  santé  parfaite 
que  vous  emploiriez  toute  à  l'œuvre  qui  vous  a  été  confiée.  Au- 
jourd'hui, plus  encore  qu'au  moment  où  la  fondation  de  Toronto 
s'est  faite,  je  sens  que  le  monde  a  besoin  de  prières  et  de  répa- 
rations, des  larmes  et  du  sang  de  victimes  virginales.  Oh  !  que 
le  cœur  me  fait  mal,  quand  je  pense  à  tant  d'âmes  ingrates  et 
rebelles .  .  .  Vous,  mon  enfant,  qu'éprouvez-vous,  quand  vous 
pensez  à  ceux  de  nos  frères  qui  se  font  par  leurs  péchés  les  bour- 
reaux de  Jésus . .  .  ?  "  Et  nous  pourrions  remplir  des  pages  et 
des  pages  avec  de  pareilles  citations,  où  l'on  ne  sait  ce  qu'il  faut 
le  plus  admirer,  de  la  tendresse  de  la  mère  pour  ses  chères  filles 
ou  de  son  désir  de  les  voir  se  sacrifier  pour  la  gloire  du  Précieux 


200  MÈRE   CATHERINE-AURÉLIB 

Sang  de  Jésus.  Mais,  il  faut  nous  borner,  de  peur  de  trop  charger 
le  cadre  que  nous  nous  sommes  fixé. 

Non  seulement  Mère  Catherine-Aurélie  écrivait  à  ses  filles  de 
Toronto,  mais  elle  allait  aussi,  de  temps  en  temps,  les  visiter. 
On  l'y  trouve,  par  exemple,  à  l'été  de  1872.  Elle  écrit  de  là  à  la 
Mère  assistante  qui  la  remplace  à  Saint-Hyacinthe  :  "  Quoique 
très  occupée  ici  et  un  peu  fatiguée  des  visites,  je  trouve  moyen  de 
me  transporter  souvent  au  cher  monastère,  où  j'ai  laissé  des 
âmes  si  aimées.  Je  visite  par  la  pensée  chacune  de  mes  filles.  Je 
me  tiens  près  de  celles  qui  soufiPrent  pour  les  encourager  et  près 
de  celles  qui  jouissent  pour  remercier  le  Dieu  bon  qui  leur  donne 
des  consolations.  Je  m'intéresse  aux  sollicitudes  de  toutes  et  je 
prie  pour  que  rien  ne  trouble  la  paix  des  unes  et  des  autres.  Oh  ! 
qu'il  y  a  de  bonheur  à  s'aider  mutuellement!  Chacune  dans  notre 
retraite,  travaillons  à  notre  perfection  et  à  la  sanctification  des 
autres,  à  atteindre  le  règne  de  Dieu  et  à  le  faire  régner  lui-même 
sur  tous  les  cœurs ..."  Elle  entre  ensuite  dans  nombre  de  détails 
qui  touchent  à  l'administration,  à  l'admission  des  novices  en 
particulier,  et  elle  ajoute  :  "  Chères  petites  vierges,  il  me  semble 
que  rien  n'est  épargné  pour  les  rendre  saintes  et  heureuses  de 
servir  Dieu  dans  la  mortification  et  la  perspective  d'une  mort  qui 
vient  toujours  si  tôt ..." 

Elle  devait  revenir  à  Saint-Hyacinthe  vers  la  fin  de  juillet. 
Le  27  juin,  elle  écrit  encore  à  son  assistante  :  "  Eloignée  comme 
je  le  suis,  la  seule  preuve  que  je  puisse  vous  donner  de  la  large 
part  que  je  prends  à  vos  sollicitudes,  chère  et  bonne  fille,  c'est 
de  vous  assurer  que  sans  cesse  je  vous  bénis  et  que  j'invoque 
surtout  pour  nos  pauvres  malades  le  sang  tout-puissant  et  si 
bienfaisant  de  notre  Jésus.  Je  l'offre  au  Père  éternel  pour  que, 
par  ses  mérites,  elles  obtiennent  les  grâces  que  réclame  leur  état. 
Plus  je  les  sais  souffrantes,  ces  chères  enfants,  plus  je  sens  que 
mon  cœur  se  rapproche  d'elles  avec  une  affection  plus  pure..  . 


DB  l'entbéb  au  monastère  à  la  fond,  de  n.-d.-de-qrAcb  201 

Je  les  aime,  ces  bien-aimées  filles,  comme  les  victimes  et  les  amies 
de  Jésus  crucifié,  comme  des  privilégiées  à  qui  il  se  plait  à  donner 
des  traits  de  ressemblance  avec  lui-même,  qu'il  épure  dans  le 
feu  de  l'épreuve  pour  les  unir  plus  étroitement  à  lui ...  " 

Encore  un  coup,  bornons  là  ces  citations,  pourtant  si  inté- 
ressantes. Celles  que  nous  venons  de  faire  établissent,  nous 
semble-t-il,  de  façon  très  nette,  jusqu'où  et  comment  la  fonda- 
trice du  Précieux-Sang  entendait  remplir  ses  nobles  fonctions 
de  supérieure  et  de  mère.  Sans  négliger  les  intérêts  généraux  de 
son  institut,  tout  en  travaillant  ardûment  à  son  progrès  et  à  son 
accroissement,  elle  ne  perdait  jamais  de  vue  le  bien  particulier 
de  chacune  des  âmes  que  la  Providence  avait  confiées  à  sa  garde 
et  à  sa  direction.  Son  grand  cœur  savait  se  donner  à  toutes, 
sans  cesser  d'être  à  chacune.  C'était  bien  la  vraie  mère  au  cœur 
admirable,  ce  cœur  dont  le  poète  a  dit  : 

Chacun  en  a  sa  part  et  tous  l'ont  tout  entier  ! 


CHAPITRE  VIII 


De  la  fondation  de  Notre-Dame-de-Gràce  aux  premières  élections  régu- 
lières de  1877  (1874-1877) 

Sommaire. —  Les  travaux  de  construction  sont  suspendus  de  1872  à  1876. —  On 
prie  saint  Joseph. —  Fondation  de  Notre-Dame-de-Grâce. —  Projet  d'avril 
1866. —  Reprise  en  1874. —  M.  l'abbé  Napoléon  Maréchal. —  Préparatifs. — 
Choix  des  "  missionnaires  ". —  Installation  du  nouveau  monastère  aux 
pieds  du  Mont-Royal  (14  juin  1874). —  Allocution  de  Mgr  Bourget. —  Mgr 
l'évêque  de  Germanicopolis  (Mgr  Joseph)  prend  aussi  la  parole. —  Mande- 
ment de  Mgr  Bourget. —  Lettre  pastorale  de  Mgr  Charles  LaRocque  dans 
laquelle  il  loue  l'œuvre  du  Précieux-Sang. —  Mère  Catherine-Aurélie  passe 
quelques  semaines  à  Notre-Dame-de-Grâce. —  Rentrée  à  Saint-Hyacinthe, 
elle  écrit  aux  Sœurs  de  Montréal  (19  août  1874). —  Un  noviciat  à  Montréal. — 
Clôture  régulière  à  Saint-Hyacinthe. —  Mgr  Joseph  et  Mère  Catherine- 
Aurélie  s'efforcent  de  conserver  l'esprit  d'union  entre  les  maisons-âlles  et 
la  maison-mère. —  Premiers  germes  de  difficultés. —  Mère  Catherine-Aurélie 
écrit  à  ses  611es  de  Montréal. —  Mort  de  Mgr  Charles  LaRocque  (25  juillet 
1875). —  Mgr  Moreau  lui  succède. —  Un  nouveau  "  Joseph  "  :  M.  l'abbé 
de  la  Croix. —  Première  messe  dans  la  nouvelle  chapelle  du  monastère  (28 
juillet  1876). —  On  en  prend  possession  le  8  décembre. —  Allocution  de 
Mgr  Joseph. —  Bénédiction  de  la  chapelle  par  Mgr  Fabre  (16  janvier  1877). — 
Mgr  Fabre  succède  à  Mgr  Bourget,  démissionnaire. —  M.  l'abbé  Raymond 
nommé  prélat  (15  août  1876). —  Mgr  Joseph  écrit  sa  joie  à  la  supérieure  de 
Toronto. —  La  charge  de  la  supériorité  se  fait  plus  lourde  pour  Mère  Cathe- 
rine-Aurélie.—  Divergences  de  vues. —  Quelques  lettres  de  la  fondatrice. — 
Premières  élections  régulières  le  6  février  1877. —  Mère  Catherine-Aurélie 
est  élue  supérieure. —  En  visite  à  Montréal,  elle  écrit  à  ses  filles  de  Saint- 
Hyacinthe  et  leur  recommande  la  simplicité. —  Lettres  à  Mgr  Joseph  et  à  M. 
l'abbé  de  la  Croix. —  Son  âme  est  prête  à  passer  par  les  tribulations. 


A  vie  matérielle  d'un  institut,  comme  celle  d'un  individu, 
r^l  a  ses  exigences.  L'homme  ne  vit  pas  que  de  pain, 
*^        nous  enseigne  l'Écriture.  Et  c'est  très  vrai.   Mais  il 


lui   en   faut.    L'institut   du   Précieux-Sang   de   Saint- 
-^  ^^=— '  Hyacinthe  existait  depuis  treize  ans  et  sa  maison-fille 
de  Toronto  depuis  quatre  ans.  A  la  maison-mère,  on  était 
en   construction,  et,  d'autre  part,  les  vocations  se  multipliaient 


204  MÈRE   CATHERINE-AURÉLIE 

C'est  dire  que  les  besoins  étaient  pressants  et  nombreux.  M.  le 
curé  Lecours,  le  dévoué  père  nourricier  et  le  pourvoyeur  attentif, 
était  maintenant  parti,  depuis  le  29  septembre  1873,  pour  sa 
cure  de  Sainte-Rosalie.  Pendant  quatre  ans,  de  1872  à  1876, 
les  travaux  entrepris  pour  les  bâtisses  nouvelles  devaient  rester 
suspendus.  Dans  ces  circonstances,  on  n'était  pas,  au  monastère 
de  Saint-Hyacinthe,  sans  éprouver  une  certaine  gêne,  tant  pour 
la  subsistance  quotidienne  que  pour  les  constructions  qui  s'impo- 
saient. Que  faire  ?  La  fondatrice  et  ses  filles,  avec  une  confiance 
inaltérable,  priaient  Notre-Seigneur  de  les  tirer  d'embarras. 
Elles  l'invoquaient  par  son  Précieux  Sang,  par  sa  sainte  mère  la 
Vierge  Marie  et  par  tous  les  saints.  Elles  s'efforcèrent,  en  parti- 
culier, de  mettre  saint  Joseph  dans  leurs  intérêts.  Elles  savaient 
par  expérience  que  le  bon  saint  est  un  avocat  puissant  au  ciel,  et, 
sur  la  terre,  un  protecteur  à  qui  on  n'a  jamais  recours  en  vain. 
Elles  redoublèrent  donc  leurs  instances  et  leurs  supplications. 
Déjà,  depuis  quelques  années,  afin  de  ne  jamais  manquer  de 
pain,  elles  s'étaient  engagées  à  ne  point  rompre  inutilement  le 
silence  au  réfectoire,  même  les  jours  les  plus  solennels,  et  c'est 
une  coutume  qui  s'est  conservée  jusqu'ici  dans  les  maisons  de 
l'institut.  Après  le  départ  de  M.  Lecours,  en  1873,  on  se  persuada 
qu'il  fallait  faire  plus.  "  Nous  aidant  des  poutres  et  des  bouts  de 
planches,  raconte  l'annaliste,  nous  allâmes  placer  l'image  de  saint 
Joseph  et  sa  statue  aux  quatre  coins  du  grand  édifice  inachevé, 
et  surtout  nous  ajoutâmes  en  l'honneur  du  saint  les  dévotions 
aux  dévotions."  Les  neuvaines,  en  effet,  succédaient  aux  neu- 
vaines  et  les  processions  aux  processions.  Jamais,  par  exemple, 
les  exercices  ainsi  dits  du  culte  perpétuel  n'avaient  été  plus  fervem- 
ment  suivis  et  pratiqués.  Or  on  remarqua  que  si  la  neuvaine  se 
terminait  un  mercredi,  ou  que  si  l'on  faisait  ce  jour-là  la  procession, 
invariablement,  à  la  suite  de  la  prière  aux  sept  douleurs  et  aux 


DE  liA  FOND.    DE  N.-D.-DE-GbAcE   AUX  ÉLECTIONS   DK   1877  205 

sept  allégresses  qui  couronnait  ces  exercices,  les  dons  affluaient 
providentiellement  chez  la  Sœur  dépositaire  ou  économe.  "En 
conséquence,  écrit  l'annaliste,  tous  les  mercredis,  un  oratoire  fut 
dressé  quelque  part  dans  le  monastère  ou  dans  les  édifices  en 
construction,  où  nous  nous  rendions  en  procession,  au  chant  des 
hymnes  et  des  cantiques,  pour  honorer  et  prier  le  saint  pourvoyeur 
des  communautés  religieuses."  C'était  là,  évidemment,  un  beau 
geste  de  foi.  Cependant  la  prière  des  confiantes  filles  de  Mère 
Catherine-Aurélie  dut  se  faire  persévérante  et  être  inlassable, 
car,  comme  dit  encore  joliment  l'annaliste,  "  saint  Joseph  ne  se 
pressait  pas  pour  leur  venir  en  aide  au  sujet  des  constructions  ". 
Il  les  nourrissait,  c'était  déjà  quelque  chose  !  Et  puis,  nous  le 
constaterons  bientôt,  pour  les  bâtisses  aussi,  son  heure  approchait. 
Le  14  juin  1874,  avait  lieu,  à  Montréal,  la  fondation  de  la 
deuxième  maison-fille  de  l'institut,  celle  du  monastère  de  Notre- 
Dame-de-Grâce,  sur  le  versant  ouest  du  Mont-Royal.  Mgr 
Bourget,  on  s'en  souvient,  s'était  toujours  intéressé  à  l'œuvre  de 
Mère  Catherine-Aurélie.  C'est  lui  qui  avait  jadis  prononcé,  pour 
fixer  sa  vocation,  la  parole  définitive.  Le  14  septembre  1863,  sur 
l'invitation  de  son  ancien  coadjuteur  Mgr  LaRocque,  il  était 
venu  à  Saint-Hyacinthe  présider  à  l'installation  dans  le  nouveau 
monastère,  à  la  prise  d'habit  des  premières  novices  et  à  la  profes- 
sion de  la  fondatrice.  Plus  d'une  fois,  par  la  suite,  il  avait  honoré 
de  sa  visite  les  pieuses  recluses.  Huit  ans  auparavant,  en  1866, 
il  avait  un  jour  formulé  le  souhait  d'avoir  chez  lui  une  maison 
des  Sœurs  du  Précieux-Sang.  "  Pour  la  première  fois,  écrivait 
alors  Mgr  LaRocque  à  la  supérieure  (17  avril  1866),  Mgr  l'évêque 
de  Montréal  m'a  exprimé  le  désir  (à  sa  dernière  visite)  d'avoir 
un  essaim  de  cette  jeune  ruche  dans  sa  ville  épiscopale."  Jusque- 
là,  les  circonstances  ne  l'avaient  pas  permis,  et,  nous  l'avons  vu,  la 
"  jeune  ruche  "  avait  d'abord  "  essaimé  "  à  Toronto.  En  1874, 
le  moment  parut  propice  pour  Montréal.  Il  ne  nous  est  guère 


206  HÈRE  CATHEBINE-AUBÉLIE 

possible,  dans  cette  histoire  générale  de  la  fondatrice,  d'entrer 
dans  tous  les  détails,  merveilleux  sous  plus  d'un  rapport,  de  cette 
fondation  de  Notre-Dame-de-Grâce,  qu'une  relation,  d'ailleurs 
fort  bien  faite,  expose  dans  de  volumineux  cahiers  que  nous 
avons  sous  les  yeux.  Force  nous  est,  une  fois  de  plus,  de  condenser 
et  de  résumer. 

L'homme  de  la  Providence,  après  Mgr  Bourget  lui-même,  en 
cette  circonstance,  ce  fut  M.  l'abbé  (plus  tard  chanoine)  Joseph- 
Napoléon  Maréchal,  curé  de  Notre-Dame-de-Grâce  depuis  1867. 
Nous  avons  eu  déjà  l'occasion,  qu'on  nous  pardonne  ce  souvenir 
trop  personnel,  de  parler  du  zèle  et  des  activités  de  ce  prêtre  au 
grand  cœur,  dans  notre  Histoire  des  Sœurs  de  Sainte-Anne, 
publiée  en  1922.  Lui-même  et  ses  frères,  M.  le  grand-vicaire 
L.-D.-A.  Maréchal  et  M.  le  curé  Théophile  Maréchal,  ancien 
trapyîiste,  ont  été,  en  effet,  très  mêlés  à  la  vie  de  cette  communauté 
de  Sainte-Anne,  née  à  Vaudreuil  en  1850,  mais  dont  le  second 
berceau,  en  1853,  se  trouva  providentiellement  placé  à  Saint- 
Jacques-de-l'Achigan.  Successivement,  les  trois  frères,  M.  Louis- 
Delphis-Adolphe,  puis  M.  Théophile  et  enfin  M.  Napoléon,  ont 
été  curés  de  Saint -Jacques  de  1858  à  1905,  soit  pendant  près  d'un 
demi-siècle.  De  plus,  M.  le  grand-vicaire  et  M.  Napoléon  ont  été 
chapelains,  puis  supérieurs  ecclésiastiques,  de  la  même  commu- 
nauté. De  1861  à  1867,  M.  Napoléon  avait  été  aumônier  à  Lachine, 
troisième  berceau  des  Sœurs  de  Sainte-Anne,  et,  devenu  curé 
de  Notre-Dame-de-Grâce,  il  avait  continué,  de  1867  à  1871,  à 
s'occuper  de  cette  communauté  en  qualité  de  supérieur  ecclé- 
siastique. Il  se  connaissait,  par  conséquent,  en  fait  de  direcfion 
spirituelle.  Très  pieux  et  très  ardent,  il  nous  paraît  même  s'y 
être  donné  parfois,  tant  pour  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  que 
pour  les  Sœurs  de  Sainte-Anne,  avec  un  peu  d'outrance  et  d'abso- 
lutisme. Hommes  de  Dieu,  certes,  dévoués  comme  personne  et 
désireux  avant  tout  deîiaire  le,  bien,  les  MM.  Maréchal  enten- 


DE  LA  FOND.  DE  N.-D.-DE-GRÂCB  AUX  ELECTIONS  DE  1877        207 

daient  le  faire,  ce  bien,  par  leurs  moyens  propres  et  avec  une 
certaine  pointe  d'exclusivisme.  Il  est  sûr,  en  tout  cas,  la  suite 
de  ce  récit  le  montrera,  que  M.  le  curé  de  Notre-Dame-de-Grâce, 
qui  fut  pourtant  très  généreusement  dévoué  à  l'œuvre  du  Précieux- 
Sang,  ne  le  fut  pas,  révérence  gardée,  sans  un  peu  d'accaparement, 
et  que,  en  dépit  de  ses  bonnes  intentions,  il  fit  souffrir.  Cela 
toutefois  n'empêche  pas  qu'il  ait  été  vraiment,  pour  la  fondation 
du  monastère  de  Montréal,  ainsi  que  nous  avons  dit,  l'homme 
de  Dieu  désigné  par  la  Providence. 

La  dévotion  au  Précieux  Sang,  qu*^  le  Pape  Pie  IX  avait  tant 
recommandée  à  son  retour  de  l'exil  de  Gaëte,  en  1850,  et  à  laquelle 
l'institut  fondé  en  1861  à  Saint-Hyacinthe  avait  donné  au  Canada 
un  si  superbe  élan,  trouva  en  M.  le  curé  Maréchal  l'un  de  ses  plus 
dévoués  apôtres.  Plusieurs  familles  de  sa  paroisse  de  Notre-Dame- 
de-Grâce,  parmi  les  plus  honorables,  les  Hudon,les  Chaputetles 
Décarie,  étaient,  à  son  exemple,  devenues  des  enthousiastes  de 
l'œuvre  de  Mère  Catherine-Aurélie.  Le  19  mars  1874,  jour  de  la 
fête  de  saint  Joseph,  madame  Ephrem  Hudon  passait  quelques 
heures  au   monastère  de  Saint-Hyacinthe  pour  satisfaire  à  sa 
dévotion.   Saint  Joseph,  qu'on  priait  là  si  bien,  l'inspira  sans 
doute.  A  son  retour  à  Montréal,  elle  persuada  son  mari  et  quelques 
parents  ou  amis,  dont  M.  Chaput,  que  le  moment  était  venu  de 
tenter  une  première  démarche  auprès  de  Mgr  Bourget  en  vue 
d'une  fondation   du   Précieux-Sang  à   Montréal.   On   alla   donc 
auprès  du  saint  évêque  en  délégation,  M.  Maréchal  en  tête,  afin 
de  demander  son  autorisation  pour  l'érection  d'un  monastère  à 
Notre-Dame-de-Grâce.  Monseigneur  accueillit  les  délégués  avec 
une  particulière  bienveillance.  Dès  le  7  avril,  M.  le  curé  Maréchal 
se  rendit   à   Saint-Hyacinthe   pour  les   premières   négociations. 
"  Je  souhaite,  avait  dit  Mgr  Bourget,  que  tout  se  fasse  heureu- 
sement et  promptement."   Il  en  fut  ainsi.  D'après  les  conditions 
arrêtées  alors,  que  nous  trouvons  formulées  dans  une  lettre  du 


208 


MEKE   CATHERINE- ATTHELIE 


15  avril  de  M.  Maréchal  à  Mère  Catherine-Aurélie,  la  future 
maison  de  Montréal,  nous  insistons  pour  qu'on  le  remarque  bien, 
devait  être  absolument  dépendante  de  celle  de  Saint-Hyacinthe. 
"  Nous  ne  voulons  pas  fonder  une  nouvelle  communauté  du 
Précieux-Sang,  écrivait-U,  nous  voulons  une  branche  du  petit 
arbre  que  le  Seigneur  a  planté  à  Saint-Hyacinthe."  Plus  tard, 
nous  aurons  l'occasion  de  le  voir,  il  voudrait  autre  chose,  l'excel- 
lent curé  !  Mais,  à  ce  moment,  il  nous  semble  évident  qu'il  était 
sincère. 

Grâce  à  son  zèle,  on  pouvait  dès  lors  disposer,  à  Xotre-Dame- 
de-Grâce,  tout  près  de  son  église  paroissiale,  d'un  logement  provi- 
soire pour  l'installation  des  Sœurs.  Mais  il  fallait  en  plus  s'assurer 
la  possession  d'un  terrain  convenable  pour  la  construction  prévue 
d'un  vrai  monastère.  M.  le  curé  négocia.  H  écrivit  d'abord  à  Saint- 
Hyacinthe  qu'on  lui  demandait  vingt-huit  mille  piastres  pour  un 
terrain  qu'il  avait  en  vue.  C'était  une  grosse  somme.  Les  reli- 
gieuses supplièrent  plus  que  jamais  saint  Joseph.  Ce  ne  fut  pas 
long  !  Le  22  avril,  un  mercredi,  M.  Maréchal  télégraphiait  que 
l'affaire  était  conclue  à  des  conditions  avantageuses.  En  effet, 
le  possesseur  du  terrain,  M.  Décarie,  apprenant  qu'il  s'agissait  de 
l'œuvre  du  Précieux-Sang,  ne  demandait  plus  que  seize  mille 
piastres,  et  encore  avec  des  facilités  de  paiement  toutes  spéciales. 
Le  jour  même,  Mgr  Bourget  approuvait  la  transaction  projetée, 
et,  le  surlendemain,  24  a%Til,  il  écrivait  à  Mgr  Charles  LaRocque, 
ordinaire  de  Saint-Hyacinthf^,  en  résidence  à  Belœil,  pour  lui 
demander  officiellement  un  groupe  de  ses  Sœurs  du  Précieux- 
Sang.  Mgr  Charles  s'empressa  d'acquiescer  à  cette  demande,  et,  à 
Saint-Hyacinthe,  le  pieux  Mgr  Joseph  chanta  avec  ses  filles  le 
plus  fervent  des  Te  Deum.  Le  27  avril.  Mère  Catherine-Aurélie 
visitait,  à  Xotre-Dame-de-Grâce,  la  maison  provisoirement 
destinée  aux  Sœurs.  M.  Maréchal  l'appelait  une  "  étable  de 
Bethléem  ".  mais  la  supérieure  jugea  que  c'était  un  logement 


DE  LA  FOND.  DE  N.-D. -DE-GRACE  AUX  ÉLECTIONS  DE  1877         209 

spacieux  et  fort  convenable.  Les  familles  amies,  que  nous  avons 
plus  haut  nommées,  se  chargèrent  spontanément  de  pourvoir 
aux  premières  nécessités  de  la  future  communauté,  et  M.  Maré- 
chal put  écrire  aimablement  :  "  Les  contemplatives  sont  comme 
les  petits  oiseaux  du  ciel  !  Elles  ne  sèment  point,  mais  elles  ont 
toujours  du  pain  à  manger  et  un  nid  pour  se  reposer." 

Le  mois  de  mai  se  passa  en  préparatifs  de  toutes  sortes,  à 
Saint-Hyacinthe  et  à  Notre-Dame-de-Grâce.  Le  4  juin,  jour  de 
la  Fête-Dieu  cette  année-là,  Mère  Catherine-Aurélie  nomma  les 
"  missionnaires  "  qui  partiraient  pour  Montréal.  Cette  fois 
encore,  elle  fit  le  sacrifice  de  son  assistante  —  c'était  alors  Mère 
Marie-du-Saint-Esprit  —  qu'elle  désigna  comme  supérieure  de  la 
notivelle  mission.  Les  autres  "  élues  "  furent  les  Sœurs  Saint- 
Alphonse,  Marie-du-Crucifix,  Marie-Réparatrice,  Marie-de-Saint- 
Hyacinthe,  Marie-de-l'Eucharistie,  Saint-Louis-de-Gonzague, 
Saint-Jean-l'Évangéliste,  Saint-Bernard  et  Sainte-Fébronie.  La 
cérémonie,  comme  celle  qui  avait  naguère  précédé  le  départ  pour 
Toronto,  fut  très  solennelle.  "  Levez-vous  et  allez,  disait,  à  la 
fin  de  son  allocution,  la  fondatrice  à  ses  filles.  Allez  accomplir  la 
volonté  de  Dieu.  En  ce  moment,  les  anges  vous  regardent  avec 
complaisance  et  vos  sœurs  de  la  terre  envient  votre  bonheur. 
Recevez  l'assurance  de  ma  constante  afiFection  et  acceptez  mes 
remerciements  pour  les  services  que  vous  avez  rendus  à  la  commu- 
nauté .  .  .  Pardonnez-nous,  à  vos  sœurs  et  à  moi,  les  manquements 
qui  auraient  pu  vous  faire  de  la  peine.  Oubliez  tout ...  Je  vous 
lègue  mon  amour  brûlant  pour  le  Précieux  Sang,  ma  soif  du 
salut  des  âmes  et  l'esprit  de  mon  cher  institut.  .  ."  Le  13  juin, 
après  avoir  été  pieusement  préparées  au  sacrifice  par  le  dévoué 
M.  Raymond,  les  partantes  se  mettaient  en  route.  Le  14  enfin, 
elles  étaient  installées,  dans  leur  modeste  logis  de  Notre-Dame- 
de-Grâce,  au  cours  d'une  cérémonie  à  l'église,  présidée  par  Mgr 
Bourget,  qui  fut  d'un  éclat  indescriptible.  "  On  n'aurait  pu  faire 


210  MÈBE  CATHEBINE-AUBÉLIS 

ni  mieux,  ni  davantage,  écrit  l'annaliste,  pour  la  réception  d'un 
roi  !  " 

Mgr  LaRocque  et  M.  le  grand-vicaire  Raymond,  les  co-fonda- 

teurs,  et  Mère  Catherine-Aurélie,  la  fondatrice,  celle-ci  amenant 
avec  elle  sa  nièce,  la  petite  Marie,  devenue  novice  sous  le  nom 
d'Aurélie-de-Jésus,  avaient  tenu  à  accompagner  les  missionnaires 
pour  les  installer  dans  leur  "  mission  ".  Ils  assistaient,  par  consé- 
quent, à  la  belle  cérémonie  du  14.  L'église  était  comble.  Les 
religieuses  voisines  de  la  Congrégation,  les  sœurs  des  anciennes 
maîtresses  de  Mère  Catherine-Aurélie  à  Saint-Hyacinthe,  qui  se 
montrèrent  très  prévenantes  pour  les  arrivantes,  se  trouvaient  là 
également,  comme  aussi  les  principales  dames  de  la  paroisse. 
Les  jeunes  filles  du  célèbre  couvent  de  Villa-Maria  firent  les  frais 
du  chant.  M.  Raymond  prêcha,  et,  naturellement,  il  traita  du 
Précieux  Sang.  M.  le  curé  Maréchal  prononça  ensuite  une  jolie 
allocution  de  bienvenue.  Puis,  l'évêque-officiant,  Mgr  Bourget, 
procéda  à  la  bénédiction  de  la  cloche  du  monastère,  à  laquelle 
il  donna  les  noms  de  la  sainte  Vierge,  de  Mgr  LaRocque,  de  mada- 
me Chaput,  femme  du  donateur,  et  de  la  fondatrice  :  Marie, 
Joseph,  Hélène  et  Aurélie.  Comme  de  juste,  M.  Maréchal  ayant 
pensé  à  tout,  il  y  avait  quantité  de  parrains  et  de  marraines,  et  la 
collecte  fut  fructueuse  !  Elle  se  monta  à  mille  piastres  environ. 
Enfin,  ce  fut,  au  chant  du  Vent  Creator,  l'entrée  des  "  miséion- 
naires  "  dans  leur  logis  provisoire. 

Immédiatement  avant  ce  dernier  acte  de  la  cérémonie,  Mgr 
Bourget  voulut  bien  prendre  la  parole.  Il  avait  alors  75  ans  d'âge 
et  il  était  évêque  depuis  près  de  40  ans.  Nombre  de  communautés, 
qu'il  avait  créées  lui-même  où  qu'il  avait  fait  venir  de  France 
depuis  1840,  lui  devaient  la  vie  à  Montréal,  et,  nous  le  savons, 
il  n'avait  pas  peu  contribué  à  la  naissance  même  du  Précieux- 
Sang  de  Saint-Hyacinthe.  Son  prestige,,  non  seulement  à  Montréal, 
mais  dans  tout  le  pays,  était  considérable.  Son  allocution  à  ses 


DE  LA  FOND.   DB  N.-D.-DE-ORÂCE  AUX  ÉLBCTION8   DE    1877  211 

nouvelles  iBlles,  qui  constitue  un  si  bel  hommage  à  leur  œuvre, 
mériterait  beaucoup  mieux  que  d'être  signalée  au  passage.  "C'est 
à  Bethléem,  leur  disait-il  en  présence  de  cette  brillante  assemblée, 
que  vous  entrez  aujourd'hui.  Les  commencements  des  grandes 
choses  de  la  religion  sont  d'ordinaire  pauvres.  Presque  toujours, 
elles  naissent  dans  une  crèche.  C'est  pour  que  nous  ne  soyions 
occupés  que  du  ciel.  Vous  avez  quitté  votre  diocèse,  votre  famille 
religieuse,  vos  saintes  directrices  et  vous  êtes  accueillies  ici  aux 
acclamations  de  tout  un  peuple  réjoui . .  .  Mais  vous  aurez  des 
croix,  vous  devez  vous  y  attendre,  c'est  votre  mission  de  souffrir 
pour  combattre  le  bon  combat ...  Il  y  a  beaucoup  de  piété  dans 
cette  ville  de  Montréal,  mais  aussi  il  s'y  commet  beaucoup  de 
mal.  Vous  êtes  ici  comme  des  jeunes  Davids,  vous  allez  être 
mises  en  présence  d*un  terrible  Goliath.  Vous  souffrirez  pour 
demander  et  obtenir  pardon  pour  les  uns,  pour  édifier  les  autres 
et  pour  intercéder  à  la  place  de  ceux  que  le  tourbillon  des  affaires 
distraie  des  choses  de  Dieu ..."  L'évêque  de  Germanicopolis  prit 
à  son  tour  la  parole.  "  Vous  annoncez  des  croix  à  mes  filles, 
Monseigneur,  prononça-t-il.  Vous  dirai-je  que  la  même  pensée 
m'est  venue  au  cours  de  ces  cérémonies  ?  Cette  pompe  et  ce  triom- 
phe, ne  serait-ce  pas  le  jour  des  Rameaux  f  Non,  ce  peuple  sera 
constant.  Cependant,  comme  vous,  Monseigneur,  je  dis  à  mes 
filles  qu'elles  doivent  s'attendre  à  souffrir.  Si  ce  n'est  pas  de  la 
part  des  hommes,  ce  sera  de  la  part  de  Dieu,  ou  de  la  part  du 
démon,  ou  encore  de  celle  de  leur  propre  esprit,  et  ce  ne  sera  pas 
ce  qui  leur  sera  le  moins  sensible."  Mgr  Bourget  ajouta  un  mot  : 
*  Elles  ont  dû,  vos  filles,  Monseigneur,  apprendre  la  science  de  la 
croix  !  ** 

Le  dimanche,  21  juin,  on  lut  en  chaire  le  mandement  de  Mgr 
l*évêque  de  Montréal,  du  12  du  même  mois,  annonçant  au  diocèse 
l'arrivée  à  Notre-Dame-de-Grâce  des  Sœurs  du  Précieux-Sang. 
Aux  dix  congrégations  religieuses  qui  se  partageaient  dans  Mont- 


212  MÈRE  CATHERINE- ATTBÉLIE 

réal  les  œuvres  de  charité  et  d'éducation,  le  saint  évêque  se  disait 
très  heureux  d'ajouter  cette  communauté  vouée  à  la  contem- 
plation. "  Cette  communauté  est  encore  jeune,  écrivait-il,  elle 
compte  à  peine  quatorze  ans  d'existence.  Mais  elle  a  pris  naissance 
sous  nos  yeux,  elle  a  été  formée  à  la  vie  religieuse  par  des  maîtres 
expérimentés,  elle  a  été  arrosée  avec  soin  des  eaux  vivifiantes  de 
l'instruction  religieuse,  de  la  grâce  divine  et  du  Précieux  Sang.  .  . 
La  voix  de  cette  communauté  contemplative,  comme  celle  de  la 
tourterelle  de  l'Écriture,  s'est  fait  entendre...  Elle  a  retenti 
dans  notre  voisinage  avec  des  gémissements  ineffables .  .  .  Elle 
proclame  avec  l'Église,  à  toutes  les  heures  du  jour  et  delà  nuit: 
"  Que  le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  garde  vos  âmes 
pour  la  vie  éternelle!  ".  .  .Mgr  Bourget  entrait  ensuite  dans  de 
belles  considérations  pour  établir  quels  avantages  ce  serait  de 
posséder  au  pied  du  Mont-Royal  cet  institut,  pour  l'affermisse- 
ment des  bons  dans  le  bien,  pour  la  préservation  de  ceux  qui  sont 
exposés  à  tomber  dans  le  mal,  pour  le  salut  surtout  des  pauvres 
pécheurs.  "  0  Agneau  de  Dieu,  divin  Jésus,  terminait-il,  après  le 
dispositif  qui  réglait  les  conditions  de  l'installation  de  la  commu- 
nauté nouvelle,  vous  qui  avez  lavé  nos  robes  et  purifié  nos  cons- 
ciences dans  votre  sang  adorable,  afin  de  nous  préparer  au  festin 
de  vos  noces .  .  . ,  nous  vous  en  supplions,  daignez  bénir  cette 
nouvelle  œuvre  qui  commence  ici  sous  les  auspices  de  votre 
sang  divin.  Arrosez-la  de  cette  divine  rosée  qui  la  rende  féconde 
et  lui  fasse  porter  des  fruits  abondants  de  salut  !  " 

Ce  témoignage  rendu  à  la  grandeur  et  à  l'efficacité  de  leur 
œuvre,  et  venu  de  ?i  haut,  ne  pouvait  pas  ne  pas  toucher  profon- 
dément les  cœurs  sensibles  de  Mère  Catherine-Aurélie  et  de  ses 
filles,  non  seulement  à  Notre-Dame-de-Grâce,  mais  aussi  à 
Saint-Hyacinthe  et  à  Toronto.  A  quelques  jours  de  là,  l'évêque 
de  Saint-Hyacinthe,  Mgr  Charles  LaRocque,  qui  vivait  à  Belœil, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  écrivait,  en  date  du  16  juin,  une 


DE  LA  FOND.    DE  N.-D.-DE-GrAcE  AUX  ÉLECTIONS  DB  1877  213 

lettre  pastorale  sur  la  fête  du  Précieux  Sang,  dans  laquelle,  à  son 
tour,  il  rendait  un  bel  hommage  à  l'œuvre  de  son  prédécesseur 
dans  la  fondation  de  l'institut.  Après  avoir  rappelé  comment  le 
pape  Pie  IX,  alors  glorieusement  et  douloureusement  régnant, 
avait  été  amené,  à  son  retour  de  l'exil  de  Gaëte,  en  1850,  à  instituer 
cette  fête  pour  honorer  spécialement  le  sang  divin  qui  a  sauvé  le 
monde,  et  qu'on  adore  à  si  juste  titre  depuis  la  cène  et  le  calvaire, 
Mgr  de  Saint-Hyacinthe  se  félicitait  que  son  diocèse  eût  su,  grâce 
à  ses  deux  prédécesseurs,  répondre,  "  plus  qu'aucun  autre  peut- 
être  ",  à  la  grande  voix  du  pape  appelant  les  âmes  à  la  glorification 
du  Précieux  Sang.  Parlant  ensuite  de  l'institut  de  Mère  Catherine- 
Aurélie  en  particulier,  il  écrivait  :  "  Le  ciel  a  béni  cette  œuvre. 
Fondée  sans  aucunes  ressources,  elle  a  été  soutenue  par  des 
libéralités  inattendues  que  la  Providence  lui  a  envoyées.  Des 
sujets  en  grand  nombre  lui  sont  venus  de  toutes  parts.  Véritable 
grain  de  sénevé,  elle  a  pris,  là  même  où  elle  est  née,  à  Saint- 
Hyacinthe,  de  grands  développements.  Bientôt,  une  tige  s'en  est 
détachée  pour  être  transplantée  à  une  grande  distance ..." 
Ayant  aussi  signalé,  avec  faveur,  la  fondation  de  Notre-Dame- 
de-Grâce,  qui  se  faisait  à  ce  moment,  cinq  ans  après  celle  de 
Toronto,  Mgr  l'évêque  continuait  en  traitant  longuement  et 
doctement  du  bien  fondé  doctrinal  de  la  dévotion  au  Précieux 
Sang.  Ajouté  à  celui  de  Mgr  Bourget,  ce  témoignage  de  sympathie, 
donné  à  leur  œuvre  par  leur  évêque  diocésain,  était  bien  de 
nature,  on  le  comprend  sans  peine,  à  encourager  puissamment 
Mère  Catherine-Aurélie  et  ses  pieuses  filles. 

La  fondatrice  demeura  plusieurs  semaines  à  Notre-Dame-de- 
Grâce.  Sa  compagne  de  voyage,  sa  nièce  Sœur  Aurélie-de-Jésus, 
devait  faire  là  sa  profession,  dans  l'église  paroissiale,  le  15  août. 
Mgr  de  Germanicopolis  vint  la  préparer  et  recevoir  ses  vœux, 
et  ce  fut  Mgr  Pinsonnault,  évêque  de  Birtha,  qui  avait  pris  sa 
retraite  à  l'évêché  de  Montréal,  après  avoir  été  le  premier  évêque 


214  MÈBE  CATHEBINB-AtJBÉLU! 

de  London   de  1856  à  1866,  qui  prêcha  le  sermon  de  circonstance 
sur  l'importance  de  la  vie  contemplative.  Le  18  août,  Mgr  La- 
Rocque,    Mère   Catherine-Aurélie  et   sa   compagne,    maintenant 
professe,  retournaient  à  Saint-Hyacinthe.  Tout  le  temps  qu'elle 
avait  vécu  à  Montréal,  la  fondatrice  n'avait  cessé,  comme  naguère 
à  Toronto,  de  recevoir  des  visites  et  d'être  l'objet  de  la  véné- 
ration de  tous.   Elle  en   manifestait  souvent  sa  surprise  et  sa 
confusion  à  ses  filles,  leur  répétant  même  avec  larmes  qu'elle  était 
indigne  de  toute  cette  attention  et  que  Dieu,  en  se  servant  d'elle 
pour  activer  la  foi  et  la  piété  de  tant  de  gens,  utilisait  un  bien 
pauvre  instrument.  Le  19  août,  au  lendemain  de  son  retour  à 
Saint-Hyacinthe,  elle  leur  écrivait  :  "  Je  vous  ai  quittées,  maii  je 
suis  avec  vous  plus  que  jamais  peut-être,  parce  qu'ici  on  ne  parle 
que  de  vous .  .  .   J'ai  retrouvé  au  cher  berceau  d'autres  enfants 
toutes  joyeuses  de  me  revoir  et  exprimant  leurs  transports  avec 
une  expression  qui  m'allait  au  cœur.  La  joie  d'être  avec  elles  et  le 
regret  de  vous  avoir  quittées  se  confondaient  en  moi  avec  une 
force  singulière...   Aimons  en  souffrant,  mes  bien-aimées  filles, 
mêlons  ensemble  le  sang  et  les  larmes  de  nos  cœurs  déchirés  par 
la  séparation  et  offrons-les  à  Jésus  comme  un  calice  d'actions 
de  grâces.  .  .  Je  ne  saurais  oublier  vos  dignes  voisins  et  voisines, 
doués  d'âmes  si  sensibles  et  si  bonnes.  Oh  !  dites-leur  à  tous  que 
je  les  aime  de  cet  amour  qui  se  sent  pressé  de  donner ...  Je  leur 
donne  le  sang  de  Jésus,  mon  unique  trésor.  Je  leur  donne  le  fruit 
de  mes  petits  sacrifices  et  de  mes  souffrances.  Je  leur  donne  en  un 
mot  tout  ce  que  Notre-Seigneur  me  permet  de  donner.  Il  sait,  lui, 
jusqu'où  va  ma  reconnaissance.  Saluez-les  pour  moi,  remerciez-les 
pour  moi,  sauvez-les  avec  moi.    Puis,  faites  le  bonheur  de  votre 
père  spirituel  (M.  Maréchal).,  comme  vous  faites  celui  de  votre 
aiinante  mère." 

Au  mois  de  novembre  suivant,  vu  le  nombre  de  postulantes  qui 
se  présentaient   à  Notre-Dame-de-Grâce,   Mgr  Bourget   décida 


DE  LA  FOND.   DE  N.-D.-DE-Ob1cB  AUX  ELECTIONS    DE  1877  215 

d'ouvrir  un  noviciat  et  fit  une  ordonnance  fixant  cette  ouverture 
au  13,  jour  de  la  fête  de  saint  Stanislas  Kostka.  Mère  Catherine- 
Aurélie,  en  revenant  d'un  voyage  à  Toronto,  put  se  donner  la 
consolation  d'y  assister.  La  cérémonie  fut  présidée  par  Mgr  Fabre, 
évêque  coadjuteur  de  Mgr  Bourget  depuis  le  1er  avril  1873. 
Mgr  de  Germanicopolis,  qui  était  venu  préparer  saintement  la 
communauté  à  l'événement,  commenta  heureusement  l'ordon- 
nance de  l'évêque  de  Montréal,  montrant  que  la  confiance  du 
vénéré  prélat  créait  à  ses  chères  filles  une  obligation  nouvelle 
d'être  plus  complètement  fidèles  à  leurs  devoirs  d'adoratrices- 
expiatrices.  Il  les  plaça  spécialement  sous  le  patronage  de  saint 
Stanislas,  le  si  parfait  modèle  des  novices  et  des  religieux.  Il  leur 
proposa  comme  programme  de  vie,  le  molto  du  jeune  saint; 
**  Peu  de  choses  avec  beaucoup  d'obéissance.  "  Cinq  jeunes  vierges 
commençaient,  ce  jour-là,  leur  noviciat.  Mère  Marie-du-Saint- 
Esprit  fut  nommée  maîtresse  des  novices  et  Sœur  Marie-Répa- 
ratrice sous-maîtresse.  En  exhortant  ses  nouvelles  enfants  à 
beaucoup  de  courage,  la  fondatrice,  avant  de  les  quitter,  le  21 
novembre,  leur  dit  :  "  La  croix  est  un  pont  divin  par  lequel  il 
faut  absolument  passer  pour  aller  au  ciel,"  C'est  là  une  parole 
qui  est  dure  à  la  nature,  mais  combien  elle  est  juste  et  vraie!  On  ne 
se  donne  à  Dieu  et  à  la  contemplation  qu'à  cette  condition.  Celui 
ou  celle  qui  veut  suivre  Jésus  jusqu'au  bout,  doit  d'abord  se 
renoncer  et  accepter  la  croix  —  Qui  vult  post  me  venire,  ahneget 
semetipsum  et  tollat  crucem. 

A  Saint-Hyacinthe  aussi,  cela  va  sans  dire,  on  s'efforçait  d'en- 
trer dans  l'esprit  de  la  croix  pour  mieux  suivre  Notre-Seigneur  et 
rendre  davantage  kommage  à  son  Précieux  Sang.  Dans  une  lettre 
du  20  septembre  de  ce  même  automne,  à  ses  filles  du  monastère 
de  la  montagne,  ainsi  qu'elle  appelle  la  maison  sise  au  pied  du 
Mont-Royal,  la  fondatrice  annonce  que,  depuis  le  17,  un  véritable 
cloître  existe  avec  de  sévères  grilles  au  berceau  de  l'institut. 


216 


MEBE  CATHERINE- AUBELIE 


"  Cette  bien-aimée  clôture,  écrit-elle,  va  nous  donner  roecasion 
de  faire  plus  d'un  sacrifice.  Je  la  bénis  pourtant  avec  amour,  non 
pas  parce  qu'elle  nous  sépare  de  nos  amis,  mais  parce  qu'elle 
nous  contraint  de  nous  immoler  davantage  pour  eux  et  pour 
notre  œuvre."  —  "  La  maison-mère,  ajoute-t-elle,  pourra  ainsi 
donner  l'exemple  de  la  sévérité  claustrale  aux  deux  autres  monas- 
tères. Les  visites  ne  seront  reçues  qu'au  parloir,  et  il  ne  s'y  trouve 
pas  un  seul  petit  guichet.  Tout  effet  ou  papier,  que  l'on  veut 
passer  à  une  Sœur,  devra  être  confié  à  la  portière,  qui,  comme  il 
est  dit  dans  la  règle,  les  remettra  tout  de  suite  à  la  supérieure. 
De  plus,  aucune  visite  ne  sera  reçue  après  5  h.  30,  à  moins  de 
raisons  exceptionnelles.  Je  vous  mentionne  toutes  ces  décisions, 
approuvées  et  bénies  par  Mgr  le  fondateur,  pour  qu'elles  soient 
la  règle  chez  vous  comme  ici.  .  ." 

L'institut  avait  désormais  trois  monastères.  Qu'adviendrait-il 
de  l'esprit  d'union  entre  les  Sœurs  des  diflérentes  maisons  ? 
Naturellement,  les  fondateurs  désiraient  ardemment  qu'il  se 
conservât.  "  Rien,  je  m'en  flatte,  écrivait  Mère  Catherine- 
Aurélie,  le  26  décembre  1874,  à  ses  filles  de  la  montagne,  ne  vien- 
dra jamais  affaiblir  ces  chaînes  si  douces  et  si  sacrées  qui  feront  de 
nos  petites  bergeries  une  seule  et  même  communauté,  ayant 
les  mêmes  règles,  les  mêmes  usages  et  coutumes  et  le  même 
esprit."  Et  Mgr  Joseph,  le  vénéré  fondateur,  disait  pareillement, 
dans  sa  lettre  du  1er  janvier  1875,  aux  Sœurs  de  Notre-Dame- 
de-Grâce  :  "  Oh  !  qu'il  plaise  au  Seigneur  de  maintenir  toujours 
dans  la  plus  étroite  et  la  plus  fraternelle  union  les  divers  monas- 
tères de  l'institut  !  Qu'il  n'y  ait  entre  eux  qu'un  même  esprit 
et  que  leurs  communes  règles  soient  toujours  l'objet  de  leur  affec- 
tion !  Que  chaque  maison  appréhende  de  jamais  donner  l'exemple 
de  la  moindre  "  dégénération  "  dans  ces  dispositions  qui  causent 
tant  de  bonheur  aujourd'hui  !  "  C'était  aussi  le  sentiment  de 
Mgr  Bourget.  Peu  de  temps  après  la  fondation  de  Notre-Dame- 


DE  LA  FOND.   DE  N.-D.-DE-OrAcE  AUX  ÉLECTIONS    BE   1877  217 

de-Grâce,  il  écrivait,  en  effet,  à  Mgr  Joseph  :  "  Toutes  les  fonda- 
tions doivent  demeurer  tendrement  et  fortement  unies  au  berceau 
de  l'institut.  S'il  est  vrai  de  dire  en  général  que  l'union  fait  la 
force  et  que,  suivant  l'oracle  de  Notre-Seigneur,  tout  royaume 
divisé  tombe  en  ruines,  cela  doit  bien  surtout  s'entendre  des 
branches  d'une  communauté.  En  se  séparant  les  unes  des  autres, 
elles  ne  doivent  pas  cesser  de  vivre  de  la  même  sève,  afin  de  porter 
les  mêmes  fruits.  . ." 

Mais  l'union,  surtout  entre  des  maisons  cloîtrées,  doit  s'entendre 
avec  de  nécessaires  restrictions.  Dès  le  18  janvier  1875,  Mgr 
Joseph,  répondant  à  ses  filles  de  Montréal,  qui  avaient  exprimé 
le  désir  de  posséder  encore  leur  chère  Mère  Catherine-Aurélie 
au  milieu  d'elles,  leur  disait  :  "  La  retraite  va  commencer  ici  le 
3  février,  votre  Mère  est  souvent  malade,  ce  voyage  est  difficile. 
Et  puis,  pour  être  franc  avec  vous,  je  dois  vous  avouer  que  cet 
bonne  Mère  n'est  pas  tout  à  fait  libre  de  suivre  les  mouvements 
de  son  cœur  à  ce  sujet.  Nos  Seigneurs  les  évêques,  surtout  celui 
de  Saint-Hyacinthe  (Mgr  Charles),  ne  verraient  pas  d'un  bon 
œil  un  voyage  si  rapproché  de  ceux  qu'elle  a  déjà  faits.  Il  faut 
compter,  vous  le  comprenez,  avec  la  manière  de  voir  des  premiers 
supérieurs,  qui  sont  les  anges  gardiens  des  épouses  de  Notre- 
Seigneur.  Sous  ce  rapport,  je  dois  m'incliner  comme  vous.  Il  faut 
donc  refouler  dans  vos  cœurs  votre  filial  désir.  Je  suis  tout  triste 
avec  vous,  mais  ma  raison  redresse  le  penchant  de  ma  tendresse. 
Abnégation  donc  !  Offrons  ce  sacrifice  à  Jésus  et  à  sa  sainte  mère  !  " 

L'abnégation,  la  croix,  nous  savons  déjà  que  Mère  Catherine- 
Aurélie  ne  voulait  rien  autre  chose,  ni  pour  ses  filles,  ni  pour  elle- 
même.  Le  13  mai  1875,  nous  lisons  sous  sa  plume  à  l'adresse  de  la 
supérieure  du  monastère  de  la  montagne  :  "  Vous  êtes  sur  le 
chandelier,  ma  chère  fille,  vous  êtes  la  fondatrice  d'une  maison  .  .  . 
Je  cède  à  l'impulsion  de  mon  cœur,  je  vous  donne  pour  livre  de 
sagesse  et  de  science  la  croix  rougie  du  sang  de  notre  Jésus  et  je 


218  II&BE  CATHEBINE-AUBÉLIE 

laisse  à  votre  mystique  époux  le  soin  de  vous  expliquer  toutes 
les  grandeurs  et  toutes  les  beautés  de  cet  ineffable  don ..."  Le 
11  juin,  pour  l'anniversaire  du  14,  elle  écrit  à  la  même,  mais  à 
l'intention  de  toutes  ses  filles  :  "  Recueillez  bien  soigneusement 
les  enseignements  qui  découlent  pour  vous  des  bienfaits  du 
Seigneur.  Apprenez  à  aimer  d'autant  plus  que  vous  êtes  plus 
aimées,  à  pimer  comme  des  vierges,  à  vous  immoler  comme  des 
victimes,  unissant  toujours  la  pénitence  à  l'amour,  puisque 
l'amour  sans  la  pénitence  est  une  fleur  sans  fruit.  .  ."  Enfin,  le 
30  juin,  préludant  à  la  fête  du  Précieux  Sang,  elle  écrit  encore, 
toujours  aux  mêmes  :  "  J'attends  tout  du  sang  divin  de  Jésus.  Il 
me  semble  que,  dimanche  prochain,  Dieu  vous  regardera  comme 
des  créatures  nouvelles,  toutes  rajeunies  dans  le  sang  de  son  fils 
et  que  Jésus  lui-même  pourra  se  dire  avec  délice  :  "  Voilà  les 
vierges  que  le  vin  de  mon  sang  a  fait  germer  et  qui  sont  toutes 
blanches  et  toutes  aimables  comme  je  voudrais  qu'elles  fussent 
toujours  !  " 

Le  15  juillet  1875,  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe,  Mgr  Charles 
LaRocque,  mourait  à  l'Hôtel-Dieu  de  sa  ville  épiscopale,  d'une 
maladie  qui  le  minait  depuis  longtemps,  à  66  ans  d'âge,  43  ans  de 
sacerdoce  et  9  ans  d'épiscopat.  Nous  avons  déjà  raconté  qu'il 
avait  presque  toujours  vécu  à  Belœil,  loin  de  son  évêché,  et  qu'il 
s'était  occupé  moins  qu'il  ne  l'aurait  fait  en  d'autres  circonstances 
de  ses  Sœurs  du  Précieux-Sang.  Mais  nous  savons  de  même  qu'il 
ne  leur  avait  pas  ménagé  ses  encouragements  et  que  toute  sa 
bienveillance  leur  était  acquise.  Au<!si,  a-t-on  gardé  de  lui  dans 
rin«titut  un  excellent  souvenir.  Le  fait  qu'il  était  le  cousin  de 
Mgr  Joseph  et  qu'il  le  laissa  à  peu  près  gouverner  la  communauté 
à  sa  guise  n'a  pas  manqué  sans  doute  d'y  contribuer.  Cinq  jours 
avant  de  mourir,  le  10  juillet,  sentant  venir  sa  fin,  et  pour  se  con- 
former à  une  "  recommandation  expresse  "  de  Rome,  il  avait 
pourvu  le  diocèse  pour  la  vacance  du  siège  et  nommé  adminis» 


DB  LA  FOND.  DB  N.-D.-DB-GrAcB  AUX  âLBCTIONS   DB  1877  219 

trateur  l'un  de  ses  grands- vicaires  (les  autres  étaient  Mgr  Joseph 
et  M.  Raymond)  qui  était  aussi  son  chancelier,  M.  l'abbé  Louis- 
Zéphirin  Moreau.  Le  19  novembre  suivant  le  même  M.  Moreau 
était  élu  évêque  de  Saint-Hyacinthe,  et  il  était  sacré  par  Mgr 
Taschereau  et  prenait  possession  le  16  janvier  1876.  Secrétaire  de 
l'évêché  depuis  1852,  bras  droit  tour  à  tour  de  Mgr  Prince  et  des 
deux  Mgr  LaRocque,  curé  de  la  cathédrale  et  vicaire  général 
depuis  1869,  à  quatre  reprises  administrateur  du  diocèse,  Mgr 
Moreau  était  qualifié  comme  personne  pour  le  haut  poste  d'honneur 
auquel  il  était  appelé.  Il  devait  gouverner  le  diocèse  jusqu'à  sa 
mort  (24  mai  1901).  En  montant  sur  le  siège  épiscopî«l  de  Saint- 
Hyacinthe,  il  devenait,  par  le  fait,  le  premier  supérieur  du  Précieux- 
Sang.  Comme  son  prédécesseur,  il  laissa  cependant,  en  grande 
partie,  la  gouverne  spirituelle  du  monastère  à  Mgr  Joseph,  ce  qui 
ne  l'empêcha  pas  d'en  garder  la  haute  surveillance,  ni  d'intervenir, 
quand  il  le  jugea  à  propos,  et  avec  une  fermeté  parfois  plutôt 
rude,  ainsi  que  nous  le  verrons  dans  la  suite. 

Cependant,  nous  l'avons  dit,  les  constructions  du  monastère 
de  Saint-Hyacinche,  de  1872  à  1876,  étaient  restées  en  plan.  De- 
puis le  départ  de  M.  Lecours,  en  septembre  1873,  on  se  demandait 
qui  le  remplacerait  dans  le  rôle  ingrat  de  pourvoyeur  matériel 
ou  de  père  nourricier.  On  priait  avec  ferveur  saint  Jojeph,  mais, 
comme  avait  dit  l'annaliste,  le  bon  ^aint  ne  se  pressait  pas. 
Son  heure  vint  l'année  même  de  l'accession  de  Mgr  Moreau  au 
trône  épiscopal.  Un  nouveau  Joseph,  en  chair  et  en  os,  fut  donné 
par  la  Providence  à  l'institut,  et  ce  fut  M.  l'abbé  de  la  Croix. 
Ce  prêtre  distingué,  très  versé  dans  les  beaux-arts  et  d'un  talent 
d'organisateur  hors  pair,  était  natif  de  France.  Charles-Marie- 
Gabriel-Roch-Gaston  de  la  Croix  de  Ca stries  de  Mérangues  et 
Ganjac  —  un  nom  de  la  noblesse  évidemment  —  était  né  à  Paris, 
le  7  octobre  1836,  nous  apprend  le  dictionnaire  de  M.  l'abbé 
Allaire,  et  il  avait  été  ordonné  prêtre,  le  29  janvier  1869,  à  Feld- 


220  MÈRE  CATHEBINE-AURÉLIE 

kirke,  en  Autriche.  On  le  trouve  à  Montréal  en  1874  et  il  vint 
résider  à  Saint-Hyacinthe  en  1875.  Il  semble  bien  qu'on  ne  connut 
jamais  rien,  ou  à  peu  près,  au  Canada,  de  son  passé,  et  il  reste, 
même  pour  l'institut  qu'il  a  obligé  avec  tant  de  zèle  et  d'intel- 
ligente activité,  un  personnage  assez  mystérieux.  Il  fut  aumônier 
au  Précieux-Sang,  ou  tout  au  moins  il  y  séjourna  en  qualité 
d'hôte  de  Mgr  LaRocque,  de  1875  à  1882.  Il  partit  ensuite  pour 
les  Etats-Unis  et  l'on  n'eut  de  lui,  après  cette  époque,  que  fort  peu 
de  nouvelles.  La  tradition  se  conserve  au  monastère,  et  d'ailleurs 
ses  multiples  noms  et  prénoms  l'indiquent  suffisamment,  que 
M.  de  la  Croix  appartenait  à  une  très  grande  famille.  Il  est  sûr, 
en  tout  cas,  qu'il  était  parent  ou  allié  du  comte  de  Montalembert. 
Ce  prêtre  de  France  était  un  artiste  dans  tous  les  genres.  Il  excel- 
lait, en  particulier,  dans  les  arts  de  l'architecture  et  de  la  peinture. 
D'une  discrétion  parfaite,  qui  ne  laissait  pas  que  d'intriguer  un 
peu,  sur  tout  ce  qui  le  concernait  personnellement,  il  était  par 
ailleurs  assez  ouvert  et  communicatif .  Sa  piété,  pour  tous  ceux  qui 
l'ont  connu,  était  évidemment  sincère,  mais  elle  avait  un  brin 
d'excentricité  qui  ne  plaisait  pas  à  tous.  Il  ne  fut  jamais  très 
répandu,  ni  très  populaire,  dans  les  milieux  du  clergé  de  Saint- 
Hyacinthe.  Tous  cependant  rendaient  hommage  à  son  zèle. 
Pendant  les  six  ans  qu'il  passa  au  Précieux-Sang,  son  dévouement 
à  l'œuvre  fut  inlassable  et  au-dessus  de  tous  les  éloges.  Si  l'on  en 
croit  un  renseignement  particulier,  dont  nous  n'avons  pu  toute- 
fois vérifier  l'exactitude,  il  serait  mort  quelques  années  après  la 
fondation  du  monastère  du  Précieux-Sang  de  Portland,  qui  se 
fit  en  1892,  dans  un  hôpital  de  San  Francisco,  en  Californie. 

Peu  de  temps  après  son  arrivée  à  Saint-Hyacinthe,  au  prin- 
temps de  1876,  M.  l'abbé  de  la  Croix  se  sentit  la  confiance  de 
continuer  l'œuvre  de  M.  Lecours,  et  il  ofifrit  à  la  communauté 
de  diriger  les  travaux  nécessaires  à  l'achèvement  de  l'intérieur  de 
la  chapelle  et  du  chœur  des  religieuses.  Avec  l'approbation  de  Mgr 


DE  LA  FOND.    DE  N.-D. -DE-GRÂCE   AUX  ÉLECTIONS    HE   1877  221 

Moreau,  on  acquiesça  à  sa  généreuse  proposition.  Sans  tarder,  il 
se  mit  à  l'œuvre.  "  Homme  d'initiative  et  de  ressources  remar- 
quables, lisons-nous  au  Livre  d'or,  architecte,  peintre,  décorateur, 
artiste  en  tous  les  genres,  l'abbé  de  la  Croix  engagea  un  certain 
nombre  de  menuisiers  et  de  maçons,  dont  il  dirigeait  lui-même 
les  travaux.  En  quelques  jours,  une  grande  partie  du  plancher  et  de 
la  voûte  était  terminée,  ainsi  que  la  grille  du  chœur,  la  balus- 
trade et  un  autel  romain  fort  convenable."  Toujours  est-il  que, 
le  19  juillet,  l'exercice  public  du  mois  du  Précieux  Sang  se  faisait 
dans  la  nouvelle  chapelle  et  que,  le  28,  pour  la  première  fois,  on 
y  disait  la  messe.  Les  travaux  avaient  été  interrompus  pendant 
quatre  ans,  mais  le  nouveau  Joseph  se  montrait  expéditif.  "  Pour 
la  circonstance  (celle  de  la  première  messe),  raconte  encore  le 
Livre  d'or,  le  temple,  pauvre  et  nu,  avait  été  décoré  le  mieux  qu'on 
avait  pu.  Nos  annales  précisent  que  tout  y  était  rouge  et  blanc. 
Sept  autels  temporaires  avaient  été  érigés  dans  la  vaste  enceinte 
en  l'honneur  des  sept  effusions  du  Précieux  Sang.  Sur  cinq  de 
ces  autels,  le  saint  sacrifice  fut  offert  simultanément.  Les  cinq 
officiants  étaient  Mgr  Moreau,  Mgr  de  Germanicopolis,  M.  le 
grand-vicaire  Raymond,  M.  Desmazures,  sulpicien  de  Montréal, 
et  un  jeune  prêtre,  qui  disait  ce  matin-là  sa  deuxième  messe,  M. 
l'abbé  Saiil  Gendron .  .  .  Quel  délicieux  et  émouvant  spectacle  pour, 
nos  cœurs  que  celui  que  présentaient  à  nos  yeux  ces  cinq  ministres 
du  Seigneur,  tous  revêtus  de  chasubles  rouges,  célébrant,  pour  la 
première  fois,  dans  notre  nouveau  sanctuaire,  la  messe  votive 
du  Précieux  Sang!  " 

Ce  n'était  cependant  qu'une  sorte  de  prise  de  possession 
temporaire. Pendant  plusieurs  mois,  on  dut  poursuivre  les  travaux, 
et,  chaque  fois  qu'on  faisait  là  un  exercice,  et  c'était  plutôt  rare- 
ment, il  fallait,  tout  de  suite  après,  reporter  le  saint  Sacrement 
au  tabernacle  de  la  maison  blanche.  Enfin,  le  8  décembre  1876, 
en  la  fête  de  l'Immaculée  Comception,  Notre-Seigneur  prenait 


222  MÈRE  CATHEBINB-AURéLIB 

possession  de  la  nouvelle  chapelle,  et,  les  religieuses,  de  leur 
chœur.  La  communauté  quittait  pour  toujours  le  petit  sanctuaire 
aimé,  où,  depuis  le  14  septembre  1863,  s'étaient  faites  toutes  les 
vêtures  et  toutes  les  professions,  et  où,  depuis  treize  ans,  on  avait 
vécu  en  adorant  et  en  expiant.  H  y  a  quelque  chose  de  triste  dans 
tout  ce  qui  finit.  Les  adieux  à  la  modeste  chapelle  ne  se  firent  pas 
sans  serrement  de  cœur  et  sans  quelques  larmes.  Au  dernier 
exercice,  le  soir  de  la  veille  du  8  décembre,  Mgr  Joseph  rappela  en 
termes  émus  les  jours  écoulés  dans  ce  lieu  béni,  les  prières  et  les 
sacrifices  offerts  à  Jésus,  les  grâces  qu'on  y  avait  reçues.  Sentant 
le  besoin  de  rendre  un  hommage  de  gratitude  aux  deux  généreux 
pères  nourriciers  que  la  Providence  avait  suscités,  il  ajouta  ;  "  A 
peu  près  vers  l'époque  où  se  fondait  votre  institut,  il  y  avait,  en 
France,  un  cœur  de  jeune  homme  qui  se  trouva  épris  d'une  vive 
dévotion  envers  le  Précieux  Sang.  Devenu  un  prêtre  fervent,  ce 
jeune  homme  est  venu  au  Canada.  Il  a  connu  et  aimé  votre  œuvre. 
Avec  quelle  générosité  et  quelle  activité  il  s'y  dévoue,  vous  le 
savez.  Je  suis  heureux  de  vous  le  dire,  mes  chères  filles,  et  je  vous 
le  dis  avec  un  sentiment  de  vive  gratitude,  sans  le  premier  bien- 
faiteur que  fut  M.  Lecours,  nous  n'aurions  pas  pu  commencer 
nos  constructions,  et,  sans  le  généreux  M.  de  la  Croix,  nous  n'au- 
rions pas  pu  les  continuer."   Et  l'on  chanta  le  Te  Deum. 

Le  16  janvier  1877,  la  nouvelle  chapelle  fut  solennellement  bé- 
nite. C'était  au  premier  anniversaire  de  la  consécration  de  Mgr 
Moreau.  Une  délicate  attention  du  digne  évêque  avait  fixé  ce  jour, 
qui  devait  naturellement  réunir  à  Saint-Hyacinthe  nombre  de 
prêtres  et  même  y  amener  quelques  évêques,  pour  la  pieuse  céré- 
monie. Elle  fut  consolante,  pour  Mère  Catherine-Aurélie  et  pour 
ses  filles,  autant  qu'elle  fut  imposante.  Mgr  Fabre,  le  nouvel 
évêque  de  Montréal,  la  présida.  Le  8  septembre  1876,  Mgr  Bourget, 
chargé  d'ans  et  de  mérites,  annonçait,  en  effet,  dans  une  JLettre 
'pastorale  remarquable  de  dignité  et  d'humilité  personnelle,  que  le 


\ 


DE  LA   FOND.    DE  N.-D.-DE-GR ACE   AUX  ÉLECTIONS    PB  1877  223 

Saint-Siège  avait,  le  19  juillet  précédent,  accepté  sa  démission 
comme  évêque  de  Montréal.  Son  coadjuteur  depuis  1873,  Mgr 
Edouard-Charles  Fabre,  lui  succédait  par  le  fait  même.  Né  à 
Montréal  (20  février  1827),  le  nouvel  évêque  de  ce  diocèse,  avait 
fait  ses  humanités  au  séminaire  de  Saint-Hyacinthe,  puis,  après 
un  séjour  d'étude  à  Issy  (Paris),  il  avait  été  ordonné  prêtre  à  Mont- 
réal par  Mgr  Prince  (23  février  1850).  Élu  évêque  de  Gratianapolis 
et  coadjuteur  de  Mgr  Bourget,  le  1er  avril  1873,  il  avait  été  sacré 
à  l'église  du  Gésu  (Montréal),  par  Mgr  Taschereau,  le  1er  mai 
suivant.  C'était  en  un  sens  un  enfant  de  Saint-Hyacinthe,  et 
c'était  un  doux  et  un  pacifique.  Mais,  comme  tous  ceux  qui  ont 
conscience  de  leurs  responsabilités,  il  tenait  à  ses  vues,  quand  il 
les  savait  ou  les  croyait  justes.  Pour  la  direction  d'une  communauté 
cloîtrée,  par  exemple,  nous  verrons  qu'il  estimait  plus  conve- 
nable la  séparation  assez  complète  d'une  maison-fille  d'avec  la 
maison-mère,  surtout  si  les  deux  étaient  sises  dans  des  diocèses 
différents.  Il  vint  avec  bonheur,  lui  qui  aimait  tant  les  cérémonies 
religieuses,  présider,  le  16  janvier  1877,  celle  de  la  bénédiction 
de  la  nouvelle  chapelle  du  Précieux-Sang,  à  laquelle  la  coïncidence 
du  premier  anniversaire  du  sacre  de  Mgr  Moreau  contribua  à 
donner  un  si  bel  éclat.  Trois  évêques,  note  la  chronique,  et  pas 
moins  de  cinquante  prêtres  y  assistaient. 

Le  prêtre  dévoué  qui  dirigeait  Mère  Catherine-Aurélie  depuis  un 
quart  de  siècle,  et  qui  était  aussi  le  père  spirituel  de  toute  la 
communauté  depuis  sa  fondation,  le  bon  M.  Raymond,  était  là» 
radieux,  au  milieu  de  cette  imposante  assemblée  d'évêques  et  de 
prêtres.  Mais  il  assistait  à  la  bénédiction  de  la  chapelle  de  son  cher 
Précieux-Sang  revêtu  d'une  nouvelle  dignité.  Dès  la  première 
année  de  son  épiscopat,  en  effet,  Mgr  Moreau  avait  demandé  au 
Saint-Père  d'honorer  la  personne  et  les  mérites  du  vénérable  supé- 
rieur de  son  séminaire,  et  le  pape  Pie  IX  avait  nommé  M.  Ray- 
mond prélat  de  sa  maison   pontificale.   Les  documents  oflSciels 


224  MÈBE  CATHERINE-ATTKÉLIE 

arrivèrent  à  Saint-Hyacinthe  le  15  août.  On  devait  dire  mainte- 
nant—  et  avec  quelle  joie  on  le  disait  au  Précieux-Sang!  —  Mgr 
Raymond.  Son  nouveau  titre  ne  changeait  en  rien,  on  le  conçoit, 
ses  habitudes  de  vie  et  de  dévouement.  Au  cours  de  l'avent  de 
1876,  il  écrivait,  empêché,  ce  jour-là,  de  lui  faire  sa  visite  accou- 
tumée, à  la  fondatrice,  ce  billet  très  simple,  mais  significatif: 
"  Quand  je  ne  puis  aller  vous  voir,  je  m'entretiens  de  vous  avec 
Jésus.  Je  le  prie  de  vous  parler  lui-même,  de  vous  suggérer  les 
sentiments  qu'il  demande 'de  votre  cœur,  de  vous  éclairer  de  sea 
lumières  sur  les  moyens  de  tendre  à  la  perfection  et  sur  l'emploi 
de  votre  charge.  Il  m'entend,  en  ce  moment,  demander  pour  vous 
ce  que  j'ai  demandé  pour  moi-même  à  l'oraison  de  ce  matin,  la 
conviction  profonde  que  nous  ne  pouvons  absolument  rien  faire 
de  bon  sans  la  grâce  divine  et  la  détermination  d'implorer  fré- 
quemment le  secours  du  ciel.  Sentons  notre  misère  devant  la 
grandeur  de  Dieu  et  la  condescendance  extrême  qu'il  a  de  se 
servir  de  nous  pour  faire  du  bien  aux  autres.  "  Ajoutons  tout  de 
suite  qu'au  mois  de  juillet  suivant,  le  26,  Mgr  Raymond,  à  la 
création  du  chapitre  diocésain,  qu'installerait,  le  15  août,  Mgr 
Conroy,  délégué  apostolique  ad  tempus  au  Canada,  devait  être 
fait  chanoine  et  prévôt. 

La  joie  de  Mgr  Joseph,  cela  va  se  soi,  en  constatant  les  progrès 
de  l'œuvre  qui  lui  était  également  chère,  n'était  pas  moins  vive 
que  celle  de  Mgr  Raymond.  Le  6  janvier  1877,  écrivant  à  ses  filles 
de  Toronto,  il  leur  annonçait  la  cérémonie  de  la  bénédiction  de 
la  chapelle  en  des  termes  qui  le  laissent  bien  voir  :  "  Si  mes  jambes, 
leur  disait-il,  me  refusent  leurs  services,  il  est  loin  d'en  être  ainsi 
de  ma  mémoire,  de  mon  imagination  et  de  mon  cœur.  Aussi  tout 
cela  se  tourne-t-il  vers  vous  avec  vivacité  et  tendresse. .  .  Depuis 
plusieurs  mois,  je  suis  dans  ma  soixante-dixième  année.  A  mesure 
que  je  vieillis,  je  comprends  davantage  que  notre  conversation 
doit  être  au  ciel.  "  Mais  les  intérêts  légitimes  de  la  terre,  conti- 


DE  LA  FOND.   DE  N.-D.-DE-GrAcE   AUX  ÉLECTIONS    DE   1877  225 

nuait-il  en  substance,  ne  me  laissent  pas  indifférent.  "  Je  tiens  à 
vous  écrire  quelques  lignes  au  sujet  des  travaux  d'achèvement  du 
monastère-berceau.  La  chapelle  est  prête  à  recevoir  la  bénédiction 
solennelle  le  16  courant,  dans  l'après-midi.  Ce  sera  un  gentil 
petit  sanctuaire  lorsqu'il  aura  reçu  plus  tard  ses  ornements.  Le 
chœur  des  Sœurs  est  presque  achevé,  si  j'en  excepte  les  stalles. 
Votre  Mère  et  toutes  vos  Sœurs  sont  enchantées  de  le  voir  silen- 
cieux et  si  propre  au  recueillement.  Il  reste  encore  à  achever,  si  la 
Providence  le  veut,  le  rez-de-chaussée  et  le  troisième  étage,  plus 
les  infirmeries.  L'excellent  M.  de  la  Croix  nous  a  beaucoup  aidé. 
11  a  payé  de  sa  bourse  et  s'est  imposé  des  fatigues  énormes.  Veuille 
le  bon  Dieu  exaucer  nos  prières  reconnaissantes  et  le  récompenser  ! 

Nous  avons  vu  que,  pendant  que  se  continuaient  les  travaux 
des  constructions  du  monastère  de  la  maison-mère,  l'infatigable 
fondatrice  se  dépensait  au  service  de  ses  chères  enfants,  à  Saint- 
Hyacinthe  même,  à  Toronto  et  à  Notre-Dame-de-Grâce.  Outre 
les  voyages,  qu'elle  devait  espacer,  mais  qui  étaient  encore  assez 
fréquents,  sa  correspondance,  en  se  multipliant,  exigeait  d'elle 
un  labeur  considérable.  Et  pourtant,  elle  était  bien  souvent 
souffrante  et  elle  tenait,  autant  qu'il  lui  était  matériellement 
possible,  à  donner  l'exemple  de  l'assistance  aux  exercices  régu- 
liers. C'est  dire,  en  peu  de  mots,  que  la  charge  de  la  supériorité 
lui  devenait  de  plus  en  plus  absorbante  et  lourde  à  porter.  Bientôt, 
des  divergences  de  vues  se  manifesteraient  —  elles  commençaient 
déjà  en  1876  —  entre  les  supérieurs  majeurs,  au  sujet  des  relations 
entre  les  diverses  maisons,  qui  compliqueraient  encore  sa  situation. 
L'art  du  gouvernement  n'est  pas  d'un  maniement  facile.  Il  faut 
être  ferme  sans  rudesse,  bon  sans  faiblesse,  et  ce  n'est  pas  toujours 
aisé  à  la  pauvre  nature  humaine,  qui  penche  plus  ou  moins  d'un 
côté  ou  de  l'autre,  alors  que  le  véritable  esprit  de  Dieu  veut  pour- 
tant qu'on  tienne  entre  l'un  et  l'autre  un  juste  équilibre.  N'y  a-t-il 
pas  des  supérieurs  qui  brisent  parfois  sous  prétexte  de  réformer. 


226  MÈRE  CATHERINE-AURéLIE 

et  d'autres  qui  laissent  tout  faire  pour  ne  pas  blesser  et  faire  de 
la  peine  ?  Mère  Catherine-Aurélie  penchait  peut-être  vers  la 
bonté.  Mais,  sachant  généreusement  se  faire  violence  à  elle- 
même,  elle  n'hésitait  pas,  quand  son  devoir  le  lui  commandait,  à 
reprendre  et  à  corriger. 

Elle  savait,  disons-nous,  se  faire  violence  à  elle-même.  Toute 
sa  vie,  elle  en  a  donné  des  preuves.  Au  cours  de  cette  période,  par 
exemple,  qui  va  de  1874  à  1877,  que  de  fois,  dans  ses  innom- 
brables lettres,  on  en  trouve  l'expression  manifeste  !  Ne  pouvant 
tout  citer,  rappelons  au  moins  quelques-unes  de  ses  déclarations 
les  plus  catégoriques  à  ce  sujet.  Parmi  ses  correspondants  du 
temps,  il  y  avait  un  riche  négociant  de  Montréal,  bienfaiteur 
insigne  du  monastère  de  la  montagne,  à  qui  elle  écrivait  réguliè- 
rement, et  qui  a  pieusement  conservé  ses  lettres.  Que  de  choses 
édifiantes  on  y  peut  lire  !  "  Je  vous  remercie,  écrit-elle  (24  décem- 
bre 1873),  des  bons  souhaits  que  vous  me  faites  pour  la  nouvelle 
année.  Je  les  accepte  avec  reconnaissance,  même  celui  d'une 
longue  vie  dans  l'exil  de  la  terre.  Mais  je  vous  supplie  de  retran- 
cher celui  qui  implore  en  ma  faveur  une  santé  florissante.  Veuillez 
me  croire,  mon  bon  monsieur,  ce  serait  le  plus  triste  cadeau  que 
le  ciel  pût  me  faire.  J'aime  mes  souffrances,  tout  ce  qui  m'immole 
et  me  sacrifie,  tout  ce  qui  me  fait  ressembler  davantage  à  la 
victime  sanglante  que  j'ai  prise  pour  modèle  et  que  je  suis  avec 
bonheur  à  la  trace  de  ses  épines.  Oui,  j'aime  mes  douleurs,  comme 
l'avare  aime  ses  richesses,  et  je  ne  voudrais  pas  en  perdre  une 
seule.  .."  —  "  L'affection  surnaturelle  qui  nous  lient  à  nos 
bienfaiteurs,  lui  dit-elle  une  autre  fois  (23  août  1874),  ne  ressemble 
pas  à  l'affection  (purement)  humaine.  Celle-ci,  en  effet,  vit  de 
jouissances,  tandis  que  la  nôtre  vit  de  sacrifices.  Mais  elle  n'en 
est  que  plus  forte,  puisqu'elle  porte  le  cachet  du  Dieu  du  calvaire." 
— "  Le  bon  Dieu  permet  que  vous  ayiez  à  souffrir  dans  votre 
cœur  et  dans  vo.3  aspirations  les  plus  intimes,  ajoute-t-elle  un  an 


DE  LA  FOND.    DE  N.-D.-DE-OkAcE  AUX  ÉLECTIONS    DB  1877  227 

plus  tard  (14  mars  1875).  Je  vous  dirai,  avec  un  saint  évêque, 
que  cette  souffrance  ne  fait  qu'enlever  un  peu  de  boue  à  vos 
sandales .  .  .  Sans  la  souffrance,  les  âmes  seraient  toujours  infirmes 
et  débiles,  elles  n'acquèreraient  jamais  cette  vigueur  et  cette 
générosité  qui  fontles  héros  de  la  foi  chrétienne ..."  —  Au  cours  de 
la  semaine  sainte  de  1876,  écrivant  au  même,  elle  insiste  de  nouveau 
sur  l'importance  du  sacrifice  (10  avril)  :  "  Vendredi,  ce  sera  le 
grand  jour  de  la  douleur  et  de  l'immolation.  Consentirez-vous 
à  vous  tenir  avec  nous  au  pied  de  la  croix  ?  Oui,  n'est-ce  pas  ? 
Car,  vous  savez  bien  qu'il  faut  des  Jeans,  des  Nicodèmes  et  des 
Cyrénéens,  pour  pleurer  avec  les  Maries  et  les  Madeleines  et  leur 
aider  à  recueillir  le  Précieux  Sang,  à  l'empêcher  d'être  profané, 
à  le  répandre  sur  le  monde  ? .  .  .  "  Quel  beau  langage  et  comme  on 
sent,  même  sous  la  froide  écorce  de  lettres  vieilles  de  cinquante 
ans,  qu'il  jaillissait  de  source,  sans  efforts  et  tout  naturellement  ! 
De  ces  affectueuses  exhortations  à  la  souffrance,  rapprochons  cette 
autre,  qu'elle  adresse  vers  le  même  temps  à  une  jeune  fille  :  "  Si 
mes  pauvres  prières  peuvent  être  efficaces,  enfant  trop  chère,  je 
t'asdure  que  le  sang  de  Jésus  coulera  délicieusement  sur  toi  et 
qu'il  te  rendra  le  joug  (du  Seigneur)  doux  comme  le  baiser  d'une 
mère .  .  . 

A  lire  ce  que  Mère  Catherine-Aurélie  écrivait  ainsi  à  ses  corres- 
pondants de  l'extérieur,  on  imagine  aisément  ce  qu'elle  devait 
écrire,  et  surtout  ce  qu'elle  aimait  à  dire,  à  ses  filles  en  Dieu.  Nous 
n'insistons  pas  davantage,  car  nous  en  avons  précédemment  donné 
plus  d'un  exemple.  Son  humilité,  son  esprit  de  foi,  son  amour  de 
la  souffrance,  sa  générosité  à  se  dévouer  et,  par-dessus  tout,  son 
culte  au  Précieux  Sang,  voilà  où  était  sa  force.  C'est  dans  ces 
sentiments  élevés  que,  depuis  seize  ans,  elle  gouvernait,  sous 
l'œil  de  Mgr  LaRocque  et  celui  de  Mgr  Raymond,  son  institut  de 
vierges  rouges  et  blanches.  Pendant  toute  cette  première  période 
de  la  vie  de  la  communauté,  qui  va  de  1861  à  1877,  les  Annales 


228  MÈBE  CATHEBINE-AURÉLIE 

ne  parlent  pas  d'élections  à  Saint-Hyacinthe,  et  il  nous  semble 
bien  que  la  fondatrice,  de  par  l'autorité  des  évêques  diocésains  qui 
s'étaient  succédé,  et  du  consentement  au  moins  tacite  de  toutes 
ses  filles,  avait  porté  la  charge  de  la  supériorité  sans  autre  élection 
formelle,  ou,  dans  tous  les  cas,  que  si  des  élections  avaient  eu  lieu, 
elles  s'étaient  faites  à  peu  près  toutes  seules.  Peu  de  temps  après 
la  bénédiction  de  la  nouvelle  chapelle  (16  janvier  1877),  Mgr 
Moreau  décida  qu'on  procéderait,  le  6  février,  à  des  élections 
absolument  régulières  et  selon  toutes  les  prescriptions  canoniques. 
En  annonçant  à  ses  filles,  le  27  janvier,  cet  événement  important, 
Mère  Catherine-Aurélie  leur  recommanda  d'accepter  cette  déci- 
sion de  Mgr  l'évêque  diocésain  comme  l'expression  de  la  volonté 
de  Dieu  et  surtout  de  bien  prier  pour  attirer  sur  les  prochaines 
élections  la  bénédiction  du  ciel. 

Le  6  février  donc,  Mgr  de  Saint-Hyacinthe,  accompagné  de 
Mgr  Joseph  et  de  Mgr  Raymond,  se  rendait  à  la  salle  de  la  com- 
munauté, où  étaient  déjà  réunies  les  Sœurs  qui  avaient  droit  de 
prendre  part  à  cette  élection.  "  Après  le  chant  du  Veni  creator, 
raconte  l'annaliste,  notre  vénérée  Mère  vint  se  mettre  à  genoux 
au  milieu  du  chœur  et  prononça  les  paroles  suivantes  :  "  Monsei- 
gneur, —  Je  me  démets  aujourd'hui  de  la  charge  de  supérieure  des 
Sœurs  du  Précieux-Sang,  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit,  et  je  demande  pardon  des  fautes  que  j'ai  commises  en 
cette  charge."  Mgr  Moreau  lui  répondit  :  "  Ma  chère  fille, — 
J'accepte  votre  démission  et  j'espère  que  Notre-Seigneur  vous 
pardonne  les  fautes  que  vous  avez  pu  commettre.  Allez  en  paix.  " 
Les  votes  furent  ensuite  déposés  dans  la  petite  boîte  préparée  à 
cet  effet.  Mgr  le  président  l'ouvrit  et  Mgr  Raymond,  faisant  l'office 
de  secrétaire,  compta  les  voix...  Le  moment  d'attente  ne  fut 
pas  long.  Comme  nous  l'avions  espéré  et  désiré,  le  nom  de  notre 
mille  fois  aimée  Mère  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang  fut 
proclamé  comme  étant  celui  de  l'ange  gardien  et  consolateur  que 


DE  LA  FOND.  DE  N.-D.-DE-GrIcE  AUX  ÉLECTIONS  DE  1877        229 

Dieu  voulait  bien  nous  laisser  encore  pour  nous  guider  vers  lui. 
Malgré  la  solennité  de  la  circonstance,  un  sourire  de  bonheur 
illumina  toutes  nos  figures.  Notre  Mère,  toute  confuse  et  toute 
rouge,  s'agenouilla  de  nouveau  pour  accepter  le  fardeau  qui  lui 
était  imposé.  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  lui  adressa  alors  à  peu  près 
ces  paroles  :  "  Dieu  veut,  ma  chère  fille,  que  vous  continuiez 
à  diriger  ce  monastère  que  vous  avez  fondé  pour  la  glorification 
du  Précieux  Sang,  quoique  vous  en  soyiez  la  plus  indigne.  Ayez 
confiance,  Notre-Seigneur  vous  aidera  !  De  mon  autorité  épis- 
copale  je  confirme  l'élection  qui  vient  d'être  faite  et  je  vous  déclare 
supérieure  du  monastère  du  Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe,  au 
nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit."  On  sonna  alors  pour 
réunir  toute  la  communauté  et  Monseigneur  présenta  aux  reli- 
gieuses leur  ancienne  et  nouvelle  supérieure,  en  leur  disant  d'aller, 
en  signe  d'obéissance,  lui  baiser  la  main.  Cette  cérémonie  tou- 
chante s'accomplit  au  milieu  de  l'émotion  générale.  Des  larmes 
de  bonheur  coulaient  de  tous  les  yeux.  Mgr  Moreau  et  ses  deux 
vénérables  assistants  paraissaient  eux-mêmes  émus.  En  nous 
donnant  sa  main  à  baiser,  notre  chère  Mère  répétait  à  chacune, 
en  s'inclinant  vers  elle  :  "  Je  vous  donne  Marie  pour  mère." 
Quand  cette  obédience  fut  terminée,  Mgr  de  Saint-Hyacinthe 
entonna  le  Te  Deum.  Il  fut  chanté  avec  une  expression  d'indicible 
joie."  Nous  aurions  vraiment  mauvaise  grâce  à  alourdir  de  quelque 
commentaire  que  ce  soit  ce  compte  rendu  éloquent. 

En  faisant  ces  premières  élections  régulières  et  canoniques  sous 
les  regards  de  leur  évêque  et  de  leurs  deux  co-fondateurs,  les 
Sœurs  du  Précieux-Sang,  et  en  particulier  leur  très  honorée  Mère 
en  se  démettant  d'abord  de  sa  charge  et  en  acceptant  ensuite  de  la 
porter  de  nouveau,  se  soumettaient  à  Dieu  et  pratiquaient  l'obéis- 
sance. "  Epouses  de  Jésus-Christ  et  vierges  victimes,  leur  avait 
dit  naguère  Mgr  Moreau,  dans  son  mandement  d'entrée  (16 
janvier   1876),  à  elles  aussi  bien  qu'aux  autres    religieuses  du 


230  MÈKE  CATHEBINE-AtJRÉLIE 

diocèse,  pensez  à  nous  dans  vos  pieuses  oraisons,  dans  vos  saintes 
veilles,  dans  vos  mortifications  et  dans  les  saci'ifices  de  toutes 
sortes  que  vous  vous  imposez  pour  votre  sanctification  et  pour 
la  conversion  des  pauvres  pécheurs.  "  Depuis,  la  sollicitude  du 
nouvel  évêque  les  avait  constamment  entourées.  Il  avait  voulu 
fêter  avec  elles,  en  quelque  manière,  son  premier  anniversaire 
d'épiscopat.  De  tout  cela,  elles  lui  étaient  reconnaissantes.  Elles 
priaient  pour  lui,  elles  pensaient  à  lai,  ainsi  qu'il  le  leur  avait 
demandé.  Et  elles  savaient  que  la  meilleure  façon  de  penser 
devant  Dieu  à  un  supérieur,  c'est  encore  de  lui  obéir.  Les  élections 
suivantes  devaient  avoir  lieu  au  bout  de  cinq  ans,  ou  plutôt 
à  la  fin  de  l'année  1881,  en  décembre. 

Avec  un  nouveau  courage,  Mère  Catherine-Aurélie  reprenait 
son  fardeau.  Être  supérieure,  pour  elle,  c'était  d'abord  et  avant 
tout  travailler  au  bien  spirituel  de  ses  filles.  Se  trouvant  à  Notre- 
Dame-de-Grâce,  à  Montréal,  elle  écrivait  à  ses  enfants  du 
monastère  de  Saint-Hyacinthe,  le  3  mai  1877  :  "  Dans  les  rapports 
que  j'ai  eus  déjà  avec  les  religieux  et  les  religieuses  amis  de  notre 
œuvre,  j'ai  pu  constater  que,  dans  le  diocèse  de  Montréal,  évêques 
et  supérieurs  travaillent  énergiquement  à  réprimer  tout  ce  qui, 
dans  les  maisons  religieusei,  sietntirait  tant  soit  peu  la  mondanité 
et  le  sensualisme  du  siècle  .  .  .  On  veut  que  tout  soit  simple,  sans 
luxe,  sans  aucun  indice  qu'on  se  souvient  des  aises  du  monde .  .  . 
Grâce  à  Dieu,  ju?qu'ici,  nos  dignes  supérieurs  nous  ont  maintes 
fois  répété  que,  s'ils  voyaient  en  nous  des  imperfections,  du  moins 
ils  constataient  qu'il  y  avait  chez  nous  l'éloignement  du  monde 
et  l'amour  de  la  pénitence .  .  .  Mais  l'œil  d'une  mère  est  pers- 
picace et  découvre  quelquefois,  à  l'état  de  germe,  des  misères  qui 
donnent  de  l'appréhension  pour  l'avenir .  .  .  Que  mon  assistante  et 
mes  conseillères  veillent,  qu'on  observe  les  saintes  règles,  qu'on 
s'avertisse  mutuellement,  qu'on  ne  se  permette  rien  de  profane 
et  de  mondain  ! .  .  .   La  maison  de  Saint-Hyacinthe,  je  crois,  et 


DE  LA  FOND.    DE  N.-D.-DE-GR AcE  AUX  ÉLBCTIONa    DE    1877  231 

j'en  suis  humiliée,  a  été,  sur  ce  point,  dépassée  par  celle  de  Mont- 
réal .  .  .  Pardonnez-moi  si  je  parais  vous  crucifier  chaque  jour 
davantage.  Ce  n'est  que  pour  vous  rendre  plus  heureuses  en  vous 
rendant  plus  saintes ..." 

Deux  jours  après,  le  5  mai,  elle  mandait  à  Mgr  Joseph  :  "  Tout 
le  monde  ici  est  plein  de  vous.  .  .  Mes  filles  ont-elles  besoin  de 
vous  redire  leurs  sentiments  et  leurs  vœux  reconnaissants  ?  Vous 
les  devinez  trop  bien.  Au  reste,  elles  et  moi,  pourrons-nous  jamais 
assez  vous  remercier  de  votre  dévouement,  de  vos  soins,  de  vos 
sacrifices  et  de  vos  bienfaits,  de  tout  le  bonheur  dont  vous  avez 
rempli  notre  solitude,  de  tout  ce  que  vous  y  avez  répandu  de  paix  ? 
Nous  nous  avouons  vaincues  et  il  n'y  a  qu'au  ciel  que  nous  saurons 
reconnaître  les  angéliques  journées  que  vous  nous  aurez  fait 
passer  sur  cette  terre  de  larmes." 

A  M.  l'abbé  de  la  Croix,  qui  avait  tant  travaillé  pour  diriger 
les  constructions  du  monastère,  elle  écrivait,  alors  qu'il  s'était 
rendu  àMontréal,  pour  y  faire  sa  retraite,  au  mois  d'août  suivant  : 
"  Je  n'essaie  pas  de  vous  dire  tous  me»  souhaits  et  tous  mes  vœux 
pour  le  bien  de  votre  âme  de  prêtre  et  d'ami  de  Jésus  durant  ces 
jours  de  grâces  et  de  salut.  Vous  les  connaissez.  Vous  savez  avec 
quelle  sainte  passion,  si  j'ose  ainsi  dire,  je  voudrais  vous  voir  de 
plus  en  plus  saint,  de  plus  en  plus  parfait,  l'âme  ornée  de  toutes 
les  vertus  sacerdotales  ...  Je  ne  sais  si  je  suis  présomptueuse,  mais 
il  me  semble  que,  ni  en  France,  ni  ailleurs,  il  n'y  a  pas  d'âmes  qui 
vous  veulent  et  vous  souhaitent  plus  de  bien  que  certaines  âmes 
du  monastère  du  Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe.  " 

Le  cœur  débordant  de  pieuses  sollicitudes  pour  ses  chères  filesl 
et  de  respectueuse  gratitude  pour  tous  les  bienfaiteurs  que  la 
Providence  donnait  à  son  institut,  Mère  Catherine-Aurélie  accom- 
plissait ainsi  son  devoir  dans  la  vie.  Elle  voyait  à  tout  et  elle  pensait 
à  tout.  L'heure  allait  venir  bientôt,  où  elle  devrait,  plus  que 
jamais,  passer  par  la  voie  de  la  tribulation.  Son  âme  était  prête. 


232 


MÈRE   CATHEKINE-AURéLIE 


Dans  l'obéissance  toujours  et  dans  le  respect  des  autorités  cons- 
tituées, mais  avec  une  calme  fermeté  pour  le  soutien  de  "l'esprit" 
de  sa  fondation,  elle  garderait,  au  milieu  de  tous  les  embarras  et 
de  toutes  les  souffrances,  un  cœur  vaillant.  Et  c'est  pourquoi 
peut-être,  même  aux  jours  de  sa  vie  où,  extérieurement,  elle 
paraîtrait  plus  accablée  et  plus  faible,  elle  resterait,  au  vrai,  plus 
puissante  en  actes  comme  en  vertus.  A  cœur  vaillant,  dit  l'adage 
rien  d'impossible  ! 


CHAPITRE  IX 


Des  premières  élections  régulières  de  1877  aux  événements  de  1882 

(1877-1882) 

Sommaire. —  Achèvement  des  constructions. —  M.  l'abbé  de  la  Croix  et  l'œuvre 
des  petits  contrats. —  Chapelle  **  trop  belle  !  "  —  Épreuves  pour  la  fondatrice. 
—  Cause  du  refroidissement  avec  la  maison  de  Montréal. —  Mgr  Raymond 
explique  les  choses. —  Le  25e  d'épiscopat  de  Mgr  Joseph. —  La  part  qu'y 
prend  le  Précieux-Sang. —  Consolations  venues  à  Mère  Catherine-Aurélie 
de  sa  propre  famille,  la  "  petite  Aurélie  ". —  Ses  beaux  sentiments  pour  son 
vieux  père. —  Ses  multiples  occupations. —  Le  charme  de  ses  lettres. —  Ses 
remerciements  aux  souscripteurs  des  "  petits  contrats  ". —  Elle  encourage  ses 
filles  de  Toronto. —  Gêne  dans  les  relations  avec  Montréal. —  La  confrérie 
du  Précieux-Sang  voit  son  siège  transporté  dans  la  chapelle  des  Sœurs. — 
Voyage  à  Rome  de  Mgr  Moreau. —  Mère  Catherine-Aurélie  lui  écrit  au 
sujet  de  l'approbation  des  constitutions. —  Mgr  Joseph  s'occupe  de  la  rédac- 
tion de  ces  règles. —  Il  en  écrit  aux  Sœurs  de  Toronto. —  Mère  Catherine- 
Aurélie,  qui  se  trouve  là,  lui  répond. —  Elle  écrit  de  nouveau,  à  ce  sujet,  & 
Mgr  Moreau,  à  Rome. —  Pas  de  suites  immédiates. —  Mort  de  plusieurs 
Sœurs. —  Vie  fervente. —  La  gêne  persiste  avec  Montréal. —  Une  détente. — 
L'œuvre  se  continue. —  Le  travail  de  rédaction  de  Mgr  Joseph. —  Mandement 
de  Mgr  Moreau  approuvant  les  constitutions. —  Réélection  de  Mère  Cathe- 
rine-Aurélie comme  supérieure  (12  décembre  1881). — •  Elle  aurait  volontiers 
déposé  le  fardeau,  l'une  de  ses  lettres  en  témoigne. 


|U  monastère  de  Saint-Hyacinthe,  Notre-Seigneur  était 

désormais  plus  convenablement  logé.   Il  habitait,  en 

tout  cas,  une  enceinte  assez  vaste  pour  y  recevoir  ses 

amis,  et,  tout  à  côté  de  lui,  ses  pieuses  adoratrices. 

Mais  M.  l'abbé  de  la  Croix  n'avait  pas  fini  sa  besogne. 

jâ  chapelle  et  le  chœur  auraient  bien  eu  besoin  sans  doute 

d'être  décorés.  Cela  devait  venir  en  1S86.    Pour  l'instant, 

ce  qui  pressait  le  plus,  vu  l'accroissement  constant  du  personnel 

de  religieuses  et  de  novices  —  il  s'élèverait,  en  novembre  1882, 

à  47  professes,  avec  4  novices  et  2  postulantes,  sans  parler  des 


234  MÈRE  CATHERINE-AUHÉLIE 

35  religieuses  des  monastères  de  Toronto  et  de  Montréal  et  de  15 
défuntes  —  c'était  l'achèvement  de  l'intérieur  du  maître-corps 
des  bâtisses,  c'est-à-dire  la  construction  et  l'aménagement  des 
cellules,  des  infirmeries  et  des  divers  oflSces.  M.  de  la  Croix  se 
multipliait  sans  s'épargner.  Tous  les  dimanches  et  chaque  fois 
que  les  circonstances  s'y  prêtaient,  il  prêchait  et  il  quêtait  à  la 
chapelle.  D'autre  part,  il  profitait  de  ses  nombreuses  relations  à 
Montréal,  dans  tout  le  pays,  et  même  en  France,  pour  insinuer  aux 
uns  et  persuader  aux  autres  que  l'œuvre  à  laquelle  il  se  vouait 
était  digne  de  tous  les  encouragements  et  de  toutes  les  générosités. 
Dieu  permit  que,  bien  souvent,  ses  délicates  ouvertures  eussent 
du  succès.  Les  libéralités  furent  nombreuses  et  substantielles. 
Avec  l'autorisation  des  évêques,  l'entreprenant  et  si  zélé  abbé 
visita,  dans  leurs  cures  respectives,  les  prêtres  amis  de  l'institut. 
Il  les  prévenait  à  l'avance  de  son  intention  d'aller  les  voir,  indi- 
quant le  but  de  sa  visite.  La  plupart,  pour  ne  pas  dire  tous, 
annonçaient,  pour  le  dimanche  suivant,  un  sermon  et  une  quête, 
et,  à  chaque  endroit,  M.  de  la  Croix  quêtait  après  avoir  prêché. 
Les  recettes  provenant  de  cette  source  furent  abondantes.  De 
plus,  on  avait  des  abeilles  au  monastère  et  quelques-unes  des 
tourières  de  la  communauté  réussissaient  "  admirablement  " 
la  confection  du  savon.  Convaincu  qu'il  ne  faut  rien  négliger 
devant  les  multiples  exigences  de  constructions  coûteuses  et  que 
c'est  avec  les  petits  cours  d'eau  que  la  nature  alimente  les  grandes 
rivières,  M.  l'abbé  obtint  qu'on  utilisât,  pour  ses  constructions, 
ces  modestes  ressources.  Mais  cette  double  industrie  fut  surtout 
riche  en  promesses.  Et,  nous  le  répétons,  le  temps  pressait. 

M.  de  la  Croix  eut  alors  l'idée  de  ce  qu'on  a  appelé  les  petits 
contrats.  Ce  fut,  en  une  autre  édition,  l'histoire  connue  de  l'œuf 
de  Colomb  !  Voici  en  quoi  consistait  ce  projet,  et  bientôt  cette 
œuvre,  que  Mgr  Moreau  avait  bien  voulu  approuver,  encourager 
et  bénir.  Le  petit  contrai  supposait  naturellement  deux  parties 


DES  ÉLECTIONS   DE  1877   AUX  ÉVÉNEMENTS   DE  1882  235 

contractantes  :  les  Soeurs  Adoratrices  du  Précieux-Sang  d'une 
part  et,  d'autre  part,  leurs  amis  souscripteurs  et  bienfaiteurs. 
Toute  personne  qui  s'engageait  à  donner  trois  piastres  par  année 
pendant  cinq  ans  à  l'œuvre  de  l'institut  recevait  un  blanc  de 
contrat  —  billet  promissoire  d'un  nouveau  genre  —  par  lequel 
toutes  les  religieuses  s'obligeaient  à  céder  à  l'intention  de  cette 
personne  une  part  perpétuelle,  c'est-à-dire  pour  toute  leur  vie 
jusqu'à  leur  entrée  au  ciel,  de  leurs  prières  et  œuvres  satisfac- 
toires.  Les  contractants  souscripteurs,  eux,  pouvaient  s'acquitter 
tout  de  suite  de  leurs  obligations,  en  versant  quinze  piastres  au 
trésor  de  l'œuvre.  Les  religieuses,  par  contre,  s'engageaient  pour 
toujours.  Rien  de  plus  simple,  on  le  voit,  étant  donné  que, 
depuis  longtemps,  nombre  d'amis  et  de  fervents  recouraient  aux 
bons  offices  devant  Dieu  des  adorai  rices-expiatrice.s.  Mais,  comme 
dans  l'histoire  de  l'œuf  du  grand  découvreur,  il  fallait  y  penser. 
Et  c'est  M.  l'abbé  de  la  Croix  qui  eut  ce  mérite.  L'œuvre  fut 
lancée  le  19  mars  1878,  jour  de  la  fête  de  saint  Joseph,  le  pour- 
voyeur à  qui  on  avait  accoutumé  de  s'adresser  avec  tant  de 
confiance,  depuis  qu'il  avait  "  décidé  "  Mgr  Joseph,  à  l'origine, 
à  faire  la  fondation.  C'était,  cet  appel  nouveau  à  la  charité, 
comme  une  semence  pleine  de  promesses  qu'on  jeta,  un  peu  par- 
tout, aux  quatre  vents  du  ciel,  là  où  l'on  espérait  trouver  une 
terre  bien  préparée,  nous  voulons  dire  des  cœurs  généreux.  Et 
voici,  d'après  l'annaliste,  à  qui  nous  empruntons  la  substance 
de  ce  récit,  ce  qu'il  advint  de  la  verte  semence  :  "  Saint  Joseph, 
lisons-nous  sous  sa  plume  quatre  mois  plus  tard  (25  juillet  1878), 
nous  exauce  vraiment  au-delà  de  nos  espérances.  Déjà,  nous 
comptons  plus  de  quatre  cents  souscripteurs  (ce  qui  assurait  six 
mille  piastres  environ)  à  l'œuvre  de  nos  petits  contrats.  Dans  plu- 
sieurs localités,  des  zélateurs  et  zélatrices  dévoués  s'occupent 
à  nous  en  chercher  d'autres.  Mgr  de  Saint-Hyacinthe,  Mgr  de 
Germanicopolis  et   Mgr  Raymond  ont  voulu  être  nos  premiers 


236  MÈRE  CATHERINE-AXJRÉLIE 

contracteurs.  A  leur  suite,  nous  trouvons  les  noms  d'un  grand 
nombre  de  messieurs  du  clergé  des  différents  diocèses  de  la  pro- 
vince et  même  des  États-Unis.  Plusieurs  citoyens  éminents  nous 
envoient,  avec  leur  souscription,  les  meilleurs  témoignages  d'inté- 
rêt et  d'estime.  On  dirait  que  le  sang  de  Jésus  fait  passer  un 
souflSe  de  dévouement  et  de  charité  sur  les  âmes  chrétiennes  en 
notre  faveur.  Puisse  le  divin  maître,  en  retour,  les  combler  de 
ses  bénédictions  en  exauçant  les  vœux  de  nos  cœurs  reconnais- 
sants !  "(12) 

Très  confiant,  mieux  encore,  moralement  certain  que  cette 
initiative  réussirait,  M.  de  la  Croix,  dès  le  18  jan^âer  1878,  avait 
fait  reprendre  les  travaux  de  l'intérieur  du  maître-corps  et  de 
Tachèvement  du  chœur  des  religieuses  qui  n'avait  pas  encore 
de  stalles.  Ce  prêtre-artiste,  qui  possédait  aussi  le  sens  de  l'orga- 
nisation pratique,  avait  précédemment  beaucoup  voyagé  dans 
nombre  de  beaux  pays.  Il  avait  visité,  en  Europe,  quantité  de 
monastères  de  moines  et  de  moniales.  Il  paraissait  si  renseigné 
sur  ce  qui  convenait  qu'on  lui  abandonna  absolument  la  direction 
des  travaux.  Quand  tout  fut  terminé,  à  l'été  de  1879,  Mgr  de 
Saint-Hyacinthe  permit  pour  quelque  temps  la  visite  du  cloître  aux 
personnes  du  dehors.  Le  14  septembre  de  cette  même  année, 
l'annaliste  note,  en  effet,  qu'au  grand  contentement  de  la  commu- 
nauté, Mgr  Moreau  a  fait  fermer,  ce  jour-là,  le  monastère  aux 
nombreux  visiteurs  qui  affluaient  "  depuis  plus  de  quatre  mois  ". 

(12)  L'œuvre  des  petits  contrats  a  continué  de  subsister  et  d'être  bénie,  nous 
apprend,  en  1911,  l'auteur  du  Lirre  d'or.  Non  seulement  plusieurs  évêques  y 
prirent  intérêt,  mais  le  pape  Pie  X  lui-même  a  bien  voulu  signer  l'un  de  ces  petits 
contrats.  Le  1er  mai  1905,  Mgr  Paul  LaRocque,  évêque  de  Sherbrooke,  et  cousin 
des  deux  Mgr  LaRocque  de  Saint-Hyacinthe,  présentait  au  pieux  pontife,  de 
regrettée  mémoire,  pour  approbation,  l'un  de  ses  modestes  billets  d'affiliation  à 
l'œuvre  du  Précieux-Sang  !  Le  pape  lut  le  blanc  du  petit  contrat,  mais  avant  de  le 
signer,  il  remarqua  en  souriant  "  qu'il  fallait  payer  quelque  chose  ".  "  Quant  à 
cela,  très  Saint  Père,  je  m'en  charge  ",  répartit  Mgr  de  Sherbrooke.  Comme  de 
juste,  à  son  retour  au  Canada,  Mgr  Paul  LaRocque  a  tenu  à  payer  la  dette  du 
pape  !  L'anecdote  nous  a  paru  trop  jolie  pour  que  nous  ne  la  rapportions  pas, 
au  moins  en  hors-texte. —  Note  de  l'auteur. 


DBS  ÉLECTIONS  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  237 

Le  27  novembre  1879,  eurent  lieu  la  bénédiction  du  monastère  et 
l'inaugurotion  de  la  clôture.  La  cérémonie  fut  présidée  par  Mgr 
Raymond  en  l'absence  de  Mgr  Moreau,  en  voyage  à  Rome.  Le 
genre  de  style  que  M.  de  la  Croix  avait  adopté  était  nouveau  au 
Canada.  "  Très  distingué,  très  imposant,  lisons-nous  au  Livre  d'or, 
en  même  temps  que  très  élégant,  ce  genre  fut  trouvé  "  trop  beau  " 
par  quelques-uns.  On  oubliait  sans  doute,  ou  on  ignorait,  qu'une 
construction  tant  de  fois  reprise  et  qui,  chaque  fois,  avait  dû 
répondre  à  tant  de  besoins  divers,  ne  pouvait  pas  ne  pas  contenir 
quelques  défectuosités  architecturales.  M.  de  la  Croix  s'était 
appliqué  à  les  faire  disparpître,  quand  il  avait  fallu  donner  de 
l'ensemble  à  l'édifice,  et  cela,  au  moyen  d'arceaux  plus  ou  moins 
prononcés  et  multipliés,  soit  par  nécessité,  soit  par  symétrie. 
Il  en  résulta  que  ces  arceaux,  d'un  fort  bel  effet,  parurent  "  trop 
beaux  "...  Mère  Catherine-Aurélie,  émue  de  ces  critiques,  com- 
muniquait un  jour  ses  appréhensions  à  un  Père  Jésuite,  de  ses 
amis  :  "  Ce  n'est  pas  assez  simple,  me  dit-on,  c'est  trop  riche.  .  .  " 
—  "  La  seule  richesse  que  je  vois  là,  répartit  le  Père,  c'est  celle 
de  l'intelligence  et  du  bon  goût.  M.  de  la  Croix  a  réalisé  l'idéal 
d'un  monastère  de  contemplatives.  On  ne  sera  jamais  triste  et 
on  ne  s'ennuiera  jamais,  Aurélie,  dans  votre  monastère,  et  cela 
c'est  excellent.  "  Une  autre  fois  que  quelqu'un  des  visiteurs 
louait  "  le  magnifique  intérieur  du  monastère  ",  la  fondatrice 
répliqua,  non  sans  quelque  ironie  :  "  On  ne  cesse  pas  de  me  dire 
que  mes  filles  sont  des  saintes,  eh  !  bien,  j'ai  voulu  les  mettre 
toutes  vivantes  dans  un  reliquaire  !  "  La  vérité  vraie,  c'est  que 
l'excellent  abbé  de  la  Croix  avait  su  faire  beau,  sans  donner  dans 
aucun  luxe  intempestif  et  en  restant  dans  la  note  juste.  Aussi» 
disons-le  tout  de  suite,  quand  il  partit  pour  d'autres  cieux  vers 
1882,  on  garda,  et  on  a  depuis  toujours  gardé,  au  monastère  de 
Saint-Hyacinthe,  son  souvenir  et  sa  mémoire  en  bénédiction. 

Dans  ce  "  reliquaire  ",  comme  avait  dit  plaisamment  la  fonda- 
trice, que  devenaient  les  "  reliques  vivantes  ",  et,  dans  les  maisons- 


238  MÈRE  CATHERINE-AUBéLIE 

filles  de  Toronto  et  de  Notre-Dame-de-Grâce,  comment  se  con- 
servait "  l'esprit  "  de  l'institut  ?  Hélas  !  sur   notre  pauvre  terre, 
même  chez  les  plus  saints  et  les  mieux  intentionnés,  il  faut  tou- 
jours qu'il  y  ait  des  ennuis  et  des  tribulations.  Il  n'y  a  pas  ici- 
bas  de  beau  ciel  sans  nuage.  D'une  façon  ou  d'une  autre,  il  faut  que 
les  épreuves  viennent.  De  1876  à  1882,  l'institut  du  Précieux-Sang 
et  sa  fondatrice-supérieure  en  eurent  leur  large  part.  Les  premiers 
nuages  vinrent,  croyons-nous,  du  pied  de  la  aïontagne  de  Montréal 
et  de  M.  Maréchal.  Non  pas,  certes,  que  nous  voulions,  en  quoi 
que  ce  soit,  mettre  en  doute  la  sincérité  dans  le  désir  du  bien  et  la 
pureté  des  intentions  de  ce  très  digne  prêtre.  Mais,  nouj  l'avons 
dit,  il  aimait  à  agir  par  ses  propres  moyens.  Deux  ans  après  la 
fondation  de  "  son  "  monastère,  il  manifestait  déjà  une  certaine 
froideur  à  l'endroit  de  la  maison-mère.  Le  26  février  1876,  Mère 
Catherine-Aurélie  écrivant  à  la   supérieure  de  Notre-Dame-de- 
Grâce,  après  avoir  pieusement  insisté  sur  l'importance  de  la  fidélité 
aux  moindres  points  de  la  règle  des  Sœurs  du  Précieux-Sang, 
ajoute  :  "  Votre  cher  père  supérieur  est-il  malade  ?  J'avais  compris 
que  c'était  lui  qui  devait  vous  prêcher  la  retraite...   Vu  qu'il 
prend  une  si  grande  part  à  votre  œuvre,  soyez  assez  ferventes 
pour  obtenir  de  Notre-Seigneur  qu'il  lai  fasse  comprendre  qu'il 
ferait  mieux  de  faire  quelques  apparitions  au  monastère  de  Saint- 
Hyacinthe.  Autrement,  nos  Pères  (fondateurs)  ne  pourront    se 
défendre  d'être  gênés  et  défiants  avec  lui .  .  .  Si  quelque  chose  lui 
a  fait  de  la  peine,  pourquoi  ne  pas  s'expliquer,  ne  pas  le  pardonner, 
ne  pas  l'oublier?...    Si  quelques  petites  humiliations  lui  sont 
venues  par  nous,  ou  à  cau^e  de  nous,  pourquoi  ne  pas  s'en  réjouir 
au  lieu  de  se  laisser  abattre  et  de  se  cacher  ?  Ah  !  Que  je  souffre  de 
l'état  actuel  des  choses  ?  "  Il  faut  croire  que  la  tension  persista, 
car,  deux  ans  plus  tard,  dans  une  lettre  fort  délicate,  adressée  au 
curé  lui-même,   tout  en  se  réjouissant  de  ce  que  M.  Maréchal 
veut  faire  du  Précieux-Sang  l'œuvre  de  sa  vie,  elle  lui  mande 


DES  ÉLECTIONS   DE  1877   AUX  ÉVÉNEMENTS   DE  1882  239 

expressément  (28  mai  1878)  :  "  Je  savais  que  si  des  nuages 
avaient  pu  empêcher  les  rayons  de  votre  charité  de  pénétrer 
aussi  chauds  (que  jadis)  jusqu'aux  personnes,  du  moins  ils  n'avaient 
pas  mis  d'obstacles  à  ce  qu'ils  se  répandissent  sur  l'œuvre  elle- 
même  ..."  Et,  à  la  fin  de  cette  même  lettre,  elle  disait  encore  : 
"  Maintenant  que  le  fleuve  ow6/iesten pleine  navigation  (en  ce  sens 
qu'on  y  navigue  de  part  et  d'autre),  je  me  demande  s'il  ne  vous 
amènera  pas  plus  souvent  au  monastère  de  Saint-Hyacinthe? 
Cela  me  semblerait  nécessaire  pour  prouver  l'eflîcacité  de  son 
action  sur  vous,  soit  dit  sans  rancune  et  sans  malice.  .  ." 

Il  est  naturel  de  se  demander  quelle  était  la  cause  prochaine  ou 
éloignée  de  ce  refroidissement.  Le  point  est  a«isez  difficile  à  élucider 
à  la  distance  où  nous  sommes  de  ces  événements  et  parce  qu'on 
en  parle  avec  une  réserve  qui  s'explique  dans  les  correspondances 
du  tempi.  Les  appels  à  l'unité  de  la  fondatrice  écrivant  à  ses 
filles  de  la  montagne  l'indiquent  probablement.  "  Jésus  veut,  leur 
précisera-t-elle  le  27  décembre  1878,  que  nous  soyions  une  armée 
de  vaillants  guerriers  pour  combattre  contre  tout  ce  qui  n'est  pas 
l'esprit  religieux ...  Il  veut  que  nous  marchions  en  lignes  serrées, 
appuyées  les  unes  contre  les  autres  par  l'unité  la  plus  parfaite .  .  . 
Il  veut  que  nous  ne  formions  qu'un  seul  corps  d'armée  marchant 
au  même  combat  et  à  la  même  victoire,  n'ayant  toutes  qu'un  seul 
drapeau  à  notre  tête  et  un  seul  mot  d'ordre  pour  signe  de  ralliement. 
Notre  étendard,  vous  le  connaissez,  mes  filles,  c'est  la  croix  teinte 
du  sang  de  Jésus  ;  notre  mot  d'ordre,  c'est  celui  du  sacrifice ..."  On 
se  rappelle  que  M.  Maréchal  avait  affirmé,  en  1874,  qu'il  ne  voulait 
pas  fonder  une  nouvelle  communauté.  Il  nous  semble  que,  en 
1878,  il  avait  quelque  peu  évolué.  Mais  nous  aurons  occasion  d'y 
revenir.  A  ce  premier  motif  de  désunion,  il  s'en  joignait  d'autres. 
"  Pour  cette  affaire  de  votre  terrain,  écrivait  Mgr  Jo.5eph,  le 
4  septembre  1877,  à  la  supérieure  de  Notre-Dame-de-Grâce,  comme 
pour  toutes  celles  qui  vous  concernent,  je  me  tiens,  non  dans 


240  MÈKE  CATHERINE- AURÉLIE 

rindifférence,  mais  dans  un  entier  dégagement  personnel.  Il  en 
est  de  même  de  certaines  questions  qui  intéressent  tout  Tinstitat. 
J'en  laisse  volontiers  la  décision  à  la  sagesse  des  trois  prélats 
(ceux  de  Saint-Hyacinthe,  de  Toronto  et  de  Montréal)  qui  protè- 
gent les  Sœurs  du  Précieux-Sang  dans  leurs  diocèses.  Mais  le 
moment  est  désiré  par  moi,  où,  de  leur  commun  consentement, 
l'œuvre  que  j'ai  ébauchée  sera  parachevée.  Le  bon  Dieu  voudra 
bien  me  laisser  voir  l'exécution  de  ce  désir  avant  ma  mort,  qui 
ne  peut  se  faire  longtemps  attendre...  Certains  désaccords 
entre  les  opinions  de  ces  évêques  empêchent  l'adoption  finale  de 
quelques  mesures.  Ainsi,  Mgr  Lynch  est  très  opposé  à  l'adoption 
du  bréviaire  romain  et  l'opinion  du  pro-légat  (Mgr  Conroy),  que 
j'ai  consulté,  paraît  être  tout  à  fait  la  même  (celle  de  Mgr  Fabre 
était  à  l'opposé) .  .  .  Sans  doute,  si  je  consulte  les  apparences, 
d'autres  dissonnances  ont  déjà  surgi .  .  .  De  là  mon  désir  d'une 
entente  commune.  Je  l'attends  en  tout  dégagement ..." 

Pour  respectueuse  qu'elle  fût  des  supérieurs  majeurs,  ces 
tiraillements  ne  laissaient  pas,  évidemment,  que  d'embarrasser 
et  de  gêner  Mère  Catherine-Aurélie.  Nous  verrons  en  plu.^  que 
cette  sorte  de  tension  devait  avant  longtemps  s'accentuer  encore, 
quand  s'y  ajouterait  l'oppression  de  voir  le  souffle  de  l'indé- 
pendance agiter  jusqu'à  l'âme  de  quelques-unes  de  ses  filles.  En 
attendant,  comme  il  arrive  toujours,  le  bon  Dieu  lui  accordait  des 
consolations.  C'était  d'abord  la  constance  de  la  bienveillance 
de  ceux  qu'elle  appelait  si  justement  "  nos  Pères  ".  Au  mois  de 
mai  1877,  comme  elle  se  trouvait  en  visite  à  Notre-Dame-de- 
Grâce,  Mgr  Raymond  lui  écrivait  :  "  Je  suis  affligé  de  ce  manque 
d'expansion  que  vous  trouvez  dans  vos  filles  de  Montréal.  J'ai 
l'intime  conviction  qu'il  y  a  chez  elles,  pour  vous,  l'affection  la 
plus  tendre,  la  confiance  la  plus  entière.  Mais  elles  interprètent 
mal  ce  qui  a  pu  leur  être  dit  sous  le  rapport  de  la  direction.  Voici 
comment  je  m'explique  les  choses.  Mgr  Fabre,  frappé  des  abu.*» 


DES  ÉLECTIONS  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  241 

\ 

de  la  direction  dans  quelques  communautés,  a  voulu  mettre  en 
force  un  rescrit  venu  de  Rome.  .  .  Il  est  dit  dans  ce  document, 
émanant  de  l'autorité  papale,  que  "  la  manifestation  de  la  con- 
science dans  la  direction  doit  se  borner  à  la  transgression  publique 
des  constitutions  et  au  progrès  dans  les  vertus,  et  cela  non  obliga- 
toirement mais  facultativement  ".  Ce  sont  les  paroles  textuelles. 
Il  est  évident,  par  la  teneur  même  de  ce  rescrit,  qu'il  n'est  pas 
interdit  à  une  Sœur  de  s'ouvrir  à  sa  supérieure  sur  les  aridités 
qu'elle  peut  éprouver,  sur  la  manière  dont  elle  fait  l'oraison,  sur 
les  grâces  particulières  qu'elle  peut  recevoir,  et  de  lui  demander 
des  avis  pour  la  pratique  des  vertus.  Il  y  a  là  un  champ  encore 
assez  large  pour  qu'une  supérieure  puisse  faire  beaucoup  de  bien 
à  ses  Sœurs.  .  .  Je  regrette  l'interprétation  donnée  à  ce  qu'a  pu 
dire  Mgr  l'évêque  de  Montréal .  .  .  J'ai  moi-même  souffert  de  ce 
qu'à  Notre-Dame-de-Grâce  aucune  des  Sœurs  que  j'ai  formées 
à  la  vie  religieuse,  et  dirigées  plus  ou  moins  longtemps,  ne  m'ait 
demandé  un  entretien  spirituel .  .  .  J'ai  été  un  peu  blessé,  je  ne 
devrais  peut-être  pas  le  dire,  de  ce  qu'on  ne  m'ait  pas  dit  un 
mot  des  quatre  lettres  que  j'ai  écrites  aux  nouvelles  professes. 
Néanmoins,  dans  mes  divers  voyages  à  Montréal,  j'ai  reçu  tant 
de  témoignages  d'affectueuse  disposition  de  leur  part  que  je 
n'accuse  nullement  leur  cœur  d'indifférence  à  cette  expression 
de  mon  intérêt  à  leur  égard.  Je  crois  que  Dieu  permet  de  temps  à 
autre  des  choses  de  cette  nature  pour  qu'on  agisse  uniquement 
pour  sa  gloire  et  avec  un  zèle  parfaitement  désintéressé,  exempt 
de  toute  recherche  de  satisfaction  personnelle.  Je  suis  persuadé, 
ma  chère  fille,  que,  malgré  la  retenue  dont  vous  pouvez  avoir  à 
vous  plaindre,  vous  ferez  avancer  les  Sœurs  que  vous  visitez  dans 
les  voies  spirituelles.  .  ."  C'était  là  de  bien  bonnes  lignes  à  lire. 
Mais  elles  font  voir  aussi  que  la  fondatrice  avait  à  souffrir. 

Son  autre  père  consolateur,  Mgr  Joseph,  ne  lui  ménageait  pas 
non  plus  sa  sympathie.  On  fit,  en  octobre  1877,  le  vingt-cinquième 


242  MÈRE   CATHEHTNE-AtTRÉLIE 

anniversaire  d'épiscopat  du  vénéré  prélat,  et  cette  fête  des  noces 
d'argent  eut  lieu  tout  naturellement  au  Précieux-Sang.  Dans  une 
circulaire  au  clergé,  datée  du  1er  de  ce  mois,  Mgr  Moreau  avait 
annoncé  l'événement.  "  Nous  savons  tous,  écrivait-il,  ce  que  Mgr 
de  Germanicopolis  à  fait  pour  le  diocèse.  Sa  vie  presque  toute  en- 
tière s'est  consumée  au  service  de  notre  Eglise,  et,  quoique 
retiré  aujourd'hui  des  affaires,  il  n'en  continue  pas  moins  à  se 
dévouer  à  son  bien  et  à  sa  prospérité,  en  priant  dans  sa  solitude 
pour  le  succès  de  ses  œuvres  et  en  dirigeant  ses  instituts  religieux 
avec  un  zèle  qui  me  pénètre  pour  ma  part  de  la  plus  vive  recon- 
naissance. Je  remercie  le  ciel  tous  les  jours  de  m'avoir  laissé  pour 
guide  et  pour  conseil  ce  pieux  et  savant  pontife,  qui  voulut  bien 
m'honorer  de  sa  confiance  lorsqu'il  était  chargé  de  l'adminis- 
tration de  ce  diocèse,  et  qui,  aujourd'hui,  m'est  d'un  si  puissant 
secours  dans  les  labeurs  et  les  difficultés  qui  se  rencontrent  dans 
l'accomplissement  des  multiples  devoirs  de  la  charge  pastorale.  .  . 
J'ai  dû  faire  violence  à  la  modestie  du  digne  prélat,  à  son  amour 
du  silence  et  de  la  retraite,  pour  l'amener  à  consentir  à  figurer 
dans  ce  beau  jour,  mais  j'ai  compris  que  j'avais  un  devoir  à 
remplir..."  Comme,  cette  année-là,  le  28  octobre,  jour  anni- 
versaire du  sacre  de  Mgr  Joseph  en  1852,  tombait  un  dimanche, 
Mgr  de  Saint-Hyacinthe  fixait  le  25,  jeudi  précédent,  pour  la 
célébration  du  jubilé  d'argent.  Mgr  Joseph  devait  assister  "  paré  " 
à  la  grand'messe,  dans  la  chapelle  du  Précieux-Sang. 

Il  est  à  peine  besoin  de  dire  que  personne  plus  que  Mère  Cathe- 
rine-Aurélie  et  ses  filles  n'entra  avec  ferveur  dans  le  véritable 
esprit  de  cette  célébration  des  noces  d'argent  épiscopales  du  tant 
vénéré  fondateur.  Nous  n'en  voulons  rapporter  qu'un  seul  témoi- 
gnage. "  Au  milieu  de  ce  concert  de  voix  qui  s'élèvent  de  toutes 
parts  pour  féliciter  Votre  Grandeur  de  ce  qu'il  lui  est  donné  de 
voir  un  si  beau  jour,  écrivait-on  le  24  octobre  du  monastère  de 
Notre-Dame-de-Grâce   au    vénérable   jubilaire,    nous    aimons   à 


DES  ÉLECTIONS   DE  1877   AUX  ÉVÉNEMENTS   DE  1882  243 

croire,  Monseigneur,  que  votre  cœur  de  père  et  de  fondateur  se 
plaira  particulièrement  à  écouter  celle»  de  vos  vierges  du  Précieux- 
Sang.  C'est  pourquoi  les  absentes  du  cher  berceau,  ne  formant 
qu'un  seul  cœur  avecleursbien-aimées sœurs  de  Saint-Hyacinthe, 
s'unissent  à  elles  et  à  leur  chère  mère  pour  vous  offrir  l'hommage 
de  leurs  respectueuses  et  filiales  félicitations  à  l'occasion  du 
vingt -cinquième  anniversaire  de  v^otre  si  fructueux  épiscopat ..." 
Et  l'on  souhaitait  au  jubilaire  de  voir  le  jour  de  ses  noces  d'or,  ce 
qui  l'aurait  conduit  en  1902,  à  94  ans  !  De  Toronto,  pareillement, 
les  meilleurs  vœux  furent  adressés  au  vénéré  père  et  fondateur. 
A  Saint-Hyacinthe  même,  on  le  comprend,  ils  ne  furent  pas  moins 
ardents.  La  fondatrice,  mieux  que  toute  autre,  connaissait  la 
bonté  de  ce  grand  cœur,  et,  mieux  que  personne,  elle  s'entendait 
à  exprimer  les  plus  beaux  sentiments.  A  quelque  temps  de  là,  le 
11  décembre  1877,  elle  écrivait  aux  Sœurs  de  Notre-Dame-de- 
Grâce  :  "  Quel  fondateur  le  ciel  nous  a  donné  !  Plus  tard,  celles 
qui  nous  succéderont  diront  sans  doute  :  "  Que  ne  l'avons-nous 
vu,  que  ne  l'avons-nous  connu  !  "  Et  il  leur  semblera  que,  si  elles 
avaient  vécu  de  son  temps,  elles  auraient  été  plus  ferventes,  plus 
régulières,  plus  véritablement  filles  du  Précieux-Sang.  Nous  qui 
avons  le  bonheur  de  le  posséder,  sachons  en  profiter  et  en  remer- 
cier le  Seigneur.  .  ."  Et  le  20  février  1880,  elle  écrira  encore,  aune 
religieuse,  en  parlant  du  vénéré  Mgr  Joseph  :  "  Que  de  fois  je  l'ai 
vu  se  renoncer,  supporter  avec  une  patience  de  saint  mille  petites 
contrariétés,  s'accuser  de  nonchalance  et  de  tiédeur,  quand 
il  est  visible  que  son  cœur  est  un  perpétuel  foyer  de  sainte  ferveur 
et  d'héroïque  amour.  En  présence  de  cette  vertu  si  forte,  si  suave 
et  si  belle,  comme  je  trouve  la  mienne  pauvre  !.  .  .  Oh  !  c'est 
bien  ainsi  que  Jésus  aime  en  esprit  et  en  vérité,  c'est  bien  ainsi 
que  devrait  l'aimer  une  victime  fidèle  et  généreuse.  .  .  Demandez 
pour  moi  le  pardon  et  la  grâce  de  marcher  sur  les  traces  de  notre 
commun  Père ..." 


244  MÊBE  CATHEHINE-AURÉLIE 

De  sa  famille  aussi,  de  ceux  qui  lui  étaient    unis  par   les  liens 
du  sang,   venaient  à  Mère  Catherine-Aurélie  de  saintes  joies. 
Le   10  juillet   1878,  nous  lisons  sous  la  plume  de  l'annaliste  : 
"  L'anniversaire  de  naissance  de  notre  Mère  s'est  passé  dans  la 
prière  et  dans  un  joyeux  recueillement.  .  .  Pour  bouquet  de  fête, 
nous  lui  avons  offert  la  petite  Aurélie  (sa  nièce,  sœur  de  la  petite 
Marie,  devenue  Sœur    Aurélie-de-Jésus)  vêtue  du  costume  des 
novices.   L'enfant   paraissait   toute  fière   d'être  transformée   en 
petite  Sœur  et  se  promenait  gravement,  les  mains  sur  son  scapu- 
laire .  .  .  Notre  mère  s'amusa  beaucoup  des  gentillesses  de  l'enfant, 
et  nous  eûmes  la  joie  de  voir  que  rien  ne  pouvait  lui  plaire  devan- 
tage  que  ce  bouquet  vivant.  .  ."  Et,  moins  d'un  an  après,  le  26 
février   1879,   l'annaliste  raconte  :   "  La  petite   Aurélie  compte 
aujourd'hui  ses  trois  ans  accomplis.  Les  supérieurs  ont  permis 
de  l'admettre  définitivement  au  monastère,  pour  y  être  élevée  à 
l'ombre  de  l'autel,  comme  autrefois  Marie  au  temple  de  Jéru- 
salem. Mgr  de  Germanicopolis  a  voulu  faire  lui-même  la  céré- 
monie de  sa  présentation   devant  ses   parents  réunis  et     émus. 
Notre  Mère  et  Sœur  Aurélie-de-Jésus  l'ont  conduite  à  la  grille 
du  chœur ..."  C'est  là  un  détail  qui  paraîtra  peut-être  puéril, 
ajouterons-nous,  mais  qui  n'en  met  pas  moins  en  relief  le  bel 
esprit  de  foi  et  de  simplicité  religieuse  dont  on  vivait  dans  l'institut 
et  chez  ceux  qui,  par  le  sang,  touchaient  de  si  près  à  sa  fondatrice. 
Le  vieux  père  de  Mère  Catherine-Aurélie  vivait  encore  à  cette 
époque.  Il  ne  devait  mourir  que  le  25  novembre  1883,  à  82  ans. 
Il  s'était  remarié  plusieurs  années  auparavant,  et  on  leur  avait 
fait,  à  sa  digne  femme  et  à  lui-même,  une  place  à  la  maison  blanche, 
où  ils  menaient  en  paix  une  existence  tranquille.  On  se  souvient 
de  quelles  attentions  ce  bon  papa  avait  entouré  son  Aurélie  au 
temps  de  sa  jeunesse  et  quelle  part  modeste,  mais  généreuse,  il 
avait  prise  à  l'assistance  de  sa  fondation  en  1861.  Reconnaissante 
autant  qu'affectueuse.  Mère  Catherine-Aurélie  s'efforçait  de  lui 


DES  ÉLECTIONS   DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  245 

rendre  ses  dernières  années  heureuses  et  sanctifiantes.  Étant  en 
voyage  à  Toronto,  elle  lui  écrivait  le  1er  mai  1880  :  "  Ayant  un 
petit  moment  de  loisir,  je  le  saisis  avec  bonheur  pour  vous  adresser 
quelques  lignes  et  vous  dire  comme  tout  ce  que  je  vois  ici  et  tout 
ce  que  j'entends  me  fait  penser  à  mon  cher  gros  père  blanc.  Je  ne 
reçois  jamais  une  lettre  de  Saint-Hyacinthe  sans  qu'il  y  soit  ques- 
tion de  vous  et  de  votre  chère  belle  vieille .  .  .  Dans  ce  mois  béni 
de  Marie,  je  la  prie  souvent  de  combler  votre  vieillesse  de  la  paix 
du  ciel  et  du  plus  pur  bonheur  que  l'on  puisse  goûter  dans  cette 
vallée  de  larmes.  Je  pressens  qu'elle  va  vous  accorder  ces  grâces 
et  vous  conserver  encore  longtemps  à  la  tendresse  de  vos  enfants.  " 
Elle  lui  parlait  ensuite  de  Mère  Euphrasie-de-Saint-Joseph,  qui 
était  sa  nièce,  de  Sœur  Aurélie-de-Jésus  et  de  la  petite  Aurélie, 
qu'elle  avait  amenée  avec  elle,  qui  étaient  ses  petites-filles,  entrait 
dans  toutes  sortes  de  détails  charmants  qui  pouvaient  l'intéresser. 
Elle  allait  même  jusqu'à  faire  mention  des  beaux  chevaux  qu'elle 
voyait  passer  !  Elle  racontait  comme  tout  était  calme,  le  dimanche, 
à  Toronto.  Enfin  elle  ajoutait  :  "  J'ai  la  consolation  de  trouver 
beaucoup  de  bonne  volonté  chez  mes  filles  et  de  véritables  efforts 
pour  atteindre  le  but  de  notre  sainte  vocation.  Notre-Seigneur 
semble  bénir  la  petite  mission  que  j'ai  à  remplir  auprès  de  mes 
généreuses  vierges.  J'en  suis  toute  émue  et  toute  reconnaissante 
envers  l'auteur  de  tout  bien,  qui  daigne  me  traiter  si  magnifi- 
quement malgré  mes  profondes  misères.  Je  vous  demande,  mon 
cher  papa,  de  le  remercier  chaque  jour  avec  moi.  " 

L'œuvre  des  petits  contrats,  inaugurée  en  1878,  avait  encore 
multiplié  les  obligations  de  l'active  fondatrice.  Aux  correspon- 
dances à  entretenir  avec  les  maisons  de  Toronto  et  de  Notre- 
Dame-de-Grâce  et  leurs  divers  bienfaiteurs  se  joignaient  celles 
qu'il  fallait  suivre  avec  les  innombrables  souscripteurs  de  cette 
œuvre  nouvelle.  Nous  avons  là,  sous  les  yeux,  d'immenses  cahiers, 
où  se  lisent  des  centaines  et  des  centaines  de  lettres,  écrites  par 


246  MÈRE  CATHEBINE-AUBÉLIE 

Mère  Catherine- Aurélie  de  1878  à  1882.  Nous  ne  saurions  songer 
à  les  reproduire  toutes,  pas  même  à  les  analyser  substantiellement. 
Il  y  aurait  de  quoi  remplir  tout  un  volume  spécial.  Il  nous  convient 
cependant  d'en  tirer  au  moins  quelques  extraits  qui  pourront 
nous  édifier  sur  l'extraordinaire  activité  et  les  généreuses  dispo- 
sitions, toujours  inépuisables,  de  notre  sainte  héroïne.  "  Oh  !  si 
mes  chères  filles  savaient,  mon  Révérend  Père,  écrit-elle  le  27 
décembre  1878,  à  M.  Nercam,  le  sulpicien  qui  l'avait  accueillie 
à  Montréal  au  temps  de  sa  jeunesse,  si  mes  filles  savaient  tout  le 
bien  que  vous  avez  fait  à  mon  âme  ! .  .  .  Mon  cœur  se  souvient  de 
toat  !  Il  apprécie  tout  !  Il  ressent  encore  la  sainte  influence  des 
flammes  du  saint  amour  que  vous  vous  êtes  tant  de  fois  efforcé 
d'allumer  en  lui .  .  .  Rien  n'a  changé  dans  votre  petite  Aurélie 
d'autrefois.  .  ."  —  "  Rien  ne  vous  est  moins  nouveau,  mande-t- 
elle,  le  14  octobre  1878,  au  bon  M.  Lecours,  alors  curé  de  Saint- 
Théodore-d'Acton,  que  de  m'entendre  vous  répéter  mes  sentiments 
de  reconnaissance,  et  pourtant  il  me  semble  que  vous  ne  pouvez 
voir  ce  que  je  vois,  je  veux  dire  les  accroissements  de  notre  grati- 
tude et  de  notre  fidèle  affection,  les  nouveaux  fleurons  qui  s'ajou- 
tent chaque  année  à  la  couronne  de  prières  offertes  pour  vous  en 
retour  de  votre  inoubliable  dévouement.  En  fait  de  sentiments, 
comme  en  fait  de  vertus,  on  ne  peut  rester  stationnaire,  et  voilà 
pourquoi  nous  vous  aimons  plus  en  1878  que  précédemment, 
voilà  pourquoi  aussi  nous  vous  aimerons  davantage  au  ciel.  .  ." 
Elle  trouve  souvent  des  expressions  bien  à  elle,  toutes  vives  et 
charmantes,  pour  rendre  ce  que  son  cceur  éprouv-e.  A  Mgr  Moreau, 
qui  est  en  voyage  à  Rome,  elle  écrit  (21  novembre  1878),  parlant 
de  Sœur  Sainte-Eugénie  qui  va  mourir  de  consomption  :  "  Elle 
languit  toujours  dans  l'attente  du  ciel,  mais  il  me  semble  que  son 
désir  s'angélise  et  se  dégage  de  mieux  en  mieux  de  tout  alliage 
terrestre ..."  Plus  loin,  dans  la  même  lettre,  elle  sollicite  de  son 
évêque  qu'il  obtienne  du  Saint-Père  quelques  faveurs  spirituelles 


DES  ÉLECTIONS    DK  1877   AUX  ÉVÉNEMENTS   DE  1882  247 

et  elle  dit  gentiment  :  "  Je  laisse  le  tout,  Monseigneur,  à  votre  dis- 
crétion, espérant  bien  cependant  que  le  bon  père  ne  reviendra 
pas  au  milieu  de  ses  enfants  sans  leur  rapporter  quelques  bonbons 
comme  il  ne  s'en  trouve  qu'à  Rome  et  au  ciel  !"  A  la  supérieure 
des  Sœurs  de  Saint- Joseph  (Saint-Hyacinthe)  qui  vient  de  voir 
mourir  sa  première  religieuse,  elle  écrit  (19  octobre  1878)  :  "  Vous 
venez  donc  d'envoyer  au  ciel  une  première  messagère.  C'est  un 
bon  signe  !  Courage  !  La  croix  entraîne  des  bénédictions  à  sa 
suite  et  il  faut  que  le  grain  soit  mis  en  terre  pour  qu'il  rapporte 
du  fruit.  "  A  la  supérieure  des  Sœurs  de  la  Présentation  (Mère 
Saint-Marc),  à  l'occasion  de  la  mort  en  France  de  la  supérieure 
générale  (Mère  Saint-Maurice),  elle  écrit  (25  avril  1878)  :  "  Notre- 
Seigneur  n'a  pas  voulu  vous  l'enlever,  seulement  il  a  changé  ses 
moyens  de  vous  être  utile.  Il  a  voulu  qu'après  avoir  travaillé 
sous  vos  yeux  à  votre  bonheur  et  à  votre  accroissement,  elle 
travaille  m'^intenant  d'une  manière  secrète  et  invisible,  mais  plus 
puissante  encore,  à  faire  avancer  votre  communauté  plus  rapi- 
dement dans  la  voie  des  vertus  et  des  saintes  œuvres  que  la 
vénérable  Mère  Rivière  lui  a  ouverte.  "  A  la  Mère  Saint-Georges, 
des  Ursulines  de  Québec,  dont  la  sœur  vient  de  mourir,  elle  écrit 
(juillet  1878)  :  "  Avec  toute  mon  affection  et  toute  ma  recon- 
naissance pour  mes  dignes  et  vénérées  Mères  Ursulines,  j'ai 
promis  à  lady  Belleau  mes  plus  ardentes  prières  à  vos  intentions .  .  . 
Mon  cœur  prend  une  part  bien  large  à  l'affliction  du  vôtre  .  .  .  Mes 
voyages  en  esprit  suppléent  à  ceux  que  je  ne  puis  faire .  .  .  J'ai 
du  plaisir  à  me  faire  abeille  pour  aller  butiner  dans  le  parterre 
où  vécut  la  vénérable  Mère  de  l'Incarnation  et  où  il  y  a  tant  de 
belles  fleurs  religieuses ..."  A  l'une  de  ses  plus  chères  amies  du 
monde,  madame  Bliss,  de  New  York,  qui  souffre  sur  la  croix 
de  bien  des  peines,  elle  mande  (juillet  1878)  :  "  Allez,  ma  douce 
fille,  vous  plonger  plus  profondément  encore  dans  les  flots  de  ce 
Jourdain  mystérieux  qu'est  le  Précieux  Sang .  .  .  Allez  demander 


248  MÈEE  CATHEBINE-AURÉLIE 

à  Marie  comment  on  aime  dans  la  ferveur  des  saints  transports  ; 
à  Catherine,  comment  on  aime  par  les  ardeurs  du  zèle  ;  à  Madeleine, 
comment  on  aime  par  les  larmes  de  la  pénitence ..." 

Mais  nous  n'en  finirions  pas,  si  nous  voulions  la  suivre,  ne 
serait-ce  que  pendant  les  douze  mois  d'une  seule  année  !  Notons 
seulement  encore  quelques-uns  de  ses  remerciements  aux  souscrip- 
teurs des  petits  contrats.  Au  curé  de  Chicoutimi,  M.  le  grand- 
vicaire  Dominique  Racine,  qui  va  devenir  évêque  bientôt,  elle 
écrit  (15  juin  1878)  :  "  Le  bon  Dieu,  je  le  vois  bien,  a  regardé 
l'humilité  de  ses  petites  servantes,  puisqu'il  daigne  inspirer  à 
plusieurs  prêtres  distingués  d'honorer  de  leur  nom  notre  liste 
de  bienveillants  souscripteurs,  à  la  suite  de  ceux  de  nos  vénérés 
fondateurs.  Le  vôtre,  monsieur  le  grand-vicaire,  nous  est  arrivé 
comme  une  bénédiction  du  ciel  et  un  gage  de  succès.  L'aumône 
d'un  élu  du  Saint-Esprit  pour  la  grande  et  redoutable  fonction 
de  l'épiscopat  portera  bonheur  aux  humbles  vierges  qui  la  reçoi- 
vent avec  tant  de  gratitude.  .  ."  A  M.  le  chanoine  Decelles,  futur 
évêque  de  Saint-Hyacinthe,  alors  curé  de  la  cathédrale  de  cette 
ville,  elle  parle  ainji  (octobre  1878)  :  "  Vous  nous  avez  ouvert  la 
porte  de  votre  charité  avant  même  que  nous  allions  y  frapper .  .  . 
Connaissant  vos  œuvres  nombreuses,  je  n'aurais  pas  osé,  monsieur 
le  chanoine,  me  joindre  à  la  foule  des  importuns  pour  vous  présen- 
ter un  de  nos  petits  contrats.  Mais,  puisqu'une  âme  trop  dévouée 
l'a  fait  à  ma  place,  et  que  vous  lui  avez  accordé  un  si  bon  accueil, 
je  ne  puis  refuser  les  dons  de  la  Providence,  et  je  contracte  avec 
vous  de  grand  cœur  cet  engagement  spirituel  qui  vous  fait  notre 
bienfaiteur  et  notre  ami  et  qui,  de  notre  côté,  nous  rend  en  quel- 
que sorte  vos  petites  sœurs  dans  le  sang  de  Jésus,  lien  de  cette 
union ..."  A.  M.  Duhamel,  prêtre  naguère  au  ministère  aux 
États-Unis  revenu  à  Montréal,  elle  s'adresse  en  ces  termes  (juin 
1878)  :  "  Je  suis  profondément  touchée  et  reconnaissante,  mon 
cher  Père,  de  ce  que  votre  zèle  vous  inspire  en  faveur  de  notre 


DES  ]ÔLBCTION8   DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  249 

œuvre .  .  .  La  misère  des  pauvres  Canadiens  des  États-Unis  m'é- 
meut aussi  beaucoup  et  me  fait  apprécier  davantage  ce  que  nous 
recevons  de  plusieurs  d'entre  eux ...  Il  me  fait  presque  peine 
d'accepter  même  une  obole  de  ces  pauvres  gens,  qui  ont  eux- 
même  de  plus  pressants  besoins  que  nous . .  .  Que  les  trésors  du 
cœur  de  Jésus  s'ouvrent  en  leur  faveur . .  .  '* 

En  juillet  1878,  à  la  suite  de  circonstances  sur  lesquelles  nous 
n'avons  pas  à  insister,  à  cause  de  difficultés  matérielles  surtout, 
les  Sœurs  de  la  maison  de  Toronto  furent  un  moment  menacées 
d'avoir  à  quitter  cette  ville.  Dans  une  longue  lettre  à  la  supérieure. 
Mère  Euphrasie-de-Saint-Joseph,  la  fondatrice,  exhorte  ses  filles 
à  bien  s'examiner  et  à  réfléchir  sur  les  causes  cachées  et  intimes, 
qui  pourraient  avoir  préparé  cette  épreuve,  et  en  consommeraient 
le  dénouement,  si  on  ne  se  hâtait  de  conjurer  la  tempête  par  la 
prière  et  un  redoublement  de  ferveur.  "Vous  êtes  sur  le  chandelier, 
leur  dit-elle,  mes  bien-aimées  filles.  Il  faut  que  votre  lumière 
brille  autour  de  vous  pour  éclairer  les  pauvres  égarés  qui  vous 
entourent.  A  Toronto,  votre  responsabilité  est  plus  grande 
qu'ailleurs,  parce  que  le  milieu  où  vous  vivez  exige  de  vous  une 
prudence  plus  grande  et  une  édification  qui  s'exhale,  pour  ainsi 
dire,  à  travers  les  murs  de  votre  petit  monastère.  Croyez-le  bien, 
si  vous  édifiez  véritablement,  si  vous  savez  être  les  gardiennes  et 
les  paratonnerres  de  la  ville  où  le  zèle  d'un  saint  évêque  vous  a 
appelées.  Dieu  ne  permettra  pas  que  vous  ayiez  la  honte  et  le 
châtiment  d'être  forcées  à  la  quitter.  .  ."  A  quelque  temps  de  là, 
elle  écrit  à  mademoiselle  Hoskin,  de  cette  même  ville,  aux  démar- 
ches et  aux  bons  offices  de  qui  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  durent 
en  grande  partie  de  n'avoir  pas  à  partir  :  "  Que  le  sang  divin 
soit  votre  force  et  votre  joie  tous  les  jours  de  votre  vie  !  Vous 
travaillez  pour  lui,  vous  lui  offrez  bien  des  pas  et  des  démarches, 
bien  des  ennuis  et  des  fatigues.  Oh  !  qu'il  travaille  en  retour  pour 
vous  !  Avec  sa  toute-puissante  intercession,  qu'il  enrichisse  votre 


250  MÈBE  CATHERINE-AUBÉLIS 

âme  d'autant  de  perles  et  de  diamants  spirituels  que  vous  consa- 
crez d'instants  à  le  glorifier  et  à  aider  les  vierges  qui  l'honorent  !  " 

A  Notre-Dame-de-Grâce  aussi,  il  y  avait,  pour  la  fondatrice, 
des  difficultés  à  surmonter  et  des  épreuves  à  subir.  La  question 
de  la  construction  d'un  monastère  y  était  à  l'ordre  du  jour.  M.  le 
curé  Napoléon  Maréchal  avait  cessé  d'être  le  supérieur  ecclésias- 
tique du  monastère  et  il  n'était  plus  davantage  le  directeur 
spirituel  des  Sœurs.  C'est  à  son  frère,  M.  Théophile,  que  Mgr 
Fabre  avait  confié  ce  dernier  ministère.  Mais  M.  le  curé  restait 
le  syndic  de  la  communauté,  chargé  de  voir  à  la  construction 
future.  L'année  suivante,  en  juin  1879,  Mère  du  Spint-Espri*,  la 
fondatrice  de  la  maison,  devait  revenir  à  Saint-Hyacinthe  et 
être  remplacée  par  Sœur  Saint-Alphonse.  Mgr  Fabre  ne  parta- 
geait pas,  en  tous  points,  les  idé^s  de  Mgr  Joseph  au  sujet  du 
bréviaire  à  dire,  de  la  manière  d'entendre  ou  de  faire  la  direction 
spirituelle.  Tout  cela  amenait  une  certaine  gêne  dan.:i  les  relations 
entre  Mgr  Joseph,  le  fondateur,  Mère  Catherine-Aurélie,  la  fon- 
datrice, et  leurs  filles  de  la  montagne  de  Montréal.  Mgr  Joseph, 
dans  sa  pieuse  et  laborieuse  retraite  de  la  maison  blanche,  n'en 
travaillait  pas  moins  à  la  rédaction  des  règles  et  couetitutions  de 
l'institut. 

Entre  temps,  le  6  avril  1878,  Mgr  Moreau  avait  réglé,  par  un 
décret,  la  translation  du  siège  de  la  confrérie  du  Précieux-Sang  — 
établie  par  Mgr  Prince  le  19  mars  1858  dans  la  chapelle  du  couvent 
des  Sœurs  de  la  Congrégation,  devenu  peu  après  celui  des  Sœurs 
de  la  Présentation,  puis  transférée  par  Mgr  Joseph  LaRocque 
le  14  mai  1862  à  l'autel  de  la  vierge  à  la  cathédrale  —  à  la 
chapelle  des  Sœurs  du  Précieux-Sang. 

Le  2  septembre  de  la  même  année,  Mgr  l'évêque  annonçait 
à  son  clergé  et  à  ses  fidèles  qu'il  partirait  le  12  octobre  pour 
Rome,  où  il  allais,  pour  la  première  fois,  remplir  le  devoir  de  la 
vi«!ite  ad  limina  apostolorum  et  rendre  ^es  hommages  au  nouveau 


DES  ÉLECTIONS  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  261 

pape.  Sa  Sainteté  Léon  XIII,  qui  avait  succédé,  au  mois  de  mars 
précédent,  au  regretté  pontife  Pie  IX.  Le  21  novembre,  Mère 
Catherine-Aarélie  écrivait  à  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  une  lettre, 
des  plus  respectueuses  et  des  plus  filiales,  à  laquelle  nous  avons 
déjà  fait  allusion.  Après  avoir  prié  Sa  Grandeur  de  penser  à  elle 
et  à  ses  filles,  dans  les  sanctuaires  fameux  et  aux  pieds  du  Saint- 
Père,  elle  lui  parlait  naturellement  de  l'approbation  des  règles 
et  constitutions  de  son  institut,  à  la  rédaction  desquelles  travaillait 
déjà  depuis  de.'*  années  Mgr  de  Germanicopolis.  "  Vous  voyez  de 
plus  haut  que  nous.  Monseigneur  et  \énéré  Père,  mandait-elle  à 
Mgr  Moreau,  et  vous  êtes  plus  en  état  dr  savoir  ce  qui  nous 
manque.  Oh  !  suppliez  Marie,  forcez-la,  j'ose  le  dire,  de  faire  de 
nous  ses  dignes  filles.  Elle  nous  exaucera.  Monseigneur,  en  vous 
exauçant  !  Elle  vous  fera  goûter  la  consolation  de  voir  que  vous 
ne  vous  dévouez  pas  en  vain  pour  vos  enfants  du  Précieux-Sang. 
Après  nos  intérêts  proprement  i^pirituels.  Monseigneur,  notre 
premier  besoin  est  bien  sans  doute  l'approbation  de  nos  règles  et 
constitutions.  Aussi  je  me  permets  de  recommander  encore  tout 
particulièrement  cette  affaire  à  votre  zèle  et  à  votre  charité.  La 
sanction  de  l'Église  nous  ferait  sortir  de  l'enfance  et  marcher  d'un 
pas  plus  rapide  et  plus  sûr  dans  une  voie  désormais  éclairée  d'un 
rayon  divin .  .  .  Notre  bon  Père,  Mgr  de  Germanicopolis,  Travaille 
avec  autant  d'activité  que  ses  infirmités  le  lui  permettent.  Mais 
il  a  besoin  d'être  pressé,  encouragé,  tant  il  se  défie  de  lui-même 
et  de  ses  lumières.  Il  est  quelquefois  dommage  que  les  saints  se 
connaissent  si  peu.  Je  serais  presque  tentée  de  souhaiter  à  Mgr 
Joseph  l'amour-propre  de  croire  au  moins  qu'il  peut  quelque  chose 
pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  bien  de  sa  petite  communauté  du 
Précieux-Sang  !.  .  ." 

Vers  le  même  temps,  exactement  le  11  décembre  1878,  Mgr 
Joseph,  écrivant  à  la  supérieure  de  Toronto,  avait  l'occasion 
d'exposer  fort  nettement  où  il  en  était  rendu  dans  cette  rédaction 


252  MÈRE  CATHERINE-AURÉLIE 

des  règles  et  constitutions.  Cette  lettre  importante  est  à  citer 
presqu'au  complet.  "  Devant  envoyer  les  constitutions  de  l'institut 
à  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  durant  son  séjour  à  Rome,  disait-il, 
j'ai  voulu  m'éclairer,  avant  de  les  rédiger  définitivement,  auprès 
de  Mgr  de  Toronto  et  de  Mgr  de  Montréal,  comme  aussi  auprès  de 
votre  communauté  et  de  celle  de  Notre-Dame-de-Grâce.  Il  n'y 
a  pas  eu  unité,  tant  s'en  faut,  entre  la  manière  de  voir  de  Mgr 
Lynch  et  celle  de  Mgr  Fabre  sur  des  points  qai  me  paraissent  des 
plus  importants  !  Vous  avez  répondu  que  vous  accepteriez  ce 
qui  serait  proposé  à  Rome  par  Saint-Hyacinthe.  Nos  chères 
Sœurs  de  Notre-Dame-de-Grâce  ont  réclamé  l'adoption  du 
bréviaire  romain,  la  clôture  entière,  et,  en  fait  de  rapports  avec 
la  maison-fondatrice,  l'équivalent  d'une  indépendance  complète. 
Si,  sur  ce  dernier  point,  le  fond  de  leur  désir  est  enveloppé  dans 
la  forme,  je  ne  puis  que  le  discerner  clairement  à  l'aide  des  lettres 
de  Mgr  Fabre  qui,  lui,  se  décide  nettement  pour  l'entière  indé- 
pendance, accompagnée  des  seuls  liens  d'amitié  et  d'union  frater- 
nelle. En  conséquence,  j'ai  dû  tâcher  d'obtenir  que  Rome  nous 
mette  d'accord.  Sur  la  question  de  l'oflBce  divin,  je  propose  un 
bréviaire  spécial,  en  rapport  avec  la  fin  de  votre  institut  et  moins 
long  que  le  bréviaire  romain.  Pour  la  clôture,  j'adopte  en  principe 
la  clôture  active  et  passive,  (mais)  avec  la  faculté  laissée  aux 
évêques  de  juger  quand  elle  sera  possible  et  opportune  pour  leurs 
maisons  respectives .  .  .  Quant  aux  rapports  des  autres  maisons 
avec  les  maisons-fondatrices,  soit  de  Saint-Hyacinthe,  soit 
d'ailleurs,  je  ne  propose  d'autres  liens  de  dépendance  que  ceux 
qui  seront  établis  par  les  constitutions  une  fois  approuvées  et 
celui  de  l'observation  uniforme  des  mêmes  règles  et  coutumes 
dans  tout  l'institut.  Rome  seule  pourra  changer  ou  modifier  ces 
constitutions  et  les  chapitres  des  différentes  maisons  pourront 
seuls  changer  ou  modifier  par  une  entente  commune  les  règles 
et  coutumes.  A  l'aide  de  ces  provisions,  si  elles  reçoivent  l'appro- 


DES  ÉLECTIONS  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  253 

bation  du  Saint-Siège,  il  est  à  espérer  que  les  principaux  dangers 
et  inconvénients  de  l'indépendance  complète  seront  évités  et  que 
l'institut  conservera  son  unité  et  son  esprit.  Pour  parer  aux  autres 
inconvénients,  les  évêques,  au  nom  du  ciel  et  de  la  sainte  Église, 
prêteront  leur  constante  et  éclairée  surveillance,  personnellement 
ou  par  leurs  délégués  (supérieurs  et  directeurs  spirituels) .  .  .  Ainsi 
sont  conçues,  ma  chère  Mère,  en  substance,  les  constitutions 
touchant  les  troio  points  les  plus  embarrassants.  Que  va  faire 
Rome  par  la  Sacrée  Congrégation  ?  Ce  que  le  Saint-Esprit  lui 
inspirera,  ayons-en  la  confiance.  En  conséquence,  invoquons  cet 
Esprit  de  sainteté,  de  sagesse  et  de  lumière.  Maintenant,  il  me 
reste  à  faire  l'important  travail  de  la  revision  des  règles.  Je 
pèserai  beaucoup  les  observations  qui  m'ont  été  faites  ou  qui  me 
seront  faites  à  l'avenir.  Priez  avec  moi  et  pour  moi.  "  Enfin» 
en  post-scriptum,  le  digne  évêque-fondateur  ajoutait  à  l'adresse 
de  la  supérieure  de  Toronto  :  "  Il  va  sans  dire,  ma  chère  Mère,  que 
la  nouvelle  constitution  que  je  viens  d'esquisser  ne  modifiera  pas 
vos  relations  avec  nous  jusqu'à  ce  que  vous  soyez  plus  mûres 
pour  la  complète  indépendance.  " 

C'est  Mère  Catherine- Aurélie  qui,  se  trouvant  alors  en  visite  à 
Toronto,  répondit,  le  22  décembre  1878,  à  Mgr  Joseph,  au  nom 
de  ses  filles  de  Toronto  et  de  toute  la  communauté.  "  Nous  bénis- 
sons et  remercions  Dieu,  Monseigneur,  écrivait-elle,  de  vous 
avoir  pour  fondateur  et  pour  père.  Chaque  jour,  nous  demandons 
que  le  sang  de  Jésus,  pour  la  gloire  duquel  vous  vous  livrez  depuis 
longtemps  à  un  travail  aussi  fatigant  que  celui  de  la  rédaction 
de  nos  constitutions  et  de  nos  règles,  soit  lui-même  votre  récom- 
pense. Qu'il  soit  aussi.  Monseigneur  et  digne  Père,  votre  conso- 
lation dans  les  peines  que  vous  éprouvez,  votre  lumière  et  votre 
force  dans  les  difficultés  et  les  embarras  que  vous  rencontrez  pour 
asseoir  l'avenir  de  notre  chère  communauté,  afin  que  par  les 
mérites  infinis  de  ce  sang  précieux  vous  ayez  bientôt  la  joie  de 


254  MÈRE  CATHEBINE-ATTRéLIE 

voir  votre  institut  du  Précieux-Sang  béni  et  approuvé  par  la 
sainte  Eglise  !.  .  .  Nous  avons  aimé  et  admiré.  Monseigneur,  la 
manière  sage  et  prudente  rvec  laquelle  vous  avez  rédigé  nos 
dernières  règles  et  constitutions.  Nous  aurions  accepté  et  nous 
accepterons  encore,  si  c'est  la  volonté  de  Dieu  et  le  désir  de  nos 
fondateurs,  la  récitation  du  bréviaire  romain.  Mais  ce  serait  là 
pour  nous,  certainement,  une  tâche  difficile  à  remplir...  Celui 
que  vous  proposez  (l'office  du  Précieux  Sang),  Monseigneur, 
paraît  facile  à  toutes  indistinctement.  Pour  la  clôture,  nous 
l'aimerons  et  la  désirons,  et  j'espère  qu'avant  bien  des  années 
nous  pourrons  nous  y  conformer.  .  .  Quant  à  la  constitu^on  qui 
détermine  les  rapports  qui  doivent  exister  entre  nos  différentes 
maisons,  il  me  semble  que  ce  que  vous  proposez  est  de  nature  à 
contenter  tout  le  monde.  Vous  le  savez,  très  vénéré  Père,  nous 
n'avons  jamai-,  demandé  ni  dé^siré  l'indépendance,  vu  les  incon- 
vénients qui  pourraient  en  ré-ulter.  Mais  si  Rome  approuve  les 
constitutions  telles  qu'elles  sont  maintenant  dressées,  nous  en 
serons  tout  à  fait  satisfaites.  Car  vous  avez  prévu  ces  dangers 
et  vous  avez  trouvé  les  moyens  de  nous  en  prémunir.  Si,  une  fois 
approuvées  par  le  Saint-Siège,  les  constitutions  étaient  suscep- 
tibles d'être  changées  au  gré  des  religieuses,  je  trouverais  pénible 
qu'elles  ne  donnassent  pas  à  nos  vénérés  fondateurs  un  droit 
spécial  de  surveillance  sur  toutes  les  maisons  et  plus  d'autorité 
qu'aux  autres  supérieurs.  Mais,  comme  ce  qui  sera  réglé  et  ap- 
prouvé maintenant  doit  aussi  subsister  pour  l'avenir  et  que,  de 
plus,  nous  devons  être  cloîtrées  et  placées  sous  la  vigilante  sur- 
veillance des  évêques  et  des  directeurs  spirituels,  il  nous  semble 
que  les  rapports  que  vous  établissez  dans  la  dernière  constitution 
sont  suffisants  pour  enlever  toute  crainte  et  toute  appréhension 
de  part  et  d'autre.  Du  reste,  tant  que  Dieu  nous  fera  la  grâce 
de  laisser  ici-bas  nos  vénérés  et  chers  fondateurs,  nous  serons 
toujours  heureuses,  aussi  longtemps  qu'il  (que  cela)  nous  sera 


DBS  SÉLECTIONS  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  255 

permis,  de  nous  laisser  guider  par  leurs  sages  et  éclairés  conseils, 
comme  nous  le  serons  aussi  de  recevoir  leurs  remarques  et  même 
leurs  réprimandes,  s'ils  les  jugent  nécessaires.  Nous  voulons 
être,  Monseigneur  et  bon  Père,  envers  vous,  ce  que  nous  avons 
toujours  été,  des  enfants  dévouées,  reconnaissantes,  respec- 
tueuses et  finalement  attachées.  .  ." 

Le  5  janvier  1879,  la  fondatrice  revient  sur  ce  sujet  de  Vindê- 
pendance  des  maisons-filles,  dans  une  longue  lettre  adressée,  à 
Rome,  à  Mgr  Moreau.  Elle  entre  dans  nombre  de  détails,  explique 
que  Mgr  Joseph  n'a  peut-être  pas  parfaitement  saisi  ce  que  veulent 
les  évêques,  que  Mgr  de  Toronto  ne  demande  pas  la  séparation 
et  que  Mgr  de  Montréal  ne  paraît  pas  opposé  à  un  généralat,  que 
surtout  les  Sœurs  de  Toronto  et  de  Notre-Dame-de-Grâce  ont 
parlé  quelquefois  d'une  façon  équivoque,  qui  a  pu  faire  croire 
qu'elles  voulaient  l'indépendance,  mais  que,  d'un  autre  côté,  elles 
tiennent  à  l'unité  entre  les  maisons  plutôt  qu'à  l'union  fraternelle 
que  propose  Mgr  Joseph.  *'  Pour  moi.  Monseigneur,  dit-elle,  je 
vous  confie  que  la  séparation  complète  m'épouvante  pour  l'avenir. 
C'est  peut-être,  il  est  vrai,  la  plus  simple  manière  de  nous  délivrer 
de  toute  sollicitude  à  l'égard  des  autres  maisons .  .  .  Mais  que  de- 
viendra l'esprit  de  l'institut  ?  "  Plus  loin  elle  ajoute  :  "  Si,  faute 
d'unité  ou  de  moyens  de  préservation,  l'une  de  nos  maisons  venait 
à  tomber  dans  une  sorte  de  décadence,  quel  discrédit  ce  serait 
pour  l'ordre  tout  entier?.  .  ."  D'ailleurs,  elle  se  soumet  à  ce  que 
Mgr  de  Saint-Hyacinthe  et  les  Congrégations  de  Rome  décideront. 

Ce  projet  d'approbation  des  constitutions  par  Rome  n'eut  pas 
de  suites  immédiates.  Le  14  février  1879,  la  fondatrice,  au  cours 
d'une  lettre  à  la  supérieure  de  Notre-Dame-de-Grâce  (Mère  du 
Saint-Esprit),  s'en  explique  ainsi  :  "Je  recevais  hier  la  cinquième 
lettre  que  veut  bien  m'adresser  Mgr  Moreau  depuis  son  départ 
pour  Rome .  .  .  Pour  plusieurs  raisons.  Sa  Grandeur  juge  à  propos 
d'attendre   à  l'année   prochaine   pour   demander  l'approbation. 


256  MÈRE  CATHERINE-ATJBÉLIE 

malgré  l'encouragement  flatteur  que  Sa  Sainteté  Léon  XIII  a 
bien  voulu  lui  donner.  .  .  Il  aurait  fallu  un  séjour  de  plusieurs 
mois  à  Rome  pour  permettre  à  Monseigneur  de  terminer  cette 
affaire  si  importante  et  d'où  dépend  l'avenir  de  notre  institut .  .  .  ** 
Disons  d'un  mot,  nous  réservant  d'y  revenir  plus  tard,  en  son 
temps,  que  cette  approbation  romaine  devait  être  donnée,  pour 
cinq  ans,  le  24  novembre  1889,  puis  définitivement,  le  20  octobre 
1896. 

Plusieurs  Sœurs  étaient  mortes  au  monastère  de  Saint-Hyacin- 
the, au  cours  de  cette  année  1878  :  Sœur  Sainte-Rose-de-Lima, 
Sœur  Saint-Jean-Berchmans  et  Sœur  Sainte-Eugénie.  Il  fut  décidé 
qu'à  l'avenir  on  annoncerait  ces  décès  par  circulaire.  Dans  les 
trois  monastères,  la  vie  se  continuait  pieuse  et  fervente.  Ces 
divergences  de  vue  et  ces  petits  tiraillements,  auxquels  nous 
avons  peut-être  donné  trop  d'importance,  mais  qu'il  fallait  bien 
faire  connaître,  puisque  ce  furent  là  pour  toutes,  et  principalement 
pour  la  fondatrice,  de  vraies  occasions  de  souffrances  et  de  mérites, 
allaient  sans  doute  se  continuer.  Mais  ce  serait  une  injustice  et 
une  fausseté  de  ne  voir  que  cela  dans  l'histoire  que  nous  racontons. 
Répétons-le,  la  vie  était  fervente  dans  les  trois  communautés, 
en  particulier  dans  celle  de  Saint-Hyacinthe.  Parfois,  quand  Mère 
Catherine-Aurélie  revenait  sur  le  passé,  elle  se  délectait  à  louer  et 
à  bénir  Dieu  avec  de  vifs  transports  de  reconnaissance.  Elle  en 
avait  sûrement  le  droit.  Le  25  mars  1879,  elle  écrit  à  son  amie, 
madame  Bliss,  de  New  York  :  "  Pour  moi,  cette  fête  de  l'Annon- 
ciation est  une  jouissance  d'intimes  et  délicieux  sou\enirs.  C'est, 
pour  ainsi  dire,  le  jour  où  ma  communauté  a  été  conçue  dans  mon 
cœur  (1858)  pour  naître  trois  ans  après  !  Bénissez  Dieu  avec  moi, 
chère  Catherine,  et  priez  avec  moi  pour  que  l'avenir  réponde 
aux  desseins  de  la  Providence.  .  .  Je  voudrais,  avant  de  mourir, 
voir  une  armée  compacte  d'âmes  aimantes  et  fidèles  jurer  leur 
amour  au  sang  de  Jésus  et  s'enrôler  sous  ses  étendards  pour  attirer 


DES  :éLBCTION8  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  257 

à  leur  tour  d'autres  âmes  à  son  culte..."  Au  mois  d'octobre 
précédent  (6  oct.  1878),  elle  écrivait  à  la  même  :  "  Notre  église  de 
Notre-Dame  possède  une  statue  de  la  Vierge  du  rosaire,  qui 
m'attirait,  dès  mon  enfance,  par  un  charme  irrésistible.  C'est  à 
ses  pieds,  me  semble-t-il,  que  j'ai  reçu  les  premières  intuitions 
de  ma  destinée,  que  j'ai  senti  naître  en  moi  les  premiers  germes 
de  vocation  à  la  vie  religieuse  et  contemplative."  Ces  souvenirs, 
on  sent  qu'elle  les  évoque  avec  une  joie  pieuse.  Et,  pareillement, 
quand,  écrivant  à  l'une  ou  l'autre  des  Sœurs  plus  jeunes,  elle  parle 
des  vertus  et  des  mérites  de  .ses  trois  premières  compagnes,  on 
éprouve  que  son  cœur  est  tout  au  bonheur.  Le  bon  Dieu,  d'ordi- 
naire, se  plaît  à  balancer  les  choses  dans  nos  infirmes  destinées 
humaines.  Ce  sont  encore  les  saintes  âmes  qui  sont  les  plus  heu- 
reuses sur  terre,  car,  même  quand  elles  ont  à  souffrir,  elles  savent 
mieux  que  d'autres  où  se  trouve  la  vraie  consolation. 

Au  mois  de  juin  1879,  Mère  du  Saint-Esprit,  malade,  fut  rap- 
pelée à  Saint-Hyacinthe  et  Mère  Saint-Alphonse  la  remplaça 
à  Notre-Dame-de-Grâce.  En  adressant  à  la  nouvelle  supérieure 
de  ses  filles  de  la  montagne  ses  félicitations  et  ses  vœux,  et  dans 
plusieurs  lettres  subséquentes,  la  fondatrice  ne  cache  pas  qu'elle 
supporte  avec  peine  la  gêne  qui  existe  dans  les  relations  de  la 
maison-mère  avec  celle  de  Montréal.  "  Ma  chère  Saint-Alphonse, 
écrit-elle  (6  juin),  je  voudrais  pouvoir  être  pour  vous  cette  amie 
dont  vous  semblez  tant  désirer  l'union  avec  votre  chère  âme.  Mais 
n'y  a-t-il  pas  de  pénibles  causes  qui  m'en  rendent  indigne  ?  On  m'a 
accusée,  chez  vous,  depuis  longtemps,  de  m'être  autrefois  si  grave- 
ment opposée  au  bien  de  plusieurs  de  mes  filles,  de  les  avoir 
dirigées  et  maintenues  tyranniquement,  illusoirement,  dans  une 
voie  si  fausse,  qu'elles  se  croient  forcées  en  conscience  de  rétracter 
leur  passé.  .  .  D'aussi  sérieuses  inculpations  ne  pouvaient  guère 
manquer  d'inspirer  un  manque  total  de  confiance  à  certains  supé- 
rieurs .  .  .   Aussi,  ma  chère  Mère,  je  sens  si  fortement  tout  cela 


258  MÈBE  CATHERINE-AURÉLIE 

que  je  suis  inclinée  à  me  retirer  au  dedans  de  moi-même .  .  .  En 
dépit  de  tout,  je  garde  dans  mon  cœur  les  vœux  les  plus  tendres  et 
les  plus  sincères  pour  le  bonheur  de  vous  toutes  et  en  particulier 
pour  celui  des  nouvelles  élues ..."  En  effet,  Mère  Catherine- Aurélie 
ne  se  désintéresse  pas  de  ses  filles  qui  paraissent  s'éloigner  d'elle.  Le 
19  août,  elle  écrit  une  lettre  affectueuse  à  l'une  d'entre  elles.  Sœur 
Saint-François-Xavier,  qui  s'occupait,  à  Notre-Dame-de-Grâce, 
à  peindre  des  emblèmes  du  Précieux  Sang.  Comme  ce  n'est  pas 
là  un  oflBce  régulier,  elle  ne  saurait  lui  donner,  dit-elle,  "  un  direc- 
toire spécial  ",  mais  elle  l'engage  suavement  à  bien  sanctifier  ce 
travail  d'art.  Une  autre  fois,  dans  la  même  année,  elle  "rompt  un 
long  silence  ",  pour  écrire  à  Mère  Saint-Alphonse  comme  elle  est 
heureuse  d'une  récente   démarche   de   M.    Maréchal  qui  lui  a 
demandé  d'  "oublier  un  regret  table  passé.  .  ." — "  Puisque,  ajoute- 
t-elle,  selon  toute  apparence,  l'approbation  de  nos  saintes  règles 
va  établir  entre  nous  des  liens  indissolubles  et  faire  de  nos  trois 
maisons,  et  de  toutes  celles  qui  pourraient  naître  encore,  un  même 
arbre,  se  nourrissant  de  la  même  sève  et  portant  les  mêmes  fruits, 
n'est-il  pas  temps  de  nous  rapprocher  sous  notre  cher  et  glorieux 
étendard  du  Précieux  Sang  ? .  .  .    Monseigneur,  notre  doux  père 
(Mgr  Joseph),  laisse  de  nouveau  épancher  sur  vous,  bien-aimées 
enfants,  une  bénédiction  que  son  cœur  a  retenue  longtemps  avec 
une  véritable  angoisse  et  de  mortelles  inquiétudes..."  Le   12 
janvier  1880,  dans  une  lettre  qui  couvrirait  au  moins  une  douzaine 
de  pages  comme  celle-ci,  adressée  encore  à  Mère  Saint-Alphonse, 
elle  revient  sur  ce  pénible  sujet  des  relations  trop  tendues,  avec 
une  tendresse  d'expression  et  un  souci  si  évident  de  gagner  la 
confiance  de  ses  enfants,  qu'on  ne  saurait  ne  pas  percevoir,  sous 
la  plume  pourtant  très  ferme  de  la  supérieure,  l'incomparable 
bonté  du  cœur  de  la  mère  :  "  Vous  devez  le  sentir  vous-même, 
chère  fille,  il  n'y  a  plus  entre  nous  cette  ouverture  de  cœur  et 
cette  confiance,  dit-elle,  qui  vont  simplement  et  librement,  sans 


DES  ÉliBCTIONS  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  259 

crainte  ni  arrière-pensée.  On  aurait  dit  parfois  qu'à  Notre-Dame- 
de-Grâce  on  se  défiait  de  Saint-Hyacinthe  et  qu'on  redoutait  son 
intervention  au  lieu  de  la  désirer  comme  une  lumière  et  un  se- 
cours ...  Je  ne  veux  pas  parler  ici  de  la  direction  spirituelle  et 
intérieure.  Ce  point  est  laissé  à  la  prudence  de  votre  directeur, 
à  votre  propre  inspiration,  selon  l'esprit  de  nos  saintes  règles 
et  les  intentions  de  notre  si  sage  fondateur.  Mais  que  de  choses 
extérieures  se  passent  dans  une  communauté,  soit  pour  l'attrister, 
soit  pour  la  réjouir,  pour  l'inquiéter  ou  calmer  ses  inquiétudes  ! 
Combien  de  fois,  depuis  trois  ou  quatre  ans,  n'a-t-il  pas  été  versé 
de  larmes  intimes  et  amères  dans  votre  pauvre  petit  monastère  ? 
Avez-vous  jamais  demandé  à  Monseigneur  ou  à  moi  d'en  essuyer 
une  seule  ?  Craigniez- vous  la  rigueur  de  nos  mains  ou  la  dureté  de 
nos  cœurs  ?  Ces  cœurs  ne  vous  avaient-ils  pas  toujours  été  ouverts, 
quand  vous  aviez  voulu  y  prendre  la  place  que  vous  aviez  droit  d'y 
occuper  ? .  .  .  "  En  post-scriptum,  l'humble  mère  fondatrice  ajou- 
tait ces  quelques  mots  qui  en  disent  long  sur  son  esprit  d'abnéga- 
tion :  "  Pour  compléter  ma  pensée,  je  dirai  encore  que,  si  j'étais 
un  obstacle  à  la  parfaite  entente  et  la  cause  des  petites  tempêtes 
que  nous  subissons,  je  consentirais  volontiers  à  être  traitée  comme 
Jonas.  En  attendant,  prions  beaucoup  et  aimons-nous.  " 

Ces  touchants  appels  furent  entendus,  au  moins  partiellement. 
Les  pieuses  et  aimantes  filles  de  Notre-Dame-de-Grâce  d'ailleurs, 
si  elles  n'eussent  pas  eu  à  respecter  une  direction  locale,  que,  peut- 
être  —  il  faut  tout  dire  —  des  intérêts  supérieurs  commandaient, 
n'auraient  fait  que  suivre  leur  véritable  attrait  en  étant  plus 
communicatives  avec  la  maison-mère.  Leurs  lettres  et  leurs  pro- 
testations de  filial  respect  et  d'affectueuse  vénération  en  témoi- 
gnent. Aussi,  une  détente  se  fi^-elle  bientôt  sentir.  On  l'aperçoit 
très-bien  dans  les  lettres  que  Mgr  Joseph  écrit  par  la  suite  à 
Mère  Saint-Alphonse.  "  Les  (derniers)  rapports  entre  la  maison 
d'ici  et  la  vôtre,  dit-il  dans  celle  du  1er  mars  1880,  ont  grande- 


260  MÈRE  CATHEBINE-AURIÊLIE 

ment  rassuré  un  espoir  que  j'avais  vivement  caressé  autrefois, 
mais  qui  s'était  graduellement  presque  éteint,  je  veux  dire  l'espoir 
de  voir  toutes  les  maisons  de  notre  cher  institut  indissolublement 
unies  entre  elles.  L'idée  de  la  désunion,  à  laquelle  pourtant  j'avais 
fini  par  presque  me  résigner,  était  tout  à  fait  antipathique  aux 
vues  que  j'avais  nourries  en  me  prêtant  à  la  fondation.  Mon  appa- 
rente déception  va  donc  cesser.  La  divine  Providence  semble  au- 
jourd'hui prendre  en  mains  la  cause  de  notre  unité  et  le  grand 
saint  Joseph,  notre  puissant  et  bien-aimé  patron,  va  daigner  nous 
continuer  durant  son  mois  sa  bienveillante  protection .  .  .  Com- 
ment ne  nourrirais-je  pas  cet  espoir,  quand  je  lis  la  lettre  que  vous 
adressait  le  21  janvier,  votre  protecteur,  conseiller  et  ami,  M, 
Maréchal ...  11  vous  a  dit  sur  l'union  des  choses  si  explicites,  si 
fortement  conçues  et  exprimées,  qu'elles  vont,  je  vous  l'assure, 
au-delà  de  mes  prétentions.  .  .  J'y  vois  les  conditions  de  l'unité 
de  notre  institut,  qui  doivent  sûrement  la  garantir  et  la  perpétuer 
à  jamais.  Reconnaissance  à  lui  pour  de  tels  sentiments  et  convic- 
tions !  Amour  au  Précieux  Sang  !"  —  "  A  présent,  écrit  encore 
Mgr  Joseph  à  la  même  Mère  Saint-Alphonse  vers  la  mi-avril, 
pour  réaliser  cette  commune  volonté  (de  l'union),  deux  choses 
restent  à  faire.  La  première,  c'est  de  travailler,  dans  le  plus  grand 
désir  de  la  sanctification  de  nos  religieuses  présentes  et  futures, 
à  adopter  de  sages  règles,  en  complétant  celles  qui  m'ont  déjà 
coûté  bien  des  fatigues.  La  seconde,  c'est  d'aviser  à  quelques 
moyens  efficaces  de  protéger  ce-  règles  contre  l'esprit  particulier 
des  personnes  et  des  lieux,  et  aussi  contre  l'humaine  nature  de  celles 
qui  auront  à  les  pratiquer...  Dans  la  même  maison,  il  faut 
fréquemment  ramener  toutes  choses  à  la  stabilité  dans  l'ordre. 
De  même,  si  un  institut  se  compose  de  plusieurs  maisons,  il  sera 
désirable  de  les  accorder  ensemble  de  temps  à  autre,  pour  qu'elles 
offrent  toujours  le  bel  idéal  de  l'harmonie  primitive .  .  .  Son  succès 
dépendra  surtout,  d'abord,  d'un  esprit  d'indomptable  et  de 
religieux  attachement  (de  toutes  les  maisons)  àla  communauté ..." 


DES  ÉLECTIONS  DE  1877  AUX  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  261 

Les  tribulations  inhérentes  à  toute  direction  de  société  humaine, 
et  dont,  on  vient  de  le  voir,  la  fondatrice  du  Précieux-Sang  et  son 
premier  conseiller,  Mgr  Joseph,  avaient  leur  large  part,  n'empê- 
chaient pas  Mère  Catherine-Aurélie  de  poursuivre  son  œuvre 
d'adoration  et  d'expiation  pour  le  salut  des  âmes  et  le  bien  de 
la  sainte  Église.  Dans  une  lettre  du  30  décembre  1880,  qu'elle 
adresse  à  Mère  Saint-Alphonse,  et  qui  fut  évidemment  écrite 
pour  toutes  ses  filles,  nous  relevons  ces  paroles  qui  ont  trait  aux 
événements  de  France  et  aux  fameux  décrets  de  proscription 
contre  les  religieux  :  "  Vierges,  mes  filles,  souhaitons  bien  à  Jésus 
que  son  Église  soit  triomphante,  que  ses  ennemis  soient  terrassés 
par  la  vertu  de  son  sang  divin,  que  ses  prêtres,  ses  religieux  et  ses 
religieuses  ne  soient  plus  persécutés  et  chassés  de  leurs  demeures, 
que  l'esprit  chrétien  reprenne  sa  place  dans  la  société  et  que  les 
âmes  comprennent  enfin  qu'elles  sont  créées  pour  autre  chose 
que  pour  les  jouissances  matérielles ..."  Elle  ne  cesse  pas,  au 
reste,  d'entretenir  ses  filles  dans  l'esprit  de  vraie  piété  et  de  pure 
abnégation  :  "  Votre  adoration  mensuelle  en  présence  du  taber- 
nacle fermé,  écrit-elle  à  celles  de  Notre-Dame-de-Grâce  (23  jan- 
vier 1881),  me  touche  et  me  réjouit  beaucoup.  .  .  Vous  ne  voyez 
que  la  blanche  enveloppe,  mais  lui,  l'aimant  et  aimé  Jésus,  vous 
bénit  et  jouit  de  vos  adorations  et  de  vos  amours.  Cette  pratique 
doit  lui  être  des  plus  agréables,  d'autant  plus  qu'elle  est  marquée 
du  sceau  du  sacrifice.  Soyez  vous-mêmes  des  ostensoirs,  mes  bien- 
aimées  enfants,  faites-lui  un  trône  triomphal  de  chacun  de  vos 
cœurs  et,  là,  dites-lui  de  parler  aux  âmes  et  de  les  attirer  à  lui  par 
vos  prières,  vos  souffrances  et  vos  exemples.  .  ." 

Mgr  de  Germanicopolis  continuait,  de  son  côté,  à  élaborer  la 
rédaction  des  constitutions  et  des  règles.  D'après  l'une  de  ses 
lettres  (21  septembre  1881),  on  voit  que,  constatant  le  désir  de 
Mgr  Fabre  "  de  s'en  tenir  à  ses  droits  d'Ordinaire  ",  il  les  revise  et 
complète,  s'efforçant,  dit-il,  "  de  les  laisser  substantiellement  les 


262  MÈRE  CATHERINE-AURÉLIE 

mêmes,  en  les  améliorant  à  l'aide  des  meilleures  sources  ".  "  Ces 
constitutions,  écrit  le  vénéré  fondateur  —  et  ces  paroles  sont  bien 
remarquables  —  universellement  acceptées,  et  invariablement 
observées,  offriraient  sans  doute  quelque  garantie  d'unité.  Mais 
elles  n'ont  pas  par  elles-mêmes  le  pouvoir  de  se  faire  accepter,  ni 
de  se  protéger  contre  les  changements  et  modifications.  Si  on  ne 
s'éclaire  pas  à  la  lumière  de  l'histoire  des  instituts  religieux,  on 
anticipera  un  sort  à  déplorer  peut-être  pour  notre  propre  petit 
institut ...  Je  vais  me  hâter  de  remettre  entre  les  mains  de  Mgr 
de  Saint-Hyacinthe  mes  constitutions  revisées.  Ce  Seigneur 
évêque  s'entendra  avec  ceux  de  Toronto  et  de  Montréal,  si  cette 
mesure  est  jugée  nécessaire,  et  j'attendrai,  en  hâte,  l'accord  de 
leurs  manières  de  voir  pour  mettre  le  tout  à  l'impression.  Le  bon 
Dieu  fera  ce  qu'il  ne  me  sera  pas  donné  de  faire.  " 

Moins  d'un  mois  plus  tard,  le  15  octobre  1881,  Mgr  Moreau 
adressait  à  ses  chères  filles  un  mandement  "  pour  approuver  les 
constitutions  des  religieuses  adoratrices  du  Précieux-Sang  de 
Saint-Hyacinthe  ".  Mgr  l'évêque,  après  avoir  rappelé  la  fondation 
de  l'institut  le  14  septembre  1861,  son  institution  canonique  le  15 
avril  1866  et  le  fait  que  Mgr  Joseph  LaRocque,  en  cette  même 
année  1866,  avait  dû,  à  cause  de  ses  graves  infirmités,  descendre 
du  siège  épiscopal  de  Saint-Hyacinthe,  continuait  en  disant  que 
ce  qui  avait  été  une  perte  pour  le  diocèse  avait  été  un  avantage 
et  un  gain  pour  la  communauté,  puisque,  au  lieu  de  se  donner  à 
un  repos  mérité,  Mgr  Joseph  s'était  voué  tout  entier  à  l'achè- 
vement de  sa  chère  œuvre  du  Précieux-Sang,  "  en  lui  donnant  ses 
soins  paternels  les  plus  assidus  et  en  élaborant  les  constitutions 
et  les  règles  avec  la  plus  grande  prudence  et  sagesse".  "  Ce  pré- 
cieux travail,  disait  Mgr  Moreau,  fruit  de  quinze  années  de 
sérieuses  méditations,  et  dans  lequel  le  vénéré  prélat  a  voulu 
s'aider  des  lumières  et  du  dévouement  de  Mgr  Raymond,  qui 
préparait  depuis  longtemps  l'âme  privilégiée  dont  s'est  servâ  le 


DES  ÉLECTIONS   DE  1877   AUX  ÉVÉNEMENTS   DE  1882  263 

Seigneur  pour  votre  fondation  .  .  .  nous  veïions  avec  bonheur  vous 
le  présenter,  nos  très  chères  filles,  étant  bien  convaincu  que  vous 
l'accueillerez  avec  la  joie  la  plus  vive  et  la  reconnaissance  la  plus 
sincère  pour  les  prélats  qui  l'ont  accompli.  "  Mgr  l'évêque  notait 
ensuite  que  ces  règles  restaient  substantiellement  celles  qui  avaient 
été  suivies  depuis  le  commencement  de  l'institut,  "  moins  certains 
points  très  peu  nombreux  sur  lesquels  l'expérience  a  (avait)  démon- 
tré qu'il  était  mieux  d'apporter  quelques  modifications  ".  "  L'objet 
de  notre  présent  mandement,  terminait  Monseigneur,  n'est  donc 
pas  de  vous  imposer  de  nouvelles  règles  auxquelles  vous  seriez 
étrangères,  mais  de  reconnaître  et  d'approuver  celles  qui  viennent 
d'être  élaborées  avec  un  soin  tout  minutieux  et  une  rare  sagesse 
par  Mgr  l'évêque  de  Germanicopolis,  et  dont,  avec  un  vrai 
bonheur,  nous  avons  pris  une  connaissance  approfondie  et  toute 
spéciale.*'  Suivait  le  dispositif  réglant:  1°  que  ces  constitutions 
seraient  désormais  suivies  par  les  religieuses  du  diocèse:  2°  qu'on 
n'y  dérogerait  pas  sans  l'assentiment  de  l'Ordinaire;  3°  qu'elles 
seraient  au  plus  tôt  imprimées ...  et  ici,  Mgr  Moreau  disait  : 
"  En  tête  de  ces  constitutions  seront  insérés  le  mandement  d'insti- 
tution canonique  de  l'institut,  le  SHio  de  la  révérende  Mère  fonda- 
trice, et,  à  la  suite,  le  présent  mandement  d'approbation  des 
susdites  constitutions."  Cette  approbation  épiscopale  des  consti- 
tutions constituait,  on  le  comprend,  un  notable  progrès  dans  la 
vie  de  l'institut.  Après  celles  du  14  septembre  1861  et  du  15  avril 
1866,  la  date  du  15  octobre  1881  devait  faire  époque  dans  son 
histoire. 

A  deux  mois  de  là,  le  13  décembre  1881,  nous  lisons  au  livre  des 
Annales  :  "  Notre  bien-aimée  Mère  fondatrice  a  été  réélue  supé- 
rieure. Les  Sœurs  électrices  étaient,  cette  fois,  au  nombre  de  28. 
Sa  Grandeur  Mgr  Moreau,  accompagné  de  Mgr  de  Germanico- 
polis et  de  Mgr  Raymond,  l'a  bénie  et  a  confirmé  son  autorité. 
L'allégresse  est  générale  et  les  actions  de  grâce  s'élèvent  incessam- 


264  ■  MÈRE  CATHERINE- AURÉLIE 

ment  vers  le  sang  rédempteur.  A  la  vérité,  nous  n'avions  conçu 
aucune  crainte  sérieuse.  Car,  comment  nous  aurait-il  été  possible 
de  choisir  pour  diriger  la  petite  barque  du  Précieux-Sang  une  autre 
main  que  celle  que  Jésus  a  désignée  lui-même  par  des  signes  si 
évidents  ?  " 

Il  nous  paraît  permis  de  croire  que  la  fondatrice,  cependant, 
dans  les  circonstances  cù  elle  se  voyait,  aurait  volontiers  déposé 
le  fardeau  de  l'autorité.  En  tout  cas,  le  21  décembre,  elle  écrit  elle- 
même  à  la  supérieure  de  Notre-Dame-de-Grâce,  Mère  Saint- 
Alphonse  :  "  J'avais  espéré  un  moment,  dans  toute  la  sincérité 
de  mon  âme,  que  mon  ancienne  et  chère  vie  de  contemplation  et 
de  solitude  me  serait  rendue.  Je  me  réjouissais  à  la  pensée  qu'il 
allait  m'être  permis  de  m'enrichir  du  mérite  et  de  la  gloire  de  l'obé- 
issance. Mais,  puisque  Jésus  crucifié  me  veut  encore  au  sommet 
du  calvaire,  j'accepte  le  sacrifice  et  veux  me  dévouer  corps  et  âme 
au  bonheur  et  à  la  sanctification  des  vierges  dont  je  suis  encore  la 
mère.  Vous  n'êtes  pas  la  partie  la  moins  chère  de  mon  troupeau, 
bien-aimées  enfants  de  la  montagne  de  Marie,  et,  quoique  je  ne 
vous  couvre  pas  immédiatement  de  mes  ailes  comme  ma  famille  de 
Saint-Hyacinthe,  mon  cœur  sait  bien  vous  atteindre  pour  se 
donner  à  chacune  de  vous  toutes  et  vous  promettre  l'amour,  la 
fidélité,  le  dévouement  infatigable  d'une  v^raie  mère  selon  la 
grâce . .  . 

Hélas  !  comme  il  arrive  si  souvent  dans  la  vie  des  plus  saints 
et  des  plus  saintes,  ces  ailes  de  mère  devaient  être  forcées  bientôt 
de  se  replier  en  partie  pour  un  temps  et  le  grand  cœur  de  Mère 
Catherine- Aurélie  aurait  encore  à  souffrir  ! 


\ 


CHAPITRE  X 


Des  événements  de  1882  à  la  la  réélection  de  la  fondatrice  (1887) 

(1882-1887) 

Sommaire. —  Les  événements  de  1882. —  Leurs  causes. —  Une  lettre  de  M. 
Raymond. —  Visite  pastorale  de  Mgr  Moreau  au  monastère  (mars  1882). — 
Direction  de  Mgr  Joseph. —  M.  le  curé  Lecours  à  la  maison  blanche. —  Mgr 
Moreau  change  l'administration  (27  novembre  1882). —  Conséquences  de 
l'acte  épiscopal. —  Esprit  de  soumission  de  Mère  Catherine-Aurélie. —  La  nou- 
velle supérieure,  Mère  Saint- Alphonse. —  M.  le  grand- vicaire  Gravel. —  Mère 
Catherine-Aurélie  est  invitée  à  Toronto. —  Distribution  du  livre  des  règles 
et  constitutions. —  Mère  du  Saint-Esprit  remplace  Mère  Saint-Alphonse. — 
Séjour  de  Mère  Catherine-Aurélie  à  Toronto  d'avril  à  septembre  1884. —  Le 
50e  de  sacerdoce  de  Mgr  Joseph  (mars  1885). —  Nouveau  don  de  M.  le 
curé  Lecours  (mars  1886). —  Consécration  de  la  chapelle  (avril  1888). — 
Fondation  d'Ottawa. —  Mgr  Duhamel. —  Mandement  et  installation  de 
"  Béthanie  "  à  Ottawa  (24  mai  1887). —  Lettre  d'obédience  donnée  par 
Mgr  Moreau. —  Réception  à  Ottawa  de  la  fondatrice  et  des  "  missionnaires  ". 
—  Mort  de  Mgr  Raymond  (3  juillet  1887). —  M.  le  grand- vicaire  Gravel  le 
remplace  au  Précieux-Sang. —  Deuil  de  la  fondatrice. —  Nouveau  séjour  à 
Toronto. —  Lettres  de  Mgr  Joseph  aux  Sœurs  d'Ottawa. —  Ses  appels  à 
l'union. —  Mort  de  Mgr  Joseph  (19  novembre  1887). —  Bel  éloge  par  Mgr 
Moreau. —  Sympathies  de  la  communauté  à  la  Mère  fondatrice. —  Mgr 
Moreau  ordonne  des  élections  régulières. —  Elles  ont  lieu  le  9  décembre 
1887  et  la  fondatrice  est  réélue  supérieure. —  Souhaits  et  bénédiction  du 
jour  de  l'an  1888  aux  pieds  du  portrait  du  regretté  Mgr  Joseph. —  Éloge  des 
Pères  disparus  par  la  Mère  fondatrice. —  Heureusement  pour  l'institut,  sa 
fondatrice  lui  restait. —  Un  mot  de  M.  Georges  Goyau. 


^?^AiNTES  et    maintes    fois,    depuis  vingt-et-un  ans  que 
l'institut  existait.  Mère  Catherine-Aurélie,  fondatrice 
et  toujours  jusque-là  supérieure,  avait  exprimé  le  désir 
de  souffrir  et  de  boire  au  calice  de  Jésus.   Bien  des 
tribulations  et  des  épreuves  lui  étaient  déjà  venues. 
Mais  l'année  1882  devait  lui  en  apporter  davantage  encore. 
En  avait-^lle  comme  le  pressentiment,  quand  elle  adressa, 
le  1er  janvier  de  cette  année,  à  ses  filles  de  Saint-Hyacinthe,  son 


266 


MERE   CATHERINE-AX7RELIE 


allocution  accoutumée  du  jour  de  l'an  ?  Il  n'est  sans  doute  pas  sans 
à  propos  de  le  supposer.  "  Vous  avez  Jésus  dans  votre  cœur,  leur 
disait-elle  en  substance,  vous  possédez  par  votre  communion  de 
ce  matin  celui  qui  est  tout.  Je  voudrais  voas  souhaiter  la  conti- 
nuation de  ce  bonheur,  c'est-à-dire  le  ciel  sur  la  terre.  Dans  les 
communautés,  on  a,  en  effet,  le  ciel  sur  la  terre,  mais  à  la  condition 
de  vivre  vraiment  en  la  présence  de  Jésus.  Pour  cela,  vivez  dans 
la  paix  et  dans  la  charité.  .  .  Qui  pourrait  mettre  obstacle  à  ce 
bonheur,  en  vous  faisant  perdre  la  paix  ?  . .  .  Ce  serait  l'orgueil 
qui  mettrait  en  vous  des  pensées  d'ambition .  .  .  Prenez  entre  vos 
mains  le  flambeau  de  la  vigilance.  Portez-le  en  avant,  afin  que  votre 
pied  ne  heurte  pas  contre  cette  pierre  du  chemin . .  .  Jésus  vous  a 
fait  ses  étrennes  en  vous  donnant  son  corps  et  son  sang  !  Offrez- 
lui,  comme  étrennes,  votre  chair  pour  l'immoler,  votre  sang  pour 
l'épuiser  à  son  service,  votre  cœur  enfin  pour  qu'il  se  consume 
en  son  amour.  .  .  Je  vous  entends  me  souhaiter  la  même  paix,  le 
même  bonheur  du  ciel  sur  terre,  et  je  vous  en  remercie.  Mais  je 
tiens  à  vous  dire,  à  la  gloire  de  Notre-Seigneur,  car  aucun  mérite 
ne  m'est  dû  à  moi  à  ce  sujet,  que  les  épreuves  et  les  tribulations 
ne  me  font  rien  perdre  de  ma  paix  ni  de  mon  ciel,  et  que  c'est  la 
croix  de  notre  Jésus  qui  me  nourrit  et  me  fortifie.  Qu'elle  soit  aussi, 
mes  chères  filles,  votre  nourriture  et  votre  soutien  !  Je  vous  bénis 
par  le  sang  de  Jésus  et  par  la  main  de  Marie ..." 

Ces  épreuves  et  ces  tribulations,  qui  ne  lui  faisaient  rien  perdre 
de  sa  paix  et  de  son  ciel,  nous  savons  déjà  qu'elles  en  étaient  les 
causes  ou  les  occasions.  Les  divergences  de  vue  des  évêques,  qui 
avaient  le  droit  canonique  d'exercer  la  haute  direction  sur  les 
diverses  maisons,  au  sujet  de  l'office  à  réciter,  de  la  clôture  à  garder, 
de  la  façon  de  pratiquer  la  direction  spirituelle,  et  surtout  de  la 
plus  ou  moins  grande  dépendance  des  maisons-filles  vis-à-vis  de  la 
maison-mère,  ne^pouvaient  pas  ne  pas  produire  chez  les  religieuses 
elles-mêmes   des    manières    de   voir   différentes.    "  Qui   pourrait 


I 


DES  ÉVÉNEMENTS   DE  1882  A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  FONDATXtICE  267 

mettre  obstacle  à  votre  bonheur  en  vous  faisant  perdre  la  paix  ?  " 
avait  dit  Mère  Catherine-Aurélie,  et  elle  avait  répondu  elle- 
même  que  "  ce  serait  l'orgueil  qui  mettrait  en  ses  filles  des  pensées 
d'ambition  ".  Elle  avait  sans  doute  ses  raisons  pour  parler  ainsi. 
Sans  incriminer  personne  —  ce  serait  peut-être  téméraire  à  la  dis- 
tance où  nous  sommes  des  événements  et  en  l'absence  de  docu- 
ments positifs —  il  est  bien  permis  de  penser  que,  parmi  les  Sœurs 
capitulantes,  qui  avaient  droit  de  vote  aux  élections  après  cinq 
ans  de  profession,  il  put  s'en  trouver  qui,  étant  plus  anciennes  que 
les  élues,  se  sentant  capables  de  prendre  part  à  l'administration 
et  en  étant  éloignées,  aient  vu  avec  moins  de  faveur  le  résultat  de 
l'élection  du  13  décembre  1881.  De  Montréal,  nous  l'avons  dit, 
se  manifestait  depuis  plusieurs  années  un  refroidissement  assez 
marqué.  Mgr  Fabre  et  M.  Maréchal  étaient  pour  le  bréviaire 
romain,  pour  la  clôture  plus  sévère,  contre  les  relations  trop 
suivies  avec  la  maison-mère  en  matière  d'administration  maté- 
rielle, et  même  spirituelle,  et  contre  les  voyages  trop  fréquents 
et  les  visites  prolongées  de  la  fondatrice.  La  tradition,  au  dire  de 
quelques  anciennes,  dont  nous  avons  eu  les  confidences  en  1922,  va 
jusqu'à  laisser  entendre  que  l'excellent  M.  Maréchal  aurait  aimé 
que  le  premier  siège  de  l'institut  fut  transporté  dans  sa  paroisse  à 
Montréal,  comme  cela  s'était  fait  pour  les  Sœurs  de  Sainte- Anne, 
d'abord  de  Vaudreuil  à  Saint-Jacques  en  1853,  puis  de  Saint- 
Jacques  à  Lachine  en  1864.  Avec  d'excellentes  intentions,  il  voulait 
exercer  une  certaine  action,  non  seulement  au  monastère  de 
Notre-Dame-de-Grâce,  mais  jusqu'à  Saint-Hyacinthe.  "  Il  se 
croyait  l'autorité  suprême  dans  la  communauté  —  nous  disait  une 
Sœur  de  ce  temp^  qui  fut  plus  tard  supérieure  —  et,  par  quelques- 
unes  de  ses  dirigées  (de  Montréal),  il  voulait  tout  conduire.  '* 
Sans  aller  jusque-là,  Mgr  Fabre  trouvait  que  la  fondatrice  s'im- 
misçait trop  dans  les  affaires  du  monastère  de  la  montagne  placé 
sous  sa  juridiction.  Mgr  Moreau  voulait  certes  conserver  au  mo- 


268  MÈBE  CATHEBINE-AURÊLIE 

nastère  de  sa  ville  épiscopale  la  primauté  qui  lui  revenait  du  droit 
de  maison-mère.  Mais  il  jugea,  semble-t-il,  que  le  gouvernement 
de  l'institut,  tel  que  l'exerçaient  Mgr  Joseph  et  Mère  Catherine- 
Aurélie,  n'était  pas  assez  sévère,  ni  assez  conforme  aux  prescrip- 
tions canoniques  qui  régissent  les  instituts  cloîtrés.  Des  circons- 
tances spéciales,  et  qui  s'expliquent,  inclinèrent  le  digne  év^êque 
à  penser  qu'un  changement  serait  utile  pour  le  bien,  La  fondatrice, 
toujours  demandée  par  d'innombrables  visiteurs,  était  bien 
souvent  au  parloir.  Elle  avait  admis  au  monastère  quelques 
parentes  très  jeunes,  la  petite  Aurélie,  sa  nièce,  par  exemple. 
Pour  aider  Mgr  Joseph  dans  la  rédaction  des  règles  et  constitu- 
tions, elle  devait  souvent  se  rendre  auprès  de  lui,  puisque  lui-même, 
perclus  de  rhumatismes,  ne  pouvait  marcher.  Toutes  les  Sœurs 
d'ailleurs,  qui  le  voulaient,  passaient  facilement  du  monastère 
à  la  maison  blanche,  pour  s'éclairer  auprès  du  vénéré  fondateur. 
Tout  cela  se  faisait  sous  l'œil  de  Dieu,  Tout  cela  était  très  paternel 
d'une  part,  et  très  filial  de  l'autre.  Rien  que  de  très  digne,  assu- 
rément, dans  toutes  ces  relations.  Mais,  était-ce  bien  régulier  ? 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  fondatrice  eut  à  en  souffrir.  Les 
lettres  d'elle,  que  nous  avons  citées  au  chapitre  précédent,  à  ses 
filles  de  Notre-Dame-de-Grâce  en  particulier,  nous  l'ont  déjà 
montré.  Une  lettre  à  elle  adressée  par  Mgr  Raymond,  le  jour  de 
Pâques  1882,  va  nous  le  faire  toucher  du  doigt  pour  ainsi  dire. 
"  Aujourd'hui,  lui  écrivait  ce  père  spirituel  qui  la  dirigeait  depuis 
un  quart  de  siècle,  il  ne  doit  y  avoir  dans  votre  âme  que  paix  et 
joie.  Quelque  raisonnable  que  vous  paraisse  une  peine  dans  son 
motif,  repoussez-la  énergiquement  !  Aujourd'hui,  c'est  le  jour  que 
le  Seigneur  a  fait,  réjouissons-nous  et  tressaillons  d'allégresse  en 
lui  !  Si  nous  aimons  Jésus,  son  bonheur  et  sa  gloire  doivent  nous 
donner  une  joie  qui  absorde  tout  autre  sentiment.  Faites  de  vos 
douleurs  mêmes  des  cris  de  joie  qui  glorifient  le  Seigneur  et 
montrent  que  vous  ne  vivez  plus  pour  vous-même,  mais  que  vous 


DBS  ÉVÉNEMENTS  DE  1882   A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  FONDATKICE  269 

ne  vivez  qu'en  lui  et  pour  lui,  ne  vous  occupant  en  aucune  façon 
de  vous,  mais  de  lui  seul.  Cependant,  à  cause  de  la  charge  que  vous 
exercez,  vous  devez  demander  à  Jésus,  par  la  gloire  de  sa  résur- 
rection, qu'il  vous  guérisse,  je  vous  l'ordonne.  Jésus  ressuscité, 
apparaissant  à  ses  disciples,  leur  dit  :  "Que  la  paix  soit  avec  vous  !" 
La  paix,  ma  très  chère  fille,  voilà  ce  que  je  vous  donne  au  nom 
de  Jésus  triomphant ...  La  paix,  c'est  tout  simplement  la  certitude 
que  Dieu  nous  aime.  Souffrez,  pleurez  vos  fautes  et  celles  des 
autres,  quand  la  minute  ou  la  grâce  l'exigent,  mais  demeurez 
en  paix  ;  car  Dieu  vous  aime,  et  cela  veut  dire  qu'il  changera  tout 
en  mérite,  qu'il  pardonnera,  qu'il  accordera  des  grâces.  Comprenez 
cela  et  rien  désormais  ne  vous  troublera  ..."  Ces  conseils  très  sur- 
naturels, mais  où  il  est  sans  cesse  question  de  peines  et  de  souf- 
frances, s'adaptaient  sans  doute  aux  circonstances. 

En  mars  1882,Mgr  Moreau  fit  au  monastère  sa  visite  pastorale. 
Il  en  profita  pour  tout  examiner  devant  Dieu  et  se  rendre  compte 
exactement  de  ce  qui  se  passait.  Quelques  religieuses  estimaient 
que  l'esprit  du  gouvernement  de  Mgr  Joseph  et  de  Mère  Catherine- 
Aurélie  n'était  pas  suffisamment  austère,  ainsi  que  nous  l'avons 
laissé  entendre.  Naturellement,  elles  s'en  ouvrirent  à  Mgr  l'évêque, 
et  peut-être  le  malaide  qui  existait  dans  la  communauté  fut-il 
de  ce  chef  augmenté  parce  que  Mgr  Moreau,  voulant  être  bien- 
veillant à  toutes,  écouta  tout  ce  qu'on  lui  disait  avec  bonté. 
Sévère  pour  lui-même,  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe  entendait 
que  tout  se  fît,  dans  ses  communautés,  avec  une  scrupuleuse 
régularité.  Or,  on  lui  affirmait  et  on  lui  répétait  que  l'adminis- 
tration manquait  de  fermeté,  que  les  conseillères,  jeunes  pour  la 
plupart,  dont  au  moins  deux  étaient  parentes  de  la  supérieure, 
n'osaient  rien  dire  devant  elle,  et  que,  d'autre  part,  le  bon  père 
qu'était  Mgr  Joseph  laissait  tout  faire.  Voulant  être  avant  tout 
soumise  au  bon  plaisir  de  Dieu  et  ignorant  toute  espèce  d'intrigue. 
Mère  Catherine-Aurélie  n'opposait  à  ces  insinuations,  voire  même 


270  MÈRE   CATHERINE-AX7EÉL1E 

à  ces  accusations,  aucune  défense.  Mgr  Moreau  fit  donc  ses  ordon- 
nances en  demandant  qu'on  fût  plus  attentif  sur  les  divers  points 
que  nous  avons  signalés. 

Le  30  avril,  jour  où  tombait  le  patronage  de  saint  Joseph,  Mgr 
de  Germanicopolis,  commentant,  avec  l'esprit  de  foi  qui  l'animait, 
ces  instructions  de  l'évêque  diocésain  devant  les  Sœurs  professes, 
y  insistait.  "  Ce  doux  Père,  raconte  l'annaliste,  s'est  épanché  avec 
nous  de  manière  à  émouvoir  sensiblement  nos  cœurs.  Il  nous  a 
rappelé  la  joie  et  le  calme  qui  avaient  inondé  son  âme  à  pareil  jour, 
il  y  a  vingt-et-un  ans,  et  qui  l'avaient  enfin  décidé  à  mettre  à 
exécution  son  projet  de  fonder  notre  institut.  Puis,  il  nous  a  fait 
connaître  les  sollicitudes  (lisons  les  inquiétudes)  qu'il  éprouve 
aujourd'hui  au  sujet  de  notre  communauté...  Puissions-nous 
répondre  aux  intentions  de  nos  dévoués  fondateurs  et  faire  en 
sorte,  par  notre  esprit  religieux,  que  leurs  dernières  années  soient 
remplies  de  paix,  de  joie  et  de  saintes  consolations  !.  .  ." 

Le  28  septembre,  le  dévoué  M.  le  curé  Lecours,  qui  avait  tant 
fait  pour  l'institut  à  ses  débuts,  on  s'en  souvient,  quittait  Saint- 
Théodore-d'Acton  et  le  saint  ministère  définitivement  et  s'en 
venait  prendre  sa  retraite  à  la  maison  blanche,  auprès  de  Mgr 
Joseph.  "  Je  viens  mourir  parmi  vous,  dit-il  aux  Sœurs,  et  vous 
être  un  peu  utile  avant,  si  le  bon  Dieu  m'en  donne  l'occasion.'* 
Nous  verrons  qu'en  effet  cette  occasion  lui  serait  fournie  par  la 
Providence. 

Le  malaise,  cependant,  dont  nous  avons  parlé,  persistait.  A  la 
mi-octobre,  Mgr  Moreau  vint  faire  la  visite  canonique,  et,  ainsi 
qu'il  l'avait  annoncé  à  sa  visite  pastorale  de  mars,  il  vit  tour  à 
tour  en  particulier  les  Sœurs  du  chapitre.  Le  20  novembre,  détail 
significatif,  sur  lequel  il  n'est  guère  besoin  d'appuyer,  l'évêque 
ordonnait  qu'on  renvoyât  la  petite  Aurélie,  accueillie  au  monastère 
en  février  1879,  à  l'âge  de  3  ans.  Elle  partit  le  lendemain  et  retourna 
dans  sa  famille. 


DES  ÉVÉNEMENTS   DE  1882   A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  FONDATRICE  271 

Le  27  novembre  enfin,  Mgr  de  Saint-Hyacinthe,  après  avoir 
pesé  toutes  choses  devant  Dieu,  décida,  comme  naguère  Mgr 
Bourget  à  Saint-Jacques,  en  1853,  pour  les  Sœurs  de  Sainte-Anne, 
de  changer  l'administration.  Usant  de  son  autorité  d'évêque,  mais 
en  s'efforçant  de  mettre  dans  la  forme  beaucoup  de  délicatesse,  il 
déposa  la  fondatrice,  tout  en  lui  laissant  le  titre  de  supérieure,  et 
lui  substitua  une  vice-supérieure,  chargée,  avec  l'assistance  d'un 
nouveau  conseil,  de  tout  ce  qui  concernait  l'administration  de  la 
communauté.  Cet  acte  épiscopal,  que  nous  devons  accepter  avec 
le  plus  profond  respect,  comme  le  firent  les  religieuses  elles- 
mêmes  qui  avaient  le  plus  à  en  souffrir,  est  trop  important  dans 
la  vie  de  Mère  Catherine-Aurélie  pour  que  nous  ne  le  relations 
pas  ici  dans  toute  son  amplitude.  Nous  n'avons  d'ailleurs,  une 
fois  de  plus,  qu'à  citer  les  Annales  de  l'institut. 

"  Le  27  novembre  1882,  y  lisons-nous,  vers  4  heures  de  l'après- 
midi,  Mgr  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe  se  transporta  en  notre 
monastère  et  requit  toutes  les  religieuses  de  la  communauté  et  du 
noviciat  (47  professes,  4  novices)  de  se  réunir  dans  la  salle  des 
exercices.  Ceci  fait.  Sa  Grandeur,  revêtue  du  rochet  et  de  la  mo- 
zette,  récita  la  prière  du  Veni  Sancte,  après  quoi  elle  s'a  dressa  aux 
Sœurs  dans  les  termes  suivants  :  —  "  Mes  chères  filles,  —  Je 
viens  vous  entretenir  de  choses  très  importantes.  Recueillez-vous 
bien  et  demandez  au  Seigneur  d'entendre  ma  voix  avec  docilité, 
soumission  et  respect.  Car  c'est  en  qualité  de  votre  premier  supé- 
rieur que  je  viens  vous  parler  et  vous  intimer  les  ordres  que,  dans 
ma  conscience,  je  crois  nécessaire  de  vous  donner.  Il  est  visible 
qu'il  règne  un  grand  malaise  parmi  vous  et  que  ce  malaise  est  en 
grande  partie  dû  à  un  manque  assez  notable  de  confiance  dans 
l'administration  qui  vous  gouverne.  Voulant  donc  remédier  à 
cet  état  de  choses,  comme  c'est  mon  devoir  de  le  faire,  je  règle  et 
ordonne  ce  qui  suit,  et  cela  en  vertu  de  l'autorité  canonique  dont 
l'Eglise  m'a    revêtu     pour    la    gouverne    de    votre    monastère  : 


272  MÈRE  CATHERINE- AUEÉLIE 

1  °  La  Mère  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang,  supérieure  et 
fondatrice,  est  déchargée  de  tous  les  devoirs  spirituels  et  temporels 
et  de  toutes  les  affaires  de  la  maison.  Mais  on  lui  conservera  les 
titres  de  Mère,  de  supérieure  et  de  fondatrice.  Elle  gardera  sa 
chambre  et  aura,  comme  par  le  passé,  une  Sœur  à  son  service 
pour  prendre  soin  d'elle.  Elle  conservera  sa  stalle  au  chœur  et 
sera  la  première  partout,  chacune  d'entre  vous  s'appliquant 
à  lui  témoigner  en  toute  rencontre  le  respect,  l'amour  et  la  recon- 
naissance auxquels  elle  a  un  droit  si  acquis.  Il  est  juste  que,  après 
un  actif  et  constant  labeur  de  vingt-et-une  années,  et  avec  sa 
santé  bien  affaiblie,  elle  goûte  le  repos  et  la  tranquillité.  2°  Sœur 
Saint-Alphonse,  que  je  rappelle  de  la  masion  de  Montréal,  rem- 
placera la  Mère  Catherine-Aurélie  dans  la  charge  de  supérieure 
de  cette  maison,  et  elle  en  aura  tous  les  droits  et  toutes  les  attri- 
butions, gouvernant  le  monastère  au  spirituel  et  au  temporel 
selon  les  règles  de  l'institut.  Elle  n'aura  cependant  que  le  titre 
de  vice-supérieure,  pour  conserver  le  titre  de  supérieure  à  la 
fondatrice.  Mais,  dans  les  actes  civils,  elle  signera  avec  le  titre  de 
supérieure.  Sœur  Thérèse-de-Jésus  sera  assistante  ;  Sœur  Marie- 
Sainte-Ursule,  maîtresse  des  novices  ;  Sœur  Marie-du-Saint- 
Esprit,  dépositaire  ;  Sœur  Sainte-Croix,  première  conseillère  ; 
Sœur  Marie-de-la-Rédemption,  deuxième  conseillère  ;  Sœur 
Saint-François-Xavier,  troisième  conseillère  et  secrétaire.  3  **  J'en- 
joins, en  vertu  de  la  sainte  obéissance,  à  toutes  les  nouvelles 
officières  que  je  viens  de  no  aimer  de  ma  propre  autorité  cano- 
nique, d'accepter  les  charges  qui  leur  sont  conférées  et  d'en  remplir 
(tout)  de  suite  les  devoirs  et  les  obligations,  les  anciennes  officières 
se  trouvant  par  là  même  déchargées  de  leurs  fonctions."  — 
"  Monseigneur  termina,  ajoute  l'annaliste,  en  exhortant  la  com- 
munauté à  accepter  comme  venant  de  Dieu  les  décisions  qui 
venaient  de  lui  être  communiquées  et  à  s'animer  d'un  vif  et  conti- 
nuel sentiment  de  foi  et  de  charité,  afin  que  la  paix,  l'union  et  une 


DES  ÉviNEMENTS  DE  1882  A  LA  RÉÉLECTION  DE  LA  FONDATRICE  273 

Sainte  fraternité  régnent  toujours  et  à  jamais  dans  le  monastère, 
ce  qui,  disait-il,  arrivera  infailliblement,  si  chacune  y  met  du  sien 
et  s'efforce  de  pratiquer  les  vraies  et  solides  vertus  religieuses." 

Ce  compte  rendu,  dicté  par  Mgr  Moreau,  et  conservé  aux 
archives  de  la  communauté,  est  signé  par  toutes  les  nouvelles, 
officières  nommées  et  par  Monseigneur  lui-même.  Cet  acte  d'auto- 
rité épiscopale  eut  ses  naturelles  conséquences.  Le  29  novembre, 
l'ancienne  maîtresse  des  novices.  Sœur  Saint-Stanislas,  partait 
pour  Toronto,  en  même  temps  que  Sœur  Séraphine-de-Jésus, 
désignée  pour  cette  mission.  Elles  emmenaient  avec  elles  la  petite 
Aurélie,  que  sa  mère,  madame  Benoît,  sœur  de  la  fondatrice, 
confiait  à  la  supérieure  de  Toronto,  Mère  Euphrasie-de-Saint- 
Joseph.  Le  7  janvier  suivant,  Mgr  Moreau  insistait,  par  un  ordre 
spécial,  pour  que  la  clôture  fût  rigoureusement  observée,  même 
vis-à-vis  les  hôtes  vénérés  de  la  maison  blanche.  Le  7  février  de 
cette  même  année  1883,  M.  le  curé  Maréchal  venait,  de  Montréal, 
prêcher  la  retraite  aux  religieusesdu monastèrede  Saint-Hyacinthe. 
Comme  il  paraissait  plus  que  plausible  que  sa  manière  de  voir  et 
ses  avis  n'avaient  pas  été  étrangers  aux  décisions  prises  naguère 
par  Mgr  Fabre  et  plus  récemment  par  Mgr  Moreau,  et  comme, 
en  plus,  il  ne  se  priva  pas,  rapporte  la  tradition,  dans  ses  instruc- 
tions, de  faire  plus  d'une  allusion  à  l'ancien  état  de  choses,  on 
comprend  que  Mère  Catherine-Aurélie  eut  à  réprimer  les  mouve- 
ments de  la  pauvre  nature.  Ce  n'était  pas  cela,  évidemment,  qui 
pouvait  panser  la  plaie  faite  à  son  cœur  par  l'acte  d'autorité,  si 
légitime  qu'il  fût,  qu'avait  posé  Mgr  Moreau,  usant  de  son  droit, 
le  27  novembre  précédent. 

Loin  de  nous  la  pensée  de  juger,  encore  moins  de  condamner, 
l'acte  d'un  évêque,  que  la  renommée  publique  a  presque  déjà 
canonisé  vingt  ans  après  sa  mort,  et  qui  fut  sûrement  le  plus 
digne  des  prélat^.  D'ailleurs,  nous  croyons  en  toute  sincérité  que 
sa  décision  fut  utile  au  bien  général  de  l'institut.  Mais  il  ne  fau- 


274  MÈRE   CATHERINE-ATJRÉI.IE 

drait  pas  être  homme,  et  il  faudrait  n'avoir  jamais  souffert  soi- 
même,  pour  ne  pas  apercevoir  ce  que  Mère  Catherine-Aurélie, 
du  point  de  vue  naturel,  dut  éprouver  en  cette  circonstance. 
"  L'émoi  fut  grand  dans  la  communauté,  nous  écrivait  une  con- 
temporaine de  ces  événements  maintenant  décédée.  Mais,  d'un 
mot  de  douceur,  notre  vénérée  fondatrice  apaisa  tout  le  monde. 
L'une  des  religieuses,  qui  avait  été  très  mêlée  à  l'agitation  qui 
avait  amené  ce  dénouement  tragique,  s'en  excusait  plus  tard,  plus 
ou  moins,  après  la  mort  de  Mère  Catherine-Aurélie."  —  "  Mgr 
Moreau  lui-même,  ajoutait  cette  même  correspondante,  trouva 
dans  notre  digne  mère,  si  fortement  éprouvée,  de  telles  dispo- 
sitions d'humilité,  de  simplicité  et  d'esprit  religieux,  une  si  vraie 
piété  filiale,  manifestée,  en  toute  occasion,  avec  cette  gaieté  de 
cœur  qui  caractérisait  tous  ses  actes,  qu'il  en  dut  être  profon- 
dément touché."  Si  sa  grande  bonté  d'âme  et  sa  délicatesse  innée 
avaient  peut-être  porté  la  fondatrice,  sous  la  direction  si  paternelle 
aussi  de  Mgr  Joseph,  à  marquer  trop  de  bienveillance  et  de  dou- 
ceur dans  le  gouvernement  de  sa  communauté,  son  obéissance 
généreuse  la  grandit  aux  yeux  de  tous  et  de  toutes.  C'est  à  l'heure 
de  l'épreuve  que  le  bon  Dieu,  a-t-il  été  écrit,  reconnaît  ses  vrais 
fidèles.  Nul  doute  que  le  divin  maître  reconnut  à  ce  trait  la  fidélité 
de  celle  qui  ne  voulut  jamais  que  son  service  et  sa  gloire  par  le 
culte  de  son  Précieux  Sang. 

La  vie  de  l'institut,  fécondée  ainsi  par  les  larmes  de  l'obéis- 
sance et  du  sacrifice,  fortifiée  par  une  direction  que  sa  fermeté 
même  consolidait  dans  la  voie  du  bien,  se  continua,  sous  la  nouvelle 
administration,  avec,  comme  toutes  les  institutions  humaines,  ses 
alternances  de  progrès  et  de  revers.  Mère  Saint-Alphonse,  dans  le 
monde  Parmélie  Duguay,  était  d'une  famille  distinguée.  Elle  eut 
trois  de  ses  sœurs  au  Précieux-Sang  et  deux  dans  l'institut  de 
l'Assomption.  L'un  de  ses  frères,  entré  chez  les  Jésuites,  mourut 
jeune.  Énergique  à  bien  remplir  son  devoir  de  religieuse,  mais 


DES  ÉVÉNEMENTS  DE  1882   A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  FONDATRICE  275 

tendre  et  sensible,  d'ailleurs  très  vite  malade,  elle  ne  resta  pas 
longtemps  à  la  tête  de  l'administration.  Le  20  mai  1883,  Mgr 
Moreau  la  remplaça  d'oflBce,  et  sans  élections  régulières,  par 
Mère  Marie-du-Saint-Esprit,  ancienne  supérieure  et  fondatrice  de 
la  maison  de  Montréal.  Le  8  novembre  1883,  Mère  Saint-Alphonse 
décédait  à  Saint-Hyacinthe,  après  avoir  donné  toujours  l'exemple 
de  la  fidélité  aux  saintes  règles  et  de  l'obéissance.  On  a  vu  qu'elle 
avait  souffert,  étant  supérieure  à  Notre-Dame-de-Grâce,  des 
difficultés  qui  étaient  survenues.  Pendant  sa  courte  administration 
à  la  maison-mère,  elle  eut  peut-être  à  souffrir  davantage.  Elle 
était  déjà  minée  par  des  crises  cardiaques  souvent  répétées  et  les 
responsabilités  que  l'obéissance  lui  imposa  lui  pesèrent  lourde- 
ment. Les  grands  faits  de  la  vie  de  l'institut,  pendant  qu'elle  le 
dirigeait  en  qualité  de  vice-supérieure,  furent  la  nomination  de 
M.  le  grand-vicaire  Gravel,  de  Saint-Hyacinthe,  le  26  décembre 
1882,  à  la  charge  de  procureur  de  la  communauté,  et  la  distribu- 
tion, le  15  avril  1883,  du  livre  des  règles  et  constitutions,  faite 
à  la  communauté  par  Mgr  de  Germanicopolis. 

M.  de  la  Croix  était  parti  de  Saint-Hyacinthe  assez  précipi- 
tamment vers  ce  temps-là,  et  certaines  affaires  portées  en  cour  de 
justice,  auxquelles  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  se  trouvèrent 
mêlées,  nécessitèrent  la  nomination  d'un  procureur.  Mgr  l'évêque 
désigna  pour  ce  poste  son  vicaire  général,  M.  l'abbé  Gravel, 
en  qui  les  religieuses  voyaient  déjà  un  ami  et  qui  leur  fut  par  la 
suite  très  dévoué. 

Mère  Catherine-Aurélie,  de  par  la  sainte  obéissance,  n'avait 
plus  rien  à  voir  dans  l'administration  de  la  maison  qu'elle  avait 
fondée,  et,  dans  son  humilité,  elle  se  persuadait  volontiers  que 
c'était  pour  le  mieux.  Elle  fut  même  tout  près  de  quitter,  à  ce 
moment  ou  peu  après,  le  monastère  de  Saint-Hyacinthe.  Mgr 
Lynch,  l'archevêque  de  Toronto,  avait  toujours  hautement  estimé 
la  fondatrice,  et,  dans  toutes  ces  difficultés  dont  nous  avons  parlé. 


276  MÈBE  CATHEBINE-AURÉLIE 

il  s'était  prononcé  en  faveur  de  ses  vues  aussi  bien  que  de  celles  de 
Mgr  de  Germanicopolis.  En  particulier,  il  était  tout  à  fait  opposé 
à  l'indépendance  complète  des  maisons-filles.  Dès  le  mois  de  mai 
1879,  à  la  date  du  14,  nous  lisons  cette  note  dans  les  Annales  de 
Saint-Hyacinthe  :  "  Mgr  Lynch  persiste  à  ne  pas  vouloir  la  sépa- 
ration des  maisons  dans  un  institut  aussi  jeune  que  le  nôtre. 
L'enfant,  dit-il,  ne  doit  pas  être  séparé  de  sa  mère  et,  pour  une 
communauté,  l'enfance  dure  plus  que  cinq  ans.  "  (Notre-Dame- 
de-Grâce  avait  été  fondé  en  1874.)  Fut-il  particulièrement  ému 
des  événements  de  novembre  1882  ?  Toujours  est-il  que,  trois 
mois  plus  tard,  le  22  février  1883,  Mgr  Moreau  vint  annoncer  à 
Mère  Catherine-Aurélie  que  l'archevêque  de  Toronto  désirait 
qu'elle  se  rendît  au  monastère  de  sa  ville.  Mgr  de  Saint-Hyacinthe 
assura  la  fondatrice  qu'il  la  verrait  partir  avec  peine,  mais  il  lui 
donna  en  même  temps  pleine  liberté  d'accepter  ou  de  refuser  ce 
voyage.  "  Vous  êtes  chez  vous,  ici,  ma  Mère,  lui  dit-il,  et  vous  le 
serez  toujours,  quand  bon  vous  semblera  de  nous  revenir,  si  vous 
nous  quittez.  "  Mère  Catherine-Aurélie  demanda  conseil  à  Mgr 
Joseph,  qui  promit  de  passer  la  nuit  en  prière.  Le  lendemain,  le 
23,  sur  son  avis  sans  doute,  elle  pria  respectueusement 
Mgr  Moreau,  qui  était  venu  dire  la  messe  au  monastère,  de 
décider  lui-même  !  "  Étant  devenue  simple  religieuse,  lui  dit-elle, 
je  désire  que  l'obéissance  règle  tous  mes  pas.  "  Monseigneur 
décida  qu'elle  resterait  à  Saint-Hyacinthe.  Ce  n'était,  en  fait, 
que  partie  remise  à  l'année  suivante. 

Elle  restait  donc,  toujours  supérieure  en  titre,  mais  privée  du 
commandement  et  confinée  dans  la  prière  et  les  pénitences. 
L'une  de  ses  plus  douces  consolations  fut  sans  doute  cette  céré- 
monie de  la  remise  du  livre  des  règles  et  constitutions,  qui  se  fit, 
avons-nous  dit,  sous  l'administration  de  Mère  Saint- Alphonse,  et 
que  Mgr  Joseph  présida,  le  15  avril  1883.  Depuis  l'ordonnance  de 
Mgr  Moreau  du  7  janvier,  la  clôture  était  rigoureusement  observée. 


DES  ÉVÉNEMENTS   DE  1882   A  LA  UÉÉLECTION   DE  LA  FONDATRICE  277 

même  vis-à-vis  de  Mgr  Joseph  et  des  hôtes  de  la  maison  blanche. 
On  se  soumettait  de  part  et  d'autre  de  bon  cœur  à  cette  sage  loi 
qui  est  celle  des  saints  canons,  mais,  du  point  de  vue  naturel, 
étant  données  les  habitudes  des  années  précédentes,  on  en  souffrait 
bien  un  peu.  Aussi,  avec  quelle  joie,  voyait-on  venir  à  la  chapelle 
ou  à  la  communauté  le  pieux  vieillard  qu'on  appelait  avec  tant 
d'affection  "  notre  vénéré  fondateur  '.  Ce  15  avril  donc,  en  la 
fête  du  patronage  de  saint  Joseph,  jour  de  sa  décision  de  fonder 
l'institut  il  y  avait  maintenant  vingt-deux  ans,  Mgr  de  Germani- 
copolis  vint  faire  à  ses  chères  filles  la  distribution  de  ce  livre  qu  il 
appela,  en  sa  langue  toujours  riche  d'images,  leur  feuille  de  route 
et  leur  étoile  polaire.  "  Vers  8  heures,  raconte  l'annaliste,  la 
communauté  se  réunit  pour  saluer  Mgr  Raymond,  dont  c'était 
aussi  la  fête  (il  s'appelait  Joseph-Sabin),  puis,  à  10  heures,  la 
cloche  nous  convoqua  de  nouveau,  et  Mgr  de  Germanicopolis  nous 
distribua,  après  une  prière  à  saint  Joseph,  les  livres  de  nos  saintes 
règles.  Dans  le  livre  de  chacune,  se  trouvaient,  à  l'avers  et  au  re- 
vers, deux  viotios  :  celui  de  notre  vénéré  Père,  fidélité,  constance, 
générosité,  signé  Jos,  évêque  de  Germanicopolis,  et  celui  de  notre 
toujours  tant  aimée  Mère,  précédé  du  Sitio,  adorer,  réparer^ 
souffrir,  signé  Sœur  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang.  Mgr 
Joseph  commenta  pieusement  ces  différents  mots,  si  pleins  de 
sens.  Le  bon  M.  Lecours  était  près  de  lui.  Disant  aux  Sœurs  qu'il 
fallait  savoir  donner  pour  être  vraiment  généreux,  il  fit  sponta- 
nément cette  application  !  "  Oui,  donner,  comme  mon  bon  vieux 
voisin,  qui  ne  s'est  pas  contenté  de  donner,  mais  qui  a  tout  donné, 
et  sans  qui  nous  n'aurions  rien  fait,  parce  que  nous  n'avions  rien.  " 
Monseigneur  était  profondément  ému,  et  ses  filles  pareillement. 
La  première,  la  fondatrice,  reçut  le  précieux  livre,  au  nom  de  toute 
la  communauté  ;  la  deuxième,  Mère  Saint-Alphonse,  au  nom  de 
la  maison-mère  ;  la  troisième,  l'assistante,  au  nom  de  la  maison 
de  Toronto  ;  la  quatrième,  la  maîtresse  des  novices,  au  nom  de 


278  MÈBE   CATHERINE-A^^lÉLIE 

la  maison  de  Montréal  ;  puis,  chacune  pour  soi,  toutes  les  professes. 
Quant  aux  novices  et  aux  postulantes,  la  distribution  leur  fut 
faite  plus  tard,  av^ec  la  recommandation  spéciale  de  bien  les 
étudier  et  de  se  bien  pénétrer  de  cette  règle  de  vie.  En  recevant  le 
petit  livre  des  mains  du  prélat,  chacune  baisait  son  anneau  d'évê- 
que,  puis  le  livre  même.  En  donnant  le  premier  à  la  fondatrice,  le 
vénéré  prélat,  père  et  fondateur  lui-même,  prononça  ces  paroles 
significatives  :  "  La  règle,  ma  Mère,  se  résume  en  vous.  Ne 
soyez  pas  surprise  si  les  souffrances  qui  doivent  accompagner 
votre  vocation  (d'expiatrice)  selon  l'esprit  de  vos  règles  se  résu- 
ment aussi  en  vous.  C'est  la  condition  ordinaire  des  choses. 
Vous  avez  été  la  première,  tout  doit  aboutir  à  vous."  Enfin,  à 
chacune,  en  lui  remettant  son  livre,  Monseigneur  répétait  : 
**  Fidélité,  constance,  générosité.   " 

Que  de  symbolisme  et  que  de  sens  caché  en  tout  cela!  Rien  qu'à 
lire  ce  compte  rendu,  que  nous  avons  condensé,  on  se  sent  vrai- 
ment ému,  malgré  l'espace  de  temps  —  quarante  ans  —  écoulé 
depuis.  On  se  souvient,  nous  l'avons  raconté  au  chapitre  précé- 
dent, que  ces  règles  et  constitutions,  patiemment  élaborées  par 
Mgr  Joseph  en  un  travail  de  quinze  ans,  avaient  été  officielle- 
ment approuvées  par  Mgr  Moreau  le  15  octobre  1881.  Léchant  du 
Magnificat,  note  encore  l'annaliste,  termina  cette  cérémonie.  Ma- 
gnificat !  oui,  il  faut  louer  le  Seigneur  dans  les  épreuves  comme 
dans  les  joies,  car  l'épreuve  vaut  souvent  devant  Dieu  beaucoup 
plus  que  les  brillants  succès,  ces  succès  dont  les  pauvres  humains 
s'enorgueillissent  si  facilement.  Bienheureux  ceux  qui  souffrent  ! 
Le  20  mai  1883,  Mère  Saint-Alphonse  cessait  d'être  vice- 
supérieure.  Mgr  Moreau  vint  lui-même  désigner  de  son  autorité 
épiscopale,  nous  l'avons  dit.  Mère  Marie-du-Saint-Esprit  pour 
la  remplacer.  Les  officières,  nommées  également  par  Monseigneur, 
et  qui  devaient  assister  la  nouvelle  vice-supérieure,  chargée 
en  fait  de  toute  l'administration,  furent  les  suivantes  :  Sœur  Marie- 


DES  ÉVÉNEMENTS   DE  1882   A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  FONDATRICE  279 

des-Cinq-Plaies,  assistante  ;  Sœur  Marie-Sainte-Ursule,  maîtresse 
des  novices  ;  Sœur  Thérèse-de-Jésus,  dépositaire  ;  Mère  Saint- 
Alphonse,  Sœur  Marie-de-la-Rédemption  et  Sœur  Saint-François- 
Xavier,  conseillères,  la  dernière  étant  maintenue  dans  ses  fonc- 
tions de  secrétaire.  Mère  Catherine-Aurélie  gardait  ses  titres  de 
Mère,  de  fondatrice  et  de  supérieure,  mais  elle  n'avait  aucune  part 
dans  l'administration  de  la  maison  de  Saint-Hyacinthe.  Il  devait 
en  être  ainsi  jusqu'après  la  mort  de  Mgr  Joseph  en  1887.  Les  deux 
faits  saillants  sous  l'administration  de  Mère  Marie-du-Saint- 
Esprit  furent  l'achèvement  et  la  décoration  de  la  chapelle  de  la 
maison-mère  et  la  fondation  de  la  maison  d'Ottawa  dont  Mère 
Catherine-Aurélie  fut  spécialement  chargée. 

Mère  Marie-du-Saint-Esprit,  dans  le  monde  Hermine  Bourdon, 
était  déjà  très  entendue  en  affaires,  quand  elle  était  venue  frapper 
à  la  porte  du  monastère  de  Saint-Hyacinthe.  Elle  y  avait,  devenue 
professe,  occupé  les  fonctions  de  dépositaire,  de  maîtresse  des 
novices,  puis  d'assistante.  Fondatrice,  en  1874,  de  la  maison  de 
Notre-Dame-de-Grâce,  elle  en  était  revenue  en  juin  1879.  Dans  le 
conseil  nommé  par  Mgr  Moreau,  le  27  novembre  1882,  elle  avait 
été  élue  dépositaire.  Elle  resterait  à  la  tête  de  l'administration  de 
mai  1883  à  décembre  1887. 

Le  25  novembre  1883,  les  Annales  enregistrent  la  mort,  à  85 
ans,  du  vénérable  père  de  Mère  Catherine-Aurélie.  Deux  ans 
plus  tôt,  elles  avaient  de  même  enregistré,  le  28  novembre  1881, 
celle  de  sa  deuxième  femme,  madame  Caouette.  L'on  a  vu  que  la 
pieuse  fondatrice  avait  beaucoup  d'attachement  à  sa  famille. 
Son  père  surtout,  son  cher  vieux  père  blanc,  comme  elle  l'appelait, 
lui  avait  toujours  été  très  cher  en  effet.  Sa  mort  fut  un  deuil  pour 
son  cœur.  Le  regret  d'ailleurs  de  le  voir  mourir  fut  général.  "  Il 
semble,  disent  les  Annales,  qu'un  lien  de  famille  nous  unissait  à 
ce  vénérable  vieillard.  C'était  un  chrétien  d'une  grande  foi  et 
d'une  vive  piété.  Il  s'est  préparé  à  la  mort  de  la  manière  la  plus 
édifiante." 


280  MÈBE  CATHEBINE-AURÉLIE 

En  1884,  la  question  s'agitait,  à  Toronto,  de  la  construction 
d'un  monastère.  Mgr  Lynch  avait,  dès  l'année  précédente,  on  s'en 
souvient,  manifesté  le  désir  d'avoir  la  fondatrice  dans  sa  ville 
épiscopale.  Le  27  mars,  la  supérieure  de  Toronto,  Mère  Euphrasie- 
de-Saint-Joseph,  et  son  assistante.  Sœur  Sophie-de-l'Incarnation, 
deux  des  compagnes  de  fondation  de  Mère  Catherine-Aurélie  — 
l'autre.  Sœur  Elizabeth-de-l'Immaculée-Conception,  était  revenue 
(de  Toronto)  mourir  à  Saint-Hyacinthe  en  1881  (le  2  août)  — 
arrivaient  à  la  maison-mère.  Mgr  Moreau  leur  permit,  cette  fois, 
d'emmener  la  fondatrice,  pour  les  aider  dans  leurs  travaux  de 
construction.  **  Je  vous  envoie  là-bas,  dit-il  à  Mère  Catherine- 
Aurélie,  pour  que  vous  érigiez  un  nouveau  sanctuaire  à  la  gloire 
du  Précieux  Sang,  et  je  veux  que  vous  hâtiez  les  choses  afin  que 
tout  soit  terminé,  ou  du  moins  en  voie  de  l'être,  quand  vous  nous 
reviendrez  dans  quelques  mois."  Elle  partit  le  16  avril  pour  ne 
revenir  que  le  22  septembre. 

Dans  la  situation  spéciale  que  les  circonstances  lui  avaient 
faite  au  monastère  qu'elle  avait  fondé,  la  généreuse  supérieure 
entretenait  en  son  âme  les  plus  hauts  sentiments  de  foi  et  d'esprit 
d'abnégation.  N'ayant  pu  aller,  comme  autrefois,  offrir  ses  vœux 
du  premier  de  l'an  1884  à  Mgr  Joseph,  elle  lui  écriv  ait  à  quelques 
jours  de  là  :  "  Mon  très  vénéré  Seigneur  et  bien  cher  Père  en 
Jésus,  —  Il  m'a  été  impossible,  au  premier  jour  de  l'an,  de  venir 
vous  présenter  mes  profonds  hommages  et  vous  exprimer  mes 
vœux  ardents,  mais  il  m'a  été  possible  d'aller  dans  le  cœur  de 
notre  Jésus  et  de  lui  dire  bien  des  choses  pour  vous.  Le  sang  de 
la  victime  d'amour  aura,  je  l'espère,  répandu  sur  vous  les  grâces 
que  je  lui  ai  demandées  en  votre  faveur,  un  amour  généreux  et 
confiant,  une  grande  abondance  de  paix  au  milieu  des  tempêtes 
de  l'esprit  et  des  perplexités  de  l'âme.  Je  vous  ai  offert  à  Dieu 
comme  une  victime  de  l'adorable  volonté  de  Jésus  crucifié  et 
crucifiant.  Ne  craignez  pas,  les  coups  que  veut  vous  lancer  votre 


I 


DES  ÉVÉNEMENTS   DE  1882   A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  FONDATRICE  281 

sacrificateur  sont  proportionnés  à  vos  forces .  .  .  J'offre  à  Jésus 
l'incapacité  oii  je  suis  d'écrire  à  mon  bon  père.  Que  la  douloureuse 
passion  de  Jésus-Christ  soit  toujours  présente  dans  votre  esprit 
et  dans  votre  cœur  !  —  Adieu  !  Je  suis,  en  Notre-Seigneur,  votre 
petite  enfant  Aurélie,  petite  victime  d'union  en  Jésus  crucifié.*' 

Le  15  mars  1885  tombait  le  cinquantième  anniversaire  de 
sacerdoce  de  ce  tant  vénéré  prélat  qu'était,  au  Précieux-Sang,  et 
partout  dans  le  diocèse,  Mgr  Joseph  LaRocque.  Mgr  Moreau  fixa 
la  date  de  la  célébration  des  noces  d'or,  le  15  tombant  un  dimanche, 
au  19,  jour  de  la  fête  de  son  saint  patron.  "  Nous  ne  pouvons 
oublier,  écrivait  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe,  dans  une  circu- 
laire à  son  clergé  datée  du  1er  mars,  que  Mgr  LaRocque  a  géné- 
reusement dépensé  presque  toute  sa  vie  pour  le  diocèse,  même 
depuis  que  les  infirmités  l'ont  forcé  de  se  retirer  de  la  vie  active. 
En  effet,  depuis  dix-huit  ans  qu'il  est  dans  la  retraite,  il  n'est 
pas  resté  oisif.  Vous  connaissez  tous  son  dévouement  et  ses 
travaux  pour  la  sanctification  de  nos  communautés  religieuses, 
qui  aussi  l'aiment  et  le  vénèrent  comme  un  père,  et  surtout  sa 
sollicitude  pour  la  belle  et  si  utile  fondation  du  Précieux-Sang,  où  il 
est  chéri  et  entouré  des  soins  de  la  plus  filiale  piété.  C'est  l'œuvre 
de  son  cœur,  qu'il  a  léguée  à  son  diocèse  comme  témoignage  de 
son  zèle  ardent  pour  la  conversion  des  pécheurs  et  l'établissement 
solide  du  règne  de  Dieu  dans  les  âmes.  Son  bien  trop  court  passage 
sur  le  siège  épiscopal  de  Saint-Hyacinthe  n'aurait-il  été  marqué 
que  par  l'établissement  de  cet  institut  si  précieux,  nous  pourrions 
dire  qu'il  a  fait  beaucoup  pour  le  diocèse."  Au  monastère,  on 
réserva  l'honneur  et  la  joie  de  tout  préparer  pour  cette  célébration 
à  la  Mère  fondatrice  elle-même.  C'était  une  attention  délicate, 
à  laquelle  elle  fut  naturellement  très  sensible.  "  Notre  vénérée 
Mère,  dit  l'annaliste,  a  déployé  une  habileté  et  un  dévouement 
vraiment  incomparables,  dignes  de  celui  qui  devait  être  l'objet 
de  tant  de  démonstrations.  Elle  n'a  rien  épargné,  elle  y  a  mis  toute 
son  âme,  tout  son  cœur  et  tout  son  amour  filial.  " 


282  MÈRE  CATHERINE-AURÉLIB 

Depuis  septembre  1882,  le  bon  M.  Lecours,  nous  l'avons  vu, 
avait  pris  sa  retraite  à  la  maison  blanche,  auprès  de  son  vénérable 
ami,  Mgr  Joseph,  et  au  Précieux-Sang.  Qn  se  rappelle  qu'il  avait 
dit  en  arrivant  aux  religieuses  :  "  Je  viens  mourir  parmi  vous,  et, 
si  le  bon  Dieu  m'en  donne  l'occasion,  vous  être  encore  un  peu 
utile."  Ayant  toujours  vécu  dans  un  grand  esprit  de  pauvreté,  il 
avait,  depuis  son  départ  de  Saint-Hyacinthe  en  1873,  réalisé  quel- 
ques économies.  Le  temps  lui  parut  arrivé  d'en  faire  bénéficier  les 
Sœurs  du  Précieux-Sang  en  1886.  Au  moment  oùle  bon  curé  prenait 
sa  retraite,  exactement  au  mois  de  mai  précédent  (1882),  une 
généreuse  ami  de  la  fondatrice,  madame  Bliss,  de  New  York,  avait 
fait  don  à  la  chapelle,  construite  par  M.  de  la  Croix,  d'un  magni- 
fique autel  en  marbre  blanc,  qui  avait  été  consacré,  le  7  septembre 
de  cette  même  année,  et  dédié  au  Précieux  Sang  de  Notre-Seigneur. 
Mais  les  deux  autels  latéraux,  celui  de  la  vierge  Marie  et  celui  de 
saint  Joseph,  n'étaient  encore  que  projetés.  Et  puis,  la  chapelle 
elle-même  et  le  chœur  des  religieuses  attendaient  toujours  le3 
décorations  qui  leur  convenaient.  Plus  de  trois  ans  s'étaient  écou- 
lés. Aux  fêtes  jubilaires  de  Mgr  Joseph,  tout  cela  avait  semblé 
à  beaucoup  peu  digne  du  culte  ardent  qu'on  rendait  là  à  Notre- 
Seigneur.  M.  Lecours  décida,  une  fois  de  plus,  d'être  le  manda- 
taire delà  Providence.  Le  13  mars  1886,  il  faisait  don,  sous  le  voile 
et  le  pseudonyme,  dit  la  chronique,  de  sa  fidèle  ménagère,  made- 
moiselle Julie  La  voie,  d'une  somme  de  huit  mille  piastres.  D'autres 
libéralités  s'ajoutèrent  à  celle-là.  Le  29  du  même  mois,  l'entreprise 
de  la  décoration  de  la  chapelle  et  du  chœur  était  donnée  à  un 
artiste-peintre  de  Saint-Hyacinthe,  M.  Joseph  Rousseau.  Les 
deux  autels  latéraux  furent  aussi  bientôt  commandés.  De  la 
sorte,  le  30  avril  1888,  disons-le  tout  de  suite,  la  chapelle  et  les 
deux  autels  nouveaux  purent  être  consacrés.  "  La  chapelle  du 
Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe,  lisons-nous  dans  le  Livre  d'or, 
n'est  peut-être  pas  le  bijou  de  V Amérique  que  l'artiste  Rousseau 


DES  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  A  LA  RÉÉLECTION  DE  LA  FONDATRICE  283 

nous  avait  promis.  Mais  elle  est  certainement  très  pieuse.  On  a 
dit  qu'elle  "  recueille  "  dès  qu'on  y  entre  !  Toutes  les  personnes 
qui  la  visitent  lui  rendent  un  témoignage  analogue.  Il  nous  suffit.  " 
Qu'il  soit  permis  à  l'historien  de  Mère  Catherine- Aurélie  d'ajouter 
ici  son  témoignage  à  tant  d'autres.  Il  a,  lui  aussi,  éprouvé  plus 
d'une  fois  la  vertu  purifiante  et  édifiante  de  cette  atmosphère  de 
recueillement  et  de  beauté  qu'on  respire  au  Précieux-Sang  de 
Saint-Hyacinthe. 

Pendant  qu'on  procédait,  en  1886-1888,  à  ces  achèvements 
magnifiques,  sous  l'administration  toujours  de  Mère  Marie-du- 
Saint-Esprit,  l'œuvre  même  de  l'institut,  nous  voulons  dire  son 
accroissement  par  les  recrues  nouvelles  qui  venaient  s'immoler 
sur  l'autel  du  sacrifice,  prospérait  sans  cesse.  Une  troisième  fois,  la 
pieuse  ruche,  ainsi  qu'affectionnait  de  dire  Mgr  Joseph,  allait 
essaimer.  Après  celles  de  Toronto  et  de  Notre-Dame-de-Grâce,  la 
maison-fille  d'Ottawa  allait  naître. 

Le  8  juin  1886,  Mgr  Duhamel,  deuxième  évêque  d'Ottawa  de- 
puis 1874  (élu  à  33  ans  le  14  septembre  et  sacré  le  28  octobre), 
avait  été  élevé  au  rang  d'archevêque  et  il  avait  reçu  le  pallium  le 
29  juillet.  "  Homme  de  travail  méthodique,  administrateur  pru- 
dent, évêque  rempli  d'un  grand  zèle  pour  le  bien,  a-t-on  écrit  de 
lui,  Mgr  Duhamel,  pendant  ses  trente-quatre  ans  d'épiscopat  —  il 
devait  mourir  le  5  juin  1909  —  a  dirigé  avec  un  merveilleux 
succès  l'organisation  des  paroisses  et  des  communautés  de  son 
vaste  diocèse,  et  il  a  mérité  la  confiance  et  le  respect  de  toute 
la  population  d'Ottawa,  sans  distinction  de  races  ou  de  langues  " 
(Mgr  Brunet).  En  remerciant  la  fondatrice  du  Précieux-Sang 
des  félicitations  et  des  vœux  qu'elle  lui  avait  adressés  à  l'occasion 
de  sa  promotion  et  de  la  réception  du  pallium,  le  nouvel  archevêque 
lui  exprima  le  désir  d'avoir  une  maison  de  son  institut  dans  la 
capitale  devenue  ville  archiépiscopale.  Le  projet,  pourtant  si 
honorable  pour  la  communauté,  n'eut  pas  de  suites  immédiates.' 


284  MÊBE  CATHBBINE-AUBÉLIE 

Huit  mois  plus  tard,  le  25  mars  1887,  Mgr  Duhamel  revint  à  la 
charge,  proposant  de  mettre  à  la  disposition  des  Sœurs  qui  lui 
seraient  envoyées  l'ancienne  maison  des  Sœurs  Grises  de  la  Croix, 
celle  qu'elles  avaient  occupée  dès  leur  fondation,  par  la  Mère 
Bruyère,  de  pieuse  mémoire,  en  février  1845,  Si  cependant  la 
maison  de  Saint-Hyacinthe  pouvait  disposer  de  quelques  cen- 
taines de  piastres,  ajoutait  l'archevêque,  elle  pourrait  choisir 
entre  deux  belles  propriétés  qu'on  acquerrait  à  des  conditions 
faciles.  Après  avoir  consulté  Mgr  de  Saint-Hyacinthe,  et  les  deux 
co-fondateurs,  Mgr  Joseph  et  Mgr  Raymond,  le  conseil  de  la 
maison-mère  accepta  l'offre  de  Mgr  l'archevêque  d'Ottawa,  et 
Mère  Catherine-Aurélie,  supérieure  en  titre,  fut  chargée,  comme 
elle  devait  l'être  pour  toutes  les  fondations  futures,  de  négocier 
avec  Mgr  Duhamel.  Dès  le  28  mars,  elle  écrivait  à  Sa  Grandeur 
que  sa  communauté  verrait  avec  bonheur  un  contingent  de  ses 
religieuses  "  aller  se  placer  sous  sa  houlette  pastorale,  pour 
accomplir  là  leurs  œuvres  d'adoration  et  de  réparation  au  profit 
de  tout  son  cher  troupeau  ".  Elle  ajoutait  :  "  L'ancienne  maison 
des  Sœurs  Grises  de  la  Croix,  Monseigneur,  conviendrait  mieux  à 
mon  humble  avis,  pour  un  sanctuaire  où  tout  devra  rappeler  les 
sanglantes  immolations  du  Golgotha.  Si,  plus  tard,  nous  en  voyions 
la  nécessité,  et  si  le  ciel  nous  venait  en  aide  pour  cela,  nous  pour- 
rions construire  un  monastère  plus  régulier  et  portant  davantage 
le  cachet  monastique.  Mais,  pour  jeter  les  bases  de  notre  petit 
édifice,  nous  sommes  bien  aises  d'avoir  pour  premières  pierres 
la  glorieuse  humilité  et  la  riche  pauvreté  de  Jésus."  Les  conditions 
matérielles  et  autres,  dans  le  détail  desquelles  il  n'est  pas  néces- 
saire d'entrer  ici,  ayant  été  bientôt  arrêtées.  Mère  Catherine- 
Aurélie  se  rendit  à  Ottawa,  avec  les  Sœurs  Aimée-de-Marie,  sa 
secrétaire,  et  Véronique-de-la-Passion,  pour  préparer  la  prochaine 
installation.  A  la  fin  d'avril,  les  "  missionnaires  "  d'Ottawa 
furent    désignées.    C'étaient  :    Mère    du    Saint-Cœur-de-Marie, 


DES  ^ÉVÉNEMENTS  DE  1882  A  LA  BÉilLECTION  DE  LA  FONDATBICE  285 

supérieure  ;  Sœur  Aurélie-de-Jésus,  assistante  ;  Sœur  Marie- 
Réparatrice,  maîtresse  des  novices  ;  Sœur  Marie-Immaculée, 
économe  ;  Sœur  Saint-François-de-Salles  ;  Sœur  du  Divin-Cœur- 
de-Jésus,  secrétaire  ;  Sœur  du  Saint-Nom-de-Marie  et  Sœur 
Marie-Bernadette.  "  Je  ne  saurais  dire  à  Votre  Grandeur,  écrivait 
Mgr  Duhamel  à  Mgr  de  Germanicopolis,  toute  la  joie  que  je 
ressens  en  voj'ant  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  venir  travailler 
à  répandre  le  culte  du  sang  divin  dans  mon  archidiocèse.  Que 
d'âmes  seront  lavées  dans  ce  sang  purifiant  qui  ne  l'auraient  pas 
été  sans  les  prières  et  les  sacrifices  de  ces  religieuses  !  " 

Le  19  mai,  Mgr  l'archevêque  publiait  un  fort  beau  mandement 
annonçant  l'arrivée  des  Sœurs  du  Précieux-Sang  à  Ottawa  et 
leur  installation,  le  24  mai,  jour  de  Notre-Dame  de  Bonsecours, 
dans  l'ancienne  maison  des  Sœurs  Grises.  "  Ré  veillez- vous,  échos 
de  ce  sanctuaire,  écrivait-il  éloquemment,  à  la  voix  de  ces  nouvelles 
épouses  de  celui  dont  jadis  vous  avez  tant  de  fois  répété  le  nom  ! 
Le  temps  vient  pour  vous  de  le  répéter  encore  et  la  nuit  et  le 
jour.  Revenez,  anges  adorateurs  de  l'hostie  vivante  !  Reprenez 
votre  place  dans  cette  enceinte  sacrée.  Venez,  vous  aussi,  anges 
privilégiés  qui  avez  assisté  au  drame  sanglant  du  Golgotha  ! 
Venez,  des  coupes  en  mains,  puiser,  dans  le  calice  de  l'autel,  le 
sang  du  Sauveur,  pour  le  porter  partout,  dans  ce  diocèse,  où  il 
y  a  des  âmes  à  rafraîchir  et  à  purifier.  Et  vous,  qui  venez  vous 
dévouer  comme  des  victimes,  entrez  avec  confiance  dans  cette 
pauvre  maison  qui  vous  tiendra  lieu  de  monastère.  .  .  Ne  craignez 
pas  de  manquer  du  nécessaire.  La  Providence  de  Dieu  et  la 
générosité  des  catholiques  de  cette  ville  et  de  ce  diocèse  tout 
entier  vous  seront  comme  des  trésors  où  vous  pourrez  puiser  en 
temps  opportun.'' 

L'installation  à  "  Béthanie  ",  car  c'est  ainsi  que,  selon  le  mot 
souvent  usité  par  Mgr  Duhamel  à  leur  endroit,  les  Sœurs  du 
Précieux-Sang  voulurent  nommer  leur  nouveau  monastère,  se  fit 


286  MÈRE   CATHERINB-AURÉLIE 

donc  aux  premières  vêpres  et  le  jour  même  du  24  mai.  Mère 
Catherine-Aurélie,  qu'une  chute  malencontreuse  obligea  heureu- 
sement à  prolonger  son  séjour  à  Ottawa  jusqu'au  3  juillet,  était 
là,  avec  ses  deux  compagnes,  pour  recevoir  ses  filles  "  mission- 
naires "  et  Mgr  Raymond,  le  dévoué  père  de  son  âme  et  de  celles 
de  ses  filles,  qui  les  accompagnait.  Comme  naguère  à  Toronto,  puis 
à  Notre-Dame-de-Grâce,  on  leur  fit,  à  Ottawa,  une  magnifique 
réception,  dans  laquelle  il  y  avait  tout  ensemble  de  la  foi,  du 
respect,  de  la  confiance  et  de  la  vénération.  A  leur  passage  à 
Montréal,  les  "  missionnaires  "  avaient  visité  les  sanctuaires 
et  les  communautés.  Mais  le  saint  Mgr  Bourget  n'était  plus  là  pour 
les  bénir  et  les  encourager.  Depuis  le  8  juin  1885,  il  était  allé 
recevoir  au  ciel  la  récompense  de  ses  labeurs  et  de  ses  peines.  Le 
bon  Dieu  voulut  sans  doute  leur  ménager  une  compensation,  en 
leur  faisant  rencontrer,  chez  les  Sœurs  Grises  de  la  rue  Guy,  le 
grand  archevêque  de  l'Ouest,  Mgr  Taché,  qui  les  bénit  affectueuse- 
ment. A  Notre-Dame-de-Grâce,  elles  reçurent  également  un 
affectueux  accueil.  Mais,  à  Ottawa,  répétons-le,  ce  fut  presque 
un  triomphe.  En  les  installant  dans  leur  modeste  monastère,  en 
présence  d'une  foule  sympathique  et  émue,  Mgr  l'archevêque, 
aussitôt  après  le  chant  du  Te  Deum,  leur  dit  :  "  Dieu  ne  manquera 
pas,  mes  chères  filles,  de  vous  récompenser  en  retour  des  sacrifices 
que  vous  avez  faits  en  laissant  vos  familles  et  le  berceau  chéri 
de  votre  vie  religieuse.  .  .  Considérez-vous  comme  à  Béthanie  et 
goûtez  dans  votre  cher  cloître  le  calme  et  le  repos,  vous  confiant 
à  la  Providence  qui  veillera  sur  vous.  .  ." 

Aux  partantes  de  sa  ville  épiscopale,  Mgr  de  Saint-Hyacinthe 
avait  bien  voulu  donner  une  lettre  d'obédience  en  bonne  et  due 
forme,  dans  laquelle,  à  la  date  du  21  mai,  il  leur  disait  :  "  Nous 
vous  remettons,  nos  très  chères  filles,  sous  l'entière  juridiction  de 
Mgr  l'archevêque  d'Ottawa,  qui  devient  votre  supérieur  immédiat 
et  majeur,  avec  l'entière  confiance  que  vous  ferez  sa  consolation 


DE8''ÉV1ÊNKMRNT8  DE  1882  A  LA  R^éLBCTION  DE  LA  FONDATBICB  287 

et  son  bonheur . . .  Que  le  Dieu  de  bonté  vous  comble  de  ses  dons 
les  plus  parfaits  et  vous  donne  des  cœurs  d'apôtres,  afin  que  voua 
le  fassiez  aimer,  que  vous  procuriez  sa  gloire  et  que  vous  fassiez 
bénir  son  nom  au  sein  de  cette  Église  d'Ottawa,  qui  vous  accueille 
avec  tant  de  bonheur  et  qui  espère  que  vous  serez  son  soutien 
et  sa  gloire  par  vos  prières,  par  vos  immolations  et  par  vos  sacri- 
fices..." Le  30  mai,  Mgr  de  Germanicopolis  adressait,  à  son 
tour,  une  longue  lettre  aux  "  missionnaires  "  d'Ottawa,  et  leur 
disait  entre  autres  choses  ces  paroles,  qui,  comme  celles  du  Nune 
dimittis  de  Siméon,  l'événement  l'a  prouvé  plus  tard,  étaient 
une  prophétie  en  même  temps  qu'un  encouragement  ;  '*  Aux 
Sœurs  de  la  nouvelle  mission  est  dévolu  le  grand  rôle  de  répandre 
l'honneur  du  nom  et  de  l'œuvre  de  l'institut  du  Précieux-Sang 
dans  les  vastes  pays  qui  s'étendent  de  cette  capitale  jusqu'au 
Mississipi  et  jusqu'aux  Montagnes-Rocheuses.  Que  l'auguste 
sang,  dont  les  effusions  sont  suflSsantes  pour  le  rachat  des  crimes 
du  genre  humain  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  soit  donc  adoré,  vénéré 
et  aimé,  par  les  nouvelles  zélatrices  de  son  culte,  maintenant  et 
toujours  !...'* 

La  secrétaire  de  la  fondatrice,  Sœur  Aimée-de-Marie,  écrivait 
au  début  de  cette  installation  à  Ottawa  :  "  C'est  à  croire  que  tout 
se  fait  ici  par  enchantement  !  Si  nous  n'avions  vu  une  main  d'évê- 
que  tracer  leschangements  à  faire  (dans  la  maison),  nous  aurions 
cru  voir  une  baguette  de  fée  présidant  au  travail  ! .  . .  "  C'est 
qu'en  effet  la  Providence  est  parfois  une  bien  bonne  fée.  Et  puis, 
Mère  Catherine-Aurélie  restait  là  pour  quelques  semaines  encore. 
Durant  les  quelques  jours  qu'il  y  passa  aussi,  Mgr  Raymond, 
autorisé  par  Mgr  Duhamel,  multiplia  ses  bons  soins  spirituels 
à  ses  chères  enfants.  Mais  il  dut  repartir  pour  Saint-Hyacinthe  le 
27  mai.  La  fondatrice  vit  à  tout  et,  comme  toujours,  dut  en  plus 
recevoir  nombre  de  visiteurs.  Le  soir  du  27  mai,  Mgr  l'archevêque 
Duhamel  voulut  accorder  une  douce  consolation  aux  adoratrices 


288  MÈRE   CATHERINE-AURÉLIE 

du  Précieux-Sang.  Il  leur  fit  don  d'une  relique  de  la  vraie  croix, 
qu'il  avait  emportée  de  Rome,  à  l'un  de  ses  précédents  voyages, 
et  vint  lui-même  l'exposer  et  la  faire  vénérer  dans  la  chapelle 
du  monastère.  "  Pourquoi,  me  disais-je,  exprima-t-il  en  souriant, 
ne  pas  porter  à  mes  nouvelles  filles  cet  encouragement  dans  les 
croix  que  Dieu  leur  ménage  ?"  —  "  Huit  jours  s'étaient  à  peine 
écoulés  depuis  l'installation,  dit  l'annaliste  d'Ottawa,  que  déjà 
le  petit  monastère  avait  pris  un  aspect  d'ordre  et  de  propreté 
qui  charmait  tous  les  yeux.  L'accident  survenu  à  notre  vénérée 
Mère  (cette  chute  dans  laquelle  elle  s'était  donné  une  entorse) 
nous  a  été  favorable  tant  au  spirituel  qu'au  temporel,  car  cette 
chère  Mère,  tout  en  attirant  les  plus  précieuses  bénédictions  sur 
la  nouvelle  maison  par  sa  résignation  à  la  volonté  du  bon  Dieu 
qui  l'y  retenait  enchaînée,  était  là  pour  aviser  dans  tout  ce  qu'il 
y  avait  à  faire.  Qui  sait  ?  Sans  cet  accident,  elle  fut  peut-être 
retournée  plus  tôt.  .  .  Toutes  se  trouvaient  remplies  de  joie  et  de 
courage,  et  notre  Mère  fondatrice  se  disait  heureuse  de  voir  ses 
filles  ne  pas  marchander  avec  les  sacrifices.  Les  petits  Traités 
du  Précieux-Sang  (œuvre  de  Mgr  Joseph)  étaient  réclamés  avec 
empressement  et  la  diffusion,  partout  dans  la  ville,  s'en  faisait 
rapide.  La  Sœur  portière  ne  suffisait  pas  à  remplir  seule  son  office, 
tant  était  grande  l'affluence  des  personnes  du  monde  qui  venaient 
chercher  à  la  nouvelle  "  Béthanie  "  les  prières  et  les  encoura- 
gements." La  fondation  d'Ottawa  était  faite  et  tout  laissait 
prévoir  un  avenir  prospère. 

Le  dimanche  3  juillet  1887,  Mgr  Raymond  mourait  subitement 
au  monastère  de  Saint-Hyacinthe,  à  l'âge  de  77  ans,  au  moment 
où  il  se  préparait  précisément  à  dire  la  messe  du  Précieux  Sang. 
Ce  fut  un  grand  deuil  pour  l'Église  canadienne,  pour  Saint-Hya- 
cinthe, pour  le  séminaire,  pour  le  Précieux-Sang  —  à  qui  il  avait 
légué  son  cœur.  Ce  fut  une  perte  immense  pour  la  fondatrice,  dont 
il  était  le  directeur  et  le  père  depuis  1848,  c'est-à-dire  depuis 


DES  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  FONDATRICE  289 

quarante  ans.  La  triste  nouvelle  lui  fut  communiquée,  à  Ottawa, 
par  M.  l'abbé  Plautin  que  Mgr  Duhamel  avait  donné  comme  aumô- 
nier à  la  communauté.  Mère  Catherine- Aurélie  fut  aussitôt  mandée 
à  la  maison-mère  par  télégramme.  C'était  encore  la  croix,  et  une 
croix  bien  lourde  à  prendre.  Sa  grande  consolation  dans  cette 
épreuve,  l'âme  sensible  de  la  fondatrice  la  trouva  dans  ce  fait 
que  le  père  de  son  âme,  l'instigateur  et  le  co-fondateur  de  sa  com- 
munauté, le  grand  apôtre,  on  peut  l'affirmer,  de  la  dévotion  au 
Précieux  Sang  au  Canada,  mourait  le  jour  même  de  la  fête  tant 
aimée  et  à  l'heure  de  la  messe  qu'il  allait  célébrer  en  son  honneur. 
L'oblation,  cette  fois,  c'était  celle  du  saint  prêtre  lui-même.  Nul 
doute  qu'elle  se  consommait  là-haut.  Sur  terre,  l'œuvre  à  laquelle 
la  fondatrice  avait  voué  sa  vie  perdait  son  premier  protecteur. 
Au  ciel,  visiblement,  lui  semblait-il,  elle  avait  l'assurance  de 
compter  sur  un  puissant  protecteur.  Cette  coïncidence  provi- 
dentielle, c'était,  selon  le  joli  mot  de  l'annaliste  d'Ottawa,  un 
"  sourire  du  bon  Dieu  "  jeté  sur  la  douleur  de  la  Mère  et  de  ses 
pieuses  filles. 

Revenue  à  la  maison-mère  dans  ces  tristes  circonstances,  la 
généreuse  fondatrice  n'en  continua  pas  moins  ses  travaux  et  ses 
labeurs.  Mgr  Moreau  désigna  M.  le  vicaire  général  Gravel  pour 
remplacer  le  regretté  Mgr  Raymond  dans  l'exercice  du  saint 
ministère  auprès  des  Sœurs  du  Précieux-Sang.  Cela  encore,  ce  fut 
une  consolation  pour  le  cœur  éprouvé  de  Mère  Catherine-Aurélie. 
Le  11  juillet,  c'était,  nous  le  savons  déjà,  son  anniversaire  de 
naissance.  Elle  atteignait,  cette  année-là,  54  ans.  "  La  fête  de  notre 
digne  et  aimée  Mère  fondatrice,  écrit  l'annaliste  de  la  maison- 
mère,  d'ordinaire  si  joyeuse  et  retentissante  de  chants  d'allégresse, 
se  présente  aujourd'hui  toute  sombre  encore  du  deuil  qui  vient  de 
voiler  nos  cœurs  et  notre  institut.  En  exprimant  à  notre  Mère 
fondatrice  et  supérieure  notre  respect,  notre  vénération  et  notre 
attachement,  notre  Mère  vice-supérieure  (Mère  Marie-du-Saint- 


290  idiBE  CATHEBINB-AUBiUB 

Esprit)  n'a  pas  manqué  de  faire  allusion  à  la  perte  récente  que 
nous  avons  faite." —  "  Lisez  dans  le  cœur  de  vos  enfants,  lui 
a-t-elle  dit,  et  vous  les  sentirez  battre  à  l'unisson  du  vôtre  dans  le 
souvenir  de  tout  ce  qu'a  été  notre  cher  et  regretté  Père  Raymond 
et  pour  vous  et  pour  nous  toutes." —  Mère  Catherine-Aurélie, 
après  avoir  proposé  d'abord  la  récitation  immédiate  d'un  fervent 
De  profundis  à  l'intention  du  regretté  prélat,  parla  longuement  de 
sa  bonté,  de  son  dévouement,  de  ses  lumineux  enseignements. 
Elle  bénit  ses  filles  avec  des  larmes  dans  la  voix  et  leur  recom- 
manda de  cultiver  soigneusement  dans  leurs  âmes  les  saintes 
semences  qu'y  avait  jetées  la  parole,  si  convaincue  et  si  pleine 
d'onction  toujours,  du  père  qu'on  pleurait. —  "Ce  sera  là,  leur 
dit-elle,  la  meilleure  manière  de  témoigner  que  nous  avons  su 
apprécier  son  infatigable  dévouement  pour  nous." 

Le  15  juillet,  elle  partait  pour  Toronto,  où  ses  filles  la  récla- 
maient. De  là  elle  écrit  à  la  supérieure  d'Ottawa,  le  24  juillet  : 
**  Huit  longs  jours  sans  nouvelles  de  mon  "  Béthanie  "  !  (Elle 
s'y  était  arrêtée  au  passage.)  J'aime  à  vous  suivre  pas  à  pas  dans 
toutes  vos  occupations,  en  partageant  vos  soucis.  Que  ne  puis-je 
garder  pour  moi  seule  les  travaux  et  les  sollicitudes  de  mes  géné- 
reuses enfants,  sans  cependant  diminuer  leurs  mérites  ! . .  Humai- 
nement parlant,  n'ai- je  pas  raison  de  compter  que  Mgr  d'Ottawa 
est  cet  apôtre  zélé  du  Précieux-Sang  que  ma  confiante  prière 
réclame  depuis  des  années  ?  L'impulsion  qui  le  pousse  à  l'extension 
du  culte  au  sang  divin,  surtout,  comme  il  le  dit  lui-même,  depuis 
la  mort  de  notre  vénéré  et  à  jamais  regretté  père  Mgr  Raymond, 
ne  serait-elle  pas  la  réponse  à  mes  vœux  du  jour  et  de  la  nuit  ? 
Je  suis  aussi  toute  émue  du  bienveillant  intérêt  que  Monseigneur 
daigne  me  témoigner  en  toute  occasion,  comme  de  la  sympathie 
qu'il  me  manifeste  dans  les  angoisses  si  longues  et  si  crucifiantes 
de  mon  cœur. .  .  Mgr  Lynch,  ce  premier  et  fidèle  ami  de  notre 
œuvre,  m'a  reçue  avec  ces  marques  habituées  de  bienveillance 


DES  ÉTÉNEMSNTB  DB  1882  A  LA  BÉéLECTION  DB  LA  FONDATBICE  291 

qui  me  confondent  toujours.  . .  .J'ai  trouvé  le  tout  petit  monastère 
de  mes  chères  Torontines,  comme  leurs  cœurs,  dans  l'ordre  le 
plus  parfait.  Tout  y  respire  la  paix,  la  sainte  gaieté,  la  simplicité 
et  une  exquise  propreté,  à  travers  laquelle  perce  un  certain  goût 
qui  pourrait  être  qualifié  par  quelques  esprits  d'un  peu  recherché. 
Je  me  surprends  quelquefois  à  me  demander  si  nous  ne  devrions 
pas  sacrifier  le  bon  goût ..." 

De  Saint-Hyacinthe,  le  pieux  Mgr  Joseph  écrivait  aussi  à  ses 
filles  de  la  nouvelle  maison  d'Ottawa  et  à  leur  supérieure  Mère  du 
Saint-Cœur-de-Marie.  Toujours  souffrant  dans  son  pauvre 
corps  perclus  de  rhumatismes,  mais  toujours  alerte  dans  sa  vitalité 
intellectuelle,  il  laissait,  d'une  plume  facile,  s'épancher  son  cœur 
d'apôtre  du  Précieux  Sang,  "  Je  suis  on  ne  peut  être  plus  heureux, 
disait-il  (1er  août  1887),  de  voir  le  bon  accueil  que  toute  la  popu- 
lation vous  a  fait.  C'est  une  source  de  jouissance  pour  mon  cœur, 
tant  par  rapport  à  vous-mêmes  qu'en  vue  du  culte  du  Précieux 
Sang  dont  l'extension  réjouit  mon  âme.  A  ma  mort,  qui  ne  peut 
guère  tarder  que  de  quelques  années,  Jésus  me  consolera,  j'ose 
l'espérer,  et  me  rassurera  contre  la  frayeur  du  trépas  et  de  la 
dernière  agonie.  Animez-vous  du  même  esprit  que  moi,  mes 
chères  enfants.  Prenez  cet  esprit  dans  le  livre  de  vos  constitutions. 
Faites-en  la  méditation.  Demandez-en  le  développement  à  l'Esprit 
de  lumière.  Tendez  toujours  à  les  mettre  en  pratique.  "  Une 
autre  fois,  à  l'occasion  de  sa  fête  prochaine,  celle  du  saint  cœur  de 
Marie,  il  mande  à  la  supérieure,  à  la  fin  d'août:  "  Le  cœur  de 
Marie  est  le  plus  digne  sanctuaire,  après  celui  de  Jésus,  que  la 
divinité  ait  habité,  celui  qui,  après  le  cœur  de  Jésus  toujours,  a  le 
plus  aimé  les  hommes.  Le  cœur  de  Marie  éclaire,  échauffe  et  fé- 
conde les  esprits  et  les  cœurs  de  tous  ceux  qui  se  dévouent  amou- 
reusement à  son  culte . . .  Humblement  prosternée,  ma  chère 
Mère,  dites  à  ce  cœur  aimant  de  notre  douce  mère  du  ciel,  dont 
vous  portez  le  nom,  qui  est  tout  resplendissant  de  clarté,  tout 


292  MÈKE   CATHERINE-AUBÉLIE 

embrasé  de  flammes  divines  et  tant  empressé  à  procurer  la  gloire 
de  Dieu  et  le  salut  des  âmes,  de  v^ous  faire  éprouver  ses  propres 
sentiments,  de  consumer  en  vous  toutes  les  affections  qui  déplai- 
raient à  Dieu,  de  vous  remplir  d'une  lumière,  d'une  chaleur  et 
d'une  vie  non  plus  terrestres  mais  célestes  et  divines ...  Je 
laisse  mon  âme  aller  vers  vous,  mes  bien-aimées  filles,  imprégnée 
de  tout  ce  que  contiennent  mes  quatre  pages,  avec  en  plus  une 
pleine  coupe  de  Précieux  Sang  !  Faites  attention  que  je  vous  ai 
écrit  ces  pages  à  l'âge  de  79  ans  révolus  le  28  août  prochain  et 
que  ma  démarche  est  une  preuve  de  mon  désir  de  votre  perfection 
toujours  croissante ..." 

Et  nous  pourrions  sans  doute  multiplier  ces  citations  de  lettres, 
ou  ces  comptes  rendus  d'annales,  qui  peignent  au  vif  la  belle  âme 
et  la  foi  si  vraie  de  ce  pieux  et  saint  vieillard.  On  dirait  qu'en  cet 
automne  de  1887,  et  après  la  mort  de  son  grand  ami  Mgr  Raymond, 
son  cœur,  sa  parole  et  sa  plume  s'attendrissaient  encore.  Ses  appels 
à  l'union  entre  les  maisons  et  entre  les  cœurs  de  ses  filles  se  faisaient 
plus  fréquents  et  plus  pressants  que  jamais.  Comme  saint  Jean 
devenu  vieux,  il  redisait  sur  tous  les  tons  :  "  Mes  petites  enfants, 
aimez-vous  !  "  C'était  un  peu,  et  même  beaucoup,  son  testament, 
un  vrai  testament  d'apôtre.  Ainsi  qu'il  le  rappelait  lui-même, 
dans  la  dernière  lettre  que  nous  avons  citée,  il  touchait  à  ses  80 
ans,  et,  nous  l'avons  vu,  il  comptait  à  sa  mort,  qui,  disait-il,  ne 
saurait  tarder,  sur  les  consolations  de  Jésus  pour  le  rassurer  contre 
la  frayeur  de  l'agonie  et  du  trépas.  L'heure  ainsi  attendue  avec 
confiance  vint  en  effet  et  ce  fut  en  novembre  1887.  Dès  le  3,  nous 
lisons  dans  les  Annales  de  Saint-Hyacinthe  :  "  Notre  très  honorée 
Mère  fondatrice  nous  est  arrivée  ce  matin  (de  Toronto),  mandée 
en  toute  hâte  auprès  de  notre  vénéré  Père  fondateur,  Mgr  La- 
Rocque,  dont  la  santé  décline  sensiblement  depuis  quelque  temps. 
Les  joies  du  retour  ont  été,  de  ce  fait,  douloureusement  amoindries. 
Cependant,  il  semble  que  la  consolation  de  revoir   notre    chère 


DES  ÉVÉNEMENTS   DE  1882   A  LA  RÉÉLECTION    DE  LA  FONDATRICE  293 

Mère  ait  donné  un  regain  de  vie  à  Monseigneur ..."  Le  9,  l'anna- 
liste écrit  :  "  Bien  que  l'état  de  notre  vénéré  malade  ne  soit  pas 
encore  alarmant,  le  médecin  a  jugé  bon  de  lui  faire  administrer 
les  derniers  sacrements.  Sa  maladie  de  cœur  prend  un  dévelop- 
pement plus  marqué.  Les  faiblesses  et  les  syncopes  se  renouvellent 
plus  souvent ..."  Le  18  novembre,  elle  ajoute  :  "  L'holocauste 
est  consommé  !  Tout  est  fini  pour  notre  vénéré  fondateur  sur 
cette  terre,  et  ce  jour  —  un  vendredi  —  consacré  à  honorer  la 
passion  de  Jésus,  en  la  fête  de  la  dédicace  des  églises  des  saints 
Pierre  et  Paul,  que  Monseigneur  solennisait  avec  tant  de  piété, 
nous  a  enlevé  la  plus  haute  protection  qui  soit  au  monde  :  le 
cœur  et  le  dévouement  d'un  père,  l'amour  et  la  bénédiction  d'un 
saint.  Qui  redira  surtout  le  brisement  de  cœur  de  notre  très 
honorée  Mère  fondatrice  ?  "  Les  eaux  amères  de  la  tribulation 
l'ont  environnée  !  "  Notre  tendresse,  hélas  !  ne  peut  rien  pour  la 
consoler  !  Mieux  que  nous  toutes,  elle  comprend  et  ressent 
l'étendue  de  la  perte  que  nous  venons  de  faire.  .  ." 

Le  lendemain,  19  novembre,  Mgr  Moreau,  dans  une  circulaire  à 
son  clergé,  annonçait  la  mort  de  son  prédécesseur,  à  l'âge  de  79 
ans,  dans  la  cinquante-troisième  année  de  son  sacerdoce  et  la 
trente-sixième  de  son  épiscopat.  "  En  apprenant  cette  triste 
nouvelle,  écrivait  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe,  vous  vous  dites 
tous  que  c'est  une  existence  des  plus  précieuses  qui  est  ainsi 
ravie  à  la  terre,  à  la  religion  et  au  diocèse,  car  vous  connaissez 
tous  sa  riche  intelligence,  son  profond  savoir,  son  esprit  exquis, 
ses  belles  et  solides  vertus  accompagnées  de  simples  et  nobles 
manières.  Parmi  ses  vertus,  qui  nous  ont  tant  édifiés,  il  en  est 
deux  qui  ont  brillé  par-dessus  toutes  les  autres,  son  humilité 
sincère  et  sa  grande  défiance  de  lui-même .  .  .  Celui  qui  fut  autre- 
fois notre  guide  nous  laisse  donc  un  précieux  héritage  et  un  exemple 
très  salutaire,  car  personne  n'ignore  que  l'humilité  est  le  fondement 
de  toutes  les  vertus ...  Je  ne  vous  ferai  pas  la  biographie  de  l'illus- 


294  UÈBE  CATHEBIKE-AUBÉLIE 

tre  prélat ...  Je  me  bornerai  à  vous  exhorter  à  garder  le  souvenir 
de  cette  existence,  qui  nous  était  si  chère,  devant  Dieu  surtout  et 
dans  vos  prières  de  tous  les  jours,  afin  de  soulager  son  âme  et  de 
lui  procurer  l'entrée  du  ciel,  s*il  n'en  est  pas  déjà  en  possession . . 
Les  longues  et  cruelles  infirmités,  par  lesquelles  il  a  plu  à  Dieu  de 
le  visiter,  l'ont  sans  doute  purifié  de  toute  souillure,  mais  hélas  ! 
Dieu  trouve  des  taches  même  dans  ses  anges . .  .  Aux  prières  que 
nous  ferons  privément,  nous  joindrons  la  prière  publique.  En 
conséquence,  il  se  chantera  dans  toutes  les  églises  paroissiales 
et  les  chapelles  où  se  fout  les  offices  des  dimanches,  au  jour  qui 
sera  jugé  le  plus  convenable,  un  service  solennel...  Mgr  de 
Germanicopolis  n'est  pas  mort  à  la  vérité  sur  le  siège  épiscopal 
de  Saint-Hyacinthe,  mais  il  n'en  mérite  pas  moins  notre  bien 
affectueuse  reconnaissance  pour  la  large  part  de  prospérité  qu*il 
a  apportée  au  diocèse  et  pour  le  service  éminent  qu'il  lui  a  rendu 
en  fondant  la  communauté  du  Précieux-Sang,  cette  œuvre  qui 
est  pour  nous  un  tré.sor  de  grâces  et  qui  est  déjà  parvenue,  par 
son  zèle  et  ses  travaux,  quoiqu'elle  ne  date  que  de  vingt-six  ans, 
à  une  étonnante  prospérité ...  Il  est  mort  au  milieu  de  ses  chères 
et  bien-aimées  filles,  qui  lui  ont  prodigué  jusqu'à  son  dernier 
soupir  les  soins  de  la  tendresse  la  plus  filiale  et  les  marques  de  la 
gratitude  la  plus  vivement  sentie.  A  l'amère  et  juste  douleur  que 
leur  cause  cette  perte  si  regrettable  pour  elles  se  rattache  cepen- 
dant, pour  les  Sœurs  du  Précieux-Sang,  une  bien  grande  conso- 
lation, qui  est  celle  de  conserver  au  milieu  d'elles  les  restes  vénérés 
de  leur  saint  fondateur .  .  .  Les  obsèques  auront  lieu,  à  la  cathé- 
drale, le  23  courant .  .  .  Après  le  service,  le  corps  sera  transporté  au 
monastère  du  Précieux-Sang,  pour  y  être  inhumé  dans  le  cimetière 
des  religieuses . , .  ** 

Au  soir  de  ce  jour  bien  attristant.  Mère  Marie-du-Saint-Esprit, 
vice-supérieure  en  titre  mais  supérieure  en  fait  du  monastère  oiï 
venait  d'expirer  Mgr  Joseph,  réunissait  toutes  les  Sœurs  professes 


DUS  ÉVÉNEMENTS  DB  1882  A  LA  BÉÉLECTION  DB  LA  FOMDATBICB  295 

auprès  de  la  fondatrice  et  supérieure,  si  fortement  éprouvée  par 
cette  mort  de  Mgr  LaRocque  qui  suivait  à  cinq  mois  de  distance 
celle  de  Mgr  Raymond.  En  termes  émus,  elle  lui  offrit,  au  nom 
de  toutes,  l'expression  de  la  plus  sincère  et  de  la  plus  vive  sympa» 
thie.  "  Notre  affligée  Mère,  raconte  l'annaliste,  fut  la  première 
à  se  montrer  forte  dans  le  sacrifice  et  à  comprimer  les  sanglots 
qui  lui  montaient  à  la  gorge.  Elle  nous  adressa  de  tendres  paroles, 
nous  pressant  de  nous  joindre  à  elle  pour  graver  de  plus  en  plu» 
dans  nos  âmes  le  souvenir  des  vertus  de  nos  vénérés  fondateurs» 
Elle  nous  rappela  l'horreur  que  notre  cher  père  Mgr  Joseph,  en 
particulier,  avait  toujours  eue  de  toute  faute,  et  nous  engagea  avec 
insistance  à  éviter,  pour  honorer  sa  mémoire,  l'ombre  même  d'une 
imperfection.  Après  nous  avoir  assurées  que  nous  retrouverions 
en  elle  le  cœur  des  pères  qui  nous  aimaient  tant,  elle  nous  bénit 
et  termina  en  disant  :  "  Tout  pour  la  gloire  du  Précieux  Sang  1  " 

Mgr  LaRocque  était  mort  sans  que  la  discipline  imposée  par 
Mgr  Moreau  au  sujet  des  élections  le  27  novembre  1882  eût  été 
changée.  Après  cinq  ans,  c'était  encore  l'évêque  diocésain  lui- 
même  qui  nommait  aux  charges  à  la  maison-mère.  Il  convient  de 
remarquer  une  fois  de  plus  qu'il  était  dans  son  droit.  Le  poids 
de  l'autorité  est  lourd  bien  souvent  de  deux  manières,  pour  celui 
qui  commande  et  pour  ceux  qu'il  dirige.  Dans  sa  conscience,  Mgr 
de  Saint-Hyacinthe  estimait  qu'il  valait  mieux  s'en  tenir  aux 
mesures  qu'il  avait  alors  adoptées.  Aucune  élection  dans  les 
formes  voulues  par  les  constitutions  n'avait  eu  lieu  pendant 
ces  cinq  ans.  Le  chef  du  diocèse,  puisqu'il  s'agissait  d'une  com- 
munauté diocésaine,  n'en  était  comptable  qu'à  Dieu.  Mgr  La- 
Rocque et  Mère  Catherine-Aurélie  étaient  les  premiers  à  le 
comprendre,  parce  qu'ils  étaient  avant  tout  surnaturels  dans 
leurs  vues.  Mais  il  est  impossible  de  ne  pas  apercevoir  qu'ils  en 
souffraient  tous  les  deux,  et  le  grand  nombre  de  leurs  filles  avec 
eux.  "  L'obéissance  se  commande,  mais  non  pas  la  joie  ",  disait. 


296 


MERE   CATHERI>rE-AURELIE 


il  n'y  a  pas  longtemps,  un  évêqiie  de  l'Ouest  canadien,  à  qui  le 
Saint-Siège  avait  imposé  un  dur  sacrifice.  C'est  profondément 
vrai.  Cependant,  le  vénéré  fondateur  ne  mourut  pas  sans  emporter 
dans  sa  tombe  l'espoir  que  cet  état  de  choses  changerait  bientôt. 
Depuis  la  mort  de  ]Mgr  Raymond,  c'était  M.  le  grand-vicaire 
Gravel  qui  remplissait  les  fonctions  d'aumônier  au  Précieux-Sang. 
Il  était  aussi  le  confesseur  du  pieux  vieil  évêque  qui  allait  mourir. 
X^ne  confidence  qui  est  venue  jusqu'à  nous,  et  dont  l'authenticité 
nous  paraît  certaine,  nous  permet  d'affirmer  que  M.  le  grand- 
vicaire  assura  Monseigneur  mourant  que  "  tout  rentrerait  bientôt 
dans  la  régularité  ".  îl  avait  sans  doute  ses  raisons  pour  parler  ainsi 
et  il  ne  se  trompait  pas. 

En  effet,  le  1er  décembre  1887,  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  vint 
annoncer  à  la  communauté  réunie  que  des  élections  régulières, 
selon  la  lettre  même  des  constitutions,  pour  le  choix  de  la  supé- 
rieure et  des  autres  officières  du  monastère,  auraient  lieu  au 
lendemain  de  la  fête  de  l'Immaculée-Conception.  Le  9  décembre 
donc,  sous  la  présidence  de  ^igT  Moreau,  on  procéda  au  scrutin 
régulier,  avec  le  résultat  que  voici  :  Mère  Catherine-Aurélie-du- 
Précieux-Sang,  supérieure  :  Sœur  Marie-de-l'Assomption,  assis- 
tante ;  Sœur  Marie-des-Cinq-Plaies,  maîtresse  des  novices  ; 
Sœur  jSiarie-Sainte-Ursule,  dépositaire  ;  Sœur  Marie-de-Bon- 
secours,  première  conseillère  ;  Sœur  Aimée-de-Marie,  deuxième 
conseillère  et  .secrétaire;  Sœur  Marie-Jeanne-de-Chantal,  troisième 
conseillère. 

Au  soir  du  31  décembre  1887,  pour  les  souhaits  et  la  bénédiction 
du  jour  de  l'an,  la  fondatrice  eut  la  délicate  pensée  de  réunir  les 
professes  et  les  novices  dans  l'appartement  qu'avait  si  longtemps 
occupé,  à  la  maison  blanche,  le  fondateur,  Mgr  Joseph  LaRocque, 
et  où  se  trouvait  son  portrait  dans  un  grand  tableau.  "  Elle  avait 
voulu,  dit  l'annaliste,  nous  faire  resserrer  nos  liens  d'union  sous 
les  regards  de  notre  regretté  père,  pour  ainsi  dire.  Elle  avait 


< 


DBS  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  A  LA  RÉÉLECTION   DE  LA  PONDATBICE  297 

désiré  que  ce  fut  lui  encore,  en  quelque  façon,  qui  bénît  nos  com- 
munes résolutions  pour  l'année  nouvelle . . .  Que  de  souvenirs 
évoquait  cette  réunion  chez  Monseigneur  y  aux  pieds  de  son  portrait! 
Avec  larmes,  chacune  d'entre  nous  a  renouvelé  le  cruel  sacrifice» 
en  l'offrant  à  Dieu  pour  la  gloire  du  Précieux  Sang  ! .  .  .  " 

A  la  mi-janvier  1888,  la  dévouée  garde-malade  de  Mgr  Joseph, 
Sœur  Marie-de-la-Nativité,  mourut  subitement,  au  monastère 
d'Ottawa,  où  elle  avait  été  envoyée  en  mission.  Ce  fut  là  une 
occasion  pour  la  fondatrice,  écrivant  à  la  supérieure  de  cette 
maison,  de  parler  encore  du  regretté  fondateur  :  "  Pauvre  Nativité, 
écrit-elle  (19  janvier),  qui  se  serait  attendu  à  un  départ  si  prompt 
pour  le  ciel  !  C'est  Monseigneur,  notre  doux  père,  qui  est  venu 
la  chercher,  deux  mois  précis  après  sa  mort ...  La  croix  est 
toujours  un  heureux  présage .  .  .  Plus  nous  serons  toutes  ensemble 
sacrifiées  et  broyées,  plus  nous  aurons  de  pouvoir  pour  enfanter 
des  pécheurs  à  la  vie  de  la  grâce  .  .  .  Relevons-nous,  chères  enfants, 
et  pressons-nous  plus  que  jamais  près  de  la  croix  où  notre  père 
incomparable  nous  a  dit  de  nous  asseoir  et  de  planter  notre  tente. 
Pourquoi  chercherions-nous  à  nous  en  éloigner,  si  c'est  là  seule- 
ment que  notre  vie  peut  devenir  féconde  pour  la  gloire  du  Précieux 
Sang?.  .  ."  A  l'occasion  de  la  fête  prochaine  de  saint  Joseph,  un 
peu  plus  tard,  le  16  mars,  elle  écrit  de  nouveau  à  ses  chères  filles 
d'Ottawa,  et,  leur  parlant  des  deux  pères  qui  sont  au  ciel,  elle  leur 
dit  :  "  Du  sein  de  ce  bonheur  suprême,  dont  j'aime  à  les  croire  déjà 
en  possession,  ils  me  permettent  bien  sans  doute  de  m'emparer 
de  leurs  sentiments,  d'interpréter  leurs  vœux.  Avec  eux  donc, 
mes  aimées  filles,  joignant  ma  faible  main  à  leurs  mains  glorifiées, 
je  l'espère,  par  les  saintes  œuvres  qu'ils  ont  accomplies  et  par 
les  bénédictions  et  les  absolutions  qu'ils  ont  tant  de  fois  données, 
je  vous  bénis  dans  l'intention  de  vous  couvrir  toutes  d'une  pluie 
de  sang  divin,  qui  vous  fasse  croître  comme  des  lis  dans  le  parterre 
de  la  vie  contemplative.  Avec  eux  aussi,  surtout  avec  Mgr  Joseph, 


298  MÈRE  CATHEBINES-AUBÉLIE 

dont  le  départ  plus  récent  nous  laisse  au  cœur  la  plus  saignante 
blessure,  je  vous  répète,  dans  toute  l'énergie  de  mon  âme,  que  je 
ne  souhaite  qu'une  chose  en  ce  monde  :  vous  voir  toutes  fidèles 
aux  grands  devoirs  de  votre  sainte  vocation,  vous  voir  toutes 
marcher  dans  la  route  de  \a  fidélité,  de  la  constance  et  de  la  génê' 
rosité,  en  adorant,  en  réparant  et  en  souffrant . . .  Vous  connaissez 
les  dernières  aspirations  qui  ont  fait  battre  le  cœur  de  ce  tant 
regretté  père.  Il  voulait  que  nous  n'ayons  toutes  qu'un  cœur  et 
qu'une  âme  ;  il  soupirait  pour  notre  paix,  cette  paix  qui  ne  s'obtient 
qu'en  s'oubliant  soi-même  pour  travailler  aux  intérêts  communs 
de  sa  famille  religieuse  ;  il  avait  soif  pour  nous  de  recueillement, 
d'esprit  intérieur,  de  cette  vie  de  foi  sans  laquelle  les  œuvres 
extérieures  sont  toujours  défectueuses  et  souvent  vides  de  mérites. 
Dans  ces  longues  et  douloureuses  insomnies,  on  l'entendait  deman- 
der à  Jésus  crucifié  et  à  la  Mère  des  douleurs,  qu'il  aimait  tant, 
de  répandre  sur  sa  troupe  de  vierges  l'esprit  de  prière,  de  contem- 
plation et  de  réparation.  Il  savait  que  notre  siècle  impie  a  besoin 
d'âmes  réparatrices  et  que  l'Eglise  veut  des  victimes  qui  s'immo- 
lent pour  sa  délivrance.  Il  désirait,  en  conséquence,  que  nous 
fussions  de  ces  âmes  priantes  qui  hâteront  le  jour  du  triomphe 
et  de  la  paix ..." 

C'est  ainsi  que  la  fondatrice,  dont  le  vingt-cinquième  anni- 
versaire de  profession  religieuse  approchait,  et  qui  avait  toujours 
été  l'âme  de  sa  communauté,  bien  qu'elle  n'eût  plus  occupé  de 
fait  la  supériorité  de  la  maison-mère  en  ces  derniers  cinq  ans, 
reprenait  les  rênes  de  son  administration,  en  s'appuyant  sur 
l'esprit  si  profondément  surnaturel  des  Pères  fondateurs.  Les 
souvenirs  édifiants  laissés  à  leurs  filles  par  Mgr  LaRocque  et  Mgr 
Raymond  continuaient,  surtout  grâce  à  elle,  d'être  des  leçons 
vivantes.  Mère  Catherine-Aurélie  s'employait,  en  toute  occasion, 
à  les  proposer  en  exemple  aux  adoratrices-expiatrices  du  Précieux 
Sang.  Elle-même,  sans  le  dire,  se  donnait  comme  le  parfait  modèle 


DBS  ÉVÉNEMENTS  DE  1882  A  LA  BÉÉLBCTION  DE  LA  FONDATBICB  299 

à  imiter.  Au  moment  où  nous  écrivons  ces  lignes,  les  journaux  de 
France  nous  apportent  le  discours  de  réception  à  l'Académie 
française  que  vient  de  prononcer  l'historien  catholique  Georges 
Goyau  (15  février  1923).  Nous  y  relevons  un  mot,  dont  l'appli- 
cation nous  paraît  tout  à  fait  de  circonstance  dans  notre  récit  : 
"  Les  exemples  vivants,  a  dit  M.  Goyau,  sont  plus  eflBcaces  encore 
que  les  souvenirs."  Les  Sœurs  du  Précieux-Sang,  à  la  période  où 
nous  sommes  arrivé,  en  faisaient  l'expérience  heureuse.  Tout  en 
gardant  les  précieux  souvenirs  de  leurs  pieux  fondateurs,  elles 
avaient  l'avantage  d'avoir  toujours  sous  les  yeux  l'exemple 
vivant  de  leur  admirable  fondatrice. 


f 


CHAPITRE  XI 


De  la  réélection  de  la  fondatrice  à  l'approbation  définitive  (1887-1896) 

Sommaire. —  Ouverture  du  noviciat  d'Ottawa. —  Mort  de  M.  le  curé  Lecours.— 
Le  25e  de  la  fondatrice. —  Son  œuvre  de  1887  à  1897. —  Nomination  de  M. 
l'abbé  Laflamiue  comme  aumônier. —  Mgr  Moreau  et  Mgr  Duhamel  assistent 
à  l'inauguration  du  collèf^e  canadien  à  Rome. —  Ils  s'occupent  de  l'approba- 
tion de  l'institut  et  de  ses  constitutions. —  Lettres  de  la  fondatrice  au  cardinal 
Mazella  et  à  Mgr  Savelli. —  Le  pape  Léon  XIII  accorde  des  faveurs  spirituel- 
les aux  Adoratrices  du  Précieux-Sang. —  Décret  d'approbation  pour  cinq  ans. 

—  Joyeux  étonnement  de  M.  Leclair,  du  collège  canadien,  et  de  Mgr  Moreau. 

—  Fondation,  aux  Trois-Rivières,  du  monastère  de  "  Getbsémani  "  (24  mai 
1889). —  Fondation,  à  Brooklyn,  du  monastère  de  "  Bethléem  "  (2  décembre 
1889). —  La  fondatrice  revient  de  Brooklyn  par  Toronto  et  Ottawa. —  Fonda- 
tion, à  Portland  (Orégon),  du  monastère  du  "  Mont  Thabor  "  (6  janvier 
1892). —  Voyage  et  séjour  de  la  fondatrice  en  Orégon  (de  novembre  1891  à 
novembre  1892). —  Nouvelles  faveurs  spirituelles  accordées  par  le  Saint- 
Père  à  l'institut. —  P.Ière  Catherine-Aurélie  est  nommée  par  Rome,  à  titre 
exceptionnel,  supérieure  générale. —  Élections  du  9  décembre  1892,  la  fonda- 
trice est  réélue  supérieure  du  monastère-berceau. —  Le  "  festival  "  du  9 
janvier  1893. —  Mgr  Decelles,  évêque  coadjuteur  de  Saint-Hyacinthe. —  M. 
l'aumônier  Laflamme  est  remplacé  par  M.  l'abbé  Dion. —  La  Voix  du 
Précieux-Sang. —  Lettres  de  la  supérieure  générale  à  ses  filles  (1894,  1895  et 
1896). —  Fondation,  à  Sherbrooke,  du  monastère  de  "  Nazareth  "  (14  septem- 
bre 1895). —  Fondation,  à  Nicolet,  du  monastère  de  "  Saint-Joseph  "  (28  août 
1896).— Décret  d'approbation  définitive  (20  octobre  1896).— Belle  lettre 
de  Mgr  Moreau. 


'   O^O-ux   des   premiers   actes   importants    de   la    fondatrice 
|C^^  redevenue    supérieure    en    exercice    au    monastère    de 
't}':^,   Saint-Hyacinthe,  ce  fut  la  fondation  d'un  noviciat  à 
Ottawa.  Elle  partit,  le  11  mai  1SS8,  pour  la  capitale, 
où  Mgr  l'archevêque  Duhamel  et  ses    chères   filles  de 
"  Béthanie  "  l'attendaient.  Le  20,  jour  de    la    Pentecôte, 
avait   lieu    la    bénédiction    du    nouveau    noviciat,    que   présida, 


802  UÊBK  CATHEBINE-AnBéL» 

naturellement,  Mgr  d'Ottawa.  La  chronique  locale  rapporte  qu'à 
l'issue  de  la  pieuse  cérémonie,  Mgr  Duhamel,  se  tournant  veri  U 
fondatrice,  lui  dit  avec  un  bon  sourire  :  "  Eh  !  bien,  ma  Mère, 
étes-vous  contente  ?  "  Et  elle  de  répondre  :  "  Ah  !  Monseigneur, 
mon  cœur  déborde  de  joie  et  de  reconnaissance.  "  L'archevêque 
et  ses  assistants  étant  partis,  la  bonne  Mère  ajouta,  à  l'adresse 
de  ses  filles,  avec  cet  à-propos  qui  lui  était  coutumier  :  "  Voici, 
maintenant,  une  ère  nouvelle  qui  commence  pour  "  Béthanie." 
Ces  petites  no\'ices,  ce  sont  des  religieuses  en  boutons  qu'il  va 
falloir  arroser  du  sang  de  Jésus  pour  les  faire  s'épanouir,  à  sa  plus 
grande  gloire,  en  roses  toutes  belles'  et  embaumées."   Le  24  mai, 
premier  anniversaire  de  la  fondation  d'Ottawa,  IMgr  l'archevêque, 
par  une  bien  délicate  attention,  faisait  cadeau  à  la  petite  commu- 
nauté du  beau  calice  d'or  qui  lui  avait  servi  lors  de  sa  consécration 
épiscopale.  "  Que  le  Précieux  Sang  du  Sauveur,  disait-il  dans  les 
quelques  lignes  qui  accompagnaient  son  généreux  envoi,  qui  jail- 
lira de  ce  calice  qui  m'est  cher  et  que  je  vous  offre,  baigne  sans 
cesse  vos  âmes  et  les  rende  de  plus  en  plus  fertiles  en  fleurs  et 
en  fruits    spirituels."  —  "  Votre  don,  Monseigneur,  lui  répondit 
la  fondatrice,  est  en  vérité  un  cadeau  parlant  !  Non  seulement  il 
nous  parle  de  votre  charité  de  pasteur  et  de  père,  mais  encore 
il  nous  exprime  que  ce  que  vous  destinez  avant  tout  à  vos  modestes 
adoratrices   c'est  le  sang  de  Jésus,  notre  trésor  et  notre  vie.  Oui, 
Monseigneur,  vos  enfants  de  *'  Béthanie  "  brûlent  du  désir  d'être 
baignées  sans  cesse,  ainsi  que  Votre  Grandeur  le  souhaite,  dans 
les  flots  vivifiants  du  sang  de  Jésus  !  Oui,  Monseigneur,  nous 
aspirons  toutes  à  produire,  dans  votre  ville  archiépiscopale,  pour 
la  gloire  de  Notre-Seigneur  et  le  salut  des  âmes  qui  vous  sont 
confiées,  ces  fleurs  et  ces  fruits    spirituels    que    vous    attendez 
de   nous..."   Le   26    mai.    Mère   Catherine-Aurélie   quittait   la 
capitale  pour  revenir  à  Saint-Hyacinthe. 

Un  nouveau  sacrifice  et  un  autre  deuil  l'y  attendaient.  Le  22 
juin  1888,  le  bon  M.  Lecours,  l'économe  fidèle,  qui  avait  si  long- 


DE  LA  RÉÉLECTION  DE  1887   A  l' APPBOBATION  303 

temps  veillé  aux  intérêts  matériels  de  l'institut,  "  l'homme  de 
briques  et  de  mortier  ",  comme  il  s'intitulait  lui-même,  à  qui 
l'institut  avait  dû  sa  première  prospérité,  le  prêtre  au  cœur  ardent 
comme  celui  d'un  séraphin,  qui  était  venu  se  préparer  à  la  mort, 
à  Tombre  du  sanctuaire  du  Précieux-Sang,  à  la  maison  blanche, 
et  qui  ne  pensait  plus  qu'à  suivre  au  ciel  Mgr  LaRocque  et  Mgr 
Raymond,  voyait  son  dernier  vœu  exaucé  et  mourait  pieusement 
dans  les  bras  du  Seigneur.  Son  nom  devait  rester  cher  à  la  commu- 
nauté dont  il  avait  été  l'insigne  bienfaiteur.  C'était  un  autre  lien, 
noué  au  temps  de  la  fondation,  qui  se  brisait,  comme  tout  ce  qui 
a  vie  sur  notre  pauvre  terre.  Plus  que  personne,  la  fondatrice 
souffrit  de  cette  autre  brisure.  Mais,  à  son  ordinaire,  elle  s'inclina 
sous  la  main  de  Dieu  qui  n'éprouve  jamais  que  pour  grandir. 

Et  les  mois  s'ajoutaient  aux  mois,  et  les  années  aux  années. 
Ainsi  toujours  va  la  vie.  Le  14  septembre  1888,  c'était  le  vingt- 
cinquième  anniversaire  de  la  profession  religieuse  de  Mère  Cathe- 
rine-Aurélie,  qui  avait  eu  lieu,  en  effet,  le  14  septembre  1863.  Les 
fêtes  de  communautés  sont  d'ordinaire  joyeuses.  Nulle  part  au 
monde  la  joie  n'est  plus  rayonnante.  On  a  la  conscience  en  paix,  le 
cœur  tranquille.  De  l'une  à  l'autre  on  se  communique  le  trop 
plein  de  son  âme.  L'habitude  du  recueillement  rend  les  récréations 
et  les  Deo  Gratias  plus  aimables  à  prendre  et  à  goûter.  "  Le 
bonheur  ne  se  donne  pas,  dit  un  vieil  aphorisme,  il  s'échange  !  '* 
Or,  où  se  trouve-t-on  mieux  pour  échanger  que  dans  une  commu- 
nauté ?  Mais,  à  ce  moment,  à  Saint-Hyacinthe,  les  deuils  étaient 
récents.  Mgr  Joseph,  Mgr  Raymond,  M.  Lecours,  les  premiers 
pères  et  bienfaiteurs,  étaient  partis  pour  le  grand  voyage  d'où 
l'on  ne  revient  plus  !  Il  convenait  de  tempérer  les  manifestations 
de  joie.  "  Nous  sentions,  écrit  l'annaliste,  que  toute  démonstration 
trop  vive  et  toute  pompe  eussent  éveillé  dans  le  cœur  de  notre 
vénérée  Mère  des  souvenirs  pénibles.  Nous  voulûmes  plutôt  faire 
de  ce  jour  un  jour  saint  entre  tous.  Nous  avions  demandé  à  tous 


304  MÈRE   CATHEHINE-AUEÉLIE 

les  prêtres  amis  de  l'institut,  aux  supérieurs  et  aumôniers  de  nos 
monastères  en  particulier,  de  dire  la  messe  pour  notre  aimée  fonda- 
trice en  cet  anniversaire  béni.  De  sorte  que  l'offrande  du  calice 
sacré  est  montée  vers  le  ciel,  pour  elle,  ce  matin,  plus  de  cent  fois,  " 
— "  Vous  me  donnez  ainsi  une  fête  aux  célestes  parfums,  nous  a 
dit  notre  Mère,  c'est  la  seule  qui  pouvait,  dans  mes  regrets,  corres- 
pondre aux  désirs  de  mon  âme  !  " 

La  meilleure  manière  d'honorer  la  mémoire  des  pères  qu'elle 
avait  perdus  sur  la  terre  et  qui  veillaient  sur  l'institut,  c'était  sa 
confiance,  du  haut  du  ciel,  Mère  Catherine- Aurélie  estimait  que 
ce  serait  toujours  de  se  dévouer  de  plus  en  plus  et  de  mieux    en 
mieux  à  l'œuvre  de  sa  vie  qui  était  aussi  leur  œuvre.  Au  cours  de 
ces  dix  ans  de  sa  nouvelle  supériorité  à  Saint-Hyacinthe,   qui 
allaient  s'écouler  de  décembre  1887  à  décembre  1897,  deux  grandes 
préoccupations  rempliraient  son  existence  :  les  fondations  nou- 
velles aux  Trois-R,ivières,  à  Brooklyn,  à  Portland,  à  Sherbrooke 
et  à  Nicolet,  et  aussi  la  grave  affaire  de  l'approbation  des  consti- 
tutions et  de  l'institut  lui-même  par  la  suprême  autorité  de  Rome. 
A  cause  de  leur  importance,  nous  parlerons  d'abord  des  démarches 
faites  pour  obtenir  l'approbation  du  Saint-Père  et  du  premier 
succès  qui  les  couronna  dès  l'année   1889,  et   nous  reviendrons 
ensuite  à  l'ordre  chronologique  pour  raconter  brièvement  l'histoire 
des  diverses  fondations.  Nous  i>araîtrons  peut-être  ainsi    laisser 
dans  l'ombre  la  vie  de  l'institut  à  Saint-Hyacinthe  même.  Mais 
le  lecteur  se  rappellera  que,  tout  étant  là  désormais  régulièrement 
établi   et   organisé,   les  événements   s'y   succédaient   assez   sem- 
blables à  eux-mêmes,  sous  la  direction  spirituelle    du    bon    M. 
Laflamrae,  nommé  aumônier  de  l'institut    le  2  octobre  1888,  qui 
se  montrait,  par  sa  piété  et  son  zèle,  le  digne  héritier  et  continua- 
teur des  regrettés  Pères  fondateurs,  et  sous  la  haute  surveillance, 
toujours  bienveillante  et  paternelle,  de  Mgr  Moreau.  D'ailleurs, 
il  sera  facile  de  remarquer  en  plus  que  la  ruche  qui  essaimait 


DE  LA  RÉÉLECTION    DE   1887   A  l' APPROBATION  305 

avec  une  si  merveilleuse  fécondité,  jusqu'à  donner  cinq  essaims 
en  dix  ans,  ce  qui  est  beaucoup,  pour  une  communauté  contem- 
plative surtout,  ne  pouvait  manquer  d'être  elle-même  pleine  d'une 
vie  généreuse. 

Le  4  novembre  1888  avait  lieu  à  Rome  la  bénédiction  et  l'inaugu- 
ration du  collège  canadien.  C'était  là,  après  beaucoup  d'autres,  un 
nouveau  don  fait  à  l'Église  du  Canada  par  la  compagnie  de  Saint- 
Sulpice  de  Montréal.  Le  supérieur  du  temps,  M.  Colin,  au  nom  et 
du  consentement  de  ses  confrères,  avait  jugé  opportun  d'offrir  à 
l'épiscopat  de  notre  pays  un  séminaire,  sis  au  cœur  même  de  la 
ville  éternelle,  où  des  jeunes  prêtres,  désignés  par  leurs  évêques, 
iraient  parfaire,  à  la  source  même  de  toute  vérité  et  de  toute  lu- 
mière, leurs  études  de  philosophie,  de  théologie  et  de  droit  cano- 
nique, et  conquérir  des  doctorats  dans  les  universités  romaines. 
Plusieurs  évêques  canadiens  se  rendirent  à  Rome  pour  la  circons- 
tance, parmi  lesquels  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe  et  l'arche- 
vêque d'Ottawa.  Tous  les  deux  voulurent  s'intéresser  à  la  question 
si  importante  pour  le  Précieux-Sang  de  l'approbation  des  constitu- 
tions et  de  l'institut.  Mgr  Moreau  s'adressa  d'abord  à  la  Congré- 
gation des  Jjvêques  et  Réguliers,  mais  on  lui  répondit,  ainsi  qu'en 
font  foi  ses  lettres  à  la  fondatrice,  datées  de  Rome  les  12  et  25 
novembre  1888,  que  "  c'était  contre  la  pratique  d'approuver  un 
institut  diocésain,  sans  généralat,  c'est-à-dire  dont  chaque  maison 
est  soumise  à  l'Ordinaire  du  lieu  et  toutes  indépendantes  les 
unes  des  autres".  Sur  ce,  Mgr  Moreau  quittait  Rome,  le  26 
novembre,  pour  revenir  au  Canada.  Mgr  Duhamel  continua  les 
démarches  en  s'adressant,  cette  fois,  à  la  Congrégation  de  la 
Propagande,  dont  notre  pays  dépendait  à  cette  époque.  Une  lettre 
de  ce  prélat,  écrite  de  Rome  le  22  janvier  1889,  adressée  à  la 
fondatrice,  expose  que  les  choses  ont  pris  meilleure  tournure, 
grâce  à  la  bienveillance  du  cardinal  Mazella,  président  de  la 
commission  qui  s'occupe  de  l'examen  des  constitutions  des  insti- 


306  MÈBi:  CATHEBINE-AUBâLIB 

tuts  qui  dépendent  de  cette  congrégation,  et  de  l'un  de  ses  consul- 
teurs,  Mgr  Savelli.  Mgr  Duhamel  annonçait  en  même  temps  qu'il 
quittait  Rome  le  4  février.  En  mars  1889,  Mère  Catherine- Aurélie, 
avec  l'approbation  de  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  naturellement, 
écrivait,  au  cardinal  Mazella  et  à  Mgr  Savelli,  des  lettres  qui 
exposent  clairement  la  situation,  et  dont  il  convient,  à  cause  de 
cela,  de  consigner  ici  quelques  extraits  substantiels. 

"  Le  livre  de  nos  constitutions  et  les  documents  que  Mgr  d'Otta- 
tawa  a  dû  remettre  entre  les  mains  de  Votre  Êminence,  mande- 
t-elle  au  cardinal  Mazella,  vous  ont  sans  doute  déjà  fait  connaître 
notre  humble  institut,  ainsi  que  la  forme  de  gouvernement 
établie  par  notre  fondateur,  Mgr  Joseph  LaRocque,  de  si  sainte 
mémoire.  Nous  aimerions  à  nous  en  tenir,  autant  que  possible, 
à  ce  mode  d'administration,  surtout  pour  ce  qui  regarde  les 
fondations  dans  d'autres  diocèses  et  les  moyens  d'union  et  de 
conformité  entre  les  divers  monastères.  Un  généralat  tel  qu'il 
existe  dans  la  plupart  des  congrégations  religieuses  nous  paraîtrait 
peu  propre  à  notre  vie  cloîtrée  et  contemplative.  Mgr  Duhamel 
nous  a  d'ailleurs  écrit  que  Votre  Êminence  est  d'avis  "  qu'il  y  a 
lieu,  maintenant  comme  autrefois,  d'approuver  les  communautés 
cloîtrées,  alors  même  que  les  différentes  maisons  ne  reconnaissent 
pas  de  supérieure  générale  ".  J'ajouterai  cependant,  Êminence, 
que  notre  Père  fondateur  aurait  désiré  que  la  supérieure  du  pre- 
mier monastère  de  l'institut  eût  le  droit  de  visiter  de  temps  à 
autre  les  diverses  maisons,  et  c'est  aussi  ce  que  souhaiterait  Mgr 
l'évêque  de  Saint-Hyacinthe.  Si  toutefois  un  généralat  proprement 
dit  devait  être  une  condition  nécessaire  pour  obtenir  l'approbation, 
nous  ne  pourrions  que  l'accepter  avec  une  soumission  entière, 
mais  ce  serait  en  priant  Votre  Êminence  de  vouloir  bien  tenir 
compte,  autant  qu'il  se  pourrait,  de  nos  humbles  désirs  et  récla- 
mations. Destinées  comme  nous  le  sommes  à  l'adoration  et  à  la 
glorification  du  sang  de  Jésus  versé  pour  le  salut  du  monde,  nous 


OB  VA  BÉÉLBCTION  DB  1887  A  L*  APPBOBATION  307 

désirons  ardemment,  Éminence,  l'inappréciable  bienfait  de 
l'approbation  apostolique,  étant  persuadées  que  cette  sanction 
de  l'Église  nous  mettra  en  mesure  de  remplir  plus  efficacement 
le  but  de  notre  institution.  Aussi  sommes-nous  pénétrées  dès  ce 
jour  d'un  sentiment  de  vive  gratitude  envers  Votre  Éminence 
qui  a  bien  voulu  se  charger  de  promouvoir  nos  plus  chers  inté- 
rêts..." 

Dans  sa  lettre  à  Mgr  Savelli,  elle  insiste  pareillement  sur 
*'  l'union  sans  la  centralisation  ",  qu'elle  demande  pour  les 
maisons  de  son  institut.  "  D'après  une  lettre  à  nous  adressée 
par  Mgr  l'archevêque  d'Ottawa,  écrit-elle  au  consulteur  de  la 
Propagande,  il  nous  serait  permis  d'espérer  que  nos  constitutions 
pourraient  être  approuvées  sans  qu'il  y  soit  fait,  pour  ce  qui 
regarde  l'administration  de  la  communauté,  des  changements 
trop  notables,  c'est-à-dire  sans  qu'un  généralat  proprement 
dit  nous  soit  imposé  comme  condition  essentielle  d'approbation. 
Par  respect  pour  les  vues  et  les  intentions  de  notre  vénéré  fonda- 
teur, feu  Mgr  Joseph  LaRocque,  et  aussi,  bien  particulièrement, 
pour  celles  de  l'éminent  prélat  qui  est  actuellement  à  la  tête  du 
diocèse  de  Saint-Hyacinthe,  nous  nous  permettons  d'exprimer 
à  Votre  Excellence  le  désir  que  des  garanties  et  liens  d'unité 
suffisants  soient  établis  entre  nos  diverses  maisons,  mais  sans 
cette  centralisation  du  gouvernement  et  des  finances  qui,  dans  une 
communauté  du  genre  de  la  nôtre,  amènerait,  ce  nous  semble,  de 
nombreux  inconvénients.  Le  chapitre  ajouté  aux  contitutions, 
concernant  les  fondations  dans  d'autres  diocèses  et  les  moyens 
d'union  entre  les  diverses  maisons,  vous  fera  connaître.  Monsei- 
gneur, les  désirs  de  notre  fondateur  et  de  notre  évêque  actuel, 
qui  sont  aussi  les  nôtres.  Votre  Excellence  me  permettra  cependant 
d'ajouter  que  ces  vénérés  Seigneurs  et  Pères  ont  pensé  que  le 
droit  de  visiter  les  autres  monastères  de  l'institut  pourrait  et 
devrait  être  accordé   à  la  supérieure  du   monastère  de  Saint- 


308  MÈRE  CATHERINE- ATJRÉLIB 

Hyacinthe,  lequel  a  été  le  berceau  de  cette  congrégation  des 
Sœurs  Adoratrices  du  Précieux-Sang.  .  ." 

Vers  le  temps  où  la  fondatrice  écrivait  à  Rome  ces  lettres  si 
importantes,  Rome  accordait  à  l'institut,  exactement  le  24  mars, 
par  un  rescrit  de  Sa  Sainteté  Léon  XIII,  de  précieuses  faveurs 
spirituelles,  sous  forme  d'indulgences,  que  Mgr  l'évêque  de 
Saint-Hyacinthe  eut  la  joie  de  communiquer  à  ses  filles  en  Dieu 
le  16  avril  suivant  :  1°  Une  indulgence  plénière,  le  jour  delaprise 
d'habit,  celui  de  la  profession  et  à  la  fin  de  la  retraite  annuelle, 
pour  chacune  des  religieuses,  aux  conditions  ordinaires  de  la 
confession,  de  la  communion,  de  la  visite  de  l'oratoire  du  couvent 
et  de  la  prière  pour  la  propagation  de  la  foi  et  aux  intentions  du 
Souverain  Pontife  ;  2°  Une  indulgence  plénière,  une  fois  l'année, 
pour  le  pèlerinage  le  plus  solennel  au  Précieux-Sang,  à  être  gagnée 
par  les  religieuses  et  les  pèlerins,  aux  conditions  ordinaires ...  ; 
3°  Une  indulgence  plénière,  aux  deux  fêtes  du  Précieux  Sang,  aux 
conditions  ordinaires ...  ;  4°  Une  indulgence  plénière  pour  chaque 
religieuse,  à  l'article  de  la  mort,  aux  conditions  de  la  confession  et 
de  la  communion,  ou  si  la  confession  et  la  communion  sont  impos- 
sibles, à  l'invocation  sinon  de  bouche  au  moins  de  cœur  du  saint 
nom  de  Jésus  ;  5°  Une  indulgence  partielle  de  60  jours  pour 
quelque  bonne  œuvre  que  ce  soit  que  feront  les  religieuses  de  cet 
institut  ;  6°  Une  indulgence  partielle  de  sept  ans  et  sept  quaran- 
taines, les  jours  de  l'Exaltation  de  la  Sainte  Croix,  de  la  Sainte- 
Catherine  de  Sienne  et  de  la  Sainte-Thérèse,  aux  conditions  de  la 
visite  à  l'oratoire  et  de  la  prière  pour  la  propagation  de  la  foi 
et  aux  intentions  du  Souverain  Pontife.  Toutes  ces  indulgences 
étaient  accordées  à  perpétuité  et  applicables  par  voie  de  suffrage 
aux  âmes  du  purgatoire. 

C'était  déjà,  on  le  comprend,  de  bon  augure.  L'espoir  était  dans 
tous  les  cœurs.  On  ne  fut  pas  déçu.  Le  25  août,  la  fondatrice 
recevait  de  M.  Leclair,  l'un  des  directeurs  du  collège  canadien  de 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  309 

Rome,  la  bonne  nouvelle,  qu'il  tenait  de  la  bouche  même  de  Mgr 
Savelli,  que  son  institut  était  approuvé  et  ses  constitutions  égale- 
ment pour  cinq  ans.  Mgr  ]Moreau  s'empressa  de  s'unir  à  ses  pieuses 
enfants  pour  rendre  grâces  au  ciel  et  l'heureuse  nouvelle  fut  com- 
muniquée aux  maisons-filles  et  aux  amis  de  la  communauté.  Enfin, 
le  16  décembre  1889,  l'évêque  de  Saint-Hyacinthe  recevait  de 
Rome,  avec  une  belle  lettre  du  cardinal  Simeoni,  préfet  de  la 
Propagande,  contresignée  par  Mgr  Persico,  archevêque  de  ïyr 
et  secrétaire  de  la  même  congrégation,  le  décret  tant  désiré,  dont 
voici  la  teneur  :  "  En  l'année  1861  a  pris  naissance,  dans  la  ville 
de  Saint-Hyacinthe,  Canada,  un  institut  de  vierges  adoratrices 
du  Très  Précieux  Sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  sous  le 
patronage  de  Marie  Immaculée,  qui,  sous  des  règles  ou  consti- 
tutions particulières,  menant  la  vie  commune  et  pratiquant  les 
conseils  évangéliques,  travaillent  à  leur  sanctification  propre. 
Vouées  spécialement  à  l'adoration  continuelle  du  Très  Précieux 
Sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  sous  le  patronage  de  la 
Vierge  Immaculée,  elles  prient  pour  la  conversion  des  pécheurs. 
Cet  institut  est  fortement  recommandé  par  plusieurs  évêques  du 
Canada  et  s'est  beaucoup  propagé  depuis  sa  naissance  dans 
plusieurs  diocèses  du  même  paj^s.  C'est  pourquoi,  désirant  pro- 
mouvoir l'affermissement  et  le  plus  grand  bien  de  l'institut,  les 
religieuses  du  Précieux-Sang  ont  exhibé  à  la  Sacrée  Congrégation 
de  la  Propagande  leurs  règles  ou  constitutions,  en  demandant 
instamment  que  leur  institut  et  leurs  règles  soient  approuvés  par 
l'autorité  apostolique.  En  conséquence,  ces  mêmes  règles  ou  cons- 
titutions furent  remises  à  l'Éminentissime  et  Révérendissime 
cardinal  Camille  Mazella  et  à  la  commission  à  laquelle  il  préside 
pour  la  revision  des  constitutions  et  des  instituts  religieux,  les- 
quels, ayant  trouvé  que  l'institut  dont  il  s'agit  est  digne  de 
louange  et  recommandable,  l'ont  api>rouvé  pour  cinq  ans  et  à 
titre  d'essai,   moyennant  que  certaines  modifications  opportunes 


310  UÈBE  CATHERINE- AUBÉUE 

soient  faites  à  ces  règles  ou  constitutions.  Ce  jugement  a  été  soumis 
au  Très  Saint  Père  Léon  XIII,  dans  l'audience  du  1er  septembre 
1889,  et  Sa  Sainteté  l'a  approuvé  et  confirmé. —  Donné  à  Rome, 
des  appartements  de  la  Sacrée  Congrégation  de  la  Propagande, 
en  ce  jour,  24  novembre  1889.  (Signé  :  Jean,  cardinal  Simeoni, 
préfet,  et  D.  arch.  de  Tyr,  secrétaire.) 

En  communiquant  l'heureuse  nouvelle,  le  bon  M.  Leclair, 
dans  cette  lettre  à  la  fondatrice  dont  nous  avons  parlé,  lui  disait  : 
"  Je  ne  sais  par  quelle  heureuse  providence  votre  institut  a  reçu  une 
approbation  presque  immédiate,  tandis  que  d'autres  plus  anciens 
ont  dû  attendre  si  longtemps.  Recevez-en  mes  félicitations  les 
plus  sincères."  Et  Mgr  Moreau,  en  adressant  le  précieux  décret 
à  la  communauté,  quatre  mois  plus  tard  (16  décembre  1889), 
exprimait,  lui  aussi,  un  autre  étonnement.  "  Je  suis  émerveillé, 
mes  chères  filles,  disait-il,  du  peu  de  changements  faits  à  vos 
constitutions.  Cela  prouve  que  votre  vénérable  fondateur  était 
rempli  de  l'esprit  de  l'Église  et  que  c'est  vraiment  l'Esprit-Saint 
qui  les  lui  a  inspirées.  Rome  a  donc  trouvé  qu'elles  ne  pouvaient 
être  plus  parfaites,  puisqu'on  y  a  si  peu  ajouté . .  .  Maintenant, 
mes  chères  filles,  que  vos  constitutions  sont  approuvées  par 
l'Église,  renouvelez-vous  dans  le  désir  d'y  être  bien  fidèles.  Ne 
demandez  pas  de  dispense  générale,  à  moins  d'une  nécessité 
absolue..."  Cette  approbation  temporaire  devait  devenir  défi- 
nitive en  1896  (20  octobre).  Nous  en  reparlerons  en  son  lieu.  La 
moins  étonnée  peut-être  de  la  rapidité  avec  laquelle  l'approbation 
avait  été  donnée  et  du  peu  de  changements  proposés,  ce  fut  la 
fondatrice  elle-même.  Sa  confiance  avait  toujours  été  entière 
en  la  mission  de  Mgr  Joseph,  et  elle  ne  doutait  pas  que,  du  haut 
du  ciel,  avec  Mgr  Raymond  et  M.  Lecours,  il  protégeait  puis- 
samment l'institut.  Mais  elle  ne  s'en  réjouit  pas  moins  de  toute 
son  âme.  Elle  reçut  aussi  avec  une  égale  gratitude  les  félici- 
tations que  lui   adressèrent  plusieurs  prélats  et  supérieurs  ou 


DB  LA  BÉ^LECTION  DB  1887  A  l'aPPBOBATION  311 

supérieures  d'instituts,  parmi  lesquels  les  Annales  mentionnent  le 
cardinal  Taschereau,  Mgr  Duhamel,  Mgr  Gravel  et  plusieurs 
autres. 

D'autres  préoccupations  cependant,  vers  cette  même  époque, 
sollicitaient  son  zèle  et  c'était  surtout  au  sujet  des  fondations 
nouvelles.  Celle  des  Trois-Rivières  se  fit  en  1889.  Le  siège  épis- 
copal  de  la  cité  de  Laviolette  était  alors  occupé  par  un  prélat  à 
Pâme  ardente  et  au  grand  cœur,  qui  a  été  sûrement  l'un  de  nos 
grands  évêques  canadiens,  issu,  pourrait-on  dire,  de  la  pure 
lignée  des  Laval  et  des  Plessis,  vrai  frère  des  Bourget  et  des 
Taché.  C'était  Mgr  Laflèche.  Né  à  Sainte-Anne  (de  la  Pérade) 
le  4  septembre  1818,  ordonné  prêtre  le  7  janvier  1844,  après  quel- 
ques années  d'apostolat  dans  l'Ouest  et  de  professorat  à  Nicolet, 
il  avait  été  éluévêqued'Anthédonetcoadjuteur  de  Mgr  Cooke,  le 
23  novembre  1866,  et  sacré  le  25  février  1867.  Évêque  des  Trois- 
Rivières  le  30  avril  1870,  il  devait  mourir  le  14  juillet  1898  après 
vingt-huit  ans  d'un  laborieux  et  fécond  épiscopat.  En  1888,  au 
moment  où  s'engagèrent  les  pourparlers  au  sujet  d'une  fondation 
de  l'œuvre  du  Précieux-Sang  dans  sa  ville  épiscopale,  le  territoire 
d'abord  soumis  à  sa  juridiction  venait  d'être  divisé,  il  y  avait 
à  peine  trois  ans,  en  1885.  Le  diocèse  de  Nicolet  en  avait  été  détaché 
et  celui  des  Trois-Rivières  avait  vu,  de  ce  fait,  s'amoindrir  ses 
ressources  naturelles.  D'autre  part,  le  couvent  des  Ursulines,  qui 
date  de  1697,  la  maison  des  Sœurs  de  la  Providence,  établie  en 
1864,  et  d'autres  institutions  encore,  comme  celle,  par  exemple, 
du  commissariat  de  Terre-Sainte,  qui  venait  de  naître  en  1888 
et  était  sous  la  direction  du  célèbre  Père  Frédéric,  réclamaient 
aussi  sa  sollicitude.  Le  digne  prélat,  en  conséquence,  n'accepta  pas 
sans  quelques  hésitations  au  début  de  charger  sa  ville  d'une  œuvre 
nouvelle.  Mais  son  grand  esprit  de  foi  et  l'assurance  qu'il  acquit 
bientôt  que  les  filles  de  Mère  Catherine-Aurélie  étaient  de  vraies 
amantes  de  la  pauvreté  l'amenèrent  à  donner  sa  complète  adhésion 


312  MÈRE   CATHERINE-AUBÉLIE 

au  pieux  projet.  Il  s'affirma  heureux  de  céder  aux  pressantes 
instances  d'une  veuve  chrétienne  de  sa  ville,  madame  Georges 
Gouin,  mère  d'une  Sœur  du  Précieux-Sang,  qui  avait  arrêté  le 
religieux  dessein  de  se  départir  de  tous  ses  biens  en  faveur  de 
l'œuvre  et  s'était  fait  un  avocat  zélé  dans  la  personne  d'un  prêtre 
du  séminaire  diocésain,  M.  l'abbé  Chapdeleine,  qui  fut,  avec  elle, 
l'âme  du  mouvement.  Le  31  novembre  1888,  sur  l'invitation  de  Mgr 
Laflèche,  la  fondatrice  se  rendit  aux  Trois-Rivières.  Elle  y  passa 
huit  jours,  pour  s'entendre  avec  Monseigneur,  madame  Gouin  et 
M.  l'abbé  Chapdeleine.  Les  choses  allèrent  si  bien  que,  de  retour 
à  Saint-Hyacinthe,  Mère  Catherine-Aurélie  pouvait,  dès  le  8  dé- 
cembre, en  la  fête  de  l'Immaculée-Conception,  convier  celles  de 
ses  filles  qui  le  voudraient  à  s'offrir  pour  la  fondation  nouvelle, 
et  que,  le  15,  jour  de  l'octave,  le  choix  des  futures  "  missionnaires  " 
était  fait.  Mais  ce  choix  resta  le  secret  du  conseil  jusqu'au  1er 
janvier  1889,  alors  qu'il  fut  communiqué  à  la  communauté,  en 
présence  de  M.  le  grand-vicaire  Gravel,  dans  une  touchante 
cérémonie.  Les  élues  étaient  :  Mère  Agnès-de-Jésus,  supérieure 
(c'était  la  propre  fille  de  la  bienfaitrice,  madame  Gouin)  ;  Sœur 
Sainte-Anne,  assistante  ;  Sœur  Marie-de-la-Croix,  maîtresse  des 
novices  ;  Sœur  Séraphine-de-Jésus,  dépositaire  ;  Sœur  Michel- 
Archange,  secrétaire,  et  les  Sœurs  Madeleine-de-Pazzi,  Marie- 
Saint-Bernard  et  Marie-de-la-Nativité.  Mère  Agnès-de-Jésus  et 
Sœur  Séraphine-de-Jésus  étaient  prises  de  la  maison  de  Toronto, 
et  Sœur  Marie-Saint-Bernard,  de  la  maison  de  Montréal.  Toutes 
les  autres  appartenaient  au  monastère  de  Saint-Hyacinthe. 

En  ce  même  premier  de  l'an  1889,  la  fondatrice,  parlant  à  ses 
filles  et  évoquant  le  souvenir  du  vénéré  Mgr  Joseph,  dont  le  portrait 
avait  été  placé  à  l'endroit  d'où  pendant  tant  d'années  il  les  avait 
bénies,  leur  dit  ces  paroles  remarquables,  que  les  partantes  pour 
Trois-Rivières  surtout  n'ont  jamais  oubliées  :  "  Il  nous  reste  de 
notre  regretté  Père,  comme  d'un  vase  brisé,  un  riche  parfum  d« 


DE  LA  RÉÉLECTION    DE  1887   A  l' APPROBATION  313 

douces  et  aimables  vertus,  qui,  je  l'espère,  embaumera  toujours 
nos  maisons.  Que  la  tunique  des  règles  et  constitutions  qu'il  nous 
a  laissée  demeure  à  jamais  sans  couture,  ô  mes  chères  filles  !  Ne  la 
séparons  pas,  ne  la  décliirons  pas,  gardons-la  intacte  toujours,  afin 
que  toujours  nous  soldons  dignes  d'être  ses  enfants  !  " 

Pendant  que  les  "  missionnaires  "  se  préparaient  pour  l'œuvre 
qui  les  attendait  aux  Trois-Rivières,  leur  supérieure  nommée, 
Mère  Agnès-de-Jésus,  tomba  gravement  malade,  à  Toronto,  d'un 
cancer  à  la  gorge.  "  C'était,  dit  la  chronique,  l'ombre  de  la  croix 
qui  se  projetait  sur  la  fondation  future  !  "  Elle  se  remit  heureu- 
sement, au  moins  pour  un  temps,  et  l'on  considéra  sa  guérison 
comme  presque  miraculeuse.  Madame  Gouin,  si  contente  de  voir 
lui  revenir  son  enfant,  n'en  persista  pas  moins  à  tout  préparer, 
durant  la  maladie  de  sa  fille,  et  elle  assura  la  fondatrice  que, 
quand  même  la  chère  Agnès-de-Jésus  serait  empêchée,  elle  voulait 
toujours  fonder  l'œuvre  dans  sa  ville.  M.  l'abbé  Chapdeleine  et 
d'autres  fervents  travaillaient  aussi  avec  ardeur.  Le  30  avril,  l'un 
de  ceux-là,  M.  le  grand-vicaire  Caron,  disait  la  messe  au  Précieux- 
Sang  de  Saint-Hyacinthe.  C'était  le  jour  de  la  fête  patronale  de 
la  fondatrice,  la  Sainte-Catherine  de  Sienne.  On  choisit,  vers  ce 
temps,  de  placer  le  futur  monastère  sous  le  vocable  de  "  Gethsé- 
mani  ".  "  Ce  nom  me  plaît,  écrivait  Mgr  Laflèche,  puisqu'il 
rappelle  le  combat  que  Notre-Seigneur  soutint,  au  jardin  de 
l'agonie,  contre  les  faiblesses  et  les  terreurs  de  notre  pauvre 
nature  et  contre  les  puissances  infernales .  .  .  J'ai  la  confiance 
que  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  me  seront  d'un  grand  secours  dans 
cette  même  lutte,  pour  fortifier  les  âmes  qui  sont  placées  sous  ma 
garde  et  pour  les  défendre  contre  les  ruses  de  satan .  .  ."  Il  fut 
décidé  que  la  réception  à  l'arrivée  des  Sœurs,  fixée  pour  le  23 
mai,  se  ferait  très  simplement,  et  cela,  sur  les  instances  surtout 
de  Mère  Agnès-de-Jésus,  qui  redoutait  les  sympathiques  effusions 
de  ses  anciennes  connaissances  de  sa  ville  natale.  Mère  Catherine- 


314  MiBB  CATHEBINE-AUBÉLIK 

Aurélie,  avec  deux  autres  religieuses,  accompagna  ses  filles  fonda- 
trices jusqu'aux  Trois-Rivières,  où  elle  séjourna  cinq  ou  six 
semaines  pour  voir,  comme  elle  l'avait  fait,  à  Ottawa,  Tannée 
d'auparavant,  aux  détails  de  Tinstallation.  Mgr  Moreau  donna 
aux  partantes,  comme  naguère  à  celles  d'Ottawa,  une  belle  lettre 
d'obédience  pour  Mgr  l'évêque  des  Trois-Rivières.  Le  départ  de 
Saint- Hyacinthe  fut  attristé  par  les  funérailles  d'une  religieuse. 
Sœur  Sainte-Claire,  morte  à  Toronto,  dont  les  restes  avaient 
été  transportés  à  la  maison-mère  pour  l'inhumation.  **  Nous  voici 
à  la  veille  d'adieux  que  nous  allons  faire  auprès  d'une  tombe, 
prononça  la  fondatrice  dans  son  allocution  accoutumée.  Que  de 
choses  nous  disent  ces  restes  de  Tune  de  nos  Sœurs  exposés  sous 
nos  yeux  ! . .  .  Le  ciel,  oui  le  ciel,  sera  le  prix  de  nos  immolations, 
si  nous  sommes  généreuses  jusqu'à  la  fin. .  ."  C'est  ainsi  qu'elle 
savait  toujours  profiter  des  circonstances  pour  émouvoir  et  con- 
vaincre, afin  de  mieux  consolider  la  persévérance  de  ses  enfants 
dans  la  voie  du  bien. 

Le  23  mai  1889,  la  mission  de  "  Gethsémani  "  partait  de 
Saint-Hyacinthe  et  elle  arrivait  aux  Trois-Rivières  le  soir  même. 
Outre  la  Mère  fondatrice  et  ses  deux  compagnes,  Sœur  Saint- 
François-Xavier  et  Sœur  Marie-du-Calvaire,  M.  l'aumônier 
Laflamme  était  venu  avec  le  pieux  contingent  d'adoratrices.  Aux 
Trois-Rivières,  on  fit  quelques  visites,  chez  les  Sœurs  de  la  Provi- 
dence à  l'hôpital  Saint-Joseph,  à  l'évêché  et  chee  les  Ursulines. 
Il  nous  est  impossible  de  reproduire  dans  nos  pages  toutes  celles, 
bi  éloquentes  en  leur  simplicité,  du  cahier  de  la  fondation  de  la 
maison  des  Trois-Rivières.  Retenons  seulement  ce  joli  détail. 
Dans  son  allocution  à  l'hôpital  Saint-Joseph,  M.  le  chanoine 
Caron  disait,  au  nom  des  Sœurs  de  la  Providence,  aux  Sœurs  du 
Précieux-Sang  :  "  Nos  Sœurs  d'ici  vous  souhaitent  aujourd'hui 
la  bienvenue  avec  une  grande  effusion  du  cœur.  Ainsi  que  Marthe 
dans  la  maison  de  Lazare,  elles  sont  occupées  de  beaucoup  de 


DB  LA  BÉÉLBCTION   DE  1887  A  l' APPROBATION  315 

soins.  Mais  ce  sont  bien  vos  sœurs,  puisque  Marthe  était  la  sœur 
de  Marie.  Elles  sont  prêtes  à  admettre  que  vous  avez  choisi  la 
meilleure  part.  Toutefois,  à  la  différence  de  Marthe  de  Béthanie, 
elles  ne  demandent  pas  au  divin  maître  de  vous  ordonner  de  leur 
venir  en  aide.  Elles  vont  continuer  leur  sainte  besogne  sans 
murmurer  et  en  se  réjouissant  de  vous  savoir,  tout  près  d'elles, 
aux  pieds  de  Jésus,  écoutant  sa  parole  et  glorifiant  son  Précieux 
Sang  !..."  Le  lendemain  matin,  24  mai,  deuxième  anniversaire 
de  la  fondation  de  "  Béthanie  "  à  Ottawa,  Mgr  Laflèche  disait 
la  sainte  messe  au  nouveau  monastère  des  Trois-Rivières.  La 
mission  de  **  Gethsémani  "  était  fondée. 

Celle  de  **Bethléem'*,  à  Brooklyn,  près  New  York,  ne  tarda  pas. 
Et  précisément,  c'est  ce  qui  empêcha  ia  fondatrice  de  prolonger 
son  séjour  à  "  Gethsémani  ".  Elle  dut  revenir  à  Saint-Hyacinthe 
pour  s'occuper  activement  de  cette  première  fondation  aux 
États-Unis.  Ce  jour  même  du  24  mai  où  se  faisait  l'installation 
de  la  mission  des  Trois-Rivières,  l'évêque  de  Brooklyn  écrivait 
à  Mgr  Moreau  qu'il  verrait  avec  bonheur  les  Sœurs  du  Précieux- 
Sang  s'établir  dans  sa  ville  épiscopale.  C'était  là  l'aboutissement 
de  divers  pourparlers  qui  étaient  en  cours  depuis  assez  longtemps. 

Mgr  Laughlin,  irlandais  d'origine,  né  à  Down,  en  1816,  était 
venu  jeune  aux  États-Unis,  à  Albany.  Ordonné  prêtre  le  18  octobre 
1840,  il  avait  été  consacré  évêque,  le  30  octobre  1853,  à  New  York, 
en  même  temps  que  Mgr  Bailey,  d'abord  évêque  de  Newark,  puis 
archevêque  de  Baltimore,  et  que  Mgr  de  Goesbriand,  évêque  de 
Burlington,  par  Mgr  Bedini.  Il  y  avait  trente-six  ans  qu'il  admi- 
nistrait son  diocèse.  Il  devait  mourir  à  Brooklyn,  le  29  décembre 
1891.  C'était  un  ami  personnel  de  Mgr  Lynch.  Dès  1882,  deux 
Sœurs  du  monastère  de  Toronto  étaient  allées  recueillir  des  aumô- 
nes à  New  York  et  à  Brooklyn.  Leur  passage  avait  laissé  d'excel- 
lents souvenirs.  D'autre  part,  nous  l'avons  déjà  vu,  l'œuvre  du 
Précieux-Sang  se  faisait  connaître  et  apprécier  depuis  plusieurs 


316  MÈRE   CATHERINE-AURÉLIE 

années  aux  Etats-Unis.  Des  vocations,  et  d'excellentes,  avaient 
jailli  de  cette  terre  de  l'indépendance.  Une  nièce  de  Mgr  Laughlin, 
madame  Merrick-Collins,  devenue  veuve,  et  sa  propre  fille,  made- 
moiselle Collins,  avaient  fait  profession  au  Précieux-Sang  de 
Saint-Hyacintlie,  le  9  mai  1888,  et  c'était  Mgr  de  Brooklyn  lui- 
même  qui  avait  reçu  leurs  vœux.  Une  amie  de  l'œuvre,  Mlle 
Harper,  qui  avait  visité  Saint-Hyacinthe  en  1887,  s'intéressait 
pieusement  à  un  projet  de  fondation.  On  avait  pensé  d'abord  à 
Brooklyn  même  dès  1882,  mais  Mgr  Laughlin  voulait  voir  les 
régies  et  constitutions  approuvées  avant  de  ne  rien  faire.  Il  avait 
été  question  aussi  de  Xewark,  dont  l'évêque,  Mgr  Wigger,  se 
montra  sympathique,  mais  ne  jugea  pas  prudent  de  donner  tout 
de  suite  son  consentement.  Comment  l'œuvre  vivrait-elle  aux 
États-Unis  ? 

La  Providence,  une  fois  de  plus,  y  pourvut.  Au  mois  de  sep- 
tembre 1888,  un  M.  McGarry  de  Brooklyn  et  sa  jeune  femme, 
passant  à  Saint-Hyacinthe,  firent  la  connaissance  de  Mère 
Catherine-Aurélie  dans  une  circonstance  assez  curieuse.  Ils  visi- 
taient la  belle  chapelle,  quand  madame  McGarry  se  sentit  très 
malade.  On  vint  à  son  secours  du  monastère,  et  la  connaissance 
se  trouva  faite  de  telle  sorte  que  M.  McGarry,  qui  pourtant, 
quoique  catholique,  ne  "pratiquait  pas",  et  sa  femme,  protestante, 
devinrent  du  coup  des  amis  très  dévoués  de  l'œuvre  du  Précieux- 
Sang.  Nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  tous  les  détails  des  pour- 
parlers qui  furent  longs.  Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  c'est  ce  M. 
McGarry,  aidé  de  plusieurs  autres  bienfaiteurs,  qui  assura  maté- 
riellement la  fondation  de  Brooklyn.  Les  offres  avantageuses  que 
sa  situation  de  fortune  lui  permit  de  faire  à  Mgr  Laughlin  furent 
acceptées. 

Le  26  juillet  1889,  les  "  missionnaires  "  pour  Brooklyn — 
mission  qu'on  mit  sous  le  vocable  de  "  Bethléem  "  —  étaient 
choisies.    C'étaient    Mère    Marie-Sainte-Gertrude,    supérieure  ; 


DE  LA  rMlECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  317 

Sœur  Marie-du-Carmel  (nièce  de  la  fondatrice),  assistante  ; 
Sœur  Marie-Berchmans,  maîtresse  des  novices;  Sœur  Marie- 
Joseph  (madame  Collins,  nièce  de  Mgr  Laughlin),  dépositaire  ; 
Sœur  Marguerite-Marie  (une  américaine),  secrétaire  ;  et  les 
Sœurs  Catherine-de-Ricci  (mademoiselle  Collins,  petite-nièce  de 
Mgr  Laughlin),  Marie-de-l' Ange-Gardien,  Marie-Saint-Jean-Bap- 
tiste et  Marie-de-Jésus.  Mais  elles  ne  devaient  partir  pour  la 
nouvelle  mission  qu'en  avril  1890.  Dès  juillet,  M.  l'aumônier 
Laflamme  s'était  rendu  à  Brooklyn  pour  préparer  les  voies.  Les 
constructions  du  futur  monastère,  auxquelles  pourvoyait  M. 
McGarry,  furent  beaucoup  retardées.  En  novembre,  il  proposa 
à  la  fondatrice  de  louer,  en  attendant,  "  une  petite  maison  en 
pierres  brutes  —  stone  house  — ",  dans  le  voisinage  du  monastère 
qu'on  était  à  bâtir. 

Entre  temps,  ainsi  que  nous  l'avons  raconté,  de  bonnes  nou- 
velles étaient  venues  de  Rome  au  sujet  de  l'approbation  des  règles 
et  constitutions,  ce  qui  devait  mettre  parfaitement  à  l'aise  le  bon 
Mgr  Laughlin.  Mère  Catherine-Aurélie,  qui  se  trouvait  en  no 
vembre  à  Ottawa,  décida  de  se  rendre  à  Brooklyn,  pour  voir  à 
cette  nouvelle  installation.  Outre  la  supérieure  nommée,  Mère 
Marie-Sainte-Gertrude,  elle  amenait  avec  elle  les  Sœurs  Véroni- 
que-de-la-Passion,  Marie-de-l'Ange-Gardien,  Marie-Saint-Jean- 
Baptiste,  Marie-du-Calvaire  (sa  compagne  de  voyage  toujours) 
et  bientôt  Marie-de-Jésus.  M.  l'aumônier  Laflamme  accompagnait 
le  groupe.  Mgr  Laughlin  leur  fit  un  accueil  des  plus  bienveillants, 
M.  McGarry  et  les  autres  amis  de  l'œuvre  aussi.  En  particulier, 
les  Sœurs  de  l'Asile  des  Enfants-Trouvés  se  multiplièrent  pour 
leur  être  utiles.  Mais  la  fameuse  "  maison  de  pierre  "  parut  bien 
froide  et  dénuée  de  tout.  C'était  vraiment  Bethléem  ! 

On  s'y  installa.  Le  2  décembre,  on  eut  la  joie  d'avoir  la  première 
messe.  Au  jour  de  l'an,  on  eut  l'exposition  du  saint  Sacrement  pour 
la  nuit.  En  janvier,  le  Père  Frédéyric,  des  Trois-Rivières,  de  passage 


318  MÊBB  CATHEBIMB- AURÉUK 

à  New  York,  prêcha  une  petite  retraite  aux  pauvres  recluses  de 
ce  Bethléem  si  ressemblant  qu'était  la  stone  kouse.  Enfin,  après  de 
nouveaux  retards,  qui  parurent  bien  longs,  on  annonça  l'inaugu- 
ration du  nouveau  monastère.  Les  "  missionnaires  ",  qui  languis- 
saient à  Saint-Hyacinthe,  suivant  l'expression  de  Mgr  Moreau 
dans  l'une  de  ses  lettres  (2  mars)  à  la  fondatrice  (demeurée  tout 
ce  temps  à  Brooklyn),  purent  partir,  tristes  et  joyeuses  tout 
ensemble,  pour  leur  cher  "  Bethléem  ",  qui  se  trouva  ne  l'être 
plus  que  très  peu,  car  le  monastère  construit  par  M.  McGarry 
était  spacieux  et  fort  bien  aménagé.  Le  30  avril,  jour  delà  Sainte- 
Catherine  de  Sienne,  fête  patronale  de  la  fondatrice,  une  dernière 
messe  se  disait  à  la  "  crèche  "  de  la  stone  house,  et  le  vénérable 
Mgr  Laughiin  célébrait  le  premier  sacrifice  saint  à  l'autel  du 
nouveau  sanctuaire.  Le  vieil  et  si  digne  évêque  parla  en  termes 
touchants,  dans  son  allocution,  de  la  dévotion  au  Précieux  Sang 
et  de  son  admirable  apôtre,  sainte  Catherine  de  Sienne.  Le  sixième 
sanctuaire  du  Précieux-Sang,  Brooklyn,  était  désormais  fondé. 

Mère  Catherine-Au relie,  pendant  qu'elle  peinait  avec  ses  filles 
de  "  Bethléem  ",  dans  la  pauvre  maison  de  pierre  de  Brooklyn, 
avait  eu  la  joie  d'apprendre  que  le  décret  d'approbation  était 
arrivé  de  Rome.  '*  La  télégramme  annonçant  cette  grandiose 
nouvelle,  écrivait  le  16  décembre  Mère  Sainte-Gertrude  à  Saint- 
Hyacinthe,  nous  a  fait  chanter  ici  un  Magnificat  du  cœur.  Notre 
vénérée  ISIère  l'a  fait  suivre  d'une  pieuse  exhortation  pressant 
toutes  ses  filles  de  se  montrer  dignes  des  bienfaits  surabondants 
de  Dieu ..."  Qu'importaient  les  ennuis  et  les  sacrifices  pourvu  que 
le  bon  Dieu  fût  content  et  sa  sainte  Église  avec  lui  ! 

Peu  de  temps  après  l'inauguration  du  monastère  de  Brooklyn, 
en  mai,  la  fondatrice  quittait  la  ville  américaine,  mais  elle  ne 
rentra  pas  tout  de  suite  à  Saint-Hyacinthe.  Elle  profita  de  son 
voyage  pour  visiter,  à  son  retour,  les  maisons  de  Toronto  et 
d'Ottawa.  Le  15  juillet  1890  seulement,  les  Annales  delà  maison- 


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DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  319 

mère  jubilent  ainsi  :  "  Jour  vraiment  heureux  pour  nous,  puisque, 
après  huit  mois  d'absence,  notre  chère  Mère  nous  est  rendue  !  " 
Ce  n'était  cependant  pas  pour  longtemps,  car,  sans  parler  des 
visites  aux  monastères  déjà  existants,  dès  l'année  suivante,  en 
novembre  1891,  l'infatigable  fondatrice  et  voyageuse  partait  pour 
le  lointain  Portland  d'Orégon,  où  allait  se  faire  la  septième  fonda- 
tion. Elle  n'en  devait  revenir  qu'au  bout  d'un  an,  en  novembre 
1892. 

Le  30  mai  1887,  l'année  même  de  sa  mort,  le  vénéré  Mgr  Joseph 
LaRocque,  écrivant  aux  fondatrices  de  la  maison  d'Ottawa,  leur 
avait  dit,  nous  l'avons  noté  en  son  temps  :  "  Aux  membres  de  la 
nouvelle  maison  d'Ottawa  est  dévolu  le  grand  rôle  de  répandre 
l'honneur  du  nom  et  de  l'œuvre  de  l'institut  dans  les  vastes  pays 
qui  s'étendent  depuis  cette  capitale  jusqu'au  Mississipi  et  jus- 
qu'aux Montagnes-Rocheuses  !  "  Le  saint  vieillard  ne  pensait  pas 
sans  doute  être  aussi  bon  prophète  !  Voici  que,  moins  de  cinq 
ans  plus  tard,  un  essaim  de  sa  ruche  de  vierges  adoratrices- 
expiatrices  allait  s'envoler  jusque  sur  les  côtes  du  Pacifique,  où 
les  avaient  déjà  devancées,  sous  le  grand  souffle  de  Mgr  Bourget, 
les  Sœurs  de  Sainte-Anne,  les  Sœurs  des  Saints  Noms  de  Jésus 
et  de  Marie  et  les  Sœurs  de  la  Providence. 

Un  curé  du  diocèse  de  Portland,  en  Orégon,  M.  l'abbé  Brosseau, 
qui  desservait  là-bas  la  très  modeste  paroisse  de  Gervais,  à  trente 
milles  de  Portland,  avait  une  sœur  religieuse  au  Précieux-Sang 
de  Saint-Hyacinthe.  Dans  une  visite  qu'il  fit  au  monastère,  il  fut, 
comme  tant  d'autres,  conquis  à  la  cause  du  Précieux-Sang,  par 
l'attrait  surtout  que  lui  inspira  la  fondatrice.  Son  archevêque, 
Mgr  Gross,  né  à  Baltimore,  le  12  juin  1837,  était  entré  chez  les 
Rédemptoristes  à  Annapolis,  le  25  mars  1857.  Prêtre  le  21  mars 
1863,  il  avait  été  sacré  évêque  de  Savannah  le  27  avril  1873.  En 
1884,  il  avait  succédé  à  Mgr  Sighers  sur  le  siège  archiépiscopal 
de  Portland.  M.  l'abbé  Brosseau  lui  ayant  exposé  ses  vues  au 


320  MÈRE   CATHERINE-AURÉLIE 

sujet  de  l'œuvre  du  Précieux-Sang,  le  pieux  Mgr  Gross  les  approuva 
pleinement,  et,  le  20  septembre  1891,  il  écrivait  de  Gervais  à 
Mère  Catherine- Aurélie  une  lettre  confiante,  l'invitant  à  aller 
fonder  un  monastère  dans  son  diocèse,  à  Gervais  même,  ou, 
préférablement,  à  Portland.  Cette  lettre  trouva  la  fondatrice  à 
Brooklyn,  où  elle  était  retournée,  en  cet  automne  de  1891.  Les 
pourparlers  se  firent  naturellement  par  échange  de  lettres.  L'ofifre 
du  zélé  curé  de  Gervais  et  de  son  archevêque  fut  acceptée  par  le 
chapitre  des  Sœurs  de  Saint-Hyacinthe  et  par  Mgr  Moreau.  Des 
"  missionnaires  "  furent  nommées  qui  se  trouvèrent,  après 
quelques  changements,  être,  au  moment  de  la  fondation  :  Mère 
du  Saint-Cœur-de-Marie,  supérieure  ;  Sœur  Marie-du-Crucifix, 
assistante  ;  Sœur  Marie-Saint-Louis  (la  sœur  de  M.  l'abbé 
Brosseau),  maîtresse  des  novices  ;  Sœur  Saint-Paul-de-la-Croix, 
dépositaire  ;  Sœur  Marie-Saint-Pierre,  secrétaire,  et  les  Sœurs 
Marie-du-Saint-Nom-de-Jésus  et  Marie-de-Lorette.  Enfin,  le  5 
novembre  1891,  la  fondatrice  partait  pour  le  lointain  pays  d'Oré- 
gon.  Elle  emmenait  avec  elle  Mère  du  Saint-Cœur-de-Marie, 
supérieure  de  la  maison  d'Ottawa,  qui  n'était  que  "  prêtée  "  à 
ce  moment  par  sa  maison  et  par  son  archevêque  (Mgr  Duhamel), 
et  Sœur  Jane,  de  la  maison  de  Toronto. 

Le  voyage  était  long.  On  ne  devait  arriver  à  Portland  que  le  14 
novembre.  La  recommandation  de  Mgr  Duhamel  valut  aux 
voyageuses  un  traitement  de  faveur  de  la  part  des  officiers  du 
chemin  de  fer  Pacifique-Canadien.  Les  grands  spectacles  de  la 
riche  nature,  qui  se  déroulaient  sous  ses  yeux,  furent  pour  la 
fondatrice  de  beaux  sujets  de  méditation  :  "  Nous  essayons,  écrit 
Mère  du  Saint-Cœur-de-Marie,  de  suivre  notre  Mère  dans  les  hau- 
tes contemplations  que  lui  donnent  l'occasion  de  faire,  les  mon- 
tagnes qui  pleurent,  les  rochers  escarpés  et  les  eaux  calmes  et  si- 
lencieuses des  lacs .  .  "  M.  l'abbé  Brosseau  attendait  la  Mère  fonda- 
trice et  ses  compagnes  à  la  gare  de  Portland.  Il  les  conduisit  chez  les 


DE  LA  RÉÉLECTION    DE   1887   A  l' APPROBATION  321 

Sœurs  du  Bon-Pasteur,  où  elles  reçurent  le  plus  cordial  accueil. 
Mgr  l'archevêque  Gross  se  montra  aussi  très  sympathique.  Mais 
les  charges  de  la  construction  de  sa  cathédrale  ne  lui  permettaient 
pas  de  faire  quoi  que  ce  soit  pour  assister  matériellement  la 
fondation.  Dans  ces  circonstances,  Mère  Catherine-Aurélie,  ainsi 
rendue  en  Orégon,  pensa  à  établir  plutôt  deux  "  missions  ",  l'une 
à  Gervais  et  l'autre  à  Portland.  Finalement,  elle  décida  de  s'instal- 
ler à  Gervais,  dans  la  maison  même  de  M.  le  curé  Brosseau,  qui 
était  un  ancien  couvent  de  Bénédictins.  Le  23  décembre,  Mgr 
Moreau,  suivant  son  habitude,  donnait  aux  "  missionnaires  '* 
désignées  une  belle  lettre  d'obédience,  et  le  28,  répondant  à 
l'appel  de  leur  vénérée  Mère,  sept  Sœurs  du  Précieux-Sang 
partaient  de  Saint-Hyacinthe  pour  la  côte  du  Pacifique.  A  Winni- 
peg,  on  vint  les  chercher  à  la  gare,  et  elles  eurent  le  bonheur  d'être 
reçues  par  Mgr  Taché  à  l'archevêché  de  Saint-Boniface.  M. 
l'abbé  Brosseau  vint  au-devant  des  voyageuses  à  Seattle.  En 
passant  à  Portland,  elles  furent  cordialement  reçues  chez  les 
Sœurs  de  Jésus-Marie.  Le  5  janvier  1892,  elles  étaient  accueillies 
à  la  porte  de  l'église  de  Gervais  par  la  Mère  fondatrice  et  par  Mère 
du  Saint-Cœur-de-Marie,  qui  allait  être  leur  supérieure  mais  ne  le 
savait  pas  encore. 

Tant  que  la  fondatrice  restait  avec  ses  filles,  elle  pouvait  elle- 
même,  on  le  comprend  aisément,  remplir  les  fonctions  de  supé- 
rieure. Il  en  fut  ainsi,  pendant  un  an,  à  Gervais  d'abord,  puis  à 
Portland,  ou  plutôt  près  de  Portland,  au  Mont  Thabor,  où  l'on  se 
transporta  l'été  suivant.  On  donna  à  la  mission  de  Gervais  le 
beau  nom  de  "  Nazareth  ",  et  elle  fut  inaugurée  le  6  janvier.  Mais 
ce  n'est  que  le  2  février  qu'il  fut  possible  de  s'astreindre  complè- 
tement aux  observances  de  la  règle.  Le  18,  Mgr  Gross,  ayant 
terminé  la  visite  pastorale  de  son  diocèse,  put  se  rendre  à  Gervais, 
auprès  de  ses  nouvelles  filles.  Membre  de  la  congrégation  des 
Rédemptoristes,  le  digne  prélat,  en  vrai  fils  de  saint  Alphonse  de 


322  MÈHE  CATHERINE- ATTRÉLIE 

Liguori,  était  profondément  pieux.  Il  se  montra  des  plus  heureux 
de  posséder  une  communauté  de  contemplatives.  "  Nous  avons 
tant  besoin  de  prières  ",  disait-il  !  Et,  à  ses  collègues,  les  évêques 
de  la  province  d'Orégon,  il  avait  répété  :  "  Quelle  bénédiction 
c'est  pour  nous  tous  que  cette  fondation  !  "  Tout  en  permettant 
l'installation  à  Gervais,  Mgr  Gross  exprimait  nettement  le  désir 
d'avoir  une  mission  plus  rapprochée  de  sa  ville  épiscopale.  Il  pro- 
posa bientôt  à  M.  Brosseau,  "  qu'il  avait  nommé  son  grand-vicaire, 
disait-il  aimablement,  pour  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  ",  de 
lui  donner  une  situation  près  de  Portland  même,  où  il  amènerait 
les  Sœurs  avec  lui.  On  choisit  alors  de  s'établir,  à  cinq  milles  de 
Portland,  à  Montavilla,  sur  une  colline  appelée  "Mont-Thabor." 
Démarches,  quêtes,  travaux  de  construction  s'enchevêtrèrent. 
Il  fallut,  en  conséquence,  quitter  Gervais.  Le  20  juin,  M.  le  curé 
Brosseau  annonçait  son  départ  et  celui  des  Sœurs.  Le  28  août, 
on  s'installait  au  "  Mont  Thabor  ",  un  nom  vraiment  trop  beau 
pour  qu'il  ne  fût  pas  conservé.  L'on  comprend  quels  labeurs  et 
quelles  fatigues  toutes  ces  démarches  et  tous  ces  changements 
occasionnaient  à  la  fondatrice.  Le  lendemain  de  son  arrivée  à 
Montavilla,  elle  eut  une  crise  cardiaque  qui  la  priva  de  connais- 
sance pendant  deux  heures  et  fit  croire  qu'elle  était  à  l'agonie. 
Par  bonheur,  ce  ne  fut  qu'une  alerte,  mais  combien  douloureuse  ! 
La  fondatrice  avait  aussi,  à  voir  prospérer  son  œuvre,  de  bien 
douces  consolations.  Mgr  Gross  présida  lui-même  à  l'inauguration 
de  *'  Mont  Thabor  "  et  fit  un  éloquent  sermon  sur  la  passion  du 
Christ. 

Tout  près  d'un  an  s'était  écoulé  depuis  le  départ  de  Mère 
Catherine-Aurélie  de  Saint-Hyacinthe.  On  la  pressait  de  revenir, 
car  les  élections  générales  devaient  avoir  lieu  en  décembre  1892. 
La  première  supérieure  nommée  pour  la  mission  d'Orégon  ne 
pouvant  s'y  rendre,  la  fondatrice  décida  d'y  laisser  sa  compagne 
de  voyage,   Mère  du  Saint-Cœur-de-Marie.   Mais  celle-ci  était 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE    1887   A  l' APPROBATION  323 

déjà  supérieure  d'Ottawa.  Mgr  Duhamel  et  la  maison  de  "  Bé- 
thanie  "  firens  généreusement  leur  sacrifice  :  "  Comment  refuser 
à  une  Mère  bien-aimée,  télégraphièrent  les  Sœurs  d'Ottawa  ? 
Vous  nous  demandez  notre  supérieure  pour  la  gloire  du  Précieux 
Sang  ?  Que  ce  sang  divin  nous  donne  la  grâce  et  bénisse  notre 
sacrifice  !  "  Le  14  septembre,  un  jour  de  la  sainte  croix,  Mère 
Catherine- Aurélie  donnait  à  ses  filles  du  "  Mont  Thabor  "  de 
Montavilla,  comme  première  supérieure,  Mère  du  Saint-Cœur- 
de-Marie.  Et,  le  27  octobre,  elle  quittait  les  côtes  du  Pacifique. 
M.  le  curé  Brosseau,  Sœur  de  l'Immaculée-Conception  et  Sœur 
Bernadette,  qu'elle  avait  fait  venir  là-bas  au  mois  de  mai  précé- 
dent, l'accompagnaient  pour  ce  voyage  de  retour.  Le  2  novembre 
1892,  les  Annales  de  Saint-Hyacinthe  disent  :  "  Notre  Mère  chérie 
est  au  milieu  de  nous.  Béni  soit  l'instant  qui  la  ramène  à  ses 
filles  !  " 

Pendant  que  Mère  Catherine-Aurélie  se  trouvait  ainsi  en  voyage 
(huit  mois  en  1889-1890  et  un  an  1891-1892),  c'est  son  assistante. 
Sœur  Marie-de-l'Assomption,  qui  gouvernait,  avec  l'assistance  du 
conseil,  la  maison  de  Saint-Hyacinthe.  Le  zélé  et  prudent  évêque 
qu'était  Mgr  Moreau  les  suivait  toujours  d'un  œil  attentif  et 
bienveillant.  En  mars  1891,  il  demandait  et  obtenait  du  Saint- 
Père  la  faveur  de  gagner  une  indulgence  plénière,  quatre  fois  par 
année,  aux  mois  et  jours  fixés  par  l'Ordinaire,  "  par  les  religieuses 
qui,  toutes  les  nuits  de  chacun  de  ces  mois,  réciteraient  l'office 
divin  devant  le  saint  Sacrement  et  feraient  de  pieuses  prières  ", 
avec,  en  plus,  une  indulgence  de  cent  jours  pour  chacun  de  ces 
exercices.  L'induit,  accordé  à  perpétuité,  est  daté  du  15  mars  et 
fut  communiqué  de  l'évêché  de  Saint-Hyacinthe  le  2  avril. 

Un  an  plus  tard,  en  mars  1892,  pendant  que  la  fondatrice  était 
en  Orégon,  Mgr  l'évêque  adressait  au  Saint-Siège  une  autre 
demande,  par  l'entremise  du  cardinal  Ledochowski,  successeur  du 
cardinal  Simeoni  à  la  préfecture  de  la  Propagande.  Comme  il  est 


324  MÈRE  CATHERINE- AUBÉLIE 

dans  les  usages  du  Siège  Apostolique  de  conférer  des  titres  hono- 
rifiques à  ceux  qui  servent  bien  l'Église,  expliquait  Monseigneur  à 
Son  Êminence  (21  mars  1892),  il  désirait  demander  au  pape  de 
décerner  par  bref  le  titre  de  supérieure  générale  à  la  fondatrice  et 
première  supérieure  du  Précieux-Sang.  Mgr  Moreau  rappelait 
ensuite  que  l'institut  existait  depuis  trente  ans,  qu'il  avait  obtenu, 
deux  ans  plus  tôt,  un  décret  laudatif,  qu'il  opérait  beaucoup  de 
bien,  par  la  maison-mère  et  par  ses  six  maisons-filles  déjà  fondées. 
Il  faisait  remarquer  en  plus  que  toutes  ces  fondations  étaient  l'œu- 
vre de  la  Mère  Catherine-Aurélie,  que  constamment  on  lui  de- 
mandait de  les  visiter  et  que  les  évêques  des  divers  diocèses  étaient 
les  plus  empressés  à  réclamer  ces  visites.  "Par  conséquent,  ajoutait- 
il,  la  fondatrice  et  supérieure  n'est  presque  jamais  à  Saint-Hyacin- 
the et  il  conviendrait  de  nommer  une  supérieure  locale,  tout  en 
conservant  la  supériorité  à  celle  que  toutes  vénèrent  comme  une 
mère."  Mais  ce  titre  de  supérieure  générale  comportant  le  droit  de 
visiter  les  autres  monastères,  l'évêque  demandait  qu'il  ne  fut 
accordé,  exceptionnellement,  qu'à  la  fondatrice  elle-même,  et  non 
aux  futures  supérieures  de  la  maison-mère.  La  supplique  au  pape 
Léon  XIII,  plus  courte,  disait  substantiellement  la  même  chose. 
La  réponse  du  Saint-Père  fut  consolante  autant  qu'explicite.  Il 
convient  de  la  reproduire  ici  intégralement.  La  voici. 

"  De  l'audience  de  Sa  Sainteté,  le  10  avril  1892.  —  Sur  relation 
faite  par  moi,  soussigné,  secrétaire  de  la  Sacrée  Congrégation  de 
la  Propagande  de  la  foi,  vu  ce  qui  a  été  exposé  et  le  témoignage 
très  honorable,  donné  à  la  révérende  Mère  Catherine-Aurélie-du- 
Précieux-Sang,  par  le  révérendissime  Père  et  Seigneur  Louis- 
Zéphirin,  évêque  de  Saint-Hyacinthe,  notre  Très  Saint-Père 
Léon  XIII,  par  la  divine  Providence  pape,  a  bienveillamment 
accordé  au  dit  Seigneur  évêque  toutes  les  facultés  opportunes  et 
nécessaires  pour  décorer  la  dite  révérende  Mère  Catherine-Aurélie- 
du-Précieux-Sang  avec  tous  les  honneurs,   droits  et  privilèges 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  325 

attachés  à  la  charge  des  supérieures  générales  des  communautés 
religieuses. —  Donné  à  Rome .  .  .  Ignace,  arch.  de  Damiette, 
secrétaire  de  la  Congrégation  de  la  Propagande." 

Nous  n'avons  pas  besoin  d'insister  sur  l'importance  de  ce  docu- 
ment. C'était  la  reconnaissance,  par  la  plus  haute  autorité  qui  soit 
au  monde,  sur  demande  expresse  de  l'autorité  dont  elle  dépendait, 
des  mérites  de  la  fondatrice  et  aussi  comme  une  invitation,  à  elle 
faite  par  la  sainte  Église,  de  continuer  ses  bienfaisants  labeurs. 
Elle  ignorait  d'ailleurs  la  faveur  exceptionnelle  dont  elle  devenait 
ainsi  l'objet,  et,  naturellement,  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  attendit 
son  retour  d'Orégon  pour  la  lui  communiquer  officiellement. 
Elle  rentrait,  nous  l'avons  vu,  à  son  monastère,  après  un  an  d'ab- 
sence, le  2  novembre  1892.  Le  23,  Mgr  Moreau  proclama  cette 
heureuse  nouvelle,  devant  toute  la  communauté,  en  annonçant 
aussi  les  élections  régulières  pour  le  9  décembre  suivant. 

Ces  élections  du  9  décembre  1892,  faites  sous  la  présidence  de 
Mgr  Moreau,  assisté  par  M.  le  grand-vicaire  Gravel  et  M.  l'aumô- 
nier Laflamme,  donnèrent  le  résultat  suivant  :  Mère  Catherine- 
Aurélie,  supérieure  ;  Sœur  Marie-du-Saint-Esprit,  assistante  ; 
Sœur  Marie- Jeanne-de-Chantal,  maîtresse  des  novices  ;  Sœur  Ma- 
rie-Sainte-Ursule, dépositaire;  et  les  Sœurs  Aimée-de-Marie,  Loui- 
se-de-la-Sainte-Croix  et  Marie-de-l'Assomption,  conseillères. 

Décorée  du  titre  de  supérieure  générale  par  le  Saint-Père, 
réélue  supérieure  de  la  maison-mère  par  ses  propres  filles,  plus 
que  jamais  entourée  et  honorée  de  la  confiance  de  ses  supérieurs 
et  de  ses  enfants,  et,  pareillement,  de  la  considération  publique, 
la  zélée  fondatrice  continuait  sa  tâche.  L'année  1893  s'ouvrait, 
par  conséquent,  pour  l'institut  sous  d'heureux  auspices.  Le  9 
janvier  eut  lieu  ce  qu'on  appela  le  **  festival  "  en  l'honneur  de  la 
très  aimée  Mère  fondatrice.  "  Mgr  de  Saint-Hyacinthe,  racontent 
les  Annales,  voulut  bien,  ce  matin,  nous  dire  la  sainte  messe  et 
consacrer  ainsi  par  sa  présence  notre  joie  filiale.   La  salle  de 


326  UÊBE  CATHERINE-AUBÉLIE 

communauté  avait  été  artistement  parée  et  ornée.  Monseigneur  se 
fit  donner  une  couronne  et  la  posa  sur  la  tête  de  notre  Mère  en 
lui  disant  qu'elle  devait  la  garder  tout  le  jour.  Plusieurs  morceaux 
de  chants  de  circonstance,  où  il  était  question  des  origines  de 
l'institut  et  des  diverses  fondations  qui  en  sont  issues,  furent 
joyeusement  exécutés  par  nos  choristes.  Pour  cette  occasion, 
unique  dans  notre  histoire,  Mgr  l'évêque  avait  levé  la  clôture  en 
faveur  de  la  chère  madame  Benoît,  la  propre  sœur  de  notre 
bien-aimée  Mère  générale."  On  se  rappelle  que  madame  Benoît 
avait  déjà  donné  deux  de  ses  filles  à  l'institut  :  la  petite  Marie» 
Sœur  Aurélie-de- Jésus,  qui  avait  fait  profession  à  Notre-Dame- 
de-Grâce  en  1874,  et  la  petite  Aurélie,  qui  venait  de  faire  profession, 
à  Toronto,  le  8  septembre  1892,  sous  le  nom  de  Sœur  Marie- 
Immaculée.  Une  troisième,  Gabrielle,  devait  entrer  plus  tard  et 
s'appeler  Sœur  Catherine-d'Alexandrie.  Si  quelqu'un  méritait  une 
faveur  à  pareil  jour,  c'était  bien.  Monseigneur  en  avait  jugé  ainsi, 
celle  que  la  fondatrice  appela  toujours  sa  chère  Victorine  !  Le 
11  juillet  suivant,  au  soixantième  anniversaire  de  la  supérieure 
générale  et  fondatrice,  née  le  11  juillet  1833,  on  eut  comme  une 
réplique  de  l'heureux  "festival"  du  9  janvier.  Mais  nous  ne  saurions 
insister  sur  toutes  ces  belles  démonstrations  de  filial  respect. 
C'étaient  d'heureux  moments  sans  doute.  Ils  passaient  vite, 
selon  l'ordinaire  des  choses  humçaines,  et  le  labeur  et  les  sollicitudes 
continuaient  à  prendre  surtout  la  grande  part  de  la  vie  de  la 
vénérée  Mère. 

Cette  année  1893,  où  l'on  fêta  ainsi  le  soixantième  anniversaire 
de  la  supérieure  générale  du  Précieux-Sang,  fut  marquée  pour  le 
diocèse  par  l'important  événement  de  la  nomination  d'un  évêque- 
coadjuteur  de  Mgr  Moreau.  Le  14  janvier,  en  effet,  le  pape 
Léon  XIII  nommait  le  curé  de  Sorel,  M.  le  chanoine  Maxime 
Decelles,  évêque  de  Druzipara  et  coadjuteur  de  Saint-Hyacinthe 
avec  droit  à  la  succession.  De  1875  à  1880,  il  avait  été  curé  de  la 


DE  LA  RÉÉLECTION  DE  1887  A  l' APPROBATION  327 

cathédrale,  et  nous  avons  eu  l'occasion  de  voir  déjà  que  l'institut 
comptait  dans  la  personne  de  ce  prêtre  distingué  un  ami  dévoué. 
Mgr  Decelles  fut  sacré  le  9  mars.  Il  devait  devenir  évêque  de 
Saint-Hj^acinthe,  à  la  mort  de  Mgr  Moreau,  en  1901. 

A  la  fin  d'avril  1894,  M.  l'abbé  Laflamme  fut  nommé  curé  à 
Saint-Hilaire  et  il  fut  remplacé  dans  ses  fonctions  au  Précieux- 
Sang  par  M.  l'abbé  Dion,  qui  devait  être  aumônier  jusqu'en  1904. 

C'est  en  1894  aussi  que  se  fonda  La  Voix  du  Précieux-Sang. 
L'annaliste  note  ainsi  l'événement,  à  la  date  du  2  avril  :  "  La 
présence  au  milieu  de  nous,  depuis  quelques  semaines,  de  made- 
moiselle Félicité  Angers,  si  avantageusement  connue  dans  le 
monde  des  lettres  sous  le  pseudonyme  de  Laure  Conan,  a  fait 
surgir  une  pensée  hardie,  celle  de  travailler  à  l'extension  du 
culte  du  Précieux  Sang  par  la  publication  d'une  revue  pieuse .  . . 
dont  Laure  Conan  serait  la  directrice  en  chef.  Notre  Mère,  qui 
tenterait  l'impossible  pour  la  glorification  du  sang  divin,  a  approuvé 
l'idée.  Monseigneur,  après  avoir  examiné  la  question  et  imposé 
certaines  conditions,  a  accordé  son  consentement  et  béni  l'œuvre... 
C'est  le  jour  de  l'Annonciation  —  qui  tombe  cette  année  le  2  avril — 
le  grand  et  beau  jour  où  le  sang  de  Marie  devint  le  sang  de  Jésus,  que 
nous  avons  choisi  pour  l'inauguration  de  cette  œuvre  à  l'intérieur 
du  cloître,  et  ce  sera  le  jour  de  la  Sainte-Catherine  de  Sienne 
(30  avril),  première  patronne  de  notre  institut,  que  La  Voix  du 
Précieux-Sang  se  manifestera  au  public."  Cette  revue  mensuelle, 
disons-le  tout  de  suite,  parut  pendant  quatre  ans,  d'avril  1894  à 
mars  1898.  Que  de  bonnes  et  pieuses  pages  elle  a  mises  sous  les 
yeux  de  ses  lecteurs  !  Nous  avons  pu  en  compulser  à  loisir  la 
collection,  réunie  en  deux  jolis  volumes  d'environ  450  pages 
chacun.  C'est  un  vrai  trésor  de  hautes  pensées  et  de  pieux  souve- 
nirs d'histoire.  Nul  doute  que  cette  publication  contribua  puis- 
samment à  faire  connaître  encore  davantage  l'institut  et  la  dévo- 


828 


MEEE   CATHEHINE-AURELIE 


tion  qui  en  est  la  raison  d'être.  "  Mais,  lisons-nous  dans  la  dernière 
livraison  parue,  l'expérience  a  démontré  que,  à  la  longue,  les 
travaux  que  les  Sœurs  devaient  s'imposer  pour  la  rédaction  et 
l'administration  étaient  peu  compatibles  avec  leur  genre  de  vie 
et  d'activité."  La  Voix  cessa  donc  de  se  faire  entendre.  Elle  avait 
cependant,  croyons-nous,  produit  sa  somme  de  bien.  On  l'enten- 
dait, ou  on  la  lisait,  avec  édification.  Nous  ne  pouvons  nous  empê- 
cher de  dire,  en  écrivant  ces  lignes,  que,  pour  notre  part,  nous 
avons  regretté  sa  disparition.  A  Rome  et  à  Paris,  elle  nous  appor- 
tait, en  ce  temps-là,  un  souffle  pieux,  et  si  canadien,  qui  faisait 
du  bien  à  l'âme  ! 

Plus  chères  encore,  sans  doute,  au  cœur  de  ses  filles,  étaient  les 
pages  que  l'aimante  Mère  leur  adressait  elle-même  à  diverses 
époques.  Aux  grandes  fêtes  de  l'institut,  en  décembre  de  chaque 
année,  pour  ne  pas  parler  ici  des  lettres  particulières,  si  nom- 
breuses, écrites  à  l'une  ou  l'autre,  elle  leur  écrivait  des  lettres 
collectives,  qui  rappellent,  révérence  gardée,  les  plus  belles  circu- 
laires d'évêque.  Nous  avons  sous  les  yeux  celles  de  l'époque  où 
nous  sommes  arrivé,  soit  de  décembre  1894,  de  décembre  1895 
et  de  décembre  1896.  Nous  ne  résistons  pas  au  plaisir  d'en  citer 
quelques  extraits.  Ils  projetteront,  nous  semble-t-il,  sur  la  suite 
des  événements  que  nous  racontons,  comme  une  lumière  spéciale. 
"  La  vierge  épouse  du  Christ,  écrit-elle  en  décembre  1894,  doit 
s'élever  au  plus  haut  degré  de  pureté,  puisqu'elle  a  avec  Jésus  des 
rapports  si  étroits,  si  intimes,  puisqu'elle  vit  sous  son  toit  sacré, 
s'asseoit  à  sa  table,  mange  sa  chair  et  boit  son  sang.  .  .  Ah  !  la 
ravissante  existence  !  Seule  l'union  des  bienheureux  avec  Dieu 
dans  l'éternelle  patrie  peut  surpasser  celle-là.  .  .  Mais  pour  être 
pures  comme  des  anges,  il  faut  que  vous  soyiez  détachées  de  tout, 
humbles,  mortifiées  et  crucifiées,  que  vous  vous  laviez  jusqu'à 
sept  fois  dans  la  piscine  du  Précieux  Sang,  que  vous  vous  purifiiez 
constamment  dans  les  eaux  amères  de  la  pénitence .  .  .  Cette  tâche 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887  A  l' APPROBATION  329 

est  difficile  à  la  nature,  mais  elle  est  facile  quand  on  vit  avec 
Jésus,  quand  on  contemple  sa  crèche,  sa  vie  pauvre,  sa  passion 
douloureuse,  sa  mort,  son  triomphe,  son  règne  glorieux  au  ciel  et 
sa  vie  cachée  dans  l'Eucharistie .  .  .  Oui,  la  tâche  est  facile,  si  l'on 
recueille  avec  soin  les  grâces  qui  découlent  par  torrents  de  son 
calice  sacré  et  de  son  tabernacle  saint.  Comme  des  cerfs  altérés, 
buvons-les .  .  .  Puis,  remplies  de  l'énergie  du  sang  divin,  allons 
à  la  conquête  des  âmes,  que  satan  veut  ravir  à  ce  Jésus  qui,  de 
l'autel  comme  de  la  croix,  fait  encore  entendre  son  mystérieux 
Sitio ..."  —  "  Oh  !  qu'il  est  beau,  qu'il  est  délectable,  le  Verbe 
enfant,  écrit-elle  à  la  Noël  de  1895.  Ne  partagez-vous  pas,  mes 
chères  filles,  ma  sainte  envie  de  lui  préparer,  cette  année,  une 
crèche  vraiment  royale  ?  N'avez-vous  pas  en  mains  de  l'or,  de 
l'encens  et  de  la  myrrhe  ?  Creusez  au  fond  de  votre  âme ...  Si  vous 
n'y  trouvez  pas  tout  d'abord  de  l'or,  vous  y  trouverez  certaine- 
ment de  l'encens  bien  parfumé  ainsi  que  de  la  myrrhe  la  plus 
exquise.  Votre  vie  n'est-elle  pas  une  louange  perpétuelle,  un  encens 
d'agréable  odeur,  à  la  gloire  du  sang  que  le  Verbe  enfant  nous 
apporte  dans  ses  veines  ?  Votre  corps,  fatigué  par  un  travail 
laborieux,  affligé,  épuisé  même,  par  les  amertumes  de  la  pénitence, 
ne  fournit-il  pas  une  myrrhe  choisie  ? . .  .  Plus  encore,  pouvez-vous 
désirer  un  or  plus  pur  et  plus  brillant  que  celui  de  la  charité  qui 
vous  presse  de  donner  votre  vie  goutte  à  goutte  pour  sauver  des 
âmes  ?"  —  "  Que  pouvons-nous  faire,  demande-t-elle  un  an  plus 
tard  (décembre  1896)  —  au  moment  où  le  décret  d'approbation 
finale  des  règles  et  constitutions,  dont  nous  parlerons  bientôt, 
vient  d'arriver  de  Rome  —  pour  notre  auguste  mère  l'Église  ?  " 
Et  elle  répond  :  "  Nous  pouvons  expier,  nous  pouvons  prier  !  " 
Êcoutons-la  encore  :  "  Il  est  bien  vrai  que  Jésus-Christ  a  promis 
la  permanence  à  son  Église . .  .  Mais  il  lui  a  prédit  aussi  des 
épreuves .  .  .  Depuis  quelques  années,  elle  est  couronnée  d'épines 
et  revêtue  du  manteau  dérisoire,  son  sceptre    ne  semble  plus 


330  MÈRE   CATHERINE- ATJRÉLIE 

qu'un  roseau .  .  .  Mes  chères  filles,  comme  l'auguste  Marie,  comme 
les  saintes  femmes,  nous  devons  compatir  aux  maux  de  l'Église, 
pleurer  avec  elle,  nous  revêtir  de  ses  douleurs,  les  imprimer  dans 
nos  âmes  comme  aux  jours  de  la  passion  l'image  de  Jésus  sur 
le  voile  de  Véronique.  A  l'instar  du  Cyrénéen,  nous  devons  aider 
l'Église  à  porter  la  longue  et  pesante  croix  dont  l'a  chargée  un 
usurpateur  sacrilège ...  Et  puis,  il  faut  prier.  Celles  d'entre  vous 
qui  ont  connu  notre  béni  fondateur  savent  quelle  dévotion  il 
avait  pour  l'Église.  .  .  Réfléchissez  sur  le  dogme  de  la  communion 
des  saints.  Vous  verrez  que  chaque  bonne  action  accomplie  en 
état  de  grâce  entre  dans  le  trésor  de  l'Église  pour  l'enrichir,  ainsi 
que  tous  ses  membres,  de  la  vie  du  Christ.  C'est  comme  un 
courant  électrique  qui,  sans  quitter  son  centre,  atteint  en  même 
temps  les  points  les  plus  reculés  (de  l'espace).  Prions  donc  et 
agissons,  mes  chères  filles,  pendant  toute  cette  année  1897 ..." 
En  rappelant  ces  pieuses  exhortations,  écrites  d'une  plume  si 
sûre  et  si  facile,  on  n'a  vraiment  qu'un  regret,  c'est  de  ne  pouvoir 
pas  tout  citer. 

En  1895  eut  lieu  la  fondation  de  Sherbrooke  et,  en  1896,  celle 
de  Nicolet.  Comme  les  six  maisons-filles  précédentes  de  Toronto» 
de  Notre-Dame-de-Grâce,  d'Ottawa,  des  Trois-Rivières,  de 
Brooklyn  et  d'Orégon,  celles-ci  furent  surtout  l'œuvre  de  Mère 
Catherine-Aurélie,  manifestement  aidée,  pour  chacune,  par 
d'admirables  circonstances  providentielles.  Racontons-les,  au 
moins  brièvement,  toutes  les  deux. 

A  Sherbrooke,  depuis  l'automne  de  1893,  c'était  Mgr  Paul 
LaRocque,  un  cousin  par  son  père  des  évêques  LaRocque  de 
Saint-Hyacinthe,  qui  occupait  le  siège  épiscopal,  établi  en  1874, 
et  dont  Mgr  Antoine  Racine  avait  été  le  premier  titulaire.  Né  à 
Marieville  le  27  octobre  1846,  ordonné  prêtre,  après  ses  études  à 
Sainte-Thérèse  et  à  Saint-Hyacinthe,  le  9  mai  1869,  à  Montréal, 
par  Mgr  Charles,  Mgr  Paul  LaRocque,  après  une  dizaine  d'années 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  331 

de  mission  à  Key  West  en  Floride  et  un  séjour  d'étude  à  Rome, 
avait  été  curé  de  Saint-Hyacinthe  de  1884  à  1893.  Au  moment 
de  son  élection  au  siège  de  Sherbrooke,  il  était  aussi  le  confesseur 
extraordinaire  des  Sœurs  du  Précieux-Sang.  En  prenant  congé 
d'elles,  évêque-élu,  en  octobre  1893,  il  leur  avait  dit  aimablement, 
avec  les  mots  de  nos  saints  livres  :  "  Je  m'en  vais  vous  préparer 
une  place  !  "  Le  30  novembre,  il  était  sacré,  dans  sa  cathédrale, 
par  Mgr  l'archevêque  Fabre.  Il  n'oublia  pas  les  filles  priviligiées 
de  son  vénéré  et  regretté  cousin  Mgr  Joseph.  Les  circonstances 
lui  vinrent  bientôt  en  aide.  Pendant  qu'il  se  trouvait  à  Rome, 
dans  l'hiver  de  1895,  l'un  des  citoyens  les  plus  en  vue  des  Cantons 
de  l'Est,  M.  l'avocat  et  député  Chicoyne,  premier  maire  canadien- 
français  de  Sherbrooke,  écrivain  et  journaliste  d'un  beau   talent, 
qui  a  laissé  le  souvenir  d'un  homme  public  parfaitement  droit 
et  intègre,  vint  un  jour  offrir  à  la  fondatrice  du  Précieux-Sang 
une  riche  propriété,  qu'il  possédait  à  Sherbrooke,  pour  y  établir 
un   monastère.    M.    Chicoyne  était   un   ancien  élève   de   Saint- 
Hyacinthe  et  il  avait  épousé  une  demoiselle  Perrault,  de  cette  vil- 
le, la  cousine  issue  de  germain  de  la  secrétaire  de  Mère  Catherine- 
Aurélie,  Sœur  Aimée-de-Marie(13).   Son  offre  généreuse  fit  naître 
de  beaux  espoirs.  Quand  Mgr  de  Sherbrooke  fut  de  retour  de 
Rome,  M.  Chicoyne  renouvela  sa  proposition  par  écrit  (23  juin 
1895).  Le  jour  même,  Mgr  LaRocque  communiquait  la  bonne 
nouvelle  à  Mgr  Moreau.  Le  25,  le  chapitre  de  la  communauté 
acceptait.  Le  28,  Mgr  de  Saint-Hyacinthe  faisait  part  de  cette 
décision  à  son  collègue  de  Sherbrooke.  Notons  au  passage  que 
cette  propriété  de  M.  Chicoyne,    sise    à  proximité  de  l'évêché 
et  du  séminaire,  et  qui  est  aujourd'hui  englobée  dans  les  vastes 

(13)  L'auteur  de  ce  livre  demande  la  permission  de  noter  ici  que  ces  MM. 
Perrault,  l'un  le  père  de  Sœur  Aimée-de- Marie,  et  l'autre  le  père  de  madame 
Chiroyne,  étaient  les  frères  de  sa  grand'mère,  Aglaée  Perreault,  femme  de  Jean- 
Olivier  Leulerc,  mère  et  père  de  sa  propre  mère,  Caroline  Leclerc,  dame  Elie 
Auclair. —  Note  de  l'auteur. 


332  MÈRE   CATHEKINE-ATIHÉLIE 

constructions  de  la  maison-mère  des  Petites-Sœurs  de  la  Sainte- 
Famille,  était  alors  évaluée  à  dix  mille  piastres.  Mais  le  don  de 
M.  Chicoyne  n'était  pas  fait  sans  conditions,  et  ce  fut  la  source 
plus  tard  de  sérieuses  difficultés. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  3  juillet,  les  "  missionnaires  "  pour  Sher- 
brooke étaient  nommées.  C'étaient  :  Mère  Marie-Sainte-Ursule, 
supérieure  ;  Sœur  Aimée-de-Marie  (cousine  de  madame  Chicoyne), 
assistante  ;  Sœur  Marie-Saint-David,  maîtresse  des  novices  ; 
et  les  Sœurs  Marie-du-Crucifix,  Marie-de-la-Miséricorde,  Hélène- 
de-la-Croix,  Saint-Antoine-de-Padoue,  Sainte-Justine  et  Sainte- 
Rose-de-Viterbe.  Le  9  juillet,  la  fondatrice  partait  pour  Sher- 
brooke, avec  les  Sœurs  Aimée-de-Marie  et  Marie-des-Cinq-Plaies, 
Les  arrangements  faits,  elle  revint  à  Saint-Hyacinthe  le  19  juillet. 
Le  14  septembre,  trente-quatrième  anniversaire  de  la  fondation 
du  Précieux-Sang,  fut  choisi  pour  l'inauguration  du  monastère 
qui  naissait  au  cœur  de  la  ville-reine  des  Cantons  de  l'Est.  Quel- 
ques jours  auparavant,  la  fondatrice  repartit  pour  Sherbrooke 
afin  de  voir  aux  derniers  préparatifs.  Elle  amenait  avec  elle  Mère 
Euphrasie-de-Saint-Joseph,  l'une  de  ses  trois  compagnes  de 
fondation,  revenue  depuis  peu  de  Toronto  pour  raison  de  santé, 
"Ct  les  Sœurs  Marie-des-Cinq-Plaies  et  Marie-Immaculée  (sa 
nièce  la  petite  Aurélie).  On  avait  décidé,  avec  l'approbation  de 
Mgr  LaRocque,  de  reprendre  le  beau  nom  donné  naguère  à  la 
première  maison  d'Orégon,  à  Gervais,  devenue  le  "  Thabor  "  de 
Montavilla,  et  le  nouveau  monastère  fut  placé  sous  le  vocable 
de  "  Nazareth  ".  Le  14  septembre,  eut  lieu,  sous  la  présidence  de 
Mgr  de  Sherbrooke,  l'inauguration  de  ce  monastère  de  "  Naza- 
reth "  dans  la  maison  Chicoyne. 

En  recevant  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  qui  lui  arrivaient  de 
Saint-Hyacinthe,  le  13  septembre  au  soir,  Mgr  Paul  LaRocque, 
au  cours  d'une  impressionnante  cérémonie  à  la  cathédrale,  leur 
parla  avec  une  particulière  affection.  Nos  cloches  et  nos  orgues, 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  333 

comme  nos  figures,  leur  disait-il  à  peu  près,  sont  toutes  à  la  joie  î 
Nous  vous  accueillons  avec  bonheur  !  C'est  que,  mes  chères  Sœurs, 
en  ce  moment  où  nous  vous  voyons  venir  parmi  nous,  nos  cœurs 
sont  remplis  des  plus  douces  espérances,  parce  que  vous  venez 
nous  aider  à  prier  et  à  nous  sanctifier.  Reconnaissance  en  soit  à 
jamais  rendue  à  votre  fondateur,  Mgr  Joseph  LaRocque,  à  votre 
père,  Mgr  Moreau,  à  votre  fondatrice,  "  qui  a  sacrifié  sa  vie  au 
développement  de  l'œuvre.  .  ."  Le  lendemain  de  l'inauguration, 
au  matin  du  15,  la  messe  fut  dite  à  **  Nazareth  "  par  le  frère  de  la 
supérieure.  Mère  Marie-Sainte-Ursule,  M.  l'abbé  Jourdain,  curé 
de  Manville,  et,  le  soir,  l'aumônier  du  monastère  de  Saint-Hyacin- 
the, qui  avait  accompagné  ses  filles  fondatrices  de  "  Nazareth  ", 
M.  l'abbé  Dion,  chantait  le  premier  salut  du  saint  Sacrement. 
Mgr  LaRocque  désigna  comme  aumônier  du  nouveau  monastère 
M.  l'abbé  Lefebvre,  directeur  de  son  séminaire,  devenu  plus  tard 
supérieur,  aujourd'hui  Mgr  Lefebvre,  toujours  supérieur  et  en 
plus  vicaire  général  du  diocèse.  Dans  sa  première  allocution  à  ses 
filles  de  "Nazareth",  le  nouvel  aumônier,  qui  leur  devait  être  si  dé- 
voué pendant  tant  d'années,  montra  qu'il  comprenait  admirable- 
ment l'esprit  de  la  communauté.  "  Je  croirais  vous  faire  injure, 
leur  dit-il,  en  vous  souhaitant  des  biens  matériels ...  Je  vous 
souhaite  plutôt  d'être  fidèles  à  Jésus,  de  désirer  la  croix  et  les 
souffrances ..."  Rien,  on  le  devine  aisément,  ne  pouvait  davan- 
tage donner  satisfaction  à  l'âme  ardente  de  Mère  Catherine-Aurélie, 
qui  venait  d'assister  à  la  huitième  fondation  de  l'œuvre  de  sa  vie.  Le 
17  octobre,  l'infatigable  fondatrice  retournait  à  Saint-Hyacinthe. 
Les  sacrifices  ne  devaient  pas  manquer  à  Sherbrooke  comme 
ailleurs.  Les  secrets  desseins  de  Dieu  voulurent  que  les  premiers 
vinssent  du  premier  bienfaiteur  lui-même.  Nous  n'avons  pas  à 
insister  ici,  puisque  ce  n'est  pas  l'histoire  de  "  Nazareth  "  que  nous 
racontons.  Qu'il  nous  suffise  de  dire  que,  pour  remplir  les  condi- 
tions de  la  donation  Chicoyne,  telles  que  le  donateur  les  entendit. 


334  MÈRE  CATHERINE- AURÉLIE 

les  Sœurs  durent  contracter  des  dettes  trop  lourdes  pour  leur 
modeste  budget.  Deux  ans  plus  tard,  le  14  octobre  1897,  elles 
allaient  prendre  logis  dans  une  maison  appartenant  au  séminaire, 
et,  enfin,  le  24  mai  1898,  elles  s'installaient,  en  un  fort  bel  endroit 
de  la  ville,  dans  l'ancienne  maison  du  juge  Hall.  En  souvenir  de 
tous  ces  déplacements,  Mgr  LaRocque  mit  la  chapelle  de  "  Naza- 
reth "  sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de  Lorette,  qui  rappelle, 
comme  l'on  sait,  les  voyages  de  la  sainte  maison  de  Nazareth. 

La  fondatrice  était  à  peine  de  retour  à  la  maison-mère  qu'elle 
devait  eu  repartir  pour  Brooklyn,  avec  Mère  Euphrasie-de-Saint- 
Joseph  et  Sœur  Marie-des-Cinq-Plaies.  Il  y  avait  là  encore  des 
affaires  à  régler.  Elle  revint  le  22  novembre.  Nous  avons  rappelé 
déjà,  en  évoquant  ses  belles  exhortations  de  chaque  fin  d'année, 
dans  quels  nobles  et  pieux  sentiments  elle  continuait  à  entretenir 
ses  filles  du  *'  berceau  "  et  d'ailleurs.  Venons-en  tout  de  suite  à  la 
neuvième  fondation,  celle  de  Nicolet. 

Mgr  Elphège  Gravel,  premier  évêque  de  Nicolet  depuis  l'été  de 
1885  (élu  le  10  juillet,  sacré  à  Rome  le  2  août),  avait  été,  lui  aussi, 
comme  Mgr  Paul  LaRocque,  mais  avant  lui,  de  1880  à  1885,  curé 
de  Saint-Hyacinthe.  Né  à  Saint- Antoine-sur-Richelieu,  le  12 
octobre  1858,  il  avait  fait  également  une  partie  de  ses  études  à 
Saint-Hyacinthe,  connaissait  et  estimait  de  longue  date  l'institut 
du  Précieux-Sang.  Il  en  désirait,  depuis  qu'il  était  évêque,  c'est-à- 
dire  depuis  1885,  une  fondation  dans  sa  ville  épiscopale.  A  l'occa- 
sion de  la  fondation  d'Ottawa  en  1887,  il  s'en  était  ouvert  dans 
une  lettre  à  Mère  Catherine- Aurélie.  Mais  jusqu'en  1896,  d'autres 
préoccupations  sollicitèrent  son  zèle,  la  reconstruction  de  sa 
cathédrale,  par  exemple,  dont  les  assises  menaçaient  ruine.  Cette 
année-là,  l'activité  d'un  prêtre  de  son  séminaire,  M.  l'abbé 
Manseau,  qui  avait  plusieurs  parentes  dans  l'institut,  remit  la 
question  à  l'ordre  du  jour.  Le  27  février  1896,  l'évêque  de  Nicolet 
demandait  oflSciellement  l'établissement  d'un  monastère  dans  sa 


DE  LA  RÉÉLECTION    DE  1887   A  l' APPROBATION  335 

ville.  La  fondatrice  pensa  tout  de  suite  à  choisir  la  supérieure  de 
Toronto,  Mère  Saint-Stanislas,  dont  la  famille  était,  croyons-nous, 
nicolétaine,  pour  la  mettre  à  la  tête  de  la  nouvelle  fondation.  Elle 
partit  donc  pour  Toronto  avec  l'ancienne  supérieure  de  cette 
maison,  Mère  Euphrasie-de-Saint-Joseph,  afin  de  voir  à  arranger 
les  choses.  Mgr  Walsh,  qui  avait  succédé  à  Mgr  Lynch  en  1889,  lui 
accorda  toute  liberté,  et  ses  filles  torontoniennes  de  "  Mount 
Olivet  "  firent  généreusement  le  sacrifice  de  leur  Mère  supérieure. 
Le  6  mars,  le  chapitre  de  Saint-Hyacinthe  acceptait,  en  consé- 
quence, la  fondation  de  Nicolet.  Un  moment  elle  parut  cependant 
compromise,  par  suite  d'un  malentendu,  entre  Mgr  Gravel  et 
l'institut,  au  sujet  des  responsabilités  financières.  Mais  le  nuage 
se  dissipa.  Le  11  avril,  l'évêque  de  Nicolet  acceptait  par  lettre  les 
conditions  qu'on  lui  avait  soumises. 

Le  30  avril,  les  "  missionnaires  "  pour  Nicolet  étaient  nommées. 
C'étaient  :  Mère  Saint-Stanislas,  supérieure  ;  Sœur  Marie-des- 
Cinq-Plaies,  assistante  ;  Sœur  Marie-de-la-Croix  (de  la  maison 
des  Trois-Rivières),  maîtresse  des  novices  ;  et  les  Sœurs  Marie-de- 
la-Rédemption,  Marie-de-l'Eucharistie,  Agnès-de-Jésus,  Marie- 
Angela  et  Marie-Louise.  Le  11  mai,  la  fondatrice  se  rendait  à 
Nicolet  avec  Mère  Saint-Stanislas  et  Sœur  Marie-des-Cinq-Plaies. 
Elle  furent  reçues  chez  les  Sœurs  Grises,  dont  la  supérieure.  Mère 
Youville,  avait  déjà  vécu  au  couvent  des  Sœurs  Grises  de  Saint- 
Hyacinthe.  Le  18  mai.  Mère  Catherine-Aurélie  revenait  à  la 
maison-mère,  en  passant  par  Trois-Rivières,  d'où  elle  emmena 
Sœur  Marie-de-la-Croix.  Elle  avait  laissé  à  Nicolet  Mère  Saint- 
Stanislas,  qui  devait  y  surveiller  les  travaux  à  effectuer  pour 
transformer  l'ancienne  maison  des  Sœurs  Grises  en  monastère  du 
Précieux-Sang.  Le  26  août,  la  fondatrice  repartait  pour  Nicolet. 
Cette  fois,  toutes  les  "  missionnaires  "  de  la  fondation  nouvelle 
se  rendaient  avec  elle  dans  la  ville  de  Mgr  Gravel.  Le  27,  elles 
assistèrent  à  une  messe  solennelle  à  la  cathédrale,  que  chanta 


336  MÈBE  CATHEBINE-AiméLIB 

M.  l'abbé  Proulx,  du  séminaire  (plus  tard  Mgr  Proulx),  nommé 
aumônier  du  monastère,  et  au  cours  de  laquelle  Mgr  l'évêque,  du 
haut  de  son  trône,  leur  souhaita  la  bienvenue.  Selon  son  habitude, 
Mgr  Moreau  avait  donné  aux  partantes  une  belle  lettre  d'obé- 
dience. En  les  accueillant  comme  ses  filles,  Mgr  Gravel,  dans 
cette  cérémonie  de  la  cathédrale,  après  avoir  rappelé  que  Nicolet 
devait  sa  prospérité  à  son  beau  collège  classique  (fondé  en  1803) 
et  à  l'établissement  du  diocèse  (en  1885),  assura  que  sa  ville 
"  recevait  un  nouvel  éclat  par  la  fondation  de  cet  institut  voué  à  la 
prière  et  à  la  pénitence  ".  Le  28  août,  en  la  fête  de  saint  Augustin, 
Mgr  l'évêque,  qui  avait  béni  la  veille  le  nouveau  monastère, 
célébrait  la  messe  pour  son  inauguration.  Il  avait  été  décidé  que 
la  maison  serait  placée  sous  la  protection  spéciale  de  saint  Joseph. 
La  petite  chapelle,  à  la  décoration  de  laquelle  Sœur  Véronique-de- 
la-Passion,  assistée  de  Sœur  Marie-de-la-Croix,  avait  longuement 
travaillé  avec  son  pinceau  d'artiste,  fut  trouvée  fort  jolie.  M. 
l'abbé  Dion,  aumônier  de  la  maison-mère,  suivant  la  tradition 
maintenant  établie,  avait  accompagné  les  "  missionnaires  " 
jusqu'à  Nicolet,  et,  le  28,  il  dit  la  messe,  après  Monseigneur,  à 
l'autel  du  nouveau  sanctuaire.  Mère  Catherine-Aurélie,  après  bien 
des  soucis  et  des  fatigues,  voyait  ainsi  le  neuvième  calvaire  de  son 
œuvre  élevé  à  la  gloire  de  Jésus.  "  Saint-Joseph  "  du  Précieux- 
Sang  de  Nicolet  était  fondé. 

La  fondatrice  passa  six  semaines  avec  ses  filles  de  Nicolet  et 
ne  rentra  à  Saint-Hyacinthe  que  le  9  octobre.  Sa  présence,  on  le 
comprend  aisément,  là  comme  dans  les  fondations  précédentes, 
fut  des  plus  utiles  et  des  plus  précieuses  aux  Sœurs  qui  s'instal- 
laient. Outre  qu'elle  voyait  à  tout  pour  les  arrangements  maté- 
riels, elle  continuait  sa  chère  mission  d'apôtre  en  adressant  à  ses 
enfants  les  plus  solides  et  les  plus  ardentes  exhortations.  Le  bon 
et  si  pieux  aumônier  que  Mgr  Gravel  avait  donné  au  nouveau 
monastère,  M.  l'abbé  Proulx,  se  prodiguait  pour  son  avancement 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  337 

temporel  et  spirituel.  L'inauguration  du  noviciat  avait  été  fixée 
au  29  septembre  et  Mgr  Moreau  devait  venir  la  présider.  Mais 
il  en  fut  empêché,  et  c'est  M.  l'abbé  Proulx  qui  le  remplaça. 
Cinq  postulantes  se  présentaient,  ce  jour-là,  pour  l'oblation  sainte. 
**  C'est  votre  bouquet  de  fête  ",  dit  aimablement  la  fondatrice  à 
M.  l'aumônier,  dont  c'était  en  effet  l'anniversaire.  Le  digne  prêtre 
fit  une  touchante  allocution.  *'  Que  votre  vocation  est  belle, 
disait-il,  de  consacrer  vos  vies  au  culte  de  ce  sang  qui  nous  a 
valu  à  tous  la  rédemption  !  La  sainte  Eucharistie,  voilà  votre  vie,  à 
vous,  religieuses  du  Précieux-Sang .  .  .  Oh  !  il  n'y  a  que  l'amour 
qui  pouvait  inventer  ce  remède  à  toutes  les  douleurs .  .  .  Venez 
vous  reposer  tour  à  tour  auprès  du  Dieu  du  calvaire  et  de  l'eucha- 
ristie .  .  .  Petites  vierges,  qui  quittez  vos  pères  et  vos  mères,  vos 
frères  et  vos  sœurs,  consolez-vous  !  Vous  retrouvez  sous  ce  toit  des 
mères  au  cœur  d'or,  des  sœurs  qui  vous  aimeront ...  et  aussi  un 
père  aimant  qui  n'a  rien  tant  à  cœur  que  de  vous  conduire  là  où 
il  n'y  aura  plus  de  séparation ..."  Tout  le  monde  à  Nicolet 
d'ailleurs,  celui  des  fidèles  comme  celui  du  clergé  et  des  commu- 
nautés, voulut  se  montrer  accueillant  aux  vierges  adoratrices- 
cxpiatrices.  Le  cahier  de  fondation  de  ce  monastère  raconte  à  ce 
sujet  les  traits  les  plus  touchants.  Tant  qu'elle  fut  là,  Mère 
Catherine-Aurélie,  en  particulier,  fut  l'objet,  comme  partout, 
des  attentions  et  de  la  vénération  de  tous.  Nous  avons  dit  qu'elle 
rentra  à  Saint-Hyacinthe,  après  que  tout  fut  bien  établi  dans  la 
régularité  au  monastère  et  au  noviciat  de  "  Saint-Joseph  ",  le  9 
octobre.  Parmi  les  dernières  paroles  qu'elle  adressa  à  ses  filles,  en 
s'éloignant  d'elles,  et  que  nous  lisons  aux  archives  nicolétaines, 
nous  trouvons  celles-ci  :  "  Mes  chères  enfants,  —  En  quittant 
l'asile  béni  du  berceau  de  votre  vie  religieuse,  vous  n'aviez  pas 
d'autre  but  que  de  continuer  ici  à  vous  immoler  !  Donc,  à  l'œuvre  ! 
C'est  là  le  secret  de  votre  bonheur  !  " 

En  cette  fin  de  l'année  1896,  un  autre  bonheur,  bien  grand 
celui-là  aussi,  attendait  Mère  Catherine-Aurélie  et  son  institut. 


338  MÊBE  CATHEKINE-AURÉLIE 

Depuis  l'obtention  du  décret  laudatif  de  l'institut  et  de  ses  consti- 
tutions le  24  novembre  1889,  Mgr  Moreau  et  d'autres  puissants 
amis  du  Précieux-Sang,  parmi  lesquels  il  convient  de  mentionner 
Mgr  Duhamel,  Mgr  Gravel  et  Mgr  Decelles  (qui  fit  le  voyage  de 
Rome  dans  l'hiver  de  1895-1896),  n'étaient  pas  demeurés  inactifs. 
Le  décret  de  1889  était  pour  cinq  ans.  On  avait  lieu  d'espérer 
maintenant  l'approbation  définitive  et  on  renouvela  auprès  des 
autorités  romaines  de  respectueuses  sollicitations.  La  réjîonse, 
tant  désirée,  arriva  à  Saint-Hyacinthe  le  3  novembre  1896.  Ce 
jour-là,  précisément,  le  coadjuteur  de  Mgr  Moreau,  Mgr  Decelles, 
commençait  la  visite  pastorale  au  monastère.  Parlant  aux  Sœurs, 
il  leur  dit  :  "  Pendant  cette  visite,  comme  il  est  de  mon  devoir  de 
le  faire,  je  vous  interrogerai  sur  votre  fidélité  à  observer  et  à 
aimer  vos  règles  et  constitutions,  auxquelles  vous  devez  être 
d'autant  plus  attachées  qu'elles  portent  maintenant  le  sceau  de 
saint  Pierre ..."  Surprise  des  religieuses,  qui  se  manifesta  par 
autant  de  regards  interrogateurs  !  "  Mais,  oui,  continua  souriant 
Mgr  de  Druzipara,  ce  matin  nous  arrivait  à  l'évêché  le  décret 
approbatif."  Quelle  joie  ce  fut  pour  toutes  les  filles  et  surtout 
pour  la  généreuse  et  si  dévouée  Mère  !  Le  décret  romain,  daté 
du  20  octobre,  fut,  dès  le  lendemain,  officiellement  communiqué 
à  la  communauté,  qui  en  écouta  la  lecture,  toutes  se  tenant 
debout,  comme  pour  celle  du  saint  Évangile,  avec  une  émotion 
qu'on  devine.  Il  se  lisait  ainsi  : 

"  Les  religieuses  adoratrices  du  Très  Précieux-Sang  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  sous  la  protection  de  Marie  Immaculée  — 
dont  la  maison  principale  se  trouve  à  Saint-Hyacinthe  en  Canada 
—  ont  obtenu,  en  1889,  que,  pour  une  période  de  cinq  ans  et  par 
mode  d'essai,  le  Saint-Siège  revêtit  leurs  constitutions  d'une 
première  approbation.  Ces  cinq  années  heureusement  écoulées, 
elles  sollicitèrent  avec  les  plus  vives  instances,  de  la  Sacrée 
Congrégation  de  la  Propagande,  l'approbation  définitive  de  ces 


DE  LA  RÉÉLECTION   DE  1887   A  l' APPROBATION  339 

mêmes  constitutions. —  La  commission  spéciale  instituée  par 
cette  Congrégation,  sous  la  présidence  de  l'Éminentissime  et 
Révérendissime  Père  et  Seigneur  cardinal  Camille  Mazella,  pour 
l'approbation  des  constitutions  des  nouveaux  instituts  a  donc 
soumis  à  un  nouvel  et  mûr  examen  les  constitutions  susdites,  et  — 
vu  particulièrement  les  lettres  de  recommandation  des  Ordinaires 
des  diocèses  où  les  dites  religieuses  sont  établies  —  les  a  jugées 
dignes  d'être  définitivement  approuvées,  en  y  insérant  quelques 
changements  signalés  dans  la  copie  ci-jointe. —  Puis,  en  audience 
du  20  octobre  1896,  l'archevêque  soussigné  de  Larisse,  secrétaire 
de  cette  Sacrée  Congrégation,  a  soumis  le  jugement  de  la  dite 
commission  à  Notre  Très  Saint  Père  Léon  XIII,  pape  par  la 
divine  Providence,  et,  Sa  Sainteté,  ratifiant  de  tous  les  points  ce 
jugement,  a  daigné  approuver  d'une  manière  définitive  les  consti- 
tutions susdites  et  a  commandé  d'en  publier  le  présent  décret. — 
Donné  à  Rome,  du  palais  de  la  Sacrée  Congrégation  de  la  Propa- 
gande de  la  foi,  le  20e  jour  d'octobre  1896  (L.  f  S.)  —  (signé)  M. 
card.  Ledochowski,  préfet,  (contresigné)  A.  arch.  de  Larisse» 
secret." 

En  communiquant  ce  béni  décret  à  la  fondatrice,  Mgr  de  Saint- 
Hyacinthe  lui  écrivit  cette  belle  lettre,  qui  en  constitue  le  plus 
juste  comme  le  plus  autorisé  des  commentaires  :  "  Ma  chère  fille,  — 
En  procurant  à  votre  cher  institut  l'inestimable  bienfait  de 
l'approbation  apostolique  de  ses  constitutions,  je  n'ai  fait  que 
remplir  un  devoir  imposé  à  tout  évêque  qui  veut  sincèrement  le 
bien  des  âmes  et  la  solidité  de  ses  institutions  diocésaines.  Avec 
la  Mère  fondatrice  et  ses  bien-aimées  filles  des  neuf  sanctuaires 
élevés  à  l'honneur  du  Sang  divin,  je  me  réjouis  de  tout  cœur  du 
sceau  sacré  qui  vient  d'être  conféré  à  votre  communauté,  et  je 
suis  tout  reconnaissant  au  ciel  du  succès  qu'il  a  bien  voulu  donner 
aux  mesures  prises  en  vue  d'amener  ce  providentiel  événement. 
Vos  vénérés  fondateurs,  qui  vous  aiment  au  ciel  bien  plus  qu'ils 


340  UÈBE  CATHEBINE-AITBâLia 

ne  vous  ont  aimées  sur  la  terre,  ont,  il  n'y  a  pas  à  en  douter,  mis 
la  main  à  l'œuvre  et  obtenu  de  la  divine  bonté  que  la  fondation 
de  leur  cœur  fut  assise  sur  des  bases  inébranlables.  Qu'ils  soient 
bénis  et  remerciés  à  jamais  d'avoir  appuyé  leur  belle  et  sainte 
œuvre  sur  le  roc  immuable  de  Pierre  ! .  .  .  Vous  êtes  maintenant 
les  filles  du  Saint-Siège  !  Reposez-vous  avec  calme  et  confiance 
dans  les  bras  de  notre  divine  mère  la  sainte  Église.  Appliquez- 
vous  à  devenir  un  de  ses  joyaux  les  plus  brillants  et  les  plus 
purs ..." 

Nous  ne  saurions  mieux  terminer  ce  chapitre  que  par  ces  belles 
paroles.  Ajoutons  seulement  d'un  mot  que,  de  partout,  les  lettres 
de  félicitations  affluèrent,  et  que,  dans  les  neuf  sanctuaires  du 
Précieux-Sang,  où  il  y  avait  maintenant  pas  loin  de  280  religieuses, 
on  chanta  le  plus  sincère  et  le  plus  vibrant  des  Te  Deum. 


CHAPITRE  XII 


De  l'approbation  définitive  à  la  mort  de  la  fondatrice  (1896-1905) 

SouMAiRE. —  Lettres  de  félicitations. —  Noces  d'or  de  Mgr  Moreau. —  Mort  de  Mgr 
Fabre. —  Mgr  Bruchési  lui  succède. —  Élections  du  9  décembre  1897. —  Mère 
Véronique-de-la-Passion  succède  à  la  fondatrice  qui  ne  peut  plus  être  réélue. — 
Mère  Catherine-Aurélit  s'occupe  des  fondations. —  Fondation,  à  Manches- 
ter, du  monastère  du  "  Cénacle  ". —  La  supérieure  générale  se  rend  à  Man- 
chester.—  Elle  s'arrête  à  Ottawa  au  retour. —  Voyage  à  Brooklyn. —  Vœux 
pour  le  siècle  nouveau. —  Voyage  aux  Trois-Rivières  et  à  Nicolet. —  Projet 
de  fondation  à  Rome. —  Construction  d'un  calvaire. —  Vœux  de  Noël  1900. — 
Voyage  à  Toronto. —  Mort  de  Mgr  Moreau. —  Mgr  Decelles. —  Mgr  Fal- 
conio. —  La  fondatrice  termine  la  rédaction  du  "  coutumier  ". —  Elle  rentre 
à  Saint-Hyacinthe  pour  le  14  septembre  (1901). —  Belle  fête,  jolis  vers. — 
Le  30  avril  1902. —  Fondation,  à  la  Havane,  du  monastère  de  "  Santa-Cruz". 

—  Élections  du  9  décembre  1902. —  Une  hésitation  de  Mgr  Decelles  amène 
l'intervention  de  Rome. —  Mère  Catherine-Aurélie  est  élue  supérieure  de 
Saint-Hyacinthe. —  Mort  de  Léon  XIII  et  avènement  de  Pie  X. —  Le  42e 
de  l'institut. —  Souhaits  du  premier  de  l'an  1904. —  Télégramme  de  la 
Havane,  état  de  l'institut. —  Anniversaire  (17e)  de  la  mort  de  Mgr  Raymond. 

—  M.  l'abbé  Roy  remplace  M.  Dion  comme  aumônier. —  Le  14  septembre 
1904. —  Au  soir  de  la  dernière  année. 


^'institut  du  Précieux-Sang  était  donc  maintenant 
définitivement  approuvé  par  le  Saint-Siège.  Pour  un 
an  encore,  de  novembre  1896  à  décembre  1897,  Mère 
Catherine-Aurélie  resterait  supérieure  locale  de  Saint- 
Hyacinthe,  et  ce  serait  une  année  grosse  d'événements. 
A  la  lettre  de  Mgr  Moreau,  que  nous  avons  lue  au  chapitre 
précédent,  s'en  joindrait  plus  d'une  autre,  bénissant  Dieu 
également  de  la  faveur  obtenue,  et  ce  serait  là  une  bien  douce 
consolation  pour  le  cœur  de  la  fondatrice.  Les  noces  d'or  sacerdo- 
tales du  pieux  évêque  de  Saint-Hyacinthe  auraient  leur  écho  au 
monastère.  Le  deuil  de  la  mort  de  Mgr  Fabre  ne  laisserait  pas 


342 


MERE  CATHEKINE-AURELIE 


insensible  le  personnel  du  Précieux-Sang.  Un  projet  de  fondation 
en  Californie  ajouterait  aux  préoccupations  déjà  existantes.  Puis, 
on  saluerait,  avec  une  émotion  joyeuse,  l'avènement  de  Mgr 
Bruchési  au  siège  de  Montréal.  Enfin,  viendraient  les  élections  de 
décembre  1897,  auxquelles,  d'après  les  règlements  canoniques, 
Mère  Catherine- Aurélie,  étant  donnés  ses  deux  termes  consécutifs 
de  supériorité,  ne  pourrait  plus  être  réélue  supérieure  locale,  devrait 
passer  la  gouverne  du  monastère-berceau  à  Mère  Véronique-de- 
la-Passion,  mais  ne  cesserait  pas,  exceptionnellement,  ainsi  que 
nous  avons  vu,  d'être  supérieure  générale. 

Mgr  Duhamel,  dès  le  6  novembre,  adressa  d'Ottawa  le  télé- 
gramme expressif  que  voici  :  "  Avec  vous  toutes,  je  remercie  le 
Précieux  Sang  et  vous  félicite  de  votre  approbation  définitive." 
De  Sherbrooke,  le  même  jour,  Mgr  Paul  LaRocque  écrivait  une 
longue  et  belle  lettre.  "  Ce  décret,  disait-il,  est  la  sanction  de 
l'œuvre  de  vos  vénérés  fondateurs .  .  .  Quel  sujet  de  légitime 
satisfaction  pour  vous  en  particulier.  Révérende  Mère  fonda- 
trice. .  .  Quel  sujet  aussi  de  douces  consolations  et  de  saintes 
espérances  pour  les  âmes  privilégiées  qui  viennent  chercher  dans 
la  retraite  de  votre  institut  la  perfection  dont  elles  ont  soif .  .  . 
Plus  la  faveur  est  grande,  plus  impérieux  devient  le  besoin  de 
manifester  sa  gratitude  et  plus  nombreuses  sont  les  voix  invitées 
à  prêter  leurs  accents  pour  la  redire  et  la  chanter.  Votre  télégramme 
est  dans  cette  note  :  "  Décret  d'approbation  arrivé  !  Aidez-nous 
à  remercier  le  Précieux  Sang  !  "  Eh  !  bien,  oui,  je  me  ferai  un 
devoir  et  un  bonheur  de  joindre  ma  voix  aux  vôtres..."  De 
Rome,  où  il  se  trouvait  en  ce  moment,  Mgr  Gravel,  de  Nicolet, 
écrivait  :  "  Quand  j'ai  annoncé  au  Vicaire  de  Jésus-Christ  l'érec- 
tion d'un  monastère  de  votre  institut  dans  ma  ville  épiscopale, 
il  n'a  pu  contenir  sa  joie  et  a  demandé  sa  part,  une  large  part, 
dans  vos  prières  de  chaque  jour.  Je  lui  ai  dit  que  vous  ne  l'oublieriez 
jamais,  maintenant  surtout  qu'il  a  daigné  approuver  votre  institut. 


DE  l'approbation   A  LA  MORT   DE  LA  FONDATRICE  343 

Vous  pouvez  donc  vous  sentir  heureuses  et  chanter  votre  bonheur 
d'avoir  été  choisies  entre  tant  d'autres  pour  une  vocation  si 
excellente,  et  vous  devez  travailler  avec  une  attention  soutenue 
à  mériter  de  plus  en  plus  les  faveurs  que  le  Seigneur  tient  en 
réserve  pour  ses  hosties  vivantes.  .  ."  De  son  côté,  M.  le  grand- 
vicaire  Gravel  écrivait  de  Belœil,  où  il  était  curé  depuis  1893, 
ces  bonnes  paroles  :  "  J'entonne  mon  plus  beau  Te  Deum,  en 
insistant  sur  le  quos  pretioso  sanguine  redemisti ...  Je  suis  bien 
sûr  que  Mgr  LaRocque  et  Mgr  Raymond,  de  si  illustre  et  sainte 
mémoire,  redisent  avec  nous  cette  hymne  de  la  joie  et  de  la 
reconnaissance,  qu'ils  ont  dû  chanter  les  premiers  au  ciel  le  20 
octobre ..."  Enfin,  et  nous  bornons  là  ces  citations  que  nous 
pourrions  aisément  multiplier,  M.  le  chanoine  Ouellette,  supérieur 
du  séminaire  de  Saint-Hyacinthe  et  successeur  de  Mgr  Raymond, 
disait  dans  sa  lettre  de  félicitations  :  "  Vos  bienheureux  et  saints 
fondateurs  doivent  bien  se  réjouir  au  ciel  et  remercier  le  bon 
Dieu  d'avoir  inspiré  à  son  Vicaire  sur  la  terre  de  donner  à  vos 
règles  et  constitutions  l'approbation  définitive.  Beaucoup  d'autres, 
ici-bas,  sans  être  fondateurs,  se  réjouissent  sincèrement  de  votre 
joie  et  se  permettent  de  vous  féliciter ..." 

Les  noces  d'or  de  Mgr  Moreau  furent,  tout  de  suite  après,  une 
autre  occasion  de  pieuses  et  saintes  réjouissances  pour  l'institut 
et  pour  sa  fondatrice.  La  fermeté  même  avec  laquelle  le  pieux 
évêque  était  naguère  intervenu  dans  le  gouvernement  de  la 
communauté  en  1882  n'avait  eu  qu'un  sens  aux  yeux  de  l'humble 
fondatrice,  celui  de  montrer  sa  profonde  sollicitude  pour  le  bien 
de  l'œuvre.  Et  que  de  fois  depuis,  nous  l'avons  vu,  Mgr  Moreau 
avait  prouvé  qu'il  tenait  en  haute  estime  la  fondatrice  et  son 
institut.  Le  19  décembre,  jour  même  du  cinquantenaire,^ on 
avait  fait  de  jolies  fêtes  à  Monseigneur  à  l'Hôtel-Dieu.  Les 
grandes  célébrations  du  diocèse  avaient  dû  être  renvoyées,  pour 
l'accommodation  du  clergé,  au  21  janvier,  où  elles  coïncideraient 


I 


344  MÈRE  CATHEBINB-AUBÉLIB 

à  peu  près  avec  le  vingt-et-unième  de  sa  consécration  épiscopale. 
Mais,  dans  la  semaine  de  Noël,  le  27  décembre  1896,  on  eut  "  la 
fête  des  noces  d'or  "  au  Précieux-Sang.  Laure  Conan  l'a  racontée 
dans  la  Voix.  Ce  nous  est  une  joie  de  la  citer  :  "  En  face  du  trône 
de  Monseigneur,  à  l'extrémité  de  la  salle,  des  flocons  de  tulle  de 
différentes  nuances  figuraient  des  nuages,  au  milieu  desquels 
apparaissait  une  copie  charmante  de  la  Vierge  de  Murillo 
grandeur  naturelle.  La  sainte  Vierge  tenait  dans  ses  mains  un 
riche  diadème  inachevé  et  semblait  présider  à  la  fête  avec  les 
fondateurs  de  l'institut  dont  les  portraits  se  voyaient  sur  les 
murs  .  .  Dans  la  maison  de  la  prière,  il  n'y  eut  pas  d'adresse,  mais 
on  récita  Vofice  des  noces  d'or  !  C'était  la  grande  originalité  de  la 
séance.  De  cet  office,  voici  quelques  versets  :  "  L'institut  du 
Précieux-Sang  n'existait  pas  encore  —  Et  aux  ouvriers  et  à  l'ou- 
vrière de  cette  œuvre,  il  disait  —  Dieu  le  veut,  la  Providence 
viendra  à  votre  secours  —  Elle  vous  nourrira  comme  les  oiseaux 
du  ciel  et  vous  vêtira  comme  le  lis  des  champs  —  La  prédiction 
du  digne  prêtre  s'est  réalisée  :  nous  ne  semons  point  et  nous  som- 
mes rassasiées  —  Nous  ne  filons  point  et  nous  sommes  vêtues  de 
blanc  —  Que  Jésus,  le  souverain  prêtre,  nous  garde  notre  Seigneur 
et  Père  !  —  Aujourd'hui,  demain  et  vingt-cinq  ans  encore  !  — 
Que  l'or  se  change  en  diamant  !  — .  .  .  "  Dans  un  chœur  symboli- 
que, les  neuf  maisons  de  l'institut  offrent  ensuite  leurs  homma- 
ges ...  A  neuf  reprises,  deux  Sœurs  se  détachent  du  groupe  et 
viennent  déposer  aux  pieds  de  Monseigneur  un  cadeau  de  circons- 
tance. Puis,  toutes  les  portes  se  ferment.  Dans  un  lointain  mysté- 
rieux, on  entend  des  chants  suaves.  Ces  chants  se  rapprochent .  .  . 
Ce  sont  les  Sœurs  du  ciel  qui  se  joignent  à  celles  de  la  terre .  .  . 
Une  pluie  de  fleurs  se  répand.  C'est  leur  présent  ! .  .  .  On  les 
dépose  aux  pieds  de  Monseigneur.  Sa  Grandeur  remercie  en 
quelques  paroles  émues ..." 

Les  beaux  jours,  sur  notre  pauvre  terre,  ont  toujours  leurs 
lendemains.    Le    30    décembre    1896,    Mgr   l'archevêque    Fabre 


DE  l'aPPKOBATION    A  LA  MORT   DE  LA  FONDATRICE  345 

mourait  à  Montréal  à  la  suite  d'une  maladie  de  plusieurs  mois. 
On  s'associa  au  Précieux-Sang  au  deuil  du  diocèse  métropolitain 
et  la  Voix  y  sous  la  plume  de  Laure  Conan  encore,  rendit  un  délicat 
hommage  au  prélat  défunt,  en  appuyant  sur  la  beauté  singulière 
de  sa  vocation  sacerdotale.  Fils  d'une  famille  riche  et  considérée, 
il  avait  dû,  se  soumettant  à  l'autorité  paternelle,  fréquenter 
le  grand  monde  avant  de  suivre  l'attrait  qui  le  portait  vers  les 
autels  du  Seigneur,  mais  cette  épreuve,  souvent  redoutable, 
n'avait  fait  qu'affermir  sa  résolution  de  devenir  prêtre.  Promu  au 
sacerdoce,  puis  à  l'épiscopat,  il  s'était  fait  remarquer  toujours 
par  son  esprit  ecclésiastique,  son  tact  et  sa  modération.  Au 
Précieux-Sang,  on  avait  éprouvé  sans  doute  qu'il  tenait  à  une 
exacte  discipline  et  on  savait  qu'il  ne  partageait  pas  toutes  les 
TUes  des  vénérés  fondateurs.  Mais,  devant  sa  tombe,  onsesouvenait 
surtout  de  sa  bonté,  de  sa  dignité  et  de  ses  autres  belles  qualités 
du  cœur. 

Au  mois  de  juin  suivant,  on  salua,  avec  une  joie  très  vive,  l'élec- 
tion, puis  la  consécration  (8  août  1897),  de  son  successeur,  Mgr 
Paul  Bruchési.  La  Voix  reproduisit  la  belle  lettre  que  Mgr  Moreau 
avait  adressée  à  son  jeune  métropolitain,  dans  laquelle  il  disait  : 
**  Je  vous  affirme  de  tout  mon  cœur  et  en  toute  sincérité  que  vous 
êtes  l'homme  de  la  situation,  l'élu  de  Dieu.  Vous  êtes  dans  la 
force  de  l'âge,  vous  possédez  la  science. .  Vous  êtes  doué  du  don 
de  la  parole  et  de  celui  de  bien  écrire,  vous  avez  l'expérience  de 
l'administration . .  .  Vous  êtes  rempli  de  l'esprit  ecclésiastique 
et  du  zèle  des  âmes,  et,  ce  qui  est  par-dessus  tout  important,  vous 
êtes  en  union  intime  d'idées  et  de  sentiments  avec  l'épiscopat  du 
pays  pour  tout  ce  qui  concerne  les^questions  religieuses ..."  A  ce 
moment,  Mgr  Merry  Del  Val,  délégué  extraordinaire  du  pape 
Léon  XIII,  était  en  mission  au  Canada.  Son  Excellence  fît  une 
visite  au  monastère  de  Saint-Hyacinthe,  et,  précisément,  le  nouvel 
archevêque  de  Montréal  s'y^trouva  en  sa  compagnie.  Comme 


346  MÈBE  CATHERINE-AURÉLIE 

Mgr  Bruchési  remarquait  que,  la  nouvelle  officielle  de  son  élection 
lui  étant  parvenue  le  jour  de  la  fête  du  Sacré-Cœur,  il  se  devait 
d'être  l'évêque  du  Sacré  Cœur,  la  fondatrice  lui  suggéra  aima- 
blement "  et  du  Précieux  Sang  aussi,  n'est-ce  pas,  Monseigneur  ?" 
"  Très  certainement,  répartit  le  nouveau  prélat,  car  le  Sacré  Cœur 
et  le  Précieux  Sang  ne  sauraient  être  séparés,  l'un  ne  vit  pas 
sans  l'autre  !  " 

En  cette  année  1897,  dès  le  mois  de  janvier,  puis  et  surtout  en 
juin  et  juillet,  il  fut  question  d'une  fondation  en  Californie,  dans 
le  diocèse  de  Sacramento,  à  la  demande  du  Père  Hennebury, 
religieux  des  Pères  du  Précieux-Sang.  Le  dévoué  procureur  de 
la  communauté,  M.  le  chanoine  Beaudry,  qui  avait  succédé, 
pour  cette  fonction,  à  M.  le  grand-vicaire  Gravel,  fit  le  voyage 
en  ce  pays.  Mais  le  projet  n'aboutit  pas. 

La  grande  affaire  au  cours  de  1897  ce  fut,  en  décembre, 
la  tenue  des  élections  générales,  où,  d'après  les  nouvelles  règles 
canoniques.  Mère  Catherine- Aurélie  ayant  terminé  son  deuxième 
terme  de  supériorité,  on  devait  nécessairement  lui  choisir  une 
remplaçante.  Nous  lisons  dans  les  Annales^  à  la  date  du  8  décem- 
bre :  "  Notre  grande  fête  de  l'Immaculée-Conception  a  été  tout  à 
la  fois  joyeuse  et  triste.  C'est  la  fête  de  Marie,  notre  première 
Mère  supérieure .  .  .  Mais  celle  qui  nous  représente  sa  maternelle 
autorité  sera  remplacée  demain.  Ce  changement  est  dans  les 
desseins  de  Dieu,  puisqu'il  est  voulu  par  nos  constitutions.  Il  n'en 
est  pas  moins  douloureux  à  nos  cœurs  .  .  .  Heureusement  que  no- 
tre fondatrice  nous  reste  comme  supérieure  générale  ! .  .  .  " 

Ces  élections  du  9  décembre  1897  donnèrent  le  résultat  suivant  : 
Mère  Véronique-de-la-Passion,  supérieure  ;  Sœur  Saint-Louis-de- 
Gonzague,  assistante  ;  Sœur  Marie-Jeanne-de-Chantal,  maîtresse 
des  novices  ;  Sœur  Marie-de-la-Providence,  dépositaire  ;  et  les 
Sœurs  Marie-Anne-de-Jésus,  conseillère,  Marie-de-Gethsémanij 
conseillère  et  secrétaire,  et  Thérèse-de-Jésus  conseillère.  En  novem- 


DE  l'approbation   A  LA  MORT    DE  LA  FONDATKICE  347 

bre  1898,  Sœur  Thérèse-de-Jésus  fut  remplacée  par  Sœur  Marie- 
du-Saint-Esprit,  puis.  Sœur  Saint-Louis-de-Gonzague  ayant  dû 
démissionner  pour  cause  de  maladie,  la  même  Sœur  Marie-du- 
Saint-Esprit  fut  choisie  comme  assistante  et  Sœur  Marie-de- 
l'Assomption  devint  conseillère. 

La  nouvelle  supérieure,  Mère  Véronique-de-la-Passion  (Virginie 
Dion),  née  d'une  famille  très  chrétienne  et  pieusement  élevée 
par  une  mère  attentive,  était  entrée  jeune  au  noviciat  de  Saint- 
Hyacinthe.  A  plusieurs  reprises,  nous  avons  vu  qu'elle  avait 
accompagné  la  fondatrice  dans  ses  nombreuses  courses  pour  les 
installations  des  nouveaux  monastères.  Son  beau  talent  d'artiste 
en  peinture  lui  permettait  de  rendre  partout  de  précieux  services* 
Dans  la  chapelle  de  la  maison-mère,  on  a  de  son  pinceau  plusieurs 
tableaux  de  mérite.  Durant  sou  administration,  de  1897  à  1902, 
tout  en  remplissant  avec  une  scrupuleuse  exactitude  ses  devoirs 
de  supérieure,  elle  s'occupa  de  décorer  le  chœur  des  religieuses. 
Plus  tard,  elle  devait  être  encore  conseillère  à  Saint-Hyacinthe, 
puis  assistante,  et  enfin  fondatrice,  en  1906,  du  monastère  de  Lévis. 

Plus  que  jamais,  ce  fut  la  tâche  de  la  fondatrice,  qui  n'avait 
plus  la  charge  de  l'administration  de  la  maison-mère,  de  voir  aux 
fondations  du  dehors  et  de  visiter,  pour  les  aider  de  ses  conseils, 
les  diverses  maisons-filles.  La  première  dont  elle  eut  à  s'occuper, 
fut  celle  de  Manchester,  qui  s'ouvrit  le  8  décembre  1898.  C'est  la 
maison  de  Brooklyn  qui  fit  cette  fondation,  mais  la  supérieure 
générale  fut  bientôt  demandée  d'aller  prêter  le  concours  de  son 
expérience  à  l'installation  nouvelle.  Toutes  les  négociations  pre- 
mières furent  cependant  conduites,  en  cette  affaire,  par  Mère 
Marie-Sainte-Gertrude,  la  supérieure  du  "  Bethléem  "  de  Brook- 
lyn, avec  surtout  Mgr  Bradley,  l'évêque  de  Manchester.  Ce  nou- 
veau monastère,  le  troisième  aux  États-Unis  —  duquel  naîtrait 
bientôt  celui  de  la  Havane  —  fut  placé  sous  le  joli  vocable  du 
*  Cénacle  ".  Il  convient  d'enregistrer  ici,  comme  nous  l'avons  fait 


348  MÈBE  CATHEBINE-AUBéLiIE 

pour  les  fondations  précédentes,  un  bref  historique  de  cette  fonda- 
tion du  "  Cénacle  ",  à  laquelle  la  vénérée  fondatrice  du  Précieux- 
Sang  fut  invitée  à  aller  présider  en  décembre  1898. 

L'évêque-fondateur,  c'était,  cette  fois,  Mgr  Bradley,  évêque 
de  Manchester  depuis  la  création  du  diocèse  en  1884.  Né  en  Irlande 
le  23  février  1846,  Mgr  Bradley  était  venu  très  jeune  avec  sa 
famille  —  sa  mère  veuve  et  quatre  enfants  —  en  Amérique,  et  il 
avait  été  élevé  à  Manchester  même.  Après  ses  études  à  Holy 
Cross  de  Worcester  et  au  séminaire  de  Troy,  il  avait  été  ordonné 
prêtre,  le  3  juin  1871,  par  l'évêque  de  Rochester,  Mgr  McQuaid. 
D'abord  chancelier  des  évêques  Bacon  et  Healy  de  Portland,  il 
était  devenu,  en  1880,  curé  de  l'église  Saint-Joseph  à  Manchester. 
A  l'érection  du  diocèse  en  1884,  il  avait  été  consacré,  le  11  juin, 
premier  évêque  de  Manchester.  C'était  un  prélat  instruit  et  pieux, 
dont  l'âme  ardente  rappelait  beaucoup  celle  de  Mgr  Lynch,  qui 
avait  fait,  à  Toronto,  la  deuxième  fondation  du  Précieux-Sang 
en  1869.  11  se  montra  tout  de  suite  très  affectionné  à  l'œuvre  de 
Mgr  LaRocque  et  de  Mère  Catherine- Aurélie.  Et  il  en  fut  de  même 
du  Père  Delaney,  qu'il  désigna  comme  aumônier  du  "  Cénacle  ", 
et  qui  devint  dans  la  suite  son  successeur  sur  le  siège  épiscopal. 

Les  desseins  de  Dieu  sont  toujours  impénétrables  et  ses  voies 
souvent  bien  mystérieuses.  Sans  reprendre  un  à  un  tous  les  détails 
des  pourparlers  qui  amenèrent  la  fondation  de  Manchester  ; 
comment  une  dame  Boivin,  autrefois  de  Saint-Hyacinthe,  intéressa 
à  l'œuvre  une  religieuse  des  Sœurs  de  la  Merci  de  Manchester, 
Mère  Gonzagua  ;  comment  les  Pères  Murphy  et  Lessard,  de  la 
même  ville,  en  entretinrent  l'évêque  du  diocèse,  Mgr  Bradley  ; 
comment,  en  1894,  les  premières  lettres  s'échangèrent  à  ce  sujet  ; 
comment  surtout,  en  1898,  deux  personnes  protestantes,  dont  une 
dame  Coït,  furent  providentiellement  conduites,  après  plusieurs 
visites  au  "  Bethléem  "  de  Brooklyn,  à  vouloir  un  établissement 
semblable  à  Manchester,  qu'il  nous  suffise  de  retenir  que  Mgr 


DE  l'approbation   A  LA  MOBT   DE  LA  FONDATRICE  349 

de  Manchester,  en  ayant  conféré  avec  Mgr  de  Brooklyn  (Mgr 
McDonnell  qui  avait  succédé  à  Mgr  Laughlin),  décida,  au  mois 
d'août  1898,  d'accepter  les  Sœurs  du  Précieux-Sang  dans  son 
diocèse.  Notons  encore  en  peu  de  mots  que,  de  ces  deux  personnes 
protestantes  dont  nous  avons  fait  mention,  l'une,  devenue  catho- 
lique et  entrée  au  Précieux-Sang,  fut  dépositaire  à  la  mission  de 
Manchester,  tandis  que  l'autre,  madame  Coït,  devenue  également 
catholique,  mais  empêchée  de  se  faire  religieuse,  voulut  être  la 
bienfaitrice  du  monastère  nouveau.  C'est  sur  l'offre  qu'elle  fit 
d'une  donation  de  six  mille  piastres  qu'on  décida  l'établissement 
projeté.  A  la  vérité,  elle  ne  put  tenir  plus  tard  ce  qu'elle  avait 
promis,  mais  la  Providence  y  pourvut  autrement. 

A  la  fin  d'août  1898,  la  supérieure  de  Brooklyn,  Mère  Marie- 
Sainte-Gertrude,  écrivait  à  Mère  Catherine-Aurélie,  la  supérieure 
générale,  pour  la  mettre  au  courant  des  derniers  événements. 
**  Ce  matin,  lui  mandait-elle,  Mgr  McDonnell  est  venu  nous  dire 
qu'il  accepte  que  nous  fassions  la  fondation  (de  Manchester)  et 
que  nous  pourrons  nous  tenir  prêtes  à  partir  pour  aller  ouvrir  le 
nouveau  petit  "  cénacle  "  le  8  décembre.  Les  Sœurs  sont  toutes 
en  feu  !  C'est  à  qui  s'offrirait  pour  la  mission  nouvelle .  .  .  Deux 
d'entre  nous  devront  partir  avant  les  autres  pour  voir  aux  derniers 
arrangements  à  Manchester .  .  .  Quelle  part  allez-vous  prendre, 
chère  Mère,  à  ce  bonheur  ?  Nous  avons  hâte  d'avoir  votre  pensée 
sur  tout  ceci.  .  ."  Ce  que  pensait  la  fondatrice,  la  supérieure  de 
Brooklyn  le  savait  d'avance,  et  sa  demande  était  surtout  une 
formule  d'invitation.  Une  fondation  nouvelle,  quand  elle  était 
agréée  par  les  évêques  et  se  pouvait  faire  avec  prudence,  c'était 
toujours  pour  Mère  Catherine-Aurélie  une  occasion  de  grande 
joie,  puisque  c'était  un  moyen  de  répandre  davantage  sa  chère 
dévotion  en  ajoutant  un  foyer  de  son  culte  à  ceux  qui  existaient 
déjà. 

Le  28  août  1898,  on  fit  à  Brooklyn  l'élection  des  "  mission- 
naires "  du  "  Cénacle  "  de  Manchester.  Le  personnel  fut  ainsi 


350 


MERE  CATHERINE- AURËLIE 


constitué  :  Mère  Marie-Sainte-Gertrude,  supérieure  ;  Sœur  Marie- 
Réparatrice,  assistante  ;  Sœur  Thérèse-de-Jésus,  maîtresse  des 
novices  ;  les  Sœurs  Saint-Paul-de-la-Croix,  Imelda-de-l'Eucha- 
ristie,  Marie-de-Gethsémani,  Marie-de-Jésus,  Aloysius  et  Adèle. 
Pendant  qu'elles  se  préparaient  à  leur  future  mission,  les  arran- 
gements s'effectuèrent  pour  les  recevoir  à  Manchester.  Le  9 
octobre.  Mère  Sainte-Gertrude  se  rendait  dans  cette  ville  avec  les 
Sœurs  Catherine-de-Ricci  et  Saint-Bernard.  Elles  furent  reçues 
chez  les  Sœurs  de  la  Merci,  qui  se  montrèrent  très  sympathiques, 
en  particulier  leur  supérieure,  la  Mère  Béatrice.  Le  27  novembre, 
le  groupe  des  fondatrices  du  "  Cénacle  "  quittait  Brooklyn,  et, 
le  lendemain  28,  elles  prenaient  possession  du  nouveau  monastère. 
Tel  que  prévu,  l'installation  officielle  se  fit  le  8  décembre.  Elle  fut 
comme  auréolée  par  la  mort,  la  veille,  si  peu  de  temps  après 
l'arrivée,  de  Sœur  Marie-de-Jésus,  la  "  chère  petite  victime  ", 
comme  on  l'appela,  dont  le  sacrifice  fut  une  bénédiction  pour  le 
nouveau  monastère.  "  Ce  matin  du  8  décembre,  racontent  les 
Annales  locales,  à  la  première  messe  dite  pour  le  public,  l'autel 
avait  été  paré  de  ce  qu'on  avait  de  plus  beau.  Après  cette  messe,  le 
corps  de  la  petite  défunte  fut  apporté  dans  la  chapelle  et  le  service 
eut  lieu."  Il  y  a  là  un  contraste  touchant.  Les  deuils  dans  les 
communautés  attristent  comme  ailleurs.  Il  semble  que,  moins  que 
partout  ailleurs,  ils  n'arrêtent  la  vie.  La  vie  du  nouveau  mo- 
nastère s'affirma  tout  de  suite,  en  effet,  très  prospère.  Mgr  Brad- 
ley  et  le  Père  Delaney,  d'autres  prêtres  encore  et  nombre  de 
citoyens,  irlandais  ou  canadiens,  furent  des  plus  dévoués  et  des 
plus  généreux  pour  l'œuvre  naissante. 

Le  18  décembre.  Mère  Catherine-Aurélie  arrivait  à  Manchester, 
avec  Mère  Euphrasie-de-Saint-Joseph  (redevenue  supérieure  de 
Toronto)  et  Sœur  du  Saint-Rédempteur,  de  la  maison  d'Ottawa. 
Elle  y  passa  dix  jours  pour  aider  et  diriger  ses  chères  filles  dans 
leur  installation.  La  clôture  régulière  fut  établie  l'avant-veille  de 


DU  h  APPROBATION   A  LA  MORT   DB  LA  FONDATBICE 


351 


Noël,  23  décembre.  La  fondatrice  revint  à  Ottawa  le  29  décembre. 
Une  lettre,  datée  d'Ottawa,  le  30,  adressée  à  la  supérieure  locale 
de  Saint-Hyacinthe,  nous  donne  les  détails  les  plus  intéressants 
sur  ce  voyage  à  l'installation  du  "  Cénacle  "  de  Manchester.  La 
voici,  presque  en  entier  :  "  Les  voyageuses  de  Manchester  nous 
sont  arrivées  à  "  Béthanie  "  hier  matin.  Notre  vénérée  Mère  est 
très  contente  de  sa  visite  à  la  nouvelle  fondation,  où  elle  a  trouvé 
tant  de  sujets  de  consolation .  .  .  Durant  son  court  séjour  au 
"  Cénacle  ",  elle  a  vu,  je  crois,  des  milliers  de  personnes .  .  .  Une 
foule  toujours  croissante  envahissait  le  petit  monastère  pour  la 
voir  et  lui  raconter  des  misères  et  des  épreuves  de  toutes  sortes. 
Chacun  partait  consolé  et  encouragé ...  Il  est  étonnant  qu'elle 
ait  pu  résister  à  d'aussi  grandes  fatigues .  .  .  L'accueil  de  la  bonne 
Mère  Marie-Sainte- Gertrude  et  de  ses  aimantes  enfants  n'aurait 
pas  pu  être  plus  filial  et  plus  cordial .  .  .  Mgr  Bradley  est  venu  la 
saluer  au  premier  moment  libre.  Monseigneur  se  montre  très  bon 
pour  les  Sœurs,  et  le  Père  Delaney,  leur  chapelain,  aussi.  Le 
monastère  est  situé  vis-à-vis  l'évêché,  ce  qui  est  très  commode 
pour  la  desserte .  .  .  C'est  une  assez  bonne  maison  en  bois.  Elle  n'est 
pas  bien  grande  pour  une  communauté,  ni  en  tout  adaptée  aux 
divers  besoins.  Nos  Sœurs  font  le  mieux  qu'elles  peuvent  dans  les 
circonstances." 

La  fondatrice  ne  rentra  à  Saint-Hyacinthe  qu'à  la  fin  d'avril 
1899,  sa  présence  étant  jugée  indispensable  au  monastère  d'Ottawa, 
On  était  là  en  frais  de  poursuivre  d'importants  travaux  à  la 
chapelle  et  on  réclamait  ses  précieux  conseils.  Il  fut  aussi  question, 
vers  ce  temps,  d'un  nouveau  voyage  en  Orégon.  Toutes  ces  courses 
et  toutes  ces  préoccupations  lui  occasionnaient  bien  des  fatigues 
et  sa  santé  laissait  à  désirer.  Les  lettres  de  l'époque  en  témoignent. 
Enfin  les  Sœurs  du  "  berceau  ",  ainsi  qu'on  disait  de  la  maison- 
mère,  eurent  la  joie  de  la  posséder  le  27  avril.  Un  nuage  de  tristesse 
vint  assombrir  sa  fête  patronale,  le  30,  jour  de  la  Sainte-Catherine 


352  MÈBE  CATHEBINB-AUBÉLIE 

de  Sienne.  "  Notre  vénérée  Mère  fondatrice,  écrit  l'annaliste,  est 
extraordinairement  fatiguée.  Toutefois,  son  état  d'épuisement  ne 
l'a  pas  empêchée  de  se  prêter,  autant  qu'elle  l'a  pu,  à  tout  ce  que 
notre  tendresse  filiale  lui  avait  préparé.  De  sa  chambre,  elle  a 
entendu  nos  chants  de  gratitude,  et,  en  même  temps,  l'expression 
des  vœux  que  nous  formons  pour  son  bonheur.  Le  souvenir  de  nos 
bénis  Pères  fondateurs  fut  évoqué  comme  toujours  en  semblable 
circonstance."  Le  29  mai,  un  peu  remise,  la  fondatrice  repartait 
pour  Ottawa.  En  septembre,  elle  fit  le  voyage  de  Brooklyn,  où  ses 
filles  de  "  Bethléem  "  la  réclamaient  à  leur  tour.  Elle  y  passa  un 
mois  et  fut  de  retour  à  Ottawa  vers  la  mi-octobre.  Le  27,  elle 
revenait  à  Saint-Hyacinthe.  Mais  elle  en  repartait  bientôt  pour 
Manchester,  où  il  était  rumeur  d'une  nouvelle  fondation,  sur  la 
demande  d'une  dame  Carpenter,  à  Danbury,  dans  le  diocèse  de 
Hartford,  dont  Mgr  Tierney  était  alors  évêque.  Disons  d'un  mot 
que,  après  des  pourparlers  et  des  échanges  de  lettres  qui  durèrent 
jusqu'en  février  1900,  ce  projet  d'une  fondation  que  les  Sœurs 
de  Toronto  devaient  faire  fut  abandonné. 

On  arrivait  au  siècle  nouveau.  L'année  1900  allait  naître.  La  fon- 
datrice, revenue  à  Saint-Hyacinthe  le  7  décembre,  adressa  ses 
vœux  à  ses  filles  des  divers  monastères  le  20  du  même  mois.  Elle 
dépassait  la  soixantaine  depuis  déjà  quelques  années  et  il  y  avait 
tout  près  de  quarante  ans  que  l'institut  existait.  Les  avis  et  les 
exhortations  tombés  de  ses  lèvres  ou  de  sa  plume  n'en  avaient, 
on  le  comprend,  que  plus  de  gravité  et  d'importance.  Il  nous 
convient  de  rappeler  ceux  qu'elle  rédigea  à  l'aurore  du  XXe  siècle. 
*'  Je  trempe  mes  lèvres,  écrit-elle,  dans  le  sang  de  mon  Rédempteur 
et  je  déclare  que  je  veux  mourir  fille  de  l'Église  ma  tendre  mère, 
épouse  de  Jésus  crucifié,  adoratrice  du  Précieux  Sang,  victime 
réparatrice,  enfant  de  Marie  Immaculée,  ma  mère,  ma  patronne, 
ma  reine.  Je  désire  que  mon  dernier  soupir  soit  un  hommage  au 
sang  divin,  un  chant  à  Marie  !  J'offre  à  mon  Dieu  les  angoisses 


DE  l'approbation   A  LA  MORT    DE  LA  FONFAÏRICE  353 

de  mon  agonie  comme  une  expiation  pour  tout  ce  qui  pourrait 
encore,  à  ce  moment,  ternir  la  pureté  de  mon  âme  et  l'empêcher 
de  voir  face  à  face  la  beauté  suprême  en  passant  du  temps  à 
l'éternité.  Je  connais  mes  misères.  J'en  suis  confuse  et  humiliée. 
Mais  j'ai  confiance  au  sang  régénérateur.  .  .  J'ai  confiance  aussi 
en  la  charité  de  mes  enfants  et  de  tous  ceux  avec  qui  j'ai  été  en 
relation.  Je  compte  que  tous  me  pardonneront,  si  j'ai  eu  le  malheur 
de  scandaliser,  de  mortifier,  de  désobliger  qui  que  ce  soit... 
si  j'ai  blessé  la  sainte  charité  par  mes  paroles  ou  par  mes  actions, 
si  j'ai  manqué  de  quelque  façon  à  mes  devoirs  de  religieuse,  à 
mes  obligations  de  supérieure,  si  je  n'ai  pas  travaillé  avec  assez 
d'ardeur  à  la  diffusion  du  sang  rédempteur .  .  .  Mes  forces  natu- 
relles, mes  chères  filles,  s'éteignent,  mais  non  pas  celles  de  la 
tendresse  que  je  vous  porte .  .  .  Mes  forces  s'éteignent  sous  l'étreinte 
de  la  douleur.  Je  sens  qu'avant  longtemps  il  me  faudra  m'en  aller 
au  cimetière,  où  je  prendrai  place,  parmi  mes  bien-aimées  qui  y 
reposent,  à  l'ombre  de  celui  (Mgr  Joseph)  qui  pendant  tant 
d'années  m'a  protégée  et  a  soutenu  mes  pas  ...  Je  vous  en  conjure 
au  nom  du  sang  de  Jésus,  mes  chères  filles,  obtenez-moi,  lorsque 
16  paraîtrai  devant  le  souverain  juge  que  j'ai  si  souvent  supplié 
de  faire  miséricorde  aux  pauvres  pécheurs  par  les  mérites  du  sang 
rédempteur,  qu'il  ait  pitié  de  moi  et  qu'il  me  pardonne  si  je  n'ai 
pas  été  fidèle  à  remplir  mes  devoirs  envers  vous ...  Je  proteste 
hautement  que,  durant  toute  ma  carrière  de  religieuse,  j'ai  dépensé 
avec  joie  et  avec  énergie  toutes  mes  forces,  selon  mes  humbles 
connaissances  et  les  lumières  qu'il  a  daigné  m'envoyer,  pour  vous 
faire  marcher  dans  la  voie  de  ses  divins  commandements  et  vous 
faire  remplir  généreusement,  en  vue  de  lui  plaire,  tous  les  devoirs 
prescrits  par  nos  saintes  règles.  .  ."  De  telles  paroles,  c'est  bien 
évident,  se  passent  de  tout  commentaire.  Et  pourtant,  la  tâche 
de  cette  humble  et  admirable  fondatrice  n'était  pas  finie.  L'année 
1900  devait  lui  fournir,  à  elle  seule,   plus    d'une    occasion    de 


354  MÈRE  CATHERINE- AURÉLIE 

mérite,  et  il  en  serait  ainsi  jusqu'à  l'été  de  1905,  où,  en  effet,  elle 
irait  dormir  au  cimetière,  au  milieu  de  ses  chers  défunts,  à  l'ombre 
bénie  des  tombeaux  de  Mgr  Joseph  et  de  Mgr  Raymond. 

C'était  heureux  en  un  sens,  pour  les  maisons-filles,  qu'une  supé- 
rieure locale  remplaçât,  au  "  berceau  ",  Mère  Catherine-Aurélie. 
Comme  avait  dit  Mgr  Moreau,  en  demandant  pour  elle  au 
Saint-Père  le  titre  de  supérieure  générale  et  le  droit  de  visite 
dans  les  autres  monastères,  on  ne  cessait  pas,  dans  l'un  ou  l'autre, 
de  réclamer  sa  présence  et  ses  lumières.  En  avril  1900,  les  Sœurs 
de  "  Gethsémani  "  des  Trois-Rivières,  qui  avaient  d'importantes 
constructions  en  perspective,  insistèrent  pour  qu'elle  s'y  rendît. 
On  anticipa,  à  Saint-Hyacinthe,  la  célébration  de  la  fête  patronale 
de  la  vénérée  Mère  du  30  avril  au  24  et  elle  partit  pour  "  Gethsé- 
mani "  le  25.  Elle  devait  y  séjourner  plusieurs  semaines.  En  juin, 
la  visite  à  Sherbrooke  du  délégué  apostolique,  Mgr  Falconio, 
l'amena  au  "Nazareth  "  de  ses  filles.  En  août,  ce  fut  au  tour  des 
Sœurs  du  "  Saint-Joseph  "  de  Nicolet,  de  la  posséder  quelque 
temps.  Puis,  elle  retourna  encore  aux  Trois-Rivières.  Elle  ne 
devait  revenir  à  Saint-Hyacinthe  qu'en  mars  1901,  pour  repartir 
au  bout  de  quelques  jours  et  se  rendre  encore  à  Ottawa  et  à 
Toronto. 

C'est  pendant  qu'elle  surveillait  les  travaux  du  monastère  aux 
Trois-Rivières  qu'elle  eut  à  s'occuper  d'un  projet  de  fondation  à 
Rome,  au  cours  de  l'automne  de  1900.  A  son  retour  de  Sherbrooke, 
le  16  juillet,  elle  s'était  arrêtée,  pour  une  quinzaine,  à  Saint- 
Hyacinthe,  et  en  était  repartie  le  1er  août  pour  Nicolet  et  Trois- 
Rivières.  De  cette  dernière  ville,  elle  écrivit  au  conseil  de  la 
maison-mère  au  sujet  de  cette  importante  proposition  d'une 
fondation  à  Rome,  qui  lui  venait  du  "  Bethléem  "  de  Brooklyn. 
Une  lettre  de  Sœur  du  Saint-Rédempteur  du  17  octobre  exposait 
l'idée,  qu'un  prêtre  italien,  le  Père  Parcile,  qui  revenait  de  Rome 
et  en  avait  parlé  au  pape  Léon  XIII,  avait  mise  au  jour.  Le  Saint- 


DE  l'approbation  A  LA  MORT   DE  LA  FONDATRICE  355 

Père,  expliquait-il,  se  plaît  à  voir  s'établir  dans  la  ville  éternelle 
une  maison  de  chacun  des  ordres  religieux  qui  existent  dans  le 
monde  catholique.  Ce  projet,  si  grave,  demandait  d'être  mûri. 
La  fondatrice  l'examina  prudemment  et  demanda  l'avis  de 
son  conseil,  insistant  pour  qu'on  le  soumît  surtout  à  Mgr  Moreau. 
"  En  poussant  si  loin  leurs  aspirations,  mandait-elle,  mes  chères 
filles  de  Brooklyn  me  semblent  animées  d'un  zèle  qui  me  surpasse. 
Je  veux  certainement  la  gloire  du  Précieux  Sang  et  le  développe- 
ment de  notre  œuvre,  mais  toujours  en  gardant  les  lois  de  la 
prudence  et  en  suivant  les  avis  de  ceux  qui  ont  reçu  de  Dieu  la 
mission  de  nous  diriger  dans  nos  voies  et  nos  entreprises .  .  . 
Mère  Véronique-de-la-Passion  demanda  en  conséquence  l'avis 
de  Mgr  de  Saint-Hyacinthe.  "  Je  n'hésite  pas  à  vous  dire,  lisons- 
nous  dans  la  réponse  de  Monseigneur,  que  je  n'ai  aucune  confiance 
dans  la  réalisation  de  ce  projet.  Il  y  a  à  Rome  tant  de  commu- 
nautés vouées  à  la  contemplation ...  Et  puis,  il  faudrait  de  si 
copieuses  ressources  en  argent ..."  Mgr  Moreau  précisait  ensuite, 
au  cas  où  l'on  tenterait  l'entreprise,  les  conditions  et  les  garanties 
qu'il  estimait  nécessaires,  notant  en  particulier  que  c'était  à  la 
maison-mère  qu'il  appartenait  de^faire  cette  fondation.  Le  projet 
d'ailleurs  n'aboutit  point. 

Des  Trois-Rivières  encore,  dans  une  lettre  datée  des  premiers 
jours  de  décembre,  la  fondatrice  demanda  aux  Sœurs  du  "  ber- 
ceau "  d'ériger  un  "  calvaire  "  à  proximité  de  leur  jardin.  "  Ici, 
à  "  Gethsémani  ",  disait-elle,  j'ai  marqué  la  place  où  nos  Sœurs 
auront  leur  "  calvaire  ".  A^cette  pensée,  tous  les  cœurs  tressaillent 
de  bonheur .  .  .  Chaque  monastère  pourrait  ainsi  avoir  le  sien. 
N'est-ce  pas  là  que  nous  avons  établi  nos  tentes,  pour  nous  y 
nourrir  de  la  contemplation  des  ineffables  douleurs  de  Jésus,  pour 
l'adorer  et  pour  nous  abreuver  du  sang  très  précieux  qui  s'échappe 
par  torrents  de  ses  plaies  divines  ?"  —  "  Oh  !  oui,  ajoute  l'anna- 
liste de  Saint-Hyacinthe,  espérons-le,  le  projet  de  notre  vénérée 


356 


MERE   CATHERINE-AUBELIB 


Mère  fondatrice  sera  réalisé  !  Notre  supérieure  ne  désire  rien 
tant  que  de  se  rendre  à  ses  moindres  désirs." 

Bientôt,  ce  fut  l'époque  des  vœux  de  Noël  et  du  jour  de  l'an. 
Des  Trois-Rivières  toujours,  disant  sans  cesse  la  même  chose, 
sans  pourtant  se  répéter,  la  fondatrice  écrivait  à  ses  filles  de 
Saint-Hyacinthe  (23  décembre  1900)  :  "  Au  Gloria  des  anges, 
j'ajoute  :  "  Gloire  à  ton  sang,  Agneau  naissant  !  "  A  ce  cri,  ne 
reconnaissez-vous  pas  votre  pauvre  Mère  fondatrice  ? .  .  .  Ne  les 
entendez-vous  pas,  mes  filles  bien-aimées,  ces  anges  adorateurs  du 
Verbe  incarné,  vous  pressant  d'écouter  les  enseignements  du  divin 
modèle,  de  pratiquer  les  vertus  dont  il  nous  donne  l'exemple 
dès  son  berceau,  de  répandre  autour  de  vous  le  parfum  de  l'inno- 
cence et  de  l'immolation .  .  .  d'être,  en  un  mot,  de  vraies  enfants 
de  l'Église  qui  essuient  sa  face  ignominieusement  outragée,  de 
courageuses  et  austères  victimes  en  faveur  de  ceux  qui  ont  besoin 
de  réparation..."  La  supérieure  de  Saint-Hyacinthe,  après  la 
lecture  de  cette  lettre,  distribua  à  chacune  un  petit  feuillet,  qui, 
sous  la  rubrique  Ma  fille,  souviens-toi,  rappelait  à  toutes  leurs 
principaux  devoirs  d'adoratrices-expiatrices. 

Au  milieu  de  mars  1901,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  déjà,  la 
fondatrice  passa  quelques  jours  à  Saint-Hyacinthe,  puis  elle 
repartit  pour  Toronto,  mais  s'arrêta  au  passage,  Au  "Béthanie" 
d'Ottawa  pour  un  repos  de  deux  semaines.  Le  3  avril,  elle  est 
rendue  à  Toronto,  au  monastère  du  "  Mount  Olivet  ".  "  Les  chères 
torontines,  racontent  les  Annales  de  Saint-Hyacinthe,  reprodui- 
sant une  lettre  reçue  de  la  ville  anglo-canadienne,  sont  heureuses 
de  posséder  "  notre  trésor  ",  de  l'entourer  de  leur  dévouement  et 
de  se  retremper,  sous  l'action  de  sa  parole  ardente,  dans  l'amour 
du  Précieux  Sang."  Elle  devait  revenir  à  la  mi-juin  à  Ottawa  et  y 
séjourner  jusqu'aux  premiers  jours  de  septembre,  alors  qu'elle 
rentrerait  à  peu  près  définitivement  à  la  maison-mère. 

C'est  au  cours  du  mois  de  mai  1901,  pendant  que  la  Mère 
fondatrice  s'occupait  à  Toronto  de  reviser  le  "  coutumier  "  de  son 


DE  l'approbation   A  LA  MORT    DE  LA  FONDATRICE 


367 


institut,  en  tenant  compte,  note  sa  secrétaire,  des  remarques 
qu'on  avait  pu  lui  faire  sur  sa  demande,  que  mourut,  à  Saint- 
Hyacinthe,  le  père  en  Dieu  de  la  communauté  depuis  1875,  Mgr 
Moreau,  le  deuxième  successeur  du  fondateur,  Mgr  Joseph 
LaRocque.  Le  soir  même,  répondant  à  la  dépêche  qui  lui  avait 
été  naturellement  envoyée.  Mère  Catherine-Aurélie  télégraphiait 
que  "  son  cœur,  uni  à  celui  de  ses  filles,  était  plein  de  douleur  et 
qu'elle  pleurait  avec  tout  le  diocèse  ".  Le  lendemain  elle  écrivait 
la  lettre  suivante  :  "  La  triste  nouvelle,  mes  bien-aimées  filles, 
que  m'a  apportée  votre  dépêche  d'hier,  m'a  été  une  douloureuse 
surprise,  car  vos  dernières  lettres  m'avaient  mise  en  espoir  au 
sujet  de  notre  vénéré  Père.  Dieu  l'a  appelé  à  sa  récompense  ! 
Que  son  saint  nom  soit  béni  !  Celui  que  nous  avons  révéré  et 
vénéré  aura  sûrement  abordé  au  port  éternel  sur  les  flots  du  sang 
de  Jésus  .  .  .  Voyons-le  dans  la  gloire  et  espérons.  Je  n'ai  pas  à  vous 
faire  l'éloge  de  ce  digne  prélat,  universellement  appelé  le  saint 
évéque.  Je  n'ai  pas  à  vous  dire  le  respect  et  l'amour  dont  nous  devons 
faire  hommage  à  sa  mémoire .  .  .  Nous  savons  ce  qu'il  a  fait  pour 
notre  communauté  et  nous  en  garderons  toutes  un  impérissable 
souvenir .  .  .  Mgr  Moreau  a  voulu  les  développements  de  notre 
œuvre,  il  y  a  travaillé  pendant  des  années.  Il  a  procuré  à  notre 
institut  la  sanction  romaine,  qui  le  fixe  et  le  greffe  à  jamais  .sur 
le  tronc  béni  de  la  sainte  Église  de  Dieu.  Pourrions-nous  oublier 
cela  ?..  Il  continuera  du  haut  du  ciel  à  s'intéresser  à  nous  et  se 
joindra  à  nos  vénérés  fondateurs  pour  nous  faire  dispenser  les 
flots  vivifiants  du  Précieux  Sang.  Que  ce  soit  aussi  par  ce  sang 
divin,  invoqué  en  sa  faveur,  que  nous  acquittions  le  devoir  de 
gratitude  qui  nous  reste  sacré ...  Il  est  également  sacré  le  devoir 
d'affectueux  respect  et  de  filiale  soumission  que  nous  avons  à 
remplir  auprès  de  son  successeur.  .  .  Pour  ma  part,  j'aime  à  me 
figurer  Mgr  Decelles  se  présentant  à  nous  comme  revêtu  du  man- 
teau d'Elie.  .  .   Je  lui  ai  écrit  que  nous  voulions  nous  y  abriter 


358  MÈHE  CATHEBINE-ATJBÉLIE 

avec  confiance  et  repos  du  cœur ...  Je  suis  triste  avec  vous,  mes 
chères  filles,  mais  aussi  j'espère  que  vous  êtes  confiantes  avec  moi. 
Oh  !  ne  faisons  toutes  ensemble  qu'un  cœur  et  qu'une  âme  ! 
Voyons  dans  tous  les  événements  des  moyens  de  travailler  à  la 
glorification  du  Précieux  Sang  !  Redisons  le^iat  de  Jésus  ! .  . .  Tout 
pour  la  gloire  du  sang  divin  !  " 

Le  nouveau  pasteur  de  l'Église  de  Saint -Hyacinthe,  qui  remplis- 
sait les  fonctions  d'évêque-coadjuteur  depuis  1893,  et  qui  devenait, 
par  la  mort  de  Mgr  Moreau,  le  premier  supérieur  et  père  en  Dieu 
de  l'institut,  Mgr  Maxime  Decelles,  lui  était  depuis  longtemps 
dévoué.  On  se  rappelle  que,  plusieurs  années  auparavant,  alors 
qu'il  était  curé  de  la  cathédrale,  il  avait  spontanément  signé 
l'un  de  ces  petits  contrats  qui  faisaient  des  amis  de  l'œuvre  ses 
bienfaiteurs.  Né  à  Saint-Damase  le  30  avril  1849,  il  avait  été 
ordonné  prêtre,  après  ses  études  à  Saint-Hyacinthe,  le  21  juillet 
1872.  D'abord  vicaire  à  Saint-Denis  et  à  Belœil,  puis  curé  à 
Saint-Roch  et  à  Sorel,  il  avait  été  sacré  évêque  de  Druzipara  et 
coadjuteur  de  Mgr  Moreau,  le  9  mars  1893.  Le  24  mai  1901,  il 
prenait  la  succession  du  siège  de  Saint-Hyacinthe.  "  Homme  de 
cœur  et  de  talent,  a-t-on  écrit  de  lui,  après  sa  mort,  en  1905,  il 
connaissait  à  merveille,  étant  fils  du  peuple,  l'âme  populaire  et 
aimait  à  se  trouver  en  contact  avec  elle.  Actif  organisateur,  habile 
dans  la  gestion  des  affaires,  affable  et  bon,  il  était  éminemment 
doué  pour  le  ministère  pastoral."  Au  Précieux-Sang,  on  devait 
retrouver  en  lui  un  véritable  père,  un  digne  successeur  de  Mgr 
Joseph  et  de  Mgr  Moreau.  Le  manteau  d'Élie,  comme  parlait 
Mère  Catherine- Aurélie,  irait  bien  au  nouvel  Elisée.  C'est  une 
grâce,  en  effet,  que  le  ciel  accordait  constamment  à  la  communauté, 
de  lui  donner  des  amis  bienveillants  dans  la  personne  de  ses  supé- 
rieurs majeurs. 

Mgr  Falconio,  le  délégué  apostolique,  était  de  ceux-là.  En  toute 
occasion,  Son  Excellence  se  montrait  sympathique.  En  voici,  par 


DE  l'approbation  A  LA  MOBT  DE  LA  FONDATBICB  369 

exemple,  un  témoignage.  La  fondatrice  se  trouvant  à  Ottawa,  sa 
secrétaire  écrit,  de  "  Béthanie  ",  à  la  maison-mère  (18  juin  1901): 
"  Nous  avons  eu  l'honneur,  hier,  de  faire  une  visite  bien  extra- 
ordinaire pour  des  religieuses  cloîtrées.  Ayant  appris  la  présence 
à  "  Béthanie  "  de  notre  Mère  fondatrice,  Mgr  Falconio  l'avait 
invitée  à  l'aller  voir  à  la  délégation,  en  amenant  avec  elle  les 
Sœurs  qu'elle  voudrait.  Son  Excellence  Mgr  le  délégué  a  été  pour 
nous  très  paternel.  Il  nous  a  conduites  partout  dans  sa  maison  et 
il  a  eu  la  gracieuseté  de  nous  donner  à  chacune  une  image  signée  de 
sa  main .  .  .  Cette  heure  trop  courte,  passée  chez  le  représentant  du 
Saint-Père  en  notre  pays,  ne  s'effacera  jamais  de  notre  mémoire." 
Le  6  septembre,  Mère  Catherine-Aurélie  annonçait  par  lettre 
son  retour  à  Saint-Hyacinthe  pour  le  10  et  la  fête  du  14.  "  Je 
termine  aujourd'hui,  disait-elle,  mon  laborieux  travail  du  "  cou- 
tumier  ",  et  je  me  sens  pressée  d'aller  me  reposer  auprès  de  mes 
enfants  du  "  berceau  ",  pour  retremper  mon  âme  avec  vous  dans 
l'adoration  et  l'amour,  en  cette  fête  (celle  du  14  septembre)  pleine 
de  souvenirs  qui  remuent  toutes  les  fibres  de  mon  être  et  me  font 
pleurer  de  reconnaissance ...  A  pareil  jour,  il  y  a  quarante  ans, 
l'institut  du  Précieux-Sang  naissait  dans  l'Église.  La  croix  le 
recevait  dans  ses  bras,  l'inondait  de  ses  grâces .  .  .  Nos  Pères 
fondateurs  bénissaient  ce  petit  arbre,  qu'ils  venaient  d'implanter 
sur  le  sol  fécond  du  calvaire .  .  .  Aujourd'hui,  bien  mieux  qu'il  y  a 
quarante  ans,  notre  bienheureux  Père  (Mgr  Joseph)  peut  nous 
faire  saisir  ce  que  Dieu  veut  de  nous,  ce  que  la  vierge  adoratrice 
doit  être,  ce  qu'il  faut  à  l'épouse  du  crucifié  verser  de  larmes  et 
porter  de  croix  pour  sauver  des  âmes .  .  .  mais  aussi  ce  que  ce 
Dieu  bon  réserve  de  chastes  délices,  de  suave  repos  dans  l'amour 
infini,  d'ineffables  ravissements  et  d'immortelles  ivresses  de 
bonheur.  Oui,  mes  enfants,  écoutons  cette  voix  qui  nous  redit  ces 
heureuses  promesses.  Nos  espérances  en  seront  ravivées  et  nos 
fatigues  comptées  pour  rien.*' 


360 


HÈBE  CATHEBINE-AURÉLIE 


"  Nulle  part  ailleurs,  ajoutait-elle,  une  fois  rendue  au  "  ber- 
ceau ",  à  la  veille  du  14  septembre,  cette  fête  n'aurait  pour  moi, 
cette  année,  autant  de  charmes  qu'ici  !  "  Ce  jour  même  du  quaran- 
tième anniversaire,  on  fit  une  belle  célébration.  Mgr  de  Saint- 
Hyacinthe  —  c'était  maintenant  Mgr  Decelles  —  vint  dire  la 
messe  et  exposer  la  relique  de  la  vraie  croix.  L'autel  étincelait  de 
lumière  et  la  chapelle  était  ornée  des  plus  belles  fleurs .  .  .  Au  dehors 
le  soleil  était  radieux  comme  aux  plus  beaux  jours.  Mgr  l'évêque 
parut  heureux  du  bonheur  de  ses  filles.  La  veille,  on  avait  chanté 
des  vers  à  la  fondatrice.  Ils  étaient  de  la  plume  de  l'une  de  ses 
enfants,  qui  en  a  produit  beaucoup,  qu'on  peut  lire  dans  la  Voix 
et  dans  les  Annales  du  temps.  Citons-en  quelques-uns  : 


Vers  le  beau  ciel,  je  vois,  ô  Mère, 
Se  fixer  ton  œil  bleu  d'azxir. 
Tu  cherches  là-haut  le  bon  Père, 
Dont  le  conseil  était  si  sûr. 
Dans  la  patrie  il  veille  encore 
Sur  l'œuvre  si  chère  à  ton  cœur  ; 
A  tout  instant,  sa  voix  implore. 
Pour  l'institut,  paix  et  bonheur. 

Et  ce  doux  guide  de  ton  âme. 

Le  zélé  Monseigneur  Raymond, 

Père  au  cœur  pur  et  tout  de  flamme, 

A  ton  amour  toujours  répond. 

Sur  ta  famille  virginale. 

Vois-tu  son  regard  s'abaisser  ? 

Sa  lèvre  s'ouvre.  .  .  Un  mot  s'exhale  : 

"  Le  bonheur,  enfants,  c'est  d'aimer  !  " 


Tous  deux,  unis  dans  la  prière, 
Demandent  pour  toi  de  longs  jours  ; 
Et  les  vierges  du  monastère 
A  leurs  vœux  s'unissent  toujours. 
Daigne  le  sang  du  Dieu- Victime 
Féconder  l'œuvre  de  ton  cœur. 
Réaliser  ton  vœu  sublime  : 
Exalter  le  sang  du  Sauveur.  . . 


y 


DE  l'approbation   A  LA  MORT   DE  LA  FONDATRIC»  361 

Dans  son  allocution  à  la  communauté,  la  vénérée  Mère  générale, 
s'inspirant  de  la  fête  du  jour,  rappela  que  c'était  à  l'ombre  du 
crucifix  que  chacune  était  venue  s'abriter  et  devait  se  développer 
et  grandir  moralement.  "  Regardez,  disait-elle,  les  sacrifices  et  les 
immolations  de  chaque  jour  comme  des  clous  que  Notre-Seigneur 
vous  présente  pour  vous  attacher  avec  lui  à  la  croix .  .  .  Aimons 
à  accepter  la  croix,  à  aller  au  devant  d'elle.  C'est  le  moyen  le  plus 
sûr  de  la  trouver  moins  pesante .  .  .  Puisque  nous  l'avons  choisie 
pour  notre  partage,  pourquoi  vis-à-vis  d'elle  n'aurions-nous  pas 
le  courage  d'agir  comme  les  saints  ?..  C'est  aux  pieds  de  cette 
croix  bénie  que  nous  puiserons  en  abondance  des  grâces  pour  nous, 
pour  notre  institut,  pour  nos  maisons,  pour  nos  bienfaiteurs,  et 
aussi  pour  les  pauvres  pécheurs  et  pour  les  âmes  du  purgatoire. 
Ayons  de  la  charité  pour  tous,  si  nous  voulons  que  le  ciel  en  ait 
pour  nous ..." 

On  le  voit,  son  langage  comme  sa  vie  ne  se  démentait  pas. 
Sans  se  lasser,  elle  répétait,  avec  des  mots  nouveaux,  les  mêmes 
avis  et  les  mêmes  conseils.  Ainsi  en  fut-il  au  jour  de  l'an  1902 
et  au  30  avril  suivant,  jour  de  la  Sainte-Catherine  de  Sienne,  sa 
fête  patronale.  "  Oh  !  avec  quelle  ardeur,  disait-elle,  en  cette 
dernière  circonstance,  je  demande  à  Dieu,  mes  chères  filles,  que 
vous  soyiez  de  vraies  adoratrices  et  de  vraies  expiatrices.  Notre 
œuvre  est  commencée,  mais  elle  n'a  pas  encore  atteint  le  degré  de 
perfection  qu'elle  doit  avoir.  Elle  demande  d'autres  sacrifices  et 
d'autres  dévouements  ...  Il  nous  faut  voler  à  la  conquête  des  âmes 
avec  les  ailes  de  la  foi  et  de  la  prière.  Or,  elles  se  forment  et  se  déve- 
loppent, ces  ailes,  à  chaque  instant,  par  la  fidélité,  la  constance 
et  la  générosité  dans  l'obéissance  aux  règles  et  coutumes  qui 
sont  comme  le  ciment  de  notre  petit  institut.  Sainte  Catherine  nous 
fait  une  loi  d'être  de  vraies  filles  de  l'Église.  C'est  lui  rendre  le  meil- 
leur hommage  que  de  chercher  à  l'imiter.  A  son  exemple,  essuyons 
les  larmes  de  notre  sainte  mère  l'Église,  Acceptons,  pour  cela, 


362  MÈBE  CATHEBINE-AURÉUE 

avec  patience,  les  épreuves  et  les  contrariétés.  Tous  les  jours,  nous 
avons  un  chemin  de  la  croix  à  parcourir .  .  .  Sachons  tout  supporter 
dans  des  vues  de  foi.  Ayons  pour  but  principal  de  nous  enrichir 
de  mérites  et  de  contribuer  ainsi  au  salut  des  âmes.  C'est  par  là 
que  nous  ressemblerons  à  notre  glorieuse  patronne.  Aimer  la  croix 
avec  foi  et  persévérance,  même  jusqu'à  l'excès,  voilà  le  rôle  d'une 
vierge  réparatrice.  Que  sainte  Catherine  nous  obtienne  à  toutes 
cette  ferveur  et  ce  courage  ! .  .  .  Tel  est  mon  vœu  en  ce  jour.  Soyons 
ce  que  nos  Pères  fondateurs  ont  désiré  que  nous  soyions,  et  Dieu 
sera  glorifié  en  nous  et  par  nous." 

Vraiment  la  tâche  est  facile  d'édifier  nos  lecteurs  en  écrivant 
une  telle  vie  !  On  n'a  qu'à  puiser  dans  ces  notes  et  souvenirs,  si 
riches,  que  conservent  les  Annales  de  l'institut.  On  n'a  qu'à  citer 
copieusement.  Et  comme  il  est  remarquable,  nous  l'avons  souligné 
plus  d'une  fois,  qu'en  tous  ces  élans  de  ferveur  si  ardents  et  si 
vibrants,  la  plume  ou  la  langue  de  la  fondatrice  reste  pourtant, 
du  point  de  vue  doctrinal,  si  mesurée  et  si  exacte  ! 

Au  cours  de  l'été  1902,  se  négocia  l'importante  affaire  de  la 
fondation  de  la  Havane,  dans  l'île  de  Cuba.  Elle  fut  l'œuvre  de  la 
maison  de  Manchester,  comme  Manchester  avait  été  celle  de  la 
maison  de  Brooklyn,  et,  pour  la  première  fois,  la  vénérée  fondatri- 
ce, dont  les  forces,  hélas  !  diminuaient,  n'alla  pas  en  personne 
présider  à  l'installation  de  cette  maison-fille,  qui  était  la  dixième, 
et  qu'on  plaça  sous  le  vocable  de  la  sainte  croix,  en  espagnol 
"  Santa-Cruz  ".  Mais,  plus  que  toute  autre  peut-être,  cette  fonda- 
tion fut,  pour  Mère  Catherine-Aurélie,  jne  cause  d'inquiétudes 
et  de  soucis.  C'est  Mère  Marie-Sainte-Gertrude,  déjà  fondatrice 
de  Brooklyn  et  de  Manchester,  où  elle  était  encore  supérieure  en 
1902,  qui  s'occupa  immédiatement  des  démarches  à  faire  pour  cet- 
te fondation  de  la  Havane,  dont  elle  fut  aussi  nommée  la  première 
supérieure,  et  où  elle  arriva,  avec  ses  sœurs  missionnaires,  le 
1er  octobre  1902.  Fille  du  baron  de  Vallerot,  qui  avait  figuré  à  la. 


DE  l'approbation  A  LA  MORT  DE  LA  rONOATBICB  363 

cour  de  Louis-Philippe,  et  de  dame  Aimée  Humbert,  Marie-Louise 
de  Vallerot,  née  au  Cap  Vincent  en  1854,  était  entrée  au  Précieux- 
Sang  de  Saint-Hyacinthe  en  1884,  et  elle  avait  fait  profession  le 
14  septembre  1886  sous  le  nom  de  Sœur  Marie-Sainte-Gertrude. 
En  1889,  elle  avait  fondé  Brooklyn,  et,  en  1898,  Manchester. 
C'était  une  femme  pieuse  et  mortifiée,  extraordinairement  active 
et  très  entreprenante.  Les  événements  devaient  établir  plus  tard 
que  ce  n'était  pas  sans  motif  que  la  prudence  de  Mère  Catherine- 
Aurélie  s'était  parfois  alarmée  à  son  sujet.  Chaque  maison,  nous 
le  savons,  était  indépendante  au  Précieux-Sang.  Son  titre  de 
supérieure  générale  donnait  pourtant  à  la  fondatrice  de  Saint- 
Hyacinthe,  nous  ne  l'ignorons  pas  non  plus,  un  certain  droit  de 
surveillance.  Si  pieuse  et  si  mortifiée  que  fut  la  supérieure  de 
Brooklyn,  puis  de  Manchester,  il  nous  semble  bien  que,  dès  ce 
temps-là,  Mère  Catherine-Aurélie  la  suivait  de  loin  avec  quelque 
anxiété.  Nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  plus  de  détails.  Ce  qu'il 
importe  de  retenir  pour  l'histoire  que  nous  écrivons,  c'est  que,  une 
fois  la  fondation  faite  à  la  Havane,  la  supérieure  générale  s'y  atta- 
cha avec  prédilection,  à  ce  point  qu'elle  dénommait  aimablement, 
dans  la  suite,  ses  chères  Cubaines  "  les  benjamines  de  son  cœur  ". 
Les  origines  de  cette  fondation  aux  Antilles  sont  trop  intéres- 
santes pour  que  nous  n'y  insistions  pas  un  peu.  Nous  en  avons  sous 
les  yeux  la  captivante  et  si  édifiante  histoire,  que  nous  sommes 
malheureusement  contraint  de  condenser,  vu  le  cadre  dont  nous 
disposons.  Trois  Cubaines  de  naissance,  toutes  les  trois  de  langue 
espagnole,  Angela  Cidad,  Adela  de  Castro  et  Emiliana  Bellini  — 
nous  pourrions  même  écrire  quatre  au  lieu  de  trois  et  ajouter 
aux  autres  Anna-Maria  de  Castro  (sœur  d'Adela)  entrée  elle  aussi 
au  Précieux-Sang  —  furent  "  les  premières  pierres  vivantes  ", 
selon  la  jolie  expression  de  Mère  Catherine-Aurélie,  de  ce  monas- 
tère de  "  Santa-Cruz  ".  Or,  toutes  les  vocations  de  ces  jeunes 
filles  furent  extraordinaires  et  manifestement  providentielles.  Le 


364  HÈBE  CATHERINE-AUBÉLIE 

jour  de  l'inauguration  de  Brooklyn  (30  avril  1889),  Angela  Cidad, 
attirée  surtout  par  la  réputation  de  sainteté  de  la  fondatrice, 
assista  à  la  cérémonie  et  eut  une  entrevue  avec  la  vénérée  Mère. 
La  jeune  fille,  venue  de  Cuba  faire  son  éducation  chez  les  Dames 
du  Sacré-Cœur  de  Manliattanville  à  New  York,  pensait  à  entrer 
dans  un  Carmel  d'Espagne.  "  Ne  demandez  pas  à  Notre-Seigneur 
d'être  carmélite,  lui  dit  tout  de  suite  Mère  Catherine-Aurélie,  mais 
priez  pour  connaître  et  accomplir  sa  volonté."  Le  14  septembre 
■suivant,  à  l'ouverture  du  noviciat  de  Brooklyn,  Angela  Cidad 
«tait  la  première  entrée  des  quatre  postulantes  admises.  A  sa 
prise  d'habit,  l'année  suivante.  Mère  Catherine-Aurélie,  se 
souvenant  de  son  amour  pour  le  Carmel,  eut  la  délicate  attention 
de  lui  donner  le  beau  nom  de  Sœur  Thérèse-de- Jésus.  A  la  fondation 
de  Manchester,  en  1898,  Sœur  Thérèse-de-Jésus  y  fut  envoyée 
comme  maîtresse  des  novices.  En  1902,  elle  devait  faire  partie 
du  personnel  de  la  mission  de  Cuba,  comme  maîtresse  des  novices 
encore,  puis  devenir,  en  juillet  1904,  au  départ  de  Mère  Sainte- 
Gertrude,  la  première  "  Madré  "  de  "  Santa-Cruz  ".  Une  autre 
Cubaine,  Adela  de  Castro,  qui  n'était  alors  que  postulante,  suivait, 
en  novembre  1898,  Sœur  Thérèse-de-Jésus  à  Manchester.  Elle 
était  venue,  celle-là,  de  la  grande  île,  directement,  après  bien  des 
péripéties,  frapper  à  la  porte  du  monastère  de  Brooklyn,  en  sep- 
tembre précédent.  Elle  prit  le  saint  habit,  l'année  suivante,  au 
"  Cénacle  "  de  Manchester,  et  reçut  le  nom  de  Sœur  Hyacinthe- 
du-Mont-Carmel.  Trois  ans  plus  tard,  sa  jeune  sœur,  Anna- 
Maria  de  Castro,  qui  devait  s'appeler  Sœur  Marie-du-Précieux- 
Sang,  entrait  aussi  au  "  Cénacle  ".  Enfin  le  25  décembre  1901, 
Emiliana  Bellini,  que  son  directeur,  le  Père  Henri  (el  Padre 
Enrique,  carmelita),  avait  dirigée  de  Cuba  vers  le  Précieux-Sang 
de  Manchester,  et  qui  serait  bientôt  Sœur  Marie-du-Carmel, 
prenait  à  son  tour,  au  prix  de  grands  sacrifices,  la  livrée  rouge 
et  blanche.  Toutes  ces  Cubaines  devaient  être  choisies  pour  la 


DB  l'approbation  A  LA  MORT   DE  LA  FONDATRICE  365 

fondation  en  leur  pays.  Seule,  Sœur  Marie-du-Précieux-Sang  se 
trouva,  étant  malade,  incapable  de  s'y  rendre  la  première  année,^ 
et  ne  s'y  rendit  que  l'année  suivante.  Les  trois  autres  firent  pa^tle^ 
en  septembre  1902,  du  pieux  contingent  qui  s'en  allait  fonder, 
sous  le  gai  soleil  de  l'île  —  la  perle  des  Antilles  —  la  maison  de 
"  Santa-Cruz  ". 

Cette  fondation  ne  s'était  pas  décidée  sans  quelques  diflScultés, 
Les  jeunes  filles  venues  de  la  Havane  au  Précieux-Sang  de  Man- 
chester avaient  là-bas  leurs  familles  et  leurs  relations.  Par  les 
échanges  de  lettres,  de  solides  sympathies  pour  l'œuvre  se  for- 
mèrent naturellement  à  Cuba  même.  Les  demoiselles  Isabelle 
Adan  et  Amélia  Perez,  entre  autres,  devinrent  d'ardentes  zéla- 
trices de  l'idée  d'établir  un  monastère  dans  leur  beau  pays.  On 
était  alors  au  sortir  de  la  guerre  hispano-américaine,  dont  Cuba 
avait  été  l'un  des  enjeux.  Mgr  Barnaba,  archevêque  de  Santiago, 
était  en  même  temps  administrateur  apostolique  du  vaste  diocèse 
de  la  Havane.  Sur  l'ordre  de  Rome,  il  était  très  occupé  par  l'affaire 
de  la  division  de  ce  diocèse,  dont  trois,  en  effet,  furent  bientôt  for- 
més, et  par  le  choix  des  "  épiscopables  "  à  présenter  au  Saint-Père. 
Quand  les  deux  amies  Isabelle  et  Amélia  allèrent,  pour  la  première 
fois,  lui  parler  d'une  fondation  du  Précieux-Sang,  il  les  reçut 
plutôt  froidement.  Il  avait  évidemment  des  choses  plus  impor- 
tantes à  régler.  Et  puis,  il  y  avait  déjà,  dans  l'île,  des  Clarisses, 
des  Carmélites,  des  Dominicaines  et  nombre  de  communautés. 
Le  besoin  d'une  œuvre  nouvelle  ne  paraissait  pas  pressant  au 
digne  prélat.  Mgr  Sbarretti,  qui  fut  plus  tard  délégué  apostolique 
au  Canada  et  est  aujourd'hui  cardinal,  avait  ordonné,  alors  qu'il 
était  évêque  de  la  Havane  pendant  la  première  occupation  amé- 
ricaine, pour  des  raisons  d'ordre  supérieur,  que  toutes  les  commu- 
nautés du  diocèse  eussent  à  enseigner  ou,  tout  au  moins,  à  soutenir 
une  maison  d'enseignement.  Mgr  Barnaba  voyait  là,  et  c'était 
assez  plausible,  un  empêchement  à  accepter  à  la  Havane  des 


366  MÈBE  CATHEBINB-AUBÉLIE 

Sœurs  contemplatives  qui,  écrivait  de  Manchester  à  ses  amies 
Sœur  Thérèse-de-Jésus,  ne  pouvaient  pas,  d'après  leurs  consti- 
tutions, s'occuper  d'enseignement.  Si  encore  on  eût  pu  compter 
sur  de  riches  protecteurs  pour  assurer  la  subsistance  matérielle 
d'une  communauté  !  Mais  on  était  plutôt  riche  de  bonne  volonté 
et  de  zèle  que  d'or  et  d'argent.  Le  Père  Henri  (l'ancien  directeur  de 
Sœur  Marie-du-Carmel)  et  le  Père  Gonzalès  Y  Estrada  encoura- 
gèrent nos  zélatrices  à  persévérer  quand  même.  Le  Père  Gonzalès 
Y  Estrada,  qui  était  vicaire  général,  se  fit  surtout  l'avocat  de  la 
cause.  Sur  son  conseil,  le  3  mai  1902,  les  demoiselles  Adan  et  Perez 
et  leurs  amis  se  présentèrent  à  l'évêché  en  délégation  officielle. 
Mgr  Barnaba  les  écouta,  leur  dit  qu'il  ne  pouvait  leur  garantir 
aucune  aide  matérielle,  mais  leur  accorda  cependant  la  permission 
sollicitée,  en  réservant  toutefois  ce  qui  touchait  à  l'enseignement 
à  la  décision  du  nouveau  délégué  du  Saint-Siège,  Mgr  Chapelle. 
Ce  même  jour  du  3  mai,  la  coïncidence  vaut  d'être  notée,  à  Man- 
chester, Sœur  Thérèse-de-Jésus  se  sentait  inspirée  à  sa  commu- 
nion (c'était  le  jour  de  l'Invention  de  la  sainte  croix)  de  demander, 
s'il  se  fondait,  que  le  futur  monastère  s'appelât,  dans  sa  belle 
et  douce  langue,  "  Santa-Cruz  ",  ce  qui,  nous  l'avons  vu,  devait 
lui  être  accordé.  Comme  par  enchantement,  une  à  une,  toutes  les 
difficultés  cessèrent  bientôt.  Mgr  Chapelle,  passant  dans  l'île, 
se  montra  on  ne  peut  plus  bienveillant.  Mgr  Barnaba,  heureux 
de  voir  que  la  question  de  l'enseignement  ne  constituait  pas,  au 
dire  du  délégué  apostolique,  le  grave  empêchement  qu'il  croyait, 
se  fit  plus  conciliant.  Il  accepta  l'offre  que  lui  avait  faite  le  Père 
Gonzalès  Y.  Estrada  d'être  le  confesseur  des  Sœurs  et  de  veiller 
à  leurs  intérêts  matériels.  Quelques  bienfaiteurs  promirent  d'aider 
à  l'œuvre.  D'autre  part,  Mgr  Bradley,  de  Manchester,  mis  au  fur 
et  à  mesure  au  courant  de  toutes  ces  démarches,  se  déclarait 
favorable  à  l'entreprise.  Enfin  le  26  mai,  l'archevêque  de  Santiago 
écrivait  à  "  chère  Sœur  Teresa  "  qu'on  pouvait  venir. 


DE  l'âFPBOBATION  A  LA  UOBT  DE  LA  FONDATBICB  367 

La  fondation  de  la  Havane  se  faisait  par  la  maison  de  Manches- 
ter. Mais  il  convenait  évidemment  à  Mère  Marie-Sainte-Gertrude 
de  se  munir  de  l'autorisation  de  celle  que  le  Saint-Siège  avait 
nommée  supérieure  générale.  De  plus,  Manchester  avait  besoin 
de  trouver,  dans  les  maisons-sœurs,  quelques  sujets,  soit  pour  la 
fondation  nouvelle,  soit  pour  remplacer  au  "  Cénacle  "  celles  qui 
partiraient.  Le  5  juin  1902,  la  supérieure  de  Manchester  et  Sœur 
Hyacinthe-du-Mont-Carmel  arrivaient  donc  à  Saint-Hyacinthe 
pour  demander  cette  autorisation  et  solliciter  ce  secours.  Du 
moment  que  les  évêques  intéressés,  celui  de  Manchester  et  celui 
de  la  Havane,  jugeaient  que  la  chose  se  pouvait  faire  prudem» 
ment.  Mère  Catherine-Aurélie  ne  demandait  pas  mieux  et  elle 
approuva  le  projet.  Comme  il  fallait  surtout  à  Mère  Marie-Sainte- 
Gertrude  des  Sœurs  parlant  bien  l'anglais,  la  fondatrice  lui  conseil- 
la de  s'adresser  à  Toronto,  où  sa  cousine  et  compagne  de  fondation 
de  1861,  Mère  Euphrasie-de-Saint-Joseph  était,  nous  l'avons  dit, 
redevenue  supérieure.  Les  deux  Sœurs  de  Manchester  firent  donc 
le  voyage  de  Toronto.  Elles  obtinrent  les  sujets  qu'elles  deman- 
daient et  retournèrent  tout  de  suite  à  leur  propre  monastère. 
Le  24  juin.  Mère  Euphrasie-de-Saint-Joseph  passait  à  Saint- 
Hyacinthe,  en  route  pour  Manchester,  où  elle  conduisait  cinq 
de  ses  religieuses  qui  se  dévouaient  à  l'œuvre  en  formation.  Les 
pourparlers  et  les  arrangements  se  poursuivirent,  et,  le  2  septem- 
bre, la  supérieure  du  "  Cénacle  "  écrivait  à  la  Mère  fondatrice 
que  tout  était  réglé  et  qu'une  dizaine  de  Sœurs,  dont  elle-même 
comme  supérieure,  avaient  été  choisies  pour  la  fondation  de 
"  Santa-Cruz  ",  choix  que  Mgr  Bradley  avait  approuvé.  Elle 
invitait  naturellement  Mère  Catherine-Aurélie  à  aller  bénir  ces 
"  missionnaires  "  avant  leur  départ.  La  vénérée  fondatrice,  que 
l'âge  et  les  souffrances  affaiblissaient  trop,  ne  put  pas,  nous 
l'avons  dit,  se  rendre  à  ce  désir.  Mais  nous  tenons  à  bien  noter 
que    Mère    Euphrasie-de-Saint-Joseph    demeura    à    Manchester 


368  MÊBE  CATHERINE- AUBÉLIE 

jusqu'après  le  départ  des  missionnaires  pour  Cuba  (27  septembre). 
Elle  ne  revint  à  Saint-Hyacinthe  que  le  16  octobre.  C'est  elle  qui 
bénit  les  partantes  au  nom  de  la  fondatrice.  De  Saint-Hyacinthe, 
elle  repartit  pour  son  monastère  de  "  Mount  Olivet  "  le  20  octobre. 
Les   "  missionnaires  "   désignées  pour  la  Havane   étaient  les 
suivantes  :  Mère  Marie-Sainte-Gertrude,  supérieure  ;  Sœur  Saint- 
Paul-de-la-Croix,   assistante  ;  Sœur  Thérèse-de-Jésus,   maîtresse 
des  novices  ;  Sœur  Hyacinthe-du-Mont-Carmel  ;  Sœur  Marie-du- 
Précieux-Sang,  Sœur  Catherine-de-Jésus  ;  Sœur  Marie-du-Carmel, 
bientôt  dépositaire  ;  et  les  Sœurs  Séraphine-de-Jésus,  Marie-de- 
Jésus,   Saint-Bernard,    Evangéline  et   Stanislas.   Leur  chapelain 
de  Manchester,  le  Père  Delaney,  qui  succéderait  deux  ans  plus 
tard  à  Mgr  Bradley,  les  accompagnait  dans  le  voyage,  au  cours 
duquel  elle  s'arrêtèrent  à  Brooklyn.  On  prit  la  mer  le  27  septembre. 
"  Tout  dans  la  nature,  écrit  l'annaliste,  avait,  ce  matin-là,  un 
air  de  fête  et  d'allégresse.  Brillant  soleil,   douce  chaleur,    jusqu'à 
la  mer  qui,,  transparente  et   calme,   promettait  d'être  douce  et 
bonne  à   celles   qui  se  confiaient   à   ses   vagues ...  "   Disons   en 
quelques  mots  que,  là-bas,  les  vierges  du  Précieux-Sang  furent 
reçues  comme  des  anges  de  paix,  et,  en  ce  lendemain  de  guerre, 
comme  un  arc-en-ciel  après  l'orage.  En  juillet  1904,  Mère  Marie- 
Sainte-Gertrude  ayant  été  obligée  de  retourner  aux  États-Unis, 
elle  fut  remplacée  par  Sœur  Thérèse-de-Jésus.  D'octobre  à  mars, 
en  1902-1903,  la  communauté  de  "  Santa-Cruz  "  vécut  dans  un 
monastère  bien  petit.  Au  mois  de  mars,  on  s'installa  mieux.  Le  Père 
Gonzalès  Y  Estrada  fut  l'ami  par  excellence  des  filles  du  Précieux- 
Sang.  Le  28  octobre  1903,  anniversaire  du  sacre  de  Mgr  Joseph 
LaRocque  en   1852,    ce  digne  prêtre  était  sacré    évêque  de  la 
Havane.  En  apprenant  tout  ce  que  le  dévoué  et  vénéré  prélat 
continuait  de  faire  pour  les  "  benjamines  de  son  cœur  ",  Mère 
Catherine-Aurélie  le  rapprochait  volontiers  de  Mgr  Joseph.  Que 
pouvait-elle  faire  de  plus  pour  marquer  son  estime  ?  De  son  côté^ 


DE  L  APPROBATION  A  LA  MORT  DB  LA  FONDATRICE 


369 


nous  assure-t-oii;  Mgr  Gonzalès  Y  Estrada,  le  premier  fils  de 
Cuba  élevé  à  la  dignité  épiscopale,  garde  un  vrai  culte  à  la  mémoire 
de  la  fondatrice  du  Précieux-Sang.  Les  grandes  âmes  se  compren- 
nent toujours  mieux  que  d'autres.  En  mai  1905,  alors  que  la  véné- 
rée fondatrice  était  aux  prises  avec  les  approches  de  la  mort,  Sœur 
Thérèse-de-Jésus  et  Sœur  Marie-du-Carmel  (Angela  Cidad  et 
Emiliana  Bellini)  vinrent  jusqu'à  Saint-Hyacinthe  pour  lui 
rendre  hommage  au  nom  de  "  Santa-Cruz  "  et  de  Mgr  Gonzalès 
Y  Estrada.  Elles  demandèrent  à  la  supérieure  mourante  de  leur 
accorder  une  religieuse  de  la  maison-mère,  et  Sœur  Thérèse-de- 
Marie  fut  donnée  à  Mère  Thérèse-de-Jésus.  A  la  page  du  13  mai 
1905,  il  y  a,  dans  les  Annales  de  Saint-Hyacinthe,  des  lignes  bien 
touchantes  sur  le  départ  de  ces  deux  Thérèses  !  Mais,  déjà,  nous 
débordons  le  cadre  de  notre  histoire  générale .  .  .  Revenons  à  1902. 
Le  9  décembre  de  cette  année,  les  cinq  ans  étant  expirés  depuis 
l'élection  de  1897  qui  avait  mis  Mère  Véronique-de-la-Passion 
à  la  place  de  Mère  Catherine-Aurélie  comme  supérieure  locale  de 
Saint-Hyacinthe,  on  devait,  pour  se  conformer  aux  règles  du  droit 
et  de  l'institut,  procéder  à  un  scrutin  général.  Les  élections  eurent 
lieu  sous  la  présidence  de  l'évêque  diocésain,  Mgr  Decelles.  Le 
résultat,  pour  ce  qui  était  de  la  supérieure,  en  fut  incertain.  Les 
trois  scrutins  réglementaires  ne  donnèrent  la  majorité  voulue  à 
aucune  des  Sœurs  électives  et  éligibles  par  le  fait  même.  Les  voix 
se  partageaient,  semble-t-il,  entre  la  supérieure  sortant  de  charge, 
Mère  Véronique-de-la-Passion,  et  la  fondatrice  et  supérieure 
générale,  Mère  Catherine-Aurélie.  D'aucuns  s'étonneront  peut- 
être  que  toutes  les  voix  ne  se  soient  pas  portées  tout  de  suite  sur 
le  nom  de  celle  que  toutes  vénéraient  comme  une  sainte  autant 
que  comme  une  mère.  C'est  pourtant  bien  humain.  D'ailleurs, 
la  fondatrice  restait  toujours  supérieure  générale.  On  la  voyait 
s'affaiblir.  Beaucoup  sans  doute  voulaient  lui  épargner  les  soucis 
souvent  lourds  de  l'administration  du  monastère.  Toujours  est-il 


370  HÈBE  CATHEBINB-AUBÉLIB 

que  les  votes  se  partageaient.  A  une  supérieure  sortant  de  charge, 
il  faut,  pour  être  réélue,  les  deux-tiers  des  suffrages  donnés.  La 
loi  ou  la  discipline,  fixée  par  les  saints  canons,  le  veut  ainsi.  Le 
cas  était  clair  pour  Mère  Véronique-de-la-Passion.  Il  Tétait  moins 
pour  Mère  Catherine-Aurélie,  qui  n'était  pas  supérieure  sortant 
de  charge  mais  qui  était  toujours,  exceptionnellement,  supérieure 
générale.  Mgr  Decelles,  constatant  que  le  scrutin  ne  donnait  les 
deux-tiers  ni  à  l'une  ni  à  l'autre,  régla  que  l'assistante  élue,  Mère 
Marie-du-Saint-Esprit,  gouvernerait  la  communauté  en  attendant 
que  Rome  se  fut  prononcé  sur  le  cas  de  l'élection  de  la  supérieure. 
Le  26  janvier  1903,  la  réponse  de  Rome,  datée  du  10,  arriva,  qui 
disait  :  "  Ayant  pesé  toutes  les  circonstances  dans  lesquelles  se 
trouvent  actuellement  les  dites  Sœurs,  cette  Sacrée  Congrégation 
croit  devoir  nommer  à  la  charge  de  supérieure  du  dit  institut,  et,  en 
effet,  nomme  par  les  présentes,  la  Sœur  fondatrice  du  dit  institut. 
Sœur  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang. —  (signé)  Fr.  Jérôme- 
Marie,  card.  Gotti,  préfet  —  Louis  Veccia,  secrétaire."  Les  autres 
dignitaires  désignées  au  scrutin  du  9  décembre  1902  étaient  : 
Mère  Marie-du-Saint-Esprit,  assistante  ;  Sœur  Marie-Jeanne-de- 
Chantal,  maîtresse  des  novices  ;  Sœur  Thérèse-de-Jésus,  déposi- 
taire, et  les  Sœurs  Marie-de-l'Assomption,  Véronique-de-la-Pas- 
sion et  Marie-Saint-David,  conseillères. 

Mère  Catherine-Aurélie  reprit  donc  sur  ses  épaules  affaiblies 
par  l'âge  et  les  souffrances  le  poids  de  l'administration  du  monas- 
tère-berceau. Des  félicitations  lui  vinrent  de  toutes  parts,  ses 
filles  plus  que  jamais  se  pressèrent  autour  d'elle,  Dieu  surtout  la 
soutint.  Les  fêtes  de  la  Saint-Joseph,  le  19  mars,  de  la  Sainte- 
Catherine,  le  30  avril,  du  Précieux-Sang,  le  5  juillet,  de  son  anni- 
versaire, le  11  juillet,  furent  autant  d'occasions,  l'annaliste  en 
témoigne,  pour  ses  vierges  du  cloître  de  lui  manifester  leurs  bons 
sentiments.  En  leur  parlant  du  chapelet  du  Précieux-Sang,  dans 
une  lettre  qui  fut  adressée  vers  ce  temps  à  tous  les  monastères. 


I 


DE  l'aPPBOBÂTION  à  LA  MOBT  DE  LA  FONDATBICB  371 

elle  disait  :  "  Vierges  du  Précieux-Sang,  vous  dont  les  vêtements 
portent  les  symboles  de  la  passion  du  Christ,  vous  dont  la  blanche 
robe  est  recouverte  d'un  scapulaire  couleur  de  sang,  vous  qui  êtes 
ceintes  de  la  pourpre  du  sang  divin,  oh  !  veillez  et  priez  !  Tant 
d'âmes  sont  plongées  dans  le  sommeil  du  péché  et  ne  songent  pas 
aux  sources  de  miséricorde  qui  leur  sont  toujours  ouvertes  !  A 
vous,  vierges  du  cloître,  de  les  éveiller  par  vos  prières  et  vos  morti- 
fications ...  de  les  exciter  et  de  les  presser  de  se  jeter  dans  les 
flots  du  Précieux  Sang  qui  blanchissent  et  purifient ..." 

Le  20  juillet,  les  Annales  enregistrent  la  mort  du  pape  Léon  XIII 
et,  le  3  août,  l'élection  de  son  successeur  Pie  X.  L'institut  de 
Saint-Hyacinthe  devait  au  pontife  du  rosaire  de  Marie  et  des 
questions  sociales  sa  propre  vie  canonique.  On  s'inclina  avec  un 
respect  profond  devant  sa  tombe.  Un  grand  service  funèbre  fut 
célébré  dans  la  chapelle  pour  le  repos  de  son  âme.  Au  nouveau 
pape,  qui  reprenait  le  nom  du  doux  Pie  IX,  le  pape  de  l'Immaculée- 
Conception  et  de  l'infaillibilité,  l'annaliste  de  la  communauté 
offre  l'hommage  de  la  soumission  et  de  l'amour  filial  de  toutes  ses 
sœurs. 

On  était,  ce  14  septembre  1903,  au  quarante-deuxième  anniver- 
saire de  la  fondation  de  l'institut.  Née  en  1833,  la  fondatrice  était 
maintenant  septuagénaire.  Aux  vœux  que  lui  présentaient  ses 
chères  filles.  Mère  Catherine-Aurélie  répondit  en  reprenant  le 
refrain  si  familier  à  ses  lèvres  sur  l'abnégation  et  l'esprit  de 
sacrifice  :  *'  Exalter  la  croix,  leur  disait-elle,  est  pour  nous  un 
devoir  sacré .  .  .  Nous  l'accomplirons  ce  devoir  en  portant  joyeu- 
sement les  petites  croix  qui  se  présentent  chaque  jour.  .  .  tantôt 
dans  les  obédiences  qui  nous  sont  imposées,  tantôt  dans  le» 
obligations  de  la  vie  commune .  .  .  Notre-Seigneur  est  toujours 
à  nos  côtés  nous  demandant  de  l'aider  à  porter  sa  croix  en  accep- 
tant joyeusement  les  nôtres.  Refuserons-nous  ce  service  à  l'époux 
de  nos  âmes,  ô  mes  filles  ?  .  .  .  En  ce  jour  béni,  qui  a  vu  naître  notre 


372  MÈBE  CATHEBINB-AUBÉLIB 

institut  il  y  a  quarante-deux  ans,  renouvelons  nos  serments  de 
fidélité,  de  constance  et  de  générosité ..."  —  "Et  notre  vénérée 
Mère,  continue  l'annaliste,  appelant  sur  nos  âmes  les  brûlantes 
effusions  du  sang  divin,  nous  bénit  par  la  main  de  nos  bienheureux 
Pères  fondateurs  et  nous  invita  à  passer  la  journée  dans  l'allégresse 
et  l'exaltation  !  " 

L'amour  ne  connait  qu'un  mot,  selon  la  pensée  profonde  de 
Lacordaire,  et,  en  le  redisant  sans  cesse,  il  ne  se  répète  pas.  En 
1904  comme  en  1903,  Mère  Catherine-Aurélie,  laissant  s'épancher 
son  cœur  dans  celui  de  ses  filles,  redisait  ainsi  les  mêmes  choses 
sans  pourtant  se  répéter.  "  Mes  filles,  disait-elle  au  1er  de  l'an 
1904  —  l'avant-dernière  année  !  —  ,  je  vous  souhaite  une  année 
d'amour.  A  maintes  reprises,  aujourd'hui,  mon  esprit  s'est  élevé 
vers  nos  bienheureux  Pères  fondateurs  et  je  les  priais  de  m'inspirer 
ce  que  je  devrais  vous  dire  en  ce  moment.  Toujours  ce  mot  se 
présentait  à  mes  lèvres  :  "  Année  d'amour,  année  d'amour  !  " 
Laissez-vous  guider  par  ce  principe  régénérateur  de  toute  œuvre, 
et  tous  les  jours  de  cette  année  seront  des  jours  pleins,  des  jours 
précieux  devant  Dieu,  des  jours  qui  vous  mériteront  là-haut  une 
gloire  infinie." 

Le  6  janvier,  un  télégramme,  venu  de  la  Havane,  apportait  à 
la  vénérée  Mère  une  bien  douce  consolation.  C'était  l'annonce 
de  l'inauguration  dans  la  chapelle  de  la  dernière-née  de  ses  maisons- 
filles,  "  Santa-Cruz  ",  de  la  garde  d'honneur  du  Précieux-Sang, 
et  le  télégramme  était  signé  "Pierre,  év.  de  la  Havane."  Comme 
on  était  loin  de  la  modeste  chambrette  de  la  maison  Caouette 
de  1861!  Dix  monastères  étaient  sortis,  en  somme,  de  ce  bien! 
pauvre  petit  cénacle,  dont  trois  aux  États-L^nis  et  un  aux  Antilles 
Bientôt,  toutes  les  constitutions  et  règles,  approuvées  par  Rome, 
puis  les  règles  secondaires  et  les  directoires  des  officières,  le  manuel 
du  Précieux-Sang  et  les  livres  pieux  des  Pères  fondateurs  seraient 
traduites  ou  traduits  en  espagnol  comme  en  anglais.  L'esprit  de 


DE  l'approbation  A  LA  MOKT   DE  LA  FONDATBICE  373 

Mgr  Raymond,  de  Mgr  LaRocque  et  de  Mère  Catherine-Aurélie 
était  déjà,  et  serait  toujours,  en  honneur,  dans  toutes  ces  maisons, 
comme  à  Saint-Hyacinthe.  Le  sang  de  Jésus  avait  donc  admira- 
blement fait  fructifier  le  modeste  grain  de  sénevé  jeté  en  terre  en 
1861.  Quelle  plus  belle  réponse  le  ciel  pouvait-il  donner  à  la  soif 
de  souffrances  et  d'expiations  de  la  vénérée  fondatrice!  Non  plus 
seulement  au  Canada  français,  mais  dans  les  provinces  anglaises 
du  pays,  mais  aux  États-Unis  jusqu'au  lointain  Orégon,  et  même 
jusqu'aux  plages  ensoleillées  de  la  grande  île  à  la  douce  langue, 
le  sang  de  Jésus  était  glorifié  pour  le  salut  des  âmes  pécheresses  ! 
Mère  Catherine-Aurélie  pouvait  maintenant  penser  à  mourir. 
Son  œuvre  était  bien  solidement  établie. 

La  fête  du  Précieux  Sang  tombait,  cette  année-là,  le  3  juillet 
(elle  se  célébrait  toujours  alors  le  premier  dimanche  de  ce  mois). 
C'était  en  pareille  occurence,  dix-sept  ans  auparavant,  que  le 
pieux  Mgr  Raymond,  l'apôtre  de  la  dévotion  au  sang  divin  au 
Canada,  avait  pris  son  essor  vers  le  ciel.  "  Nos  Pères  bien-aimés 
sont  disparus,  remarque  l'annaliste,  mais  notre  Mère  mille  fois 
chère  est  là  encore  pour  nous  guider .  .  .  Voici  quelques-unes  des 
pensées,  venues  de  son  cœur,  tout  embrasé  d'amour  du  sang  divin, 
qui  sont  tombées  de  ses  lèvres  aujourd'hui  à  notre  adresse  :  "  Peti- 
tes vierges  du  Seigneur,  mes  filles  bien-aimées,  venez  avec  moi  à  la 
source  la  plus  pure  et  la  plus  suave,  à  la  source  du  sang  de  Jésus. 
Venez  vous  jeter  sur  le  cœur  de  l'époux  crucifié .  .  .  Venez  y  baigner 
vos  âmes  et  toutes  vos  facultés  ...  Je  m'y  plonge  moi-même,  dans 
cette  mer  empourprée .  .  .  Oh  !  puisse  la  vertu  divine  de  ce  sang 
étendre  nos  âmes,  les  élargir,  les  enflammer  de  charité  et  les  faire 
s'élever  toujours  dans  les  voies  crucifiantes  que  nous  ont  tracées 
nos  bénis  Pères  en  nous  enrôlant  sous  le  drapeau  rouge  et  blanc 
des  vierges  réparatrices ..." 

En  septembre  1904,  M.  l'abbé  Roy  succéda  à  M.  l'abbé  Dion  dans 
les  fonctions  d'aumônier  du  Précieux-Sang  de  Saint-Hyacinthe. 


374  KiiBB  CATHERINB-ÂUBÉLIE 

C'est  lui  qui  devait  avoir  le  triste  privilège  d'assister  la  vénérée 
fondatrice  à  ses  derniers  moments  au  mois  de  juillet  1905. 

Le  14  de  ce  même  mois  de  septembre,  quarante-troisième  anni- 
versaire de  la  fondation,  ce  fut  sans  doute  jour  de  fête,  comme  le 
voulait  la  tradition.  Mais  les  Annales  enregistrent  que,  de  plus  en 
plus,  la  vénérée  fondatrice  ploie  sous  le  poids  des  douleurs  physi- 
ques et  morales.  "  Elle  n'a  pu,  écrit  l'annaliste,  adresser,  selon 
son  habitude,  la  parole  à  la  communauté  réunie.  Cependant,  à 
celles  qui  tour  à  tour  ont  eu  la  faveur  de  s'approcher  d'elle,  elle  a 
fait  entendre  de  bien  belles  exhortations  !  Le  sang  de  Jésus,  sa 
croix,  n'est-ce  pas  là  tout  pour  notre  vénérée  Mère  !  "  Et  l'anna- 
liste reproduit  quelques  lignes  de  la  lettre  circulaire  adressée  ce 
14  septembre  1904  —  le  dernier  de  sa  vie  —  par  Mère  Catherine- 
Aurélie,  aux  différentes  maisons  de  l'institut.  Nous  les  citons, 
nous  aussi,  et  nous  terminons  par  cette  citation  ce  chapitre  de  sa 
vie  qui  nous  conduit  jusqu'à  sa  dernière  maladie  et  jusqu'à  sa 
mort,  que  nous  raconterons  en  détail  au  chapitre  suivant  :  "  Au 
pied  de  la  croix,  sous  la  rosée  vivifiante  du  sang  divin,  écrivait 
donc  la  fondatrice  à  toutes  ses  filles  en  ce  dernier  14  septembre 
qu'elle  vécut,  que  de  jouissances  intimes  nous  pouvons  goûter  ! 
Combien  je  sens  l'efficacité  de  la  croix  de  Jésus,  quand  je  vois 
toutes  les  vocations  religieuses  qu'elle  a  fait  germer  et  dont  elle  a 
embelli  ma  solitude,  en  faisant  de  toutes  mes  filles  autant  d'apôtres 
qui  ont  aidé  ou  qui  aident  à  la  réalisation  de  mon  rêve  :  "  Glorifier 
le  sang  de  Jésus  et  sauver  les  âmes  !  " 

A  ce  moment,  l'institut  du  Précieux-Sang  comptait  environ 
320  religieuses,  dont  60  à  la  maison-berceau  et  260  dans  les  dix 
maisons-filles. 


CHAPITRE  XIII 


Dernière  maladie  et  mort  de  la  fondatrice,  divers  éloges 
(janvier- juillet  1905) 

Sommaire. —  Longue  agonie. —  La  fondation  de  Joliette  est  décidée. —  Crise  du 
15  mars,  arrivée  des  Sœurs  des  maisons-filles. —  Derniers  sacrements. — 
Sympathies. —  Les  Sœurs  de  la  Havane. —  Le  vendredi-saint  1905. —  Mgr 
Bégin  annonce  la  fondation  de  Lévis. —  Crise  du  13  mai. —  Nouvelles  crises 
à  la  fin  de  juin. —  Maladie  de  l'évêque. —  Mort  de  Mère  Catherine- 
Aurélie. —  Mort  de  Mgr  Maxime  Deceiles. —  Exposition  des  restes  mortels. — 
Condoléances. —  Mgr  l'archevêque  Bruchési. —  Lettre  posthume  de  Mgr 
Décolles  communiquée  par  Mgr  Bernard. —  Mise  en  cercueil. —  Funérailles. — 
L'acte  de  sépulture. —  Les  Sœurs  venues  rendre  les  derniers  hommages 
retournent  à  leurs  monastères  respectifs. —  Visite  de  Mgr  Bernard. —  Note 
au  sujet  du  nouvel  évêque  de  Saint-Hyacinthe. —  Allusion  de  Mgr  Brunault 
à  la  fondatrice  au  cours  de  l'éloge  funèbre  de  Mgr  Deceiles. —  Articles  de 
journaux. —  La  Semaine  religieuse  de  Montréal. —  L'Ave  Maria  de  Notre- 
Dame  (Indianapolis). —  Le  Rosaire  des  Dominicains. —  Discours  de  Mgr 
Brunaidt  aux  noces  d'or  de  l'institut  (1911). 


.A  mort  de  Mère  Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang, 
qui  arriva  le  6  juillet  1905,  fut  comme  précédée  d'une 
longue  et  douloureuse  agonie.  Depuis  cette  date  du 
14  septembre  1904,  où  nous  l'avons  une  fois  de  plus 
entendue,  en  terminant  le  chapitre  qui  précède,  parler 
des  jouissances  intimes  qu'on  goûte  aux  pieds  de  la  croix 
et  proclamer  que  le  rêve  de  sa  vie,  qui  avait  été  de  glorifier 
le  sang  de  Jésus  et  de  sauver  les  âmes,  était  réalisé  par  l'esprit 
d'apostolat  dont  elle  voyait  ses  filles  animées,  jusqu'aux  premiers 
jours  de  janvier  de  cette  année  1905,  au  cours  de  laquelle  elle 
devait  mourir,  les  Annales  du  monastère  de  Saint-Hyacinthe 
n'enregistrent  à  peu  près  aucun  fait  saillant.  La  vie  de  la  commu- 
nauté se  continuait,  semble-t-il,  régulière  et  semblable  à  elle- 


376  MÈBE  CATHERINE- AT7RÉLIE 

même.  C'était,  phénomène  souvent  sensible  dans  la  nature  pour 
la  vie  des  hommes  aussi  bien  que  pour  la  vie  des  choses,  comme  un 
grand  calme  qui  annonçait  la  venue  de  graves  événements. 

Dès  les  premiers  jours  de  janvier  1905,  la  vénérée  fondatrice 
parut  extraordinairement  frappée  de  l'idée  de  sa  mort  prochaine. 
Elle  n'était  cependant  pas  beaucoup  plus  faible  que  d'habitude, 
mais  elle  disait  souvent  à  la  religieuse  qui  l'assistait  de  ses  soins 
personnels  depuis  longtemps.  Sœur  Marie-du-Calvaire  :  "  Je 
vais  mourir  bientôt." —  "  Mais  êtes-vous  plus  malade  qu'à 
l'ordinaire  ?  "  demandait  la  Sœur.  "  Non,  mais  je  sais  que  je  vais 
mourir  cette  année."  Et  la  dévouée  Marie-du-Calvaire  avait  beau 
insister  pour  rassurer  la  vénérée  Mère  ou  pour  en  savoir  davantage, 
elle  n'obtenait  que  ces  mots,  dits  tout  doucement,  sans  affecta- 
tion, mais  avec  assurance  :  "  Je  vais  mourir." 

La  retraite  de  février  fut  prêchée,  cette  année-là,  par  l'éloquent 
Père  Hage,  alors  prieur  et  plus  tard  provincial  des  Dominicains. 
Sa  belle  parole,  où  l'onction  le  disputait  à  l'ardeur  entraînante, 
fit  sur  toutes  les  Sœurs  une  profonde  impression.  La  fondatrice, 
en  particulier,  la  goûta  avec  suavité. 

Le  11  mars,  un  samedi,  une  lettre  du  premier  évêque  de  Joliette, 
Mgr  Archambeault,  vint  apporter  une  grande  joie  au  cœur  de  la 
vénérée  malade.  A  la  suite  de  pourparlers  qui  duraient  depuis 
quelque  temps,  une  fondation  du  Précieux-Sang  allait  se  faire 
dans  la  jolie  petite  ville,  née  par  l'initiative  de  Barthélémy 
Joliette  en  1823,  et  dont  les  Clercs  de  Saint-Viateur,  appelés  là 
en  1847  par  Mgr  Bourget,  ont  assuré  la  prospérité.  Mgr  Archam- 
beault l'annonçait  officiellement.  "  Notre  vénérée  Mère  fonda- 
trice, écrit  l'annaliste,  qui  est  plus  souffrante  en  ces  derniers  jours, 
s'offrait  sans  doute  de  toute  l'ardeur  de  son  âme  à  Jésus  crucifié 
pour  la  réussite  de  ce  projet ...  La  lecture  de  la  lettre  de  Mgr  de 
Joliette  s'est  faite  à  la  salle  de  communauté,  et  c'est  à  genoux, 
sur  la  demande  de  notre  Mère,  que  nous  l'avons  écoutée ..." 


DERNIÈRE  MALADIE  ET  MORT   DE  LA  FONDATRICE  377 

Le  15  mars,  l'annaliste  écrit  :  "  La  santé  de  notre  Mère  nous 
inquiète ...  La  bronchite  dont  elle  souffre  périodiquement  s'était 
accentuée  au  dernier  jour  de  notre  retraite.  .  .  La  fièvre  persiste, 
la  toux  devient  plus  forte,  une  sorte  de  prostration  s'est  emparé 
d'elle .  .  .  Une  consultation  de  ses  médecins  s'est  terminée  par  ce 
verdict  alarmant  :  "  Bronchite  asthmatique  aiguë .  .  .  Affection 
au  cœur."  Nous  commençons  une  neuvaine  au  Précieux  Sang,  les 
bras  en  croix.  Notre  aimée  malade  est  calme  et  résignée,  bien  qu'elle 
paraisse  absorbée  par  l'idée  que  son  éternité  est  proche.  Après 
avoir  apposé  aujourd'hui  sa  signature  à  un  acte  officiel,  elle  a  dit  : 
"  J'ai  signé  en  présence  de  la  mort." 

Le  cas,  on  le  voit,  était  sérieux.  On  prévint  les  diverses  maisons- 
filles,  et,  avec  l'autorisation  des  évêques,  de  chacun  des  monas- 
tères qui  lui  devaient  la  vie,  des  déléguées,  choisies  parmi  les  plus 
anciennes,  se  rendirent  à  Saint-Hyacinthe.  Les  premières  arrivées 
furent  Mère  Euphrasie-de-Saint-Joseph,  de  Toronto,  et  Mère 
Marie-Immaculée,  d'Ottawa .  .  .  Les  supérieures  d'Orégon  et  de 
Cuba,  comme  il  était  naturel,  vu  la  distance  à  franchir,  ne  purent 
se  rendre  qu'à  la  mi-avril.  Notons  qu'il  en  vint  ainsi  jusqu'à 
trente-six.  Dès  le  27  mars,  on  jugea  prudent  d'administrer  à  la 
malade  les  derniers  sacrements.  On  comprend  l'émoi  de  ses  filles. 
"  La  chambre  de  notre  Mère  étant  trop  étroite  pour  nous  contenir 
P  toutes,  dit  l'annaliste,  quelques-unes  d'entre  nous  seulement  y  pé- 
nètrent. Les  autres  se  rangent,  partie  dans  le  grand  passage,  partie 
dans  la  salle  de  communauté.  Le  spectacle  est  beau  et  attendrissant 
de  cette  phalange  de  vierges,  vêtues  de  rouge  et  de  blanc,  portant 
à  la  main  un  cierge  allumé.  On  dirait  autant  d'étoiles  scintillantes 
formant  couronne,  emblème  de  celle  qui  attend  là-haut  notre 
Mère.  .  .  M.  l'aumônier  (c'était  M.  l'abbé  Roy),  montrant  à  la 
chère  malade  le  crucifix  doré  de  notre  Père  fondateur,  lui  rappelle 
que  c'est  pour  ce  divin  crucifié  qu'avec  nos  regrettés  Pères  elle  a 
tant  travaillé  à  la  diffusion  du  Précieux-Sang .  .  .  Notre  Mère  ne 


378  MÊBE  CATHERINE-AURÉLIE 

dit  pas  un  mot.  Pendant  qu'on  lui  fait  les  saintes  onctions,  elle 
suit  avec  calme  l'impressionnante  cérémonie  et  sur  sa  figure  se 
reflètent  des  sentiments  de  confiance  et  de  piété  profonde ..." 

Ce  n'était  pourtant  encore  qu'une  alerte,  mais  combien  doulou- 
reuse pour  ses  aimantes  filles.  De  partout,  les  témoignages  de 
sympathies  arrivèrent.  On  exhortait  les  Sœurs  à  faire  violence  au 
ciel.  On  chantait  la  louange  de  leur  Mère.  Les  délégués  apostoliques 
d'Ottawa  et  de  Washington,  les  archevêques  et  les  évêques,  les 
prêtres  et  les  supérieurs  d'ordre,  tous  promettaient  de  s'unir 
devant  Dieu  aux  religieuses  éprouvées ...  "  Pauvre  chère  Mère 
fondatrice  !  écrivait  un  prêtre.  Est-ce  le  bout  ?  Dieu  seul  le  sait  ! 
Mais  comme  ce  doit  être  pour  elle  un  grand  bonheur  de  voir  ses 
filles  en  ce  moment  réunies  autour  d'elle ..."  Et  c'était  vrai. 
"  Ce  qui  est  encore  peut-être  plus  touchant,  continuait  l'annaliste, 
c'est  l'aflSuence  de  personnes  qui  se  présentent  au  parloir  ou  qui 
nous  écrivent  pour  demander  des  reliques  de  "la  sainte  Mère 
Caouette  ",  comme  elles  disent.  .  .  Et  pendant  qu'au  dehors  on  dit 
de  notre  Mère  des  choses  merveilleuses,  elle  est  clouée,  elle,  sur 
son  lit  de  souffrances,  et  semble  abîmée  dans  des  sentiments 
d'humilité  et  de  componction  ..." 

L'arrivée  de  ces  déléguées  venues  des  maisons-filles,  chaque  fois 
qu'elle  se  produisait,  était  une  source  d'émotions  nouvelles  pour 
la  communauté  et  surtout  pour  la  vénérée  malade.  Elle  pouvait 
extérieurement,  réduite  qu'elle  était  à  un  grand  état  de  faiblesse, 
paraître  indifférente.  Mais  son  esprit  toujours  lucide  et  son  cœur 
toujours  aimant  comprenaient  et  souffraient.  Dieu  permit  qu'elle 
éprouvât  une  amélioration  sensible  vers  le  20  avril.  La  pneumonie, 
disaient  les  médecins,  était  enrayée.  Mais  ils  redoutaient  toujours 
l'affection  cardiaque  qui  la  minait.  Sur  ces  entrefaites,  les  Sœurs 
de  Cuba,  Mère  Thérèse-de-Jésus  et  Sœur  Marie-du-Carmel, 
arrivèrent  à  Saint-Hyacinthe.  Ce  fut  une  scène  bien  touchante  que 
celle  de  leur  première  entrevue  avec  la  Mère  si  malade.  "  Toutes 


DEBNIÈRB  MALADIE  ET  MORT   DE  LA  FONDATRICE  379 

les  deux,  écrit  l'annaliste,  s'agenouillent  et  baisent  la  main  de 
notre  Mère,  que  l'une  et  l'autre  tiennent  dans  les  leurs .  .  .  Notre 
Mère  pleure,  et  elles,  et  nous  aussi .  .  .  Enfin,  notre  vénérée  Mère 
parvient  à  maîtriser  son  émotion.  Elle  peut  balbutier  qu'elle  est 
heureuse  de  les  voir  et  de  dire  toujours  avec  ses  filles,  toutes  ses 
filles,  quelque  part  qu'elles  soient  :  "  Gloire  au  sang  !  "  — "  Toutes 
vos  filles  de  Cuba,  répond  Mère  Thérèse-de-Jésus,  le  disent  en  ce 
moment .  .  .  On  aime  là-bas  à  honorer  celle  qui  nous  a  appris  à 
le  dire!  "  Notre  Mère,  plongeant  son  regard  comme  jusqu'au  fond 
de  l'âme  de  la  pieuse  petite  supérieure  cubaine,  ajoute  :  "  Mon 
enfant,  je  vous  confie  mon  œuvre  à  Cuba.  ..  " — "  Ces  paroles, 
a  dit  Mère  Thérèse-de-Jésus  au  sortir  de  l'entrevue,  resteront 
gravées  dans  nos  cœurs  comme  des  traits  de  feu."  C'était  le 
jeudi-saint,  20  avril. 

On  appréhendait  beaucoup,  et  cela  se  comprend  chez  ces  âmes 
à  la  foi  vive,  la  journée  du  vendredi-saint.  Celle  qui  avait  tant 
aimé  la  passion  de  Jésus  ne  mourrait-elle  pas  ce  jour-là  ?  Au  con- 
traire, le  mieux  s'accentua.  Si  pieux  qu'ils  soient,  nos  calculs 
humains  restent  toujours  courts  par  quelque  endroit.  "  Depuis  ce 
matin,  dit  l'annaliste,  notre  Mère  nous  paraît  beaucoup  mieux. 
Cet  après-midi,  elle  a  pu  faire  quelques  pas  dans  sa  chambre, 
soutenue  par  deux  Sœurs .  .  .  Va-t-elle  guérir  ?  Le  sang  de  tant  de 
calices  est  offert  dans  ce  but  ! .  .  .  "  Tout  espoir  ne  semblait  donc 
pas  perdu.  Mais  n'était-ce  pas  plutôt  l'agonie  qui  se  prolongeait 
pour  l'édification  de  toutes  ?  La  vénérée  malade  continuait  de 
communier  en  viatique.  Sa  fête  patronale  du  30  avril  fut  bien 
triste.  Ce  n'était  plus  un  chant  d'allégresse  qui  montait  du  cœur 
aux  lèvres  de  ses  filles,  mais  bien  une  prière,  une  supplication.  La 
mort  est  toujours  si  mystérieuse  et  si  dure,  surtout  pour  ceux 
qui  restent  ! 

La  fondation  de  Joliette  était  décidée  du  11  mars.  Celle  de  Lé  vis 


380  MÈBE  CATHERINE^ AURÉLIE 

fut  arrêtée  le  2  mai.  Le  vénérable  archevêque  de  Québec,  Mgr 
Bégin,  aujourd'hui  cardinal,  vint,  ce  jour-là,  lui-même,  annoncer 
à  la  fondatrice  presque  agonisante  qu'un  nouveau  fleuron  s'ajou- 
terait bientôt  à  la  couronne  de  ses  maisons-filles.  Se  trouvant  de 
passage  à  Saint-Hyacinthe,  il  se  présenta  au  monastère  accom- 
pagné par  Mgr  Decelles,  et,  introduit  auprès  de  la  mourante,  il 
lui  dit  :  *'  Ma  Mère,  je  tenais  à  vous  apporter  moi-même  la 
nouvelle  que  je  vous  ouvre  les  portes  de  mon  diocèse.  Ainsi  vous 
pouvez  y  fonder  un  monastère  dès  demain,  soit  à  Lévis,  soit  à 
Montmagny."  —  "  J'espère,  ma  Mère,  ajouta  le  prélat  avec 
bienveillance,  que  vous  pourrez  faire  vous-même  cette  fondation." 
La  vénérée  Mère  n'y  comptait  pas  sans  doute.  Elle  se  croisa  les 
mains  pourtant,  leva  les  yeux  au  ciel  et  dit  :  "  Quelles  actions  de 
grâces  je  dois  au  bon  Dieu  et  à  vous.  Monseigneur  !  Une  pareille 
nouvelle  est  capable  de  ressusciter  les  morts."  Mère  Catherine- 
Aurélie,  à  la  vérité,  ne  devait  pas  voir  de  son  vivant  la  fondation 
de  Lévis,  non  plus  que  celle  de  Joliette.  Mais  ces  deux  maisons» 
acceptées  et  approuvées  par  elle,  en  ces  tragiques  circonstances, 
peuvent  se  sentir  honorées  d'être  nées  plus  que  toutes  les  autres, 
en  un  sens  du  moins,  de  la  souffrance  et  de  la  douleur  de  l'unique 
Mère  ! 

Car  elle  souffrait  toujours  et  le  mal  continuait  son  œuvre. 
C'est  par  son  cœur  qu'elle  allait  mourir.  On  en  avait  partout 
autour  d'elle  le  pressentiment  immédiat.  Qu'y  avait-il  de  plus 
naturel  au  reste  que  cette  femme  au  grand  cœur  mourût  d'un  coup 
du  cœur  ?  Seulement,  répétons-le,  l'agonie  se  prolongeait.  Le  13 
mai,  ce  pauvre  cœur  malade  eut  à  subir  une  nouvelle  et  forte 
secousse.  Une  à  une,  ou  plutôt  deux  à  deux,  les  Sœurs  venues  des 
maisons-filles  à  la  maison-mère,  quelques-unes  après  une  absence 
de  vingt-cinq  ou  trente  ans,  d'autres  pour  une  toute  première  fois, 
devaient  retourner  dans  leurs  monastères  respectifs.  L'œuvre  de 
Dieu  le  réclamait.  Toutes  emportaient  l'ineffaçable  impression 
de  la  résignation  parfaite  devant  la  mort  et  du  complet   abandon 


DERNIÈRE  MALADIE  ET  MORT   DE  LA   FONDATRICE  381 

à  la  volonté  divine  de  leur  vénérée  fondatrice.  Le  13  mai,  ce  fut  le 
tour  des  Sœurs  de  Cuba.  Celles-ci  ne  partaient  pas  seules.  Elles 
avaient  obtenu  de  la  généreuse  Mère  qu'elle  leur  "  prêtât  "  l'une 
de  ses  filles  de  Saint-Hyacinthe.  Elles  avaient  besoin  à  "Santa- 
Cruz"  d'une  musicienne.  Sœur  Thérèse-de-Marie  (l'actuelle  supé- 
rieure de  la  maison  de  Saint-Hyacinthe  en  1923)  avait  été  désignée 
pour  la  mission  lointaine  et  ensoleillée  de  la  grande  île  des  Antilles. 
Elle  partit,  elle  aussi,  avec  les  Sœurs  cubaines.  Citons  ici  cette 
page  des  Annales,  à  laquelle  nous  faisions  allusion,  au  chapitre 
précédent,  en  terminant  notre  précis  de  la  fondation  de  "  Santa- 
Cruz  ".  Elle  peint  sur  le  vif  et  indique  d'un  trait  les  scènes  qui  se 
déroulaient  au  chevet  de  la  Mère  agonisante  au  départ  de  ses 
filles.  C'est  Vab  uno  disce  omnes  du  poète  latin.  Ce  trait,  voulons- 
nous  dire,  les  rappelle  toutes.  "  Sœur  Thérèse-de-Marie  a  été  choi- 
sie, raconte  donc  l'annaliste,  pour  la  lointaine  mission.  Elle  s'éloi- 
gne aujourd'hui  du  chevet  de  notre  Mère  mourante,  persuadée 
qu'elle  ne  la  reverra  plus ...  A  travers  les  larmes  silencieuses, 
car  on  craignait  de  trop  affecter  la  malade,  les  adieux  ont  été 
bien  touchants.  Les  partantes  se  sont  agenouillées  près  de  notre 
Mère.  A  Sœur  Thérèse-de-Marie,  elle  dit  :  "  Soyez  bonne  envers 
vos  petites  compagnes.  Soyez  surtout  douce  et  humble  de  cœur. 
Soyez  indulgente .  .  .  Souvent  il  faut  faire  semblant  de  ne  pas 
comprendre .  .  .  Soyez  indulgente,  mais  soyez  sévère  pour  les 
observances  religieuses,  pour  suivre  les  leçons  de  Notre-Sei- 
gneur.  .."A  Mère  Thérèse-de-Jésus,  elle  dit  :  "  Vous,  ma  chère 
enfant,  soyez  bonne  et  confiante  envers  vos  petites  sœurs.  Faites 
semblant  d'avoir  besoin  de  leurs  conseils."  Puis,  elle  mit  la  main 
de  Sœur  Thérèse-de-Marie  dans  celle  de  Mère  Thérèse-de-Jésus 
et  dit  :  "  Ne  faites  qu'une  âme.  .  .  Allez  en  paix  !  Partez  avec 
Jésus  crucifié.  Il  vous  inondera  de  son  sang."  Les  écrivains  les  plus 
délicats  et  les  plus  artistes  n'ont  jamais,  croyons-nous,  imaginé  une 
scène  plus  pathétique  en  son  admirable  simplicité  que  cette 
scène  vécue. 


382  MÈRE  CATHEKINE-ATJBÉLIE 

Toute  sa  vie,  Mère  Catherine-Aurélie  avait  eu  frayeur  de  la 
mort.  Par  une  grâce  du  ciel,  elle  la  voyait  maintenant  venir  avec 
une  parfaite  sérénité  d'âme  et  une  complète  tranquillité  d'esprit. 
Quand  on  lui  exprimait  le  désir  de  voir  encore  ses  jours  se  prolon- 
ger, elle  répétait,  calme  et  même  souriante  :  "  Je  ne  veux  que  ce 
que  le  bon  Dieu  voudra." 

Plus  d'un  mois  se  passa  ainsi.  A  la  fin  de  juin,  de  nouvelles 
crises  se  produisirent.  Le  28,  l'annaliste  écrit  :  "  Depuis  quelques 
semaines,  il  n'y  avait  rien  d'alarmant  dans  l'état  de  notre  vénérée 
malade.  Au  contraire,  elle  prenait  plus  de  nourriture,  avait  un 
assez  bon  sommeil  et  tenait  moins  le  lit.  Elle  avait  même  demandé, 
à  certains  jours,  d'être  conduite  sur  la  galerie,  assise  dans  une 
chaise  roulante.  Après  y  avoir  respiré  l'air  pur  pendant  de  courts 
instants,  elle  se  faisait  conduire  au  chœur,  où,  tout  près  delà  grille, 
elle  adorait  quelques  minutes  le  divin  prisonnier  du  tabernacle 
et  s'anéantissait  devant  lui.  Nous  espérions  donc  le  prolon- 
gement de  sa  précieuse  existence.  Mais,  ces  jours  derniers,  de 
nouvelles  crises  sont  survenues.  L'accès  de  cette  nuit,  de  minuit  à 
1  heure,  a  été  si  fort  et  si  prolongé  que  le  médecin  a  demandé  qu'on 
lui  administre  de  nouveau  sans  retard  les  derniers  sacrements. 
A  1  h.  15,  elle  a  reçu  le  saint  viatique  et  l'extrême-onction .  .  . 
Toutes  les  Sœurs  présentes  au  monastère  étaient  là  formant 
couronne  autour  de  son  lit.  Le  reste  de  la  nuit  s'est  passé  pour  nous 
dans  l'angoisse  et  la  prière ...  A  10  h.  30,  ce  soir,  nouvelle  crise ... 
De  nouveau,  les  Sœurs  entourent  notre  Mère  agonisante .  .  .  M. 
l'aumônier  récite  les  prières  de  la  recommandation  de  l'âme .  .  . 
Notre  Mère  conserve  sa  pleine  connaissance  et  est  d'un  calme 
inaltérable .  .  .  L'émouvante  cérémonie  terminée,  elle  manifeste 
le  désir  de  nous  adresser  quelques  mots,  M.  l'aumônier,  la  voyant 
si  faible,  s'offre  à  nous  les  transmettre.  Il  se  penche  vers  elle. 
Nous  sommes  toutes  à  genoux.  "  Dites  à  mes  filles,  prononce-t-elle^ 
que  je  leur  demande  pardon  de  la  mauvaise  édification  que  j'ai  pu 


DERNIÈRE  MALADIE  ET  MORT   DE  LA  FONDATRICE  383 

leur  donner.  .  .  Qu'elles  aient  une  dévotion  toujours  croissante  au 
Précieux  Sang .  .  .  Qu'elles  aient  une  grande  charité  les  unes  envers 
les  autres ...  Je  voudrais  leur  dire  beaucoup  de  choses  encore, 
mais  je  ne  le  puis  pas ..."  Et  l'annaliste  ajoute  simplement:. 
"  Le  Précieux  Sang,  la  charité,  voilà  le  legs  de  notre  Mère  mou- 
rante !  " 

Le